Note de l'auteur
Ce chapitre est extrait du livre : « Trends in Psychodynamic Neuroscience », publié par Aikaterini Fotopoulou, Donald Pfaff et Martin A. Conway, Oxford University Press, 2012, p. 2019-229. Il est une version corrigée d’une publication antérieure (R. L. Carhart-Harris et K. J. Friston (2010), « The default-mode, ego-functions, and free-energy : a neurobiological account of Freudian ideas », Brain 133 (4),1265-83, 2010), reproduite avec la permission de Oxford University Press). Ici, nous avons raccourci l’article original, ajouté quelques points de clarification, et introduit un petit nombre d’idées nouvelles.
Le texte a été traduit par Marianne Robert, avec la permission de Karl Frison.
Un mot de la traductrice
Karl Friston est un neuroscientifique théoricien britannique né en 1959. Il a étudié la physique et la psychologie à l’Université de Cambridge, puis la médecine à l’Hôpital de Kings College de Londres, et s’est spécialisé en psychiatrie. Il est maintenant professeur de neurosciences à l’University College de Londres, et est chercheur principal et directeur scientifique du Centre Welcome Trust pour la neuroimagerie. Il a inventé la cartographie paramétrique statistique (SPM : statistical parametric mapping), qui est devenue une norme internationale pour l’analyse des données d’imagerie : actuellement, plus de 90% des articles publiés sur l’imagerie cérébrale utilisent cette méthode SPM, qui a révolutionné les études sur le cerveau humain et a donné un aperçu en profondeur de son fonctionnement. En 1994 son groupe a développé la morphométrie à base de voxels (VBM) qui détecte des différences en neuroanatomie et est utilisée en clinique dans les études génétiques. Ces contributions techniques ont été motivées par la recherche sur la schizophrénie et les études théoriques de l’apprentissage de la valeur (avec Gerald Edelman). En 1995, ce travail a donné lieu à l’hypothèse de la déconnexion de la schizophrénie (avec Christopher Frith). En 2003, il a inventé la modélisation causale dynamique (DCM) utilisée pour déduire l’architecture de systèmes distribués comme le cerveau.
Karl Friston travaille actuellement sur des modèles d’intégration fonctionnelle dans le cerveau humain et sur les principes qui sous-tendent les interactions neuronales. Sa principale contribution à la neurobiologie théorique est un principe variationnel de l’énergie libre (d’inférence active dans le cerveau bayésien).
Lorsque Karl Friston a publié son article « The default-mode, ego-functions, and free-energy : a neurobiological account of Freudian ideas » dans Brain, en 2010, il a pris de gros risques auprès de la communauté scientifique. Les références à Freud sont rigoureusement exclues de la communauté des neuroscientifiques, et Friston a été qualifié de « freudien » (on peut lire des articles à propos de ces débats sur internet). Sa conférence « Consciousness and the Bayesian Brain », prononcée en 2014 à Francfort, à la XIVème Conférence Joseph Sandler (dont le thème était « L’inconscient : Un pont entre la psychanalyse et les sciences cognitives ») est accessible sur You Tube (en anglais, sur Conférences Joseph Sandler, Conférence 2014).
Introduction
Dans cette synthèse, nous explorons la notion selon laquelle les concepts freudiens pourraient avoir de véritables substrats neurobiologiques et pourraient être utilement revisités dans le contexte des neurosciences modernes. Il vaut la peine de remarquer que Freud a eu une formation formelle en neuroanatomie et qu’il a été influencé par des personnes telles que Helmholtz, qui a posé une grande partie des fondations de la neurobiologie théorique. Les progrès en neurosciences empiriques et théoriques nous permettent maintenant de reformuler certaines des hypothèses freudiennes centrales sous une forme informée par les connaissances mécaniques et la biologie. En particulier, nous remarquons que la distinction psychanalytique entre les processus primaire et secondaire (en tant que fonctions du ça et du moi, respectivement), correspondent sans difficulté aux notions modernes de l’architecture cérébrale fonctionnelle, tant au niveau de l’informatique qu’au niveau neurophysiologique. Bien que cela puisse sembler une synthèse plutôt abstraite et ambitieuse, il existe en fait une énorme quantité de données empiriques en provenance de la neuropsychologie, de la neuroimagerie et de la psychopharmacologie pour l’étayer.
Dans ce qui suit, nous tenterons de démontrer les points de convergence entre des hypothèses freudiennes centrales et des perspectives récentes sur la fonction cérébrale globale, qui sont apparues dans l’imagerie et les neurosciences théoriques. Notre intention est de démontrer et de développer la validité conceptuelle des conceptions freudiennes. Ceci devrait permettre aux concepts freudiens d’être opérationnalisés et mesurés empiriquement, et pourrait permettre un dialogue entre les psychanalystes et les neurobiologistes. Ceci pourrait avoir des implications pour la psychiatrie dans la mesure où les théories mécanicistes de la psychopathologie peuvent avoir le moindre attrait soit pour les constructions neurobiologiques soit pour les hypothèses psychanalytiques. Nous commencerons par résumer les éléments clés des trois domaines que nous souhaitons mettre en relation les uns avec les autres : à savoir les concepts freudiens principaux, le système du cerveau helmholtzien ou bayésien1, les résultats empiriques de la neuroimagerie sur l’organisation globale de l’activité cérébrale.
