Pourquoi écrire quelque chose de nouveau alors que tant de travaux sont déjà publiés ? Quelque chose de suffisamment nouveau pour que cela vaille la peine d’être transmis. La simple compilation des écrits des autres est un travail préparatoire personnellement intéressant mais c’est tout. La mise en perspective, le dévoilement de la consistance interne des écrits des autres, c’est déjà mieux. La mise en évidence de la convergence de différentes disciplines est un pas de plus.
Expliquer la convergence serait parfait.
1) Tout d’abord : la rencontre de la relativité d’échelle
En septembre 1995 a paruun article de Laurent Nottale : « La relativité d’échelle » dans la revue Pour la science[1]1. Il s’agit d’une généralisation aux changements d’échelle de la relativité d’Einstein par la géométrie fractale qui permet de fonder sur des principes premiers et de comprendre la mécanique quantique et plus largement s’applique sous une forme nouvelle à la structuration des systèmes macroscopiques comme par exemple les systèmes planétaires.
L’intuition s’est imposée que quelque chose de commun nous reliait, comme s’il y avait une similitude dans l’approche de notre objet d’étude spécifique du monde physique et du monde psychique. Après coup et pour simplifier à l’extrême, cette intuition pourrait se résumer à l’approche du psychisme est d’essayer de comprendre le mouvement psychique comme si on était « porté » par lui et non pas « vu » de l’extérieur, autrement dit dans un système de référence transféro-contre-transférentiel et non pas à travers une grille de lecture psychologique c’est à dire un point de vue extérieur.
Il s’avère que la position relativiste de Nottale est d’étudier les systèmes de l’intérieur : qu’est-ce qu’on voit quand on est comme une particule dans un fractal ? [2]2 Comme Einstein s’était interrogé : qu’est-ce qu’on voit quand on est sur un rayon de lumière ou entraîné en chute libre dans un champ de gravitation ? La géométrie est courbe [3]3 pour Einstein, fractale [4]4 de surcroît pour Nottale, mais pour la particule tout se ramène à une réponse commune qui est: « ça va tout droit ».
Il s’agit ici d’exposer que, contrairement aux « vieilles habitudes » qui laissent à penser que le champ psychanalytique va puiser dans les sciences que l’usage a qualifié de « dures », il m’a semblé que la créativité novatrice des théoriciens scientifiques a pour source leur capacité de penser « au plus près » de leur objet d’étude comme nous tentons de le faire dans notre position d’analyste en séance, c’est-à-dire dans la triangulation de l’expérience analytique avec ses deux pôles intrapsychique et intersubjectif (constitutifs du point de vue transféro-contre-transférentiel) et la théorie métapsychologique personnelle de l’analyste.
Mais en allant plus loin, est-il vraiment surprenant de constater cette similitude entre une théorisation aussi profonde du monde réel et une théorisation du psychisme qui pense la théorie du monde ? L’envie de dire que cette similitude serait un indice de validité est forte.
Il faut rappeler que Freud avait dit dans les dernières pages de L’avenir d’une illusion que « le problème de la nature de l’univers considérée indépendamment de notre appareil de perception psychique est une abstraction vide, dénuée d’intérêt pratique. »
Mes présupposés théoriques métapsychologiques sont freudiens et dans mon activité clinique je ne peux travailler sans le concept de pulsion. Pulsion de vie et pulsion de mort. Le modèle de référence est la liaison et la déliaison, la fonction objectalisante et la fonction désobjectalisante d’André Green. Mais je dois dire que je n’avais jamais pu me représenter l’intrication pulsion de vie - pulsion de mort. J’ai tenté (en fait, je me suis amusé à essayer) de reconstruire un point de vue métapsychologique économique à partir de la définition de la pulsion : concept limite qui impose un travail au psychisme du fait de son lien au somatique. En décondensant l’idée de travail, nous avons remarqué qu’il y avait contenu implicitement le temps, l’espace et l’énergie. La notion de mouvement est représentable mais alors on spatialise le temps sans y prêter attention comme quand on trace une trajectoire.
