Paul-Claude Racamier, né en 1924 et décédé en 1996, fut l’un des psychanalystes français les plus créatifs et engagés dans le traitement des patients psychotiques. Membre titulaire de la SPP, il en dirigea l’Institut de Formation, et fut l’un des fondateurs du Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale. Auteur entre autres du Psychanalyste sans Divan, mais aussi du Génie des Origines, il créa à Besançon fin 1967 début 1968, le Centre Psychothérapique de la Velotte.
L’inceste et l’incestuel
Dans cette séquence vidéo, lors du Colloque du Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale en 1995, Paul-Claude Racamier présente son approche psychanalytique des psychoses, à partir de l’inceste, de l’incestuel, et d’Antœdipe.
Selon lui, l’inceste est une atteinte majeure à l’intégrité corporelle et psychique, le summum du traumatique et de la disqualification. La relation entre l’incesteur et l’incesté n’est pas symétrique, en ce que les partenaires ne disposent pas initialement du même potentiel d’initiative et de maturité. Il s’agit d’une violence faite au corps qui n’est pas prêt à l’acte sexuel, en tout cas pas apte à l’aborder à parité de maturité physique.
Cette séduction sexuelle est une violence aussi faite à la psyché, car il s’agit d’une emprise narcissique. Dans ce fil, nous rejoignons l’idée de séduction narcissique telle que la déploie Paul-Claude Racamier dans sa forme interminable. D’après lui, dans l’incestuel, il y a bien souvent un inceste relégué au passé, le traumatisme est ancien, la distance généalogique s’est établie. La blessure, jamais ouverte, jamais fermée non plus, n’est que différée, mais toujours active. Il énonce cette loi : l’inceste dans une génération induit des ravages incestuels dans les suivantes. Et il ajoute à l’inceste le « cadavre dans le placard », le deuil impossible, obturé. Vous l’entendez dans cette séquence vidéo parler de l’inceste et l’incestuel en tant que destructeurs de la psyché. Les secrets incestuels attaquent les liens, empêchent d’accéder à un espace psychique unifié.
Dans cette configuration, il parle d’objet-non-objet, c’est-à-dire un objet interdit de désir propre, ainsi que de valeur narcissique propre. L’autonomie lui est interdite : – Autonomie de mouvement : il devient catatonique ; – Autonomie de désir : il ne peut tomber amoureux sans risquer de crever la peau du narcissisme maternel ; il n’y a pas de fantasme ! – Autonomie d’action : il ne parvient pas initier, ni à finir ce qu’il initie ; – Autonomie de jugement.
Dès lors, Paul-Claude Racamier définit la notion d’Antœdipe comme l’organisation essentielle et spécifique du conflit des origines, préludant à l’œdipe, mais se situant en son contrepoint.
» Ce qui se situe au cœur de l’œdipe, c’est le conflit œdipien, l’ambivalence amour-haine à l’égard des imagos parentaux.
» Ce qui se situe au cœur de l’antœdipe, c’est le conflit des origines, le conflit d’autonomie : existe-t-il un espace psychique pour l’enfant entre ses deux parents ? La dualité entre pulsion d’autoconservation et pulsion de croissance peut-elle permettre à l’enfant d’aller du côté de la croissance psychique, d’une existence différenciée, non aliénée, vers une existence propre ?
Dans la forme antœdipienne furieuse, il existe une indifférenciation des êtres, des générations, et des sexes, un empêchement du travail de deuil et des découvertes qui vont avec. Dans cette forme furieuse, il ne peut pas y avoir de lien œdipien de bon aloi, et Paul-Claude Racamier indique que cela conduit à la genèse de la psychose, des perversions, de la psychopathie…
Au contraire, la forme antœdipienne tempérée permet l’accès à l’œdipe. Elle autorise une séduction narcissique de bon aloi et non éternelle, donnant à l’enfant une assiette narcissique discrète, à la jointure de l’objectal et du narcissique, entre l’individuel et le familial, entre la vie et la non-vie.
C’est au contact des patients psychotiques et à partir de son expérience qu’il a imaginé puis précisé ce concept d’antœdipe, qu’il a d’abord théorisé dans son versant furieux à partir des formes pathologiques, mais dont il a ensuite pu en extraire l’aspect universel dans tout fonctionnement psychique. Pour lui, il existe un balancement permanent entre antœdipe et œdipe. Chez le patient psychotique, l’antœdipe est empêché de façon tempérée : la question des origines est niée, les identifications à la famille sont aliénantes, le collage aux parents entrave l’accès à l’œdipe. Il n’y a pas de désir, « l’inceste est antilibidinal ».
Vincent Rebière, Juin 2021Les deuils
Dans cette séquence vidéo, Paul-Claude Racamier répond à Michel Hanus, en 1994, dans le contexte du Colloque du Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale relatif au thème du deuil.