Les processus primaire et secondaire
Freud a finalement reconnu qu’il existait deux modes fondamentalement différents de cognition (les processus primaire et secondaire) par une étude d’états “altérés” ou “non ordinaires” de la conscience. Il s’est aperçu qu’il existait dans certains états non ordinaires (par ex. dans le rêve et la psychose) un mode ou un style de pensée qui est de manière caractéristique, “magique”, à savoir, facilement balayé par la peur ou les fantasmes, et donc pauvrement arrimé à la réalité. Freud a fait l’hypothèse d’une propagation “libre” d’énergie dans ce mode, qu’il a nommée “processus primaire”. Il a aussi reconnu dans ces états non ordinaires la perte de certaines fonctions qui sont normalement présentes dans la cognition de veille. Il a fait l’hypothèse que ces fonctions appartiennent à une organisation centrale (le moi), qui œuvre pour contenir les énergies qui se propagent dans le cerveau, afin de minimiser l’énergie libre. Le but de ce processus de contenance est d’apprendre de l’expérience (plutôt que d’être happé par l’émotion), afin de représenter le monde de manière plus fiable. Freud a nommé cette fonction le “processus secondaire” et a défini son but comme étant celui de convertir l’ “énergie libre” en “énergie liée”.
L’énergie libre et le cerveau bayésien
Dans les termes des neurosciences théoriques et informatiques, nous allons nous centrer sur la proposition de Helmholtz selon laquelle le cerveau est une machine d’inférence (Helmholtz, 1866 ; Dayan et al., 1995) ; cette hypothèse est aujourd’hui un postulat fondamental en neurobiologie (Gregory, 1968). Des exemples clés en sont le cerveau bayésien (Knill et Pouget, 2004), le codage prédictif (Rao et Ballard, 1999), et le principe de l’énergie libre (Friston, 2009). Ce système suppose que le cerveau utilise des modèles hiérarchiques internes pour prédire ses entrées sensorielles, et suggère que l’activité neuronale (et les connexions synaptiques) essaient de minimiser l’erreur de prédiction, ou l’énergie libre, qui en résulte. Cette énergie libre est une mesure de la surprise (voir “surprisal”, Tribus, 1961). C’est une quantité en théorie de l’information qui, mathématiquement, joue le même rôle que l’énergie libre dans la thermodynamique statistique. Il peut être utile de savoir que : comme la moyenne de la surprise est l’incertitude, la moyenne de l’énergie libre est l’entropie. L’énergie libre n’est pas un concept abstrait ; elle peut être facilement quantifiée et elle est utilisée de manière routinière pour modéliser des données empiriques (Friston et Stephan, 2007), et dans des simulations neuronales de la perception et de l’action (Friston et al., 2009).
La notion d’hiérarchie est centrale ici parce qu’elle permet au cerveau de construire ses propres attentes descendantes concernant les échantillons sensoriels en provenance du monde. Ceci résout l’un des défis principaux auxquels le cerveau doit faire face et lui permet aussi de résoudre les ambiguïtés quand il déduit et représente les causes des sensations extéroceptives et intéroceptives. Fondamentalement, la forme hiérarchique des modèles internes (et de la neuroanatomie associée) (Felleman et Van Essen, 1991) implique une progression dans la complexité des représentations, à mesure que l’on monte dans la hiérarchie, à partie des noyaux thalamiques et du cortex sensoriel primaire vers le cortex associatif (par ex. des sensations jusqu’aux concepts). Cette progression est reflétée dans l’étendue temporelle de ce qui est représenté ; les niveaux supérieurs représentant des séquences étendues d’événements qui rendent le mieux compte du flot d’information sensorielle représentée dans les niveaux inférieurs (voir Keibel et al., 2008, pour une discussion complète et des simulations).
Cette architecture hiérarchique peut aussi être compatible avec la distinction freudienne entre les processus primaire et secondaire, où le processus secondaire fournit des prédictions descendantes afin de réduire la propagation de l’énergie associée au processus primaire (cf. convertir l’énergie libre en énergie liée). Avec cette mise en rapport entre les modèles freudien et helmholtzien, on peut faire un lien entre l’énergie associée au processus primaire et l’énergie libre des formulations bayésiennes. Dans les deux explications, des zones corticales supérieures essaient d’organiser (et donc d’expliquer) l’activité dans les niveaux inférieurs au moyen de la suppression de leur énergie.