Si l’on pose explicitement l’hypothèse d’un espace-temps psychique et l’hypothèse de l’énergie psychique, on peut alors se figurer les mouvements psychiques comme des trajectoires pulsionnelles, ou mieux, comme des flux d’énergie psychique. Soit il y a écoulement entre deux lieux (d’investissement), et on a alors une représentation dynamique de la liaison en forme de réseau auto-organisé ; soit il y a stase dans une zone, et alors il y a changement du régime de fonctionnement en attraction (comme une attraction gravitationnelle). Tout flux passant « trop » près sera attiré. Les conséquences en sont la déviation ou l’interruption du réseau dynamique, et c’est une représentation de la déliaison.
Il ne faut pas se méprendre en concevant l’espace-temps psychique comme ayant une géométrie classique. La transposition du modèle de Nottale apporte une géométrie dont les structures apparentes sont fonctions de la résolution à laquelle on les étudie (l’espace des échelles) et donc différentes à chaque échelle. Pour simplifier à l’extrême : l’espace-temps est donc toujours plus complexe si on se « rapproche » d’un objet. On peut illustrer cela en termes d’anfractuosités qui se dévoilent là où on percevait un objet « lisse » (définition des fractales par Mandelbrot).
Il faut maintenant revenir sur le rapprochement liaison/déliaison, écoulement/stase. C’est un pont vers la question de l’homéostasie nécessaire au vivant. Le travail du psychisme est de faire s’écouler l’énergie entrante rythmiquement ou « catastrophiquement » (au sens des catastrophes de René Thom, à savoir une discontinuité sur un fond de continuité), en restant le plus éloigné possible d’une situation de stase. J’ai eu l’idée que ce travail était similaire à celui de la fonction du placenta. Le préconscient vient-il en prendre le relais ?
Prenons l’exemple du rapport de la faim et de la glycémie. Après la naissance, la perfusion continue cesse et le nouveau-né se trouve de façon inconnue soumis à une rupture de continuité. Il entre dans un nouveau système de rythme. La fonction maternelle va être de suppléer pour partie à la fonction placentaire en allaitant suffisamment vite l’enfant, et en nommant « la faim », « la soif », « le bien-manger », etc. Pour partie seulement, car le travail pulsionnel lié à la chute de la glycémie va devoir être aussi assumé de façon contemporaine par le psychisme du bébé. L’expérience de la tétée est préparée par l’expérience intra utérine de la succion du pouce. L’investissement de l’expérience de la succion à visée nutritionnelle me semble être configurée par la coïncidence entre la satisfaction corporelle du besoin (normalisation retrouvée de la glycémie) et la stimulation érogène buccale (préalablement expérimentée). Sont ajoutés le holding maternel dans sa double qualité physique et psychique et le déclin du travail pulsionnel intrapsychique.
Je pense que c’est le déroulement contemporain de l’expérience psychique de la mise en tension (afflux d’énergie) puis de la chute de cette tension et de l’expérience de la baisse de la glycémie puis de sa normalisation qui instaure la possibilité ultérieure de la classique réalisation hallucinatoire du désir par réinvestissement de l’expérience. C’est à dire que le réseau d’écoulement d’énergie pourra temporairement diminuer la mise en tension par la mise en mouvement intrapsychique de l’investissement (écoulement d’énergie libidinale vers l’ « objet-expérience » de succion).
Le modèle met donc en relation le psychisme du bébé et son corps, le corps du bébé et le corps de sa mère, le corps de la mère et son psychisme et le psychisme du bébé et celui de sa mère. Il y aurait là une première matrice des opérations de métaphorisation. Quand il n’y a pas mise en place de ce relais il va se produire une stase dont l’effet va être un remaniement local de l’espace-temps psychique dont la persistance va induire la nécessité de réinvestir de novo l’ « objet-expérience » de succion.
Je me représente ainsi la constitution d’une zone clivée de l’espace-temps psychique en ce sens qu’elle ne permet pas la circulation de la libido dans le reste de l’espace-temps psychique. Je dirais que c’est une figuration de la constitution du bon et du mauvais objet ayant bien la même source pulsionnelle.
Au temps suivant la pulsion va avoir tendance à reprendre les mêmes circuits.