Paul-Claude Racamier insiste sur la notion de travail de deuil qu’il réfère à Freud, processus de désinvestissement et de réinvestissement, lambeau par lambeau, de façon dynamique et progressive. Il l’entend dans un sens élargi : il ne s’agit pas que du deuil de l’objet mais du deuil au sens large : deuil de l’unisson narcissique premier avec la mère, mais aussi deuil des illusions, des petites et des grandes, renoncements, perte de la toute-puissance, …
Voici la définition qu’il donnait du deuil originaire : pour l’enfant, deuil de la relation d’unisson premier avec la mère, ouverture vers le désenchantement, la désidéalisation de la mère omnipotente, pour la découvrir en tant qu’entité distincte de lui.
Il s’agit pour lui d’un travail à vie, un processus de séparation qui commence et qui ne finit jamais : « l’important est qu’il commence », dit-il. On passe sa vie à se séparer de ses parents, des imagos parentaux intériorisés, à se différencier de ses origines.
Il insiste également sur le fait qu’il s’agit d’une perte pour une découverte : l’enfant perd la « mère-atmosphère » pour la découvrir en tant qu’objet distinct de lui.
D’après Paul-Claude Racamier, il est question d’un travail d’individuation en parallèle du travail œdipien. Selon lui, il ne peut pas être résumé au pré-œdipe, il constitue un contrepoint à l’œdipe de façon permanente. Il le nommera « Antœdipe ». On pourrait l’apparenter au versant narcissique de l’œdipe, mais il est plus que cela. Certes, dans un régime névrotique, là où la question des origines est à peu près en place, régulée, tempérée, le travail analytique opère à la séparation interne d’avec les imagos parentaux œdipiens. Paul-Claude Racamier insiste, chez les psychotiques, sur le courant antœdipien dans sa forme « furieuse », aliénée, car il vient empêcher l’accès au régime œdipien. Le patient est interdit de penser, son espace psychique est obstrué des deuils familiaux déniés. Ici, le travail du deuil originaire est entravé ; le processus mutuellement actif de séparation entre la mère et l’enfant est en berne. L’enfant reste captif de sa mère, la séduction narcissique est éternelle.
Cette séduction narcissique est pourtant indispensable dans les premiers mois de vie de l’enfant. Elle est un « accord parfait » entre lui et sa mère, sans faille et sans tension entre les deux partenaires unifiés. Ensemble la mère et l’enfant baignent dans les eaux de la séduction narcissique, une eau sans ride et parfaitement étale, une eau pure. Bien sûr, les cris, les pleurs, les demandes de l’enfant créent de multiples perturbations, mais que la mère va réguler, absorber, contenir, la mère « suffisamment bonne » au sens de Winnicott. Cette relation d’unisson premier prendra fin lorsque l’enfant « tournera le dos » à la mère, pour s’ouvrir au monde, au tiers, au père. Mère et enfant sont tous deux actifs dans ce processus de deuil, la mère étant admirative de la poussée, de la croissance de son enfant.
Mais si ce deuil premier est refusé pour une raison ou une autre, il peut être défiguré et expulsé chez l’autre : l’enfant devient alors porteur d’un deuil qui ne lui appartient pas ; il est le « portefaix », le « figurant prédestiné » familial. Le déni d’un deuil, son expulsion d’une génération à une autre, ouvre malheureusement aux dilemmes, à l’impossibilité de penser par soi-même, d’exister, et conduit à l’émergence psychotique, à la catastrophe psychotique.
Cet amalgame entre générations, ce mélange, est celui du terrain de l’incestualité ¬- terminologie dont Paul-Claude Racamier est l’inventeur, de même que celle de « perversion narcissique ».
La vidéo s’achève sur l’inceste : l’incestuel, c’est l’inceste psychique, l’intrusion psychique par des éléments qui n’appartiennent pas à l’individu, qui sont d’une autre génération. Cette intrusion, cet envahissement psychique, va bien souvent, d’après Paul-Claude Racamier, passer par le biais de vecteurs incestuels que sont l’argent, les vêtements, le corps, par exemple. Ils sont invisibles si l’on ne s’y intéresse pas de près et correspondent à de véritables bombes à retardement dès qu’on y touche.
Dans ses travaux, Paul-Claude Racamier a beaucoup insisté sur la notion de déni de deuil, de deuil gelé, et de deuil expulsé. Il désigne l’expulsion du deuil comme une façon d’exporter hors de soi les processus de deuil qui sont répudiés par le moi en en faisant porter le poids par un proche ou l’entourage. Il va plus loin que Mélanie Klein au sujet de ce mécanisme d’indentification projective, en montrant que ce qui est expulsé devient irreprésentable pour celui qui en est le réceptacle…
Il met en avant le passage de l’intrapsychique à l’interactif, dans une topique interactive qui justifie entièrement le travail psychanalytique institutionnel, l’approche groupale, tout autant que les thérapies familiales, thérapies de couple, … dont les travaux de recherche ont largement occupé le Collège de Psychanalyse Groupale et Familiale.
Vincent Rebière, juin 2021BIBLIOGRAPHIE
- Le Psychanalyste sans divan, Payot. 1993
- Le cortège conceptuel, ed. Apsygee.
- Les Schizophrènes, Payot. 2001
- Les Psychoses, la perte de la réalité, ed Sand. 2004
- L’inceste et l’incestuel, Dunod. 2010
- Les perversions narcissiques, Payot 2012
- Le Deuil originaire, Payot. 2016
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