Les réseaux cérébraux intrinsèques et le mode par défaut
Les analyses de fluctuations spontanées du signal, fonction du niveau d’oxygène sanguin (BOLD : blood oxygen level dependent), à l’imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle (IRMf), pendant les états de repos sans contrainte (typiquement, quand le sujet reste allongé silencieusement les yeux fermés ou regarde une croix), ont permis de distinguer un certain nombre de réseaux intrinsèques à grande échelle (Damoiseaux et al., 2006). D’un intérêt particulier ici est le soi-disant “réseau par défaut” (DMN : “default mode network”), un réseau de régions qui présentent une activité métabolique et une circulation sanguine élevées au repos, mais qui se désactivent pendant des cognitions à but orienté (Raichle et al., 2001). Des travaux récents ont confirmé que les nœuds principaux du DMN sont fonctionnellement et structurellement connectés (Greicius et al., 2009), et que cette connectivité se développe pendant toute l’ontogénèse (Fair et al., 2008). Une autre caractéristique du DMN est la nature compétitive de son activité par rapport à celle d’un autre réseau intrinsèque à grande échelle, qui est activé de manière régulière pendant des activités qui sont cognitivement prenantes (Fox et al, 2005), de sorte que quand l’activité du DMN est élevée, l’activité de ce réseau est relativement faible, et réciproquement.
Dans cet article nous nous attachons à l’hypothèse que ces réseaux intrinsèques correspondent aux niveaux élevés d’une hiérarchie d’inférence, qui fonctionne pour supprimer l’énergie libre de niveaux inférieurs, c’est-à-dire, pour supprimer la surprise et l’incertitude au moyen de prédictions descendantes. Nous associons ce processus d’optimisation au processus secondaire ; enfin, c’est la fidélité de nos modèles de la réalité qui est optimisée sous l’égide du processus secondaire. En outre, nous associons les échecs du contrôle descendant avec des états non ordinaires de conscience, comme la psychose précoce et aiguë, l’aura du lobe temporal, le rêve/le sommeil de REM (mouvement oculaire rapide), et les états hallucinogènes provoqués par les drogues. Dans ce qui suit, nous organisons les données qui sont en faveur de l’intégration des hypothèses neurobiologiques et psychanalytiques et concluons par la défense de la valeur de l’utilité potentielle de cette intégration. Ce chapitre comprend trois parties : dans la première, nous passons en revue les données en faveur de l’idée que le développement et le fonctionnement du DMN est compatible avec les fonctions du moi et le processus secondaire. Nous nous centrons spécifiquement sur l’influence contraignante du DMN sur l’excitation endogène dans le cerveau limbique et sur sa relation mutuellement inhibitrice avec des régions/réseaux cérébrales concernées par la modélisation de l’environnement extérieur immédiat. Dans la deuxième, nous passons en revue les données montrant qu’une perte de contrôle descendant sur le cerveau limbique est équivalente à une perte de contrôle du moi sur le ça. Dans la troisième, nous discuterons de la pertinence clinique de ces hypothèses.
Les réseaux intrinsèques à grande échelle, le processus secondaire et le moi
Dans cette partie, nous allons introduire l’hypothèse que les descriptions par Freud du développement et du fonctionnement du moi sont compatibles avec le développement et le fonctionnement du DMN. Le premier compte rendu significatif qu’a fait Freud du moi peut être trouvé dans l’Esquisse pour une psychologie scientifique, publiée à titre posthume (Freud, 1895). Enthousiasmé par la “théorie neuronale” naissante de Cajal et Waldeyer-Harz, Freud s’en est inspirée pour considérer comment différents types de neurones pourraient expliquer différentes fonctions psychologiques. Bien que Freud ait vite abandonné ce système classificatoire neuronal grossier, les idées qui en avaient été à l’origine sont restées une source d’inspiration pendant toute son œuvre. Plusieurs des hypothèses les plus importantes de Freud ont été introduites dans l’Esquisse : et une lecture de ce travail précoce donne une idée du désir qu’avait Freud de trouver une explication biologique pour les phénomènes mentaux.
Le processus secondaire, ou “cognition en processus secondaire”, est le mode de cognition du moi. Il peut être défini le plus simplement comme le processus de minimisation ou d’optimisation qui gouverne la cognition ; c’est la surprise qui est minimisée et c’est la fidélité de la représentation qu’a le cerveau du monde qui est optimisée. Freud a décrit le processus secondaire comme étant “inhibé” et “lié” ; par opposition au processus primaire qui est “libre” et “mobile” (Freud, 1895, 1900). Ceci correspond à la structure efficace des réseaux corticaux. Le concept d’énergie ‘liée’ a été attribué par Freud à des idées d’abord exprimées par Breuer dans leurs études sur l’hystérie (Breuer et Freud, 1895). Il est significatif que les processus primaire et secondaire doivent leur création à des observations d’états non ordinaires de conscience. Nous verrons plus loin que la meilleure manière pour distinguer le processus primaire du processus secondaire (et le ça du moi) est de perturber le moi de sorte que la pensée en processus primaire puisse émerger. Etant donné la résistance importante qu’ont rencontrée les idées psychanalytiques et la protestation commune selon laquelle le ça n’existe pas, les expérimentations de cette sorte sont fondamentales pour l’avenir d’une psychanalyse scientifique.