On retrouvera là une interprétation personnelle de diverses théories précédentes de Freud et Winnicott (pour celles qui me sont les plus conscientes). La décussation décrite par Green (Narcissisme de vie, narcissisme de mort, p. 119) me semble représenter le modèle du mouvement psychique de base que l’on retrouve à plus grande échelle dans la triangulation œdipienne ou plus largement dans la triangulation généralisée à tiers substituable de Green (le langage dans la psychanalyse). Ce qui est mis en évidence, c’est la hiérarchisation de type fractale du modèle intrapsychique. Ainsi la fonction objectalisante (Green) est mise en correspondance avec le processus d’écoulement ou de décroissance de la stase par succession de décussations. La fonction désobjectalisante (Green) correspond à la capture par contiguïté des investissements réalisant soit un court-circuit du système de décussations soit un remaniement total sous un régime d’attraction. Le remaniement peut être figuré comme une division spatiale avec un secteur exclu centré sur un attracteur. La clinique montre souvent que c’est à partir d’une petite variation sur un thème répétitif plutôt qu’après une interprétation qu’on attendrait mutative qu’un remaniement psychique important apparaît.
Freud peut être relu avec une nouvelle attention ; ainsi par exemple, dans Le refoulement, une description des petites variations qui conduisent à l’idéal ou à l’horreur, avec une même source pulsionnelle, m’a frappé. À la lecture de ce passage, Nottale a reconnu : « c’est le modèle de Lorenz à attracteur bilobé » (de haute sensibilité sue les conditions initiales, c’est à dire de chaos dynamique)! Il me semble que la description que Green donne de la décussation est similaire. La décussation fait que les investissements passent d’un objet attracteur à un autre. C’est un comportement chaotique du type de l’attracteur de Lorenz, qui d’ailleurs est une formalisation des lois de l’hydrodynamique appliquées à un modèle simplifié d’atmosphère.
Attracteur bilobé : il y a oscillation entre les deux pôles d’attraction
Tout se passe comme si la lutte contre la stase énergétique nécessitait un mode d’écoulement particulier qui semble universel au sens de l’universalité de type 3 (similarité des processus et non seulement des apparences) décrite par Bernard Sapoval in « universalité et fractales ». Par exemple [5]5 il montre que le processus sous-jacent à la percolation du café se retrouve dans l’extension des feux de forêt !
Autre point remarquable : dans sa théorisation, Nottale trouve que l’espace-temps fractal apparaît comme borné par une limite inférieure connaissable (l’échelle de résolution minimale identifiée à la longueur de Planck) mais non atteignable (il faudrait l’énergie de tout l’univers) et une limite supérieure connaissable mais non atteignable car c’est l’équivalent d’un horizon au sens de point de fuite dans un effet de perspective ; c’est un infini qui nous apparaît à distance finie du fait d’un effet de projection, ce qui est l’essence de la relativité.
En situation analytique, l’écoulement de l’énergie pulsionnelle serait favorisé par le travail du préconscient mis en sollicitation par la règle fondamentale. Il va donc y avoir récupération par ce système de tout ou partie de ce qui habituellement trouve d’autres voies (dans l’action directe par exemple) et surtout de ce qui ne trouve pas d’autre voie. En effet, ce qui reste habituellement dans le secteur Inconscient va être reconnecté.
Il est nécessaire de penser ces représentations schématiques comme des représentations dynamiques et non pas comme une arborescence de canaux. Il s’agit de l’équivalent d’un diagramme de phase qui représente les vitesses et non la trajectoire elle-même. On prend (crée) une bifurcation quand on échappe à l’objet. Cela demande une reprise narcissique des investissements qu’il faudra écouler dans de nouvelles voies, c’est-à-dire en investissant de nouvelles configurations objectales, remaniement mosaïque d’objets partiels ayant favorisé une introjection et d’objets totaux idéalisés, cautions de l’introjection. Cet état nécessite une régression suffisante (ou fonctionnelle) plus ou moins vécue sur le mode dépressif ou paranoïde selon la disponibilité des objets internes et leur qualité introjective.
Le problème du non-recouvrement de la première et de la seconde topique freudienne viendrait de la localisation implicite du descripteur du côté du conscient. Ne serait-ce que quand on énonce « tout se passe comme si... ». Il faudrait arriver à des énoncés de type relativiste (au sens du principe de relativité et non du « relativisme ») où seule apparaîtrait la relation. C’est l’intérêt de formulation théorique de type fonction objectalisante pour évoquer la liaison, l’éros. (et de la fonction désobjectalisante symétriquement). Ce qui induit les formulations classiques est la construction insatisfaisante du concept perception-conscience qui axiomatise du côté d’un moi primordial sur le mode du conscient adulte disposant de l’après coup et des distorsions de la secondarisation qui visent à rétablir le sentiment de continuité qui est l’assiette du savoir être soi. L’ego, illusion complexe qui intègre l’hétérogène semble nécessiter de la non-discontinuité. Alors que toute expérience contredit cette hypothèse si on se place dans une perspective élémentaire : nous sommes seuls et sans possibilité d’atteindre ni notre corps propre, ni notre propre psychisme (et encore moins celui des autres) dans nos états de conscience habituels, nous en interpolons une certaine connaissance. Il est habituel d’identifier ces résultats interpolés (et extrapolés) et la perception comme étant une expérience réelle.
La conception de la perception-conscience est cohérente avec la conception de la pulsion comme concept limite (ou plutôt mise en évidence de la nécessité d’expliciter la distinction du corps (processus psychique érotique) et du soma (processus de matière organique vivante). Mais là où il est posé que la pulsion est une axiomatique fondamentale théorique sans équivoque, l’expérience commune de sa propre réalité psychique tend à annuler la distinction entre la perception par le soma et son évocation psychique (en reprenant ce terme dans la terminologie électroencéphalographique de potentiel évoqué).
2) « Un peu de clinique ? » ou : « Mais qu’est-ce que cela (la transitionnalité de l’espace psychique) a à voir avec la relativité d’échelle ? »
La première topique : inconscient/préconscient /conscient.
La seconde topique : Moi/ça/surmoi
Leur articulation dans le schéma de la double limite (Green)
Développons un peu plus
- Le Ça : réservoir des pulsions. Ce serait le lieu psychique profond de l’articulation corps-esprit.
- Le Moi recouvre le conscient, préconscient, inconscient (par exemple, le conscient est une qualité psychique de ce qui s’y manifeste. C’est ainsi que Freud passe de la première à la seconde topique. C’est le lieu des transformations des affects et des représentations. Il est donc une instance auto organisée par ce qui s’y manifeste. Il est instable et vise à un équilibre homéostatique.
- Le Surmoi : système régulateur qui fait un pont de court-circuit contre-réactionné « au-dessus » du préconscient. Il modifie les qualités de l’objet vis à vis de la pulsion qui le révèle. Il régule l’accessibilité de l’objet par la pulsion traversant le Moi selon la chaîne d’Éros (Green). Il rend compte du cadre en donnant la mesure acceptable par l’état du Moi. Tout se passe comme si une triangulation des relations se mettait en place entre le flux pulsionnel révélé par l’objet et le surmoi mis en tension par ce flux. Le Surmoi est bien en ce sens économique l’héritier du complexe d’Œdipe. Il y a compétition sur les investissements qui semblent pris à l’objet par le Surmoi lequel peut réinvestir autrement l’objet en inversant même la valence de celui-ci qui passe de désirable à repoussant etc.
Le Surmoi peut donc créer des situations de décharges selon un rythme psychique indépendant des besoins ou réalités somatiques. La désorganisation du réseau en circuit long par un « trop » fort flux induit la mise en tension du système de régulation qui tend à évacuer en circuit court (court-circuit du préconscient) pour rétablir le réseau en circuit long ; en piégeant localement la charge, en empêchant de penser le malaise perçu comme angoisse (c’est le substrat des différents types de travail du négatif), en ouvrant la voie à la répression, le refoulement, le clivage, la projection, l’évacuation, le passage à l’acte dans le corps ou l’extérieur.
La mise en présence de deux corps-esprits ouvre le champ intersubjectif dans lequel va s’établir différentes formes de relations plus ou moins différenciées ; à un niveau plus profond, ces relations seront elles-mêmes reliées. Un gradient d’indifférenciation va de la relation de communication (langagière verbale et non verbale) à la relation d’induction, (l’état interne de l’un est orienté par celui de l’autre) et à la relation non duelle profonde où il y a indiscernabilité d’appartenance Moi ou non Moi de la source.