Anatomie fonctionnelle du réseau en mode par défaut
La notion du DMN est apparue dans un article de recension par Marcus Raichle et al. (2001) qui ont retrouvé un schéma hautement cohérent de désactivation régionale dans le cerveau quand celui-ci était soumis à une cognition dirigée vers un but. Raichle a proposé que ce schéma reflète un mode par défaut de la fonction cérébrale et une ligne de base physiologique fonctionnement pertinente. Des travaux ultérieurs ont associé une activité dans le DMN à des phénomènes tels que l’autoréflexion, la prospection (envisager l’avenir), la théorie de l’esprit (considérer le point de vue d’autrui), et les dilemmes moraux. On peut considérer ceux-ci comme des comportements humains de niveau élevé et des “fonctions du moi”. Parmi les “nœuds” régionaux du DMN on trouve le cortex préfrontal médian(CPFm), le cortex cingulaire postérieur (CCP), le lobule pariétal inférieur (LPI) et les lobes temporaux médians (LTM). Des analyses de la connectivité fonctionnelle à l’état de repos et l’imagerie du tenseur de diffusion ont montré que ces nœuds sont fortement interconnectés (Greicius et al., 2009), et que cette connectivité mature pendant tout le développement (Fair et al., 2008 ; Kelly et al., 2009). La connectivité fonctionnelle dans le DMN est relativement faible chez les patients présentant un trouble de l’attention (Castellanos et al., 2008) et des troubles du contrôle de l’impulsivité (Church et al., 2009). Il est intéressant de noter que l’épine structurale du cerveau adulte (CPFm-CCP) est absente, ou du moins pauvrement développée chez les nourrissons (Fransson et al., 2007). Ces résultats impliquent que le DMN se développe pendant toute l’ontogénèse, d’une manière qui est parallèle au développement des fonctions du moi.
La connectivité fonctionnelle à l’état de repos, l’imagerie du tenseur de diffusion, et le travail anatomique chez les primates ont montré que les LTM sont connectés aux régions du CPFm et du CCP du DMN (par ex. Robinson et al., 2009). Ceci est important parce que les LTM contiennent des structures clés (par ex. l’hippocampe, l’amygdale, le parahippocampe et le cortex entorhinal) qui jouent un rôle important dans la mémoire et l’émotion. Une grande quantité de données cliniques et précliniques suggèrent que ces régions limbiques sont sous le contrôle inhibiteur descendant en provenance du CPFm (par ex. Milad et al., 2006) ; on a pu observer des désactivations du CPFm et des activations du LTM pendant des flashbacks d’états de stress post-traumatiques-like, ou des états de “reviviscences” (par ex. Hopper et al., 2007), et on a trouvé des activations du CPFm pendant des blocages de telles expériences, par exemple, par la dissociation (par ex. Lanius et al., 2002). Des lésions du CPFm ventral ont depuis longtemps été associées à un trouble du contrôle des impulsions (par ex. Kaplan-Solms et Solms, 2001). Le CPFm ventral projette aussi lourdement sur le striatum ventral et sur le mésencéphale (et donc sur les régions limbiques qui se projettent là aussi) : exerçant une influence modulatrice sur le traitement des états émotionnels. En résumé, les données suggèrent que le DMN, et en particulier le CPFm, échange des signaux neuronaux avec des centres concernés par l’apprentissage émotionnel et la mémoire : exerçant une influence descendante contraignante sur les signaux endogènes.
Formulations théoriques du réseau en mode par défaut
Freud a écrit que le moi ne se contente pas d’inhiber les signaux émotionnels en provenance de l’intérieur de l’organisme (comme la colère ou les pulsions sexuelles), mais qu’il restreignait aussi les informations ayant leur source à l’extérieur. La clé est que le moi contraint toute énergie qui impacte sur lui. Cette description est remarquablement compatible avec les modèles contemporains de la cognition basés sur l’inférence bayésienne hiérarchique et sur l’énergie libre selon Helmholtz ; selon lesquels des connexions rétrogrades (descendantes) en provenance de régions corticales supérieures œuvrent pour minimiser l’énergie propagée à partir des régions inférieures (par ex. Friston, 2003).