Cela reposerait pour une part sur ce qu’au niveau le plus profond, celui du représentant psychique de la pulsion, mixte inséparé d’affect et de représentation, « toute distinction entre les informations issues du monde d’une part et celles nées du corps d’autre part ne peut avoir lieu et à fortiori toute idée de séparation avec l’objet. » (Green)
La transitionnalité est une qualité de l’espace psychique. Cette qualité rend compte de la potentialité de jeu (Winnicott). Le jeu est une activité fragile qui nécessite un cadre suffisamment stable, au moins un espace psychique dans lequel les destins de la pulsionnalité ne se dégradent pas trop en excitation déqualifiée et désorganisante. Un objet de qualité transitionnelle va pouvoir y apparaître.
L’extension construite de ce domaine de non-dualité fondamentale trouve ses formes de plus en plus élaborées dans la conception du transitionnel par Winnicott. L’objet est et n’est pas Moi. (cf. L. Nottale, Être et ne pas être, in : Penser les limites. Écrits en l’honneur d’André Green, Editions Delachaux et Niestle).De la source à l’objet il y a émergence, morphogenèse qui conserve à différentes échelles les propriétés de non-dualité. C’est dans cet espace que peut apparaître le jeu, l’art, la créativité. Ce qui émerge dans une relation de qualité transitionnelle est l’expérience de l’amour.
En situation psychanalytique, le psychanalyste qui a posé le cadre des séances met son appareil psychique dans un état particulier « sans mémoire, sans désir, page blanche » (Bion) qui le dispose à percevoir toute émergence de mouvement pulsionnel quelle qu’en soit sa forme le long de la chaîne. Il vise ainsi à approcher le plus possible un état d’harmonisation intérieure qui lui permettra d’admettre en lui toute production venant de l’analysant, s’en faisant le destinataire transitionnel. C’est ainsi que l’observation recueillie par son attention particulière pourra donner lieu à son interprétation (Bion). Celle-ci doit conserver une qualité transitionnelle de trouvé-créé (Winnicott) dont la valeur se manifestera par la mise en route de nouvelles associations et/ou par un remaniement mutatif plus profond chez l’analysant signant par-là que le jeu est en cours.
Les progrès dans une cure sont marqués par l’installation de la capacité à jouer seul. Cette capacité signifie la conservation d’une qualité transitionnelle intrapsychique. On opposera celle-ci à la qualité traumatique qui fait corps étranger interne et interdit toute remise en jeu véritable. Le traumatique se manifeste par la compulsion de répétition dont l’épuisement (à mort) est à la fois la visée destructrice et la conséquence.
Il se pourrait qu’une bonne part de la pathologie mentale que l’on repère habituellement sous l’angle de la défaillance des fonctions du Moi soit en fait la résultante de ses défaillances défensives, mises en sur-régime et de l’incompréhension terrifiée de ce qui se dévoile par la levée des filtres du Moi : la non-dualité fondamentale vécue comme une menace traumatique (à la fois interne et externe) ?
Par exemple : une patiente se représente, avec angoisse, toute seule dans un espace sans rien. Puis elle voit une sorte de piste de cirque ronde où devrait se tenir son père. Elle se lève, à la fois dans un mouvement agi vers son père et pour échapper à l’angoisse de sa vision du vide. Elle comprendra que ce vide est un espace potentiel et non pas un néant et que ses représentations y apparaissent.
« Je ne peux quand même pas y prendre sa place ? »
Cette négation interrogative a ouvert une chaîne d’associations sur sa relation à son père et sa mère et non plus seulement à des plaintes, des récits d’abandons, de maltraitances etc. La prise de conscience de cet espace psychiquecomme espace potentiel, dans lequel les événements psychiques se déploientet non pas d’un néant (car potentiel renvoie à non manifeste), est un élément cliniquement remarquable par ses conséquences en terme de diminution des résistancesdéfensives à la prise de connaissance du processus associatif et à l’introjection des résultats de son observation. La nécessité des interventions interprétatives et des interprétations de l’analyste diminue d’autant et le travail se fait dans une liberté de jeu.Le transfert est alors non pas seulement une répétition actualisée mais devient partie co-constituante d’unecréation relative à deux où la projection n’a plus de place prépondérante puisque la multi-dimensionalité l’efface tout en dévoilant d’autres formes de relation. C’est l’indice qu’un espace psychique interne de qualité transitionnelle s’est installé chez le patient. Son maintien dépend moins qu’au début de la cure de la qualité du holding de l’analyste.