Sur le plan anatomique, des signaux antérogrades (ascendants) prennent leur origine dans des couches supragranulaires du cortex (par ex. les cellules pyramidales des couches II et III) ou dans les cellules excitatrices émettrices du thalamus, et se terminent dans les cellules stellaires à épines de la couche IV du cortex. Elles projettent depuis les niveaux inférieurs vers les niveaux supérieurs, par exemple des noyaux thalamiques vers le cortex sensoriel primaire (par ex. VI), ou bien depuis le cortex sensoriel secondaire (par ex. V5) vers des régions associatives (par ex. le cortex pariétal supérieur). Les connexions rétrogrades sont plus abondantes et plus diffuses que les connexions antérogrades et leurs effets sont surtout modulateurs. Les connexions rétrogrades ont leur origine dans les cellules pyramidales infragranulaires (par ex. la couche corticale V) et visent des couches infra et supragranulaires des zones corticales inférieures. Sur la base de principes bayésiens et helmholtziens, il a été proposé que les signaux ascendants transportent des erreurs de prédiction qui optimisent les représentations dans les régions supérieures. Ces représentations, fonctions de l’expérience, facilitent ensuite la prédiction de signaux ultérieurs émanant des niveaux inférieurs. Les prédictions sont codées dans des projections descendantes qui vont d’une région cérébrale supérieure à une région inférieure, réprimant l’activité dans les régions de niveau inférieur. Cette répression est obtenue au moyen de projections descendantes sur des interneurones inhibiteurs dans les régions de niveau inférieur. Quand les représentations, à un niveau quel qu’il soit, peuvent être expliquées par des prédictions descendantes provenant du niveau qui lui est supérieur, de l’énergie libre est minimisée et les représentations sont intérieurement cohérentes d’un niveau à l’autre. Le but de ce processus est d’optimiser des explications parcimonieuses de ce qui a provoqué l’entrée sensorielle (Friston, 2003) et d’établir des modèles fiables pour guider l’action et le comportement (Friston et al., 2009). Fondamentalement, ce schéma empiriquement informé récapitule la conception de Freud datant du dix-neuvième siècle, et en particulier, son principe de constance :
Nous avons, on s’en souvient, compris le principe qui domine tous les processus psychiques comme un cas particulier de ce que Fechner nomme tendance à la stabilité et attribué de la sorte à l’appareil psychique le dessein de réduire à rien la somme d’excitation qui afflue en lui ou du moins de la maintenir basse autant qu’il est possible (Freud, 1924)
Systèmes cérébraux hiérarchiques
Comme nous l’avons signalé dans l’introduction, les fluctuations du signal BOLD dans le DMN se caractérisent par leur relation d’antiphase avec celles d’un autre réseau intrinsèque majeur, nommé parfois le système attentionnel. Celui-ci, outre le fait qu’il présente une relation d’antiphase naturelle avec le DMN, est aussi activé pendant une cognition concentrée et désactivé quand cette concentration est suspendue. L’inverse est vrai pour le DMN, ce qui implique une compétition naturelle entre ces deux réseaux. Les régions comprises dans le système attentionnel sont le cortex cingulaire antérieur dorsal, la zone motrice pré-supplémentaire, et le lobule pariétal supérieur. Ces régions sont engagées pendant la vigilance et l’attention à des détails sensoriels. Elles jouent aussi un rôle dans la mémoire de travail et dans le traitement d’ambiguïtés contextuelles.
Le DMN et le système attentionnel ne sont évidemment pas les seuls réseaux intrinsèques, il en existe d’autres (par ex. à l’intérieur du système attentionnel, il semble exister un réseau plus spécialisé dans la saillance incitative (Seeley et al., 2002), et un autre davantage dans la mémoire de travail (Corbetta et Shulman, 2002)), mais eu égard à notre objectif de développer une compréhension générale de la fonction du cerveau global, nous pouvons nous contenter de nous centrer sur ces deux-là. Le message important à retenir est que le DMN et le système attentionnel se situent tout en haut de l’organisation hiérarchique cérébrale, le DMN étant le plus élevé de tous. Le DMN et le système attentionnel contiennent tous deux des cortex associatifs de haut niveau, éloignés spatialement des régions sensorielles primaires et qui codent des représentations de haut niveau (c.-à-d. abstraites).
Mais le DMN présente quelques particularités : 1) il a plus de connexions avec d’autres régions cérébrales que n’importe quel autre réseau du cerveau, il code donc un modèle plus élargi du monde ; 2) il a un niveau plus élevé d’activité métabolique que n’importe quel autre réseau cérébral, ce qui implique une fonctionnalité étendue ; 3) il a un niveau d’activité soutenu, et par conséquent, il présente une dynamique en état stationnaire ainsi qu’une dynamique transitoire ; 4) il s’active pendant des comportements humains de haut niveau comme la contemplation et la prospections morales ; 5) les comportements liés au DMN ont une concentration temporelle étendue, concernés par des pensées qui ne sont pas liées au moment présent ; 6) le DMN tente de simuler l’avenir : une entreprise pleine d’incertitude, puisqu’elle est en dehors du moment présent et n’est pas rattachée à un courant (sensoriel) régulier de preuves ; 7) ceci requiert par conséquent que la dynamique interne du système soit relativement “bruyante”, pour qu’elle puisse se déplacer d’une idée à l’autre de manière exploratrice (voir Tsuda, 2009) ; 8) la réduction de ce bruit à un niveau optimal qui n’empêche pas l’exploration (l’ouverture d’esprit et la pensée créatrice), tout en empêchant la pensée magique, fallacieuse, est ce qui caractérise le processus secondaire du moi.
Bref, notre hypothèse est que le DMN est le nœud central du moi. Tout langage psychanalytique habituel mis à part, nous pourrions l’appeler le “self”. Grossièrement parlant, mais pour le bénéfice d’une explication, c’est la chose qui est toujours là, la propriété émergente du plus haut niveau de criticité auto-organisée dans le cerveau. Elle contient des représentations de notre passé, et elle est la tranche contraignante de nos désirs. Son style cognitif exploratoire nous permet de simuler mentalement des scénarios très éloignés du moment présent : mais qui peuvent être essentiels pour la cohésion et la prospérité sociales. Se débarrasser enfin d’un dualisme qui proteste qu’on ne peut pas réduire le moi/self au cerveau serait un progrès qui irait de soi pour la psychanalyse : et c’est le programme du mouvement neuropsychanalytique. C’est le substrat même de la pensée en processus secondaire et l’antithèse de la réalisation de désir qui caractérise le processus primaire.
Résumé et synthèse
Dans cette partie, le processus secondaire a été envisagé en rapport aux réseaux intrinsèques à grande échelle qui œuvrent pour prédire et supprimer les signaux se propageant à partir de régions cérébrales inférieures. Le concept de processus secondaire impliqué par le moi a été associé à l’action inhibitrice du DMN, et en particulier du CPFm, sur les régions cérébrales limbiques. La connectivité fonctionnelle entre les régions limbiques et les nœuds principaux du DMN étaye la notion que le DMN opère une influence inhibitrice continue sur ces régions, afin de contraindre les processus émotionnels et hédoniques : ce qui est compatible avec la fonction que le moi exerce sur le ça. Dans la partie qui suit, nous nous centrerons davantage sur le processus primaire et particulièrement sur la manière dont il se manifeste dans des états non ordinaires de conscience.
La phénoménologie de la pensée en processus primaire
Dans cette partie, nous décrivons la phénoménologie d’états non ordinaires de conscience qui ont été associés à la pensée en processus primaire. Le processus primaire n’est généralement pas considéré comme un sujet sérieux pour la science, mais la phénoménologie de certains états non ordinaires exige que nous prenions en considération sa pertinence. On peut retracer les origines de la psychanalyse aux observations d’états non ordinaires. Une idée précoce qui est restée au centre de la pensée de Freud est qu’il existe dans l’esprit un mode archaïque de pensée, qui a été recouvert chez les êtres humains modernes par un style de pensée plus rationnel. Pour Freud, le processus primaire faisait partie d’un système de pensée archaïque, qu’il a d’abord appelé “inconscient”, avant de le renommer “ça” (Freud, 1923). Ainsi, le terme de “ça” a été introduit relativement tard par Freud comme nouvelle désignation pour l’ “inconscient”. Son intention était de distinguer l’inconscient dans un sens systémique de sa signification d’un point de vue descriptif. Freud reconnaissait qu’en attachant le descriptif “inconscient” à ce système impliquait qu’on ne pouvait pas le connaître : mais il savait que ce n’était pas vrai, puisque des contenus mentaux inconscients peuvent apparaître dans la conscience dans certains états (par ex. le rêve). La décision de Freud de renommer l’inconscient ‘le ça’ a donc été motivée par sa reconnaissance du fait qu’il existe des processus dans le ça qui peuvent devenir conscients. Si nous acceptons cette lecture de Freud, nous verrons alors naturellement comment l’inconscient/le ça peut être étudié expérimentalement.
L’introduction du ça a donc été utile puisqu’elle a résolu des ambiguïtés en rapport avec le sens descriptif de l’ “inconscient”. Désigné en tant que “ça”, l’inconscient pouvait être compris de manière plus explicite comme un système obéissant à un mode spécifique de pensée. Les caractéristiques du ça, et de mode de cognition qui lui est associé, sont les plus évidentes lorsqu’on les oppose à celles de la conscience normale de la vie éveillée. De même, l’importance fonctionnelle du moi et notre confiance en lui pour la conscience éveillée normale ne deviennent évidentes que quand son influence est perdue. On en trouve un exemple dans les états psychédéliques liés à la prise de drogue où, si la dose est suffisamment forte, le sentiment de soi peut disparaître de la conscience (ce que les usagers nomment “désintégration du moi”, ou “dissolution”), ce qui conduit à l’émergence d’un style de pensée plus animiste, voire magique.
La perte de la notion du temps est tout à fait caractéristique de l’expérience psychédélique liée à la prise de drogue, et il a été récemment démontré que cet effet est dose dépendant (Wackermann et al., 2008). Nous pouvons en extrapoler que s’ancrer dans le temps est une fonction de la conscience éveillée normale qu’assure le moi, et que l’atemporalité est une qualité de la pensée en processus primaire. Recherchant la base neurobiologique de ce phénomène, Kiebel et al. (2008) ont récemment suggéré que la cohérence temporelle augmentait systématiquement dans les structures cérébrales de niveau supérieur : ce qui impliquerait un rôle critique pour le DMN dans la perception du temps. En accord avec ce qui précède, Carhart-Harris et al. (2011) ont récemment trouvé une diminution de la circulation sanguine et de l’activité cérébrales dans deux études d’IRMf séparées impliquant la psilocybine, la drogue psychédélique classique (le champignon magique), ainsi que des rapports associés de perturbations du moi et de perception altérée du temps.