Le déploiement d’un espace (transitionnel) interne chez l’analyste va permettre ainsi l’établissement d’un espace transitionnel (intersubjectif) et ainsi chez le patient un espace interne de qualité transitionnelle analytique.
Aussi, il s’agit de ne pas répéter les carences parentales du passé infantile (c’est être insuffisamment bon et insuffisamment mauvais) car la menace de la répétition traumatique se tient toujours en embuscade : le jeu ne doit pas être envahi par la pulsionnalité de l’analyste. Toute tentative de « récupérer » narcissiquement la « mise » se solde par une fermeture et un rebond d’angoisse lié à la désorganisation brutale de cet espace. Cette désorganisation va chercher une issue expulsive ou projective. Les manifestations seront selon les possibilités de l’analysant plus ou moins liées dans la symbolisation mais toujours avec des effets destructeurs. Ce qu’il ne faudra pas projectivement interpréter comme l’expression d’une réaction négative mais comme le résultat même de la carence de l’analyste : par excès de satisfaction personnelle (mauvais gagnant) ou par excès d’excitation (vivement qu’on rejoue). La neutralité ici convoquée est une justesse tonale et dynamique et repose sur l’analyse du contre transfert. Ceci doit d’abord permettre de ne pas soi-même attaquer le cadre analytique.
Le cadre détermine un champ dans lequel il peut émerger des choses. Si le cadre est adéquat (déterminant un espace de qualité transitionnelle), il peut émerger du nouveau (de l’inconnu). Une société à ses différentes échelles (institution, groupe, relation analytique, etc.) accompli sa fonction si elle permet à du nouveau d’émerger dans le cadre dont elle est l’instaurateur et le garant. Elle est ainsi sous une contrainte double : laisser émerger et savoir contenir afin de ne pas être détruite ni détruire et accepter de modifier le cadre pour suivre les modifications du champ corrélatives à l’apparition du nouveau.
Comme nous l’avons vu dans la représentation dérivée de la double limite il est possible de concevoir en « relation » de l’intrapsychique et de l’intersubjectif dans une continuité qualitative (propriété transitionnelle) sans pour cela identifier une structure à une autre mais en les reliant dynamiquement.
La triangulation apparaît comme solution permettant de sortir du couple sujet-objet, source de stase car ne générant pas du nouveau, pour le triplet sujet-objet-autre de l’objet (Green), ses propriétés portent la possibilité de la transitionnalité et sa potentialité créative.
Analogiquement, cette géométrie dont l’invariant serait la bifurcation se retrouve chez Green à différents niveaux descriptifs : dans sa vision de l’énergie liée en réseau (la métabiologie), la décussation (NVNM), la triangulation généralisée à tiers substituable (le langage dans la psychanalyse), l’exposé du discours associatif en réseau réverbérant (position phobique centrale). C’est en trouvant une similitude entre la décussation et la triangulation que l’hypothèse s’est présentée qu’il y avait là un rapport d’échelle.
Voilà une perspective de convergence avec la relativité d’échelle.
La représentation issue de cette idée est [6]6 :
« La géométrie de l’espace psychique agirait comme un potentiel. En Relativité Générale, on retrouve le potentiel newtonien comme approximation des « potentiels de métrique » qui sont de nature géométrique. En Relativité d’Échelle, les effets quantiques se déduisent de la fractalité et la non-différentiabilité de l’Espace-Temps, dont la description géométrique peut ensuite se ramener de manière approchée à l’introduction d’un nouveau potentiel. Cela nous ramène à nos tentatives de potentiel psychique, qui se trouveront justifiées dès l’origine ; mais ici on a d’emblée une description en termes d’Espace-Temps courbe et fractal, avec des puits, des déformations, des obstacles et des trous, des structures à toutes les échelles, qui se traduiront par des trajectoires psychiques attractives ou répulsives, mais aussi erratiques, et dans des cas extrêmes piégées dans des orbites fermées avec en plus des fluctuations incontrôlables ».