Outre la perception temporelle, on pourrait décrire d’autres caractéristiques de la pensée en processus primaire, mais il peut être utile de déconstruire celle-ci, afin de la résumer et de comprendre comment le cerveau se met à opérer différemment quand celle-ci se produit. Le principe de l’énergie libre peut nous venir en aide ici puisqu’il nous dit que dans les conditions de conscience éveillée normale, le cerveau opère afin d’expliquer et de se débarrasser de l’incertitude, afin de modéliser de manière optimale le monde qu’il habite. Le principe de l’énergie libre énonce que le cerveau s’efforce de trouver des modèles parcimonieux du monde, ni trop souples ni trop rigides (ceux-ci présentent une criticité, ce qui signifie qu’il y a des paramètres qui sont ‘juste comme il faut’ pour que cet état existe). On peut voir ce processus d’optimisation perdre les pédales, dans l’état psychédélique, où les modèles deviennent effectivement trop souples, de sorte que, par exemple, le sujet perçoit les objets comme s’ils se conduisaient d’une manière surprenante (par ex., il voit des surfaces statiques, solides, comme si elles ondulaient rythmiquement, ou il voit du mouvement dans des cadres empilés, désigné sous le nom de “traces”2). À de doses plus élevées, les objets peuvent même se transformer en d’autres objets, de sorte que, par exemple, un arbre peut se transformer en une créature animée. Ainsi, la pensée en processus primaire se caractérise par un sentiment de relative incertitude ; dans cet état, la confiance dans ‘ce qui est quoi’ est compromise et les explications magiques semblent davantage plausibles.
Fondamentalement, des états qui avaient été auparavant décrits comme favorisant l’émergence de la pensée en processus primaire (par ex. le rêve, la psychose, l’aura du lobe temporal et les états psychédéliques provoqués par les drogues) ont déjà tous été comparés les uns aux autres (voir Carhart-Harris et Friston, 2010, pour une liste bibliographique étendue). Cette validation croisée est essentielle pour développer la validité conceptuelle de la pensée en processus primaire. Le point important à communiquer est que le processus primaire est un phénomène tangible qui peut être étudié dans tout une variété d’états : il n’appartient pas, ni n’est spécifique d’un état particulier, de sorte que les mêmes caractéristiques de la pensées en processus primaire (par ex. l’incertitude, l’animisme et l’abstraction) peuvent se rencontrer dans un grand nombre d’états non ordinaires différents. Définir ces états par un ensemble de critères neurobiologiques communs constitue par conséquent une étape suivante importante.
Neurophysiologie du processus primaire
Au-delà de la comparaison de la phénoménologie de différents états non ordinaires de conscience, il est raisonnable de penser qu’une approche plus robuste pour développer la valeur conceptuelle de la cognition en processus primaire est de démontrer son aspect neurophysiologique, par exemple au moyen de la neuroimagerie. Etant donné que nous avons déjà laissé entendre que la cognition en processus primaire est médiée par une activité propagatrice, qui surgit à partir des régions limbiques, nous sommes confrontés à des contraintes technologiques dans notre essai pour imager l’activité de ces régions. L’électroencéphalographie de surface (EEG) et la magnétoencéphalographie (MEG) n’ont pas une résolution suffisamment profonde pour mesurer l’activité des régions sous-corticales, et l’IRMf n’a pas la résolution temporelle nécessaire pour caractériser un large éventail de rythmes oscillatoires, ce qui veut dire que nous devons nous fier en partie aux aperçus provenant des études d’EEG en profondeur afin de caractériser la physiologie de ces états. Des contraintes éthiques nous empêchent de mener des études d’EEG en profondeur exploratoires ; cependant, à une époque plus permissive, dans les années 1950 et au début des années 1960, quelques études exploratoires ont été menées, avec des résultats intéressants (voir Carhart-Harris et Friston, 2010, pour une discussion approfondie de ces études). En résumé, les enregistrements en profondeur chez des patients souffrant de psychose aiguë ont trouvé des activités particulières, localisées dans les régions limbiques, survenant en même temps que des états hallucinatoires, confusionnels. Ces activités étaient apériodiques, survenant par saccades, impliquant une physiologie chaotique et propagatrice. Les mêmes saccades phasiques ont été trouvées dans les régions limbiques pendant le sommeil en phase de REM et dans l’état psychédélique induit par les drogues : ce qui suggère une neurophysiologie commune pour tous ces états cérébraux. Il est naturel de déduire que cette physiologie propagatrice, irrégulière a un rapport avec la qualité typiquement non contrainte de la cognition en processus primaire. Nous pourrions aussi déduire qu’une perte de synchronie inter-régionale, et qu’une diminution de l’imbrication des fréquences supérieures au sein des fréquences situées plus bas pourrait expliquer la nature typiquement stochastique de la cognition en processus primaire. Des recherches futures, inspirées par les progrès de la neuroimagerie humaine seront nécessaires pour développer ce domaine important d’investigation.
Résumé et synthèse
Dans cette partie nous avons exploré la notion selon laquelle les descriptions de Freud du processus secondaire sont compatibles avec l’anatomie fonctionnelle de réseaux intrinsèques à grande échelle œuvrant pour optimiser leurs représentations du monde (minimiser l’incertitude/l’énergie libre). Nous avons proposé que les réseaux intrinsèques s’auto-organisent en cadres hiérarchiques, afin d’inhiber l’énergie libre des niveaux qui leurs sont inférieurs. Ceci a été associé à la fonction du processus secondaire. Nous avons émis l’hypothèse que les fluctuations spontanées de l’activité neuronale dans le DMN contraint l’activité excitatrice des régions limbiques. De même, les fluctuations dans le réseau attentionnel – de même que dans d’autres réseaux intrinsèques – œuvrent pour contrer les erreurs de prédiction évoquées par les entrées sensorielles provenant de l’extérieur.
Applications et limitations
Le fait de développer ces points de contact entre la théorie freudienne et la neurobiologie devrait aider à ancrer les concepts freudiens dans des phénomènes biologiques mesurables et informer la pensée psychanalytique. Comme d’autres l’ont formulé précédemment (par ex. Solms, 2009), cette démarche est essentielle si l’on veut atteindre une psychanalyse pleinement scientifique. Cela peut aussi aider à informer la psychanalyse en tant qu’approche thérapeutique, ce qui fait partie du programme du mouvement neuropsychanalytique (www.neuro-psa.org.uk), et cela devrait aider à faire la part entre des hypothèses ayant une validité conceptuelle et d’autres qui en sont dépourvues.
Les domaines où cette synthèse pourrait être particulièrement utile comprennent la compréhension de la neurodynamique d’états pathologiques comme l’angoisse, la dépression et l’addiction. L’application d’aperçus provenant du principe de l’énergie libre, de la théorie des systèmes dynamiques et de la science de la complexité peut être une direction particulièrement fructueuse dans l’avenir pour la neuropsychanalyse. Ainsi, par exemple, on pourrait décrire l’angoisse comme un état d’incertitude (l’énergie libre n’est pas correctement minimisée), et le délire comme une explication magique/une solution à l’incertitude. Nous pourrions aussi faire l’hypothèse que dans la dépression, le cerveau entre dans un état d’attracteur en état stationnaire (par ex. avec une activité DMN élevée) avec un bassin d’attraction escarpé (une dépression profonde) dont le patient ne peut pas s’échapper facilement. Dans un état d’attracteur, le cerveau sera moins sensible à des perturbations transitoires (par ex. des stimuli du monde extérieur). On peut voir cela comme un état fonctionnel ; si, par exemple, le/la patient(e) est confronté(e) à une perte ou une série de pertes particulièrement surprenante(s) qui le/la rend réticent(e) à entrer en contact avec le monde extérieur. Il/elle peut alors se replier dans la dépression pour se cacher du monde externe. Enfin, l’addiction est peut-être la pathologie la plus évidente à laquelle on peut appliquer les idées de la théorie des systèmes dynamiques. Elle se caractérise par une routine cyclique faite de manque, de satiété et de sevrage. Le manque est un exemple classique d’attirance vers quelque chose, et il reposera donc sur un attracteur en état stationnaire dans le cerveau avec un bassin très escarpé : où rien d’autre ne compte, et tout ce à quoi le patient peut penser est la chose qui l’attire. Le sevrage peut se caractériser comme un état de grande incertitude ou instabilité ; ici le cerveau éprouve un manque de stabilité qu’il espère obtenir grâce à l’objet d’addiction. Le cycle se répétant, les différents états qui le définissent vont se renforcer. Ici nous pouvons voir comment l’addiction peut être fonctionnelle, en minimisant l’énergie libre (l’incertitude) au moyen du manque et de la satiété : quoique d’une manière compulsive qui contraint le comportement. Ceci pourrait expliquer pourquoi les personnalités angoissées/impulsives sont particulièrement vulnérables à l’addiction/la compulsion.
La première partie de ce chapitre a passé en revue les données selon lesquelles le développement et le fonctionnement du DMN et sa relation de compétition avec le système attentionnel sont compatibles avec celles du moi. Dans la deuxième, nous avons décrit la phénoménologie de la pensée en processus primaire, passé en revue les données selon lesquelles on peut l’observer dans certains états non ordinaires, et cité des études indiquant que ces états ont une neurophysiologie commune. Ceci pourrait permettre une définition biologique, formelle, de la pensée en processus primaire : ce qui serait un développement important pour la psychanalyse. Dans la dernière partie, nous avons essayé de justifier cette synthèse et de montrer comment la référence au modèle freudien pourrait être utilisée pour comprendre des phénomènes cliniquement pertinents en termes neurobiologiques.
Ce chapitre n’a pas traité l’efficacité de la psychanalyse en tant que thérapeutique. Nous nous sommes centrés sur la validité des concepts freudiens en rapport à des phénomènes globaux et des théories apparentées, apparues récemment dans les neurosciences systémiques. Enfin, les liens entre la psychopathologie et la neurophysiologie de certains états non ordinaires de conscience, et entre l’organisation fonctionnelle des réseaux cérébraux intrinsèques et le processus secondaire tel que décrit par Freud, ont rendu cette synthèse nécessaire. Celle-ci est menée empiriquement, de même que les méthodes que nous recommandons pour la tester et l’appliquer. Les phénomènes neurobiologiques en cause (par ex. le DMN, les réseaux intrinsèques, et la dynamique des réseaux) sont des thèmes centraux dans les neurosciences contemporaines, et les concepts freudiens (par ex. les processus primaire et secondaire, et le ça et le moi) sont des composantes essentielles de son modèle, où elles peuvent être retracées à sa formation en neurologie et à l’influence de personnalités telles que Meynert, Helmholtz, Fechner, Hering, Herbart, Charcot et Hughlings-Jackson.
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