Pour finir, répétons avec quelques variations :
J’ai eu (ma version de) cette représentation en septembre 1995 en réaction à la lecture d’un article de présentation de la relativité d’échelle par Laurent Nottale. A partir de la définition de la pulsion, concept limite qui rend compte de la mesure (je souligne parce que c’est systématiquement élidé dans les citations, y compris par moi-même, voir plus haut) du travail imposé au psychisme du fait de son lien au somatique, il a été tenté de reconstruire un point de vue métapsychologique en relation avec de ces nouvelles métaphores. La mesure nous met directement dans une problématique de rapports et donc d’échelle. Il s’agit en effet de rapports entre des semblables. Il est nécessaire de comprendre qu’une mesure est un rapport et non une valeur absolue.
Pour éclairer cela : on va mesurer un objet avec un autre objet de taille suffisamment proche pour que le résultat soit mentalisable aisément pour des opérations successives.
Exemple de rapport : une feuille de papier de format A4 mesure 21 fois un centimètre par 29,7 fois un centimètre lequel est un centième d’un bout de quelque chose dont il a été convenu de sa longueur qu’elle soit regardée comme un mètre (de façon désexualisée bien sûr ! C’est un processus d’idéalisation). Selon Le Robert, le mètre, « d’abord défini par rapport à la longueur du méridien (dix-millionième partie du quart),a été concrétisé par un étalon en 1799 ; depuis 1983, il est défini à partir de la longueur du trajet parcouru dans le vide par la lumière en 1/299 792 458 de seconde, laquelle est la soixantième partie de la minute ; unité fondamentale de temps égale à 1/86184 de jour sidéral, définie à partir de la période d’une radiation du césium 133. » On comprend ainsiqu’elle est la durée de 9 192 631 770périodes de la radiation correspondant à la transition(passage d’un électron d’un niveau d’énergie quantifiée – se dit d’une grandeur physique qui ne peut prendre que certaines valeurs, caractérisées par des nombres entiers multiples d’une valeur discrète, le quantum – à un autre) entre les deux niveauxhyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133.
On voit donc sur un exemple « trivial » qu’il y a un rapport de rapports, que le macroscopique se fonde sur du microscopique et que le langage scientifique est constitué de métaphores (comme les autres métaphores) ou de rapports qui sont in fine abordés par des métaphores, lesquelles, selon toujours Le Robert, sont un procédé de langage qui consiste à employer un terme concret dans un contexte abstrait par substitution analogique, sans qu’il y ait d’élément introduisant formellement une comparaison et qui produit un sens nouveau.
De la feuille de papier nous avons eu droit à quelques coups de zoom et donc à un passage fulgurant dans l’espace des échelles.
En décondensant l’idée de travail j’ai remarqué qu’il y avait contenu implicitement le temps, l’espace et l’énergie. La notion de mouvement est représentable mais alors on spatialise le temps sans y prêter attention comme quand on trace une trajectoire. Si l’on pose explicitement l’hypothèse d’un espace-temps psychique et l’hypothèse de l’énergie psychique, on peut alors se figurer les mouvements psychiques comme des trajectoires pulsionnelles ou mieux comme des flux d’énergie psychique. Les trajectoires dont l’ensemble constitue ce « flux d’énergie psychique » sont les géodésiques de l’espace-temps psychique, c’est à dire les courbes les plus courtes (du point de vue d’un certain invariant de distance, à définir). Si on a l’espace-temps psychique, on a les trajectoires pulsionnelles. La géométrie de l’espace-temps détermine complètement ses géodésiques. Il n’y a pas à rajouter d’information supplémentaire. En relativité d’échelle, la masse, l’énergie-impulsion, le spin, les charges... se déduisent de la géométrie même. Il n’y a alors plus « flux d’énergie » mais pure géométrie, dont l’ « énergie » est une propriété/manifestation globale (macroscopique par rapport aux structures fractales).
Soit il y a écoulement entre deux lieux (d’investissement) et on a une alors une représentation dynamique de la liaison en forme de réseau auto-organisé ; soit il y a stase dans une zone et alors il y a changement du régime de fonctionnement en attraction (comme une attraction gravitationnelle). Tout flux passant « trop » près sera attiré. Les conséquences en sont : la déviation ou l’interruption du réseau dynamique et c’est une représentation de la déliaison.
Peut-être pouvez-vous... reprendre au début,
ad libitum.
Remerciements
Merci à Laurent Nottale qui a eu la patience de m’expliquer son art et sa science, de soutenir mes efforts psychiques et surtout culinaires pendant toutes ces années ! Il a ici relu et corrigé et augmenté les références explicites à la relativité d’échelle en particulier et à la physique en général et autorisé l’établissement de liens à son site.
Merci à André Green qui a eu la patience de m’expliquer son art et sa science, de soutenir mes efforts psychiques et n’a jamais testé ma cuisine pendant toutes ces années et me laisse donc imaginer qu’il n’est pas encore déçu !
Merci à Eléana Mylona pour sa lecture critique et passionnée.
1ermai 2003
Notes
[1] Nottale L. (1995), La relativité d’échelle. Pour la Science, 215, 34 (Septembre 1995, L’espace-temps Fractal). Mais pour un compte rendu plus complet, voir le livre de Laurent Nottale, La relativité dans tous ses états : Au-delà de l’espace-temps, Paris, Hachette Littératures, 1998 (collection Sciences), 319 p.
[2] Courbe fractale.
En général ces deux limites ne sont même pas définies, c’est à dire qu’on ne peut plus définir la pente de la courbe en un point au sens usuel du terme. Un exemple de dimension topologique 1 est la courbe : 5ème itération à partir du générateur
ATTENTION ! Une erreur(trop) commune est de définir une courbe ou un objet fractal comme un objet présentant la propriété de garder la même apparence lors de zooms successifs. Cela ne s’applique qu’aux objets fractals auto-similairescomme la courbe précédente !
[3] L’espace-temps.Une définition physique de l’espace-temps pourrait prendre tout un livre ! Par contre, en donner une définition mathématique est relativement plus simple. En relativitéet en mécanique quantique, un évènement mettant en jeu un corps est caractérisé par 4 et seulement 4 coordonnées (x,y,z,t). On met à part les propriétés comme la charge, le spin, etc. Cela ne veut pasdire que la connaissance d’un seul (x,y,z,t) suffit à déterminer l’évolution d’un système mais que les quantités nécessaires ne dépendent quede x, y, z, et t. L’espace-temps est constitué de l’ensemble des valeurs possibles du quadruplet (x,y,z,t) défini dans tous les systèmes de coordonnées possibles, ainsi que leurs transformations.
- L’espace-temps de la relativitéd’Einstein est continuet courbe(le cas plat n’étant pas exclu a priori) et différentiable. Ce type d’espace ne peut pasrendre compte des propriétés quantiquesde la matière.
- L’espace-temps de la mécanique quantiqueest en principe plat, de type minkovskien et différentiable. La contradiction avec la relativitéainsi que d’autres considérations entraînent des tentatives d’inclure un autre type d’espace-temps en mécanique quantique, jusqu’ici infructueuses.
- En relativité d’échelle, une critique de la théorie de la mesure en physique, en particulier du rôle joué par les résolutions, (cf l’importance de l’analyse de la manière dont on effectue les mesures de longueur et d’instant dans les prémisses de la théorie d’Einstein) a conduit L. Nottale à abandonner l’hypothèse (implicite) de différentiabilitéde l’espace-temps, ce qui implique sa nature fractaleet courbe. L’espace-temps fractal, explicitement dépendant des résolutions, peut se ramener à la définition d’un « Espace-Temps-Zoom » à 5 dimensions (x,y,z,t,D). C’est la dimension fractale, devenue variable, qui joue le rôle d’une 5edimension pour les lois d’échelle (de même que les lois relativistes du mouvement se mettent en œuvre par l’interprétation du temps comme une 4èdimension).
[4] Le terme fractal fait référence, en RE, à l’apparition de structures a priori nouvelles au cours de zooms successifs vers les petites ou grandes échelles, ce qui mène à une divergence pour les résolutions tendant vers zéro (vers l’échelle de Planck en RE restreinte) et l’infini (échelle cosmologique en RER).
[5] On peut aussi y trouver la représentation graphique fractale du cœur de tournesol, que Van Gogh avait si extraordinairement perçue.
[6] Citation de Laurent Nottale en septembre 2002, communication personnelle.