Compte rendu de la Conférence d'Introduction à la Psychanalyse du 23 Juin 2021 de
Françoise Cointot : « Le corps de l'enfant dans la cure »
Résumé rédigé par Mathieu Petit-Garnier, ASM 13, Institut Edouard Claparède.
Rendre compte de la conférence prononcée par Françoise Cointot dans le cadre du cycle enfants et adolescents des CIP est avant tout rendre honneur à la qualité de sa transmission. Pour reprendre les termes de Marie Laure Léandri, dans sa présentation de la conférencière, Françoise Cointot fait partie des psychanalystes sachant tenir les deux rênes de la sensibilité clinique et de la rigueur théorique. On peut ajouter à ces atouts la vivacité dont les cas exposés dans cette conférence témoignent.
Françoise Cointot a débuté sa carrière auprès de Roger Mises puis a travaillé au Centre Alfred Binet avec Gérard Lucas. Elle est aujourd'hui membre titulaire de la SPP, membre de la SEPEA[1] et psychosomaticienne formée à l'IPSO[2]. Elle exerce depuis plusieurs années à Saint Malo où elle a, entre autres, dirigé le Centre thérapeutique pour adolescents Françoise Dolto. Auteure de divers articles de psychanalyse dans des revues de référence, elle a coordonné en 2016 avec Jacques Angelergues un numéro des Monographies et Débats de psychanalyse intitulé « Le principe de plaisir »[3]
Trois axes organisateurs du travail de Françoise Cointot sont soulignés dans la présentation : la dynamique transféro-contre-transférentiel, le travail du négatif et enfin la mentalisation et ces vicissitudes. On retrouve dans ce dernier point l'influence de la pensée dite de l'école psychosomatique de Paris[4] qui tient une place importante dans son approche.
Le corps est au centre de la psychanalyse de l'enfant nous rappelle Françoise Cointot en préambule. C'est là une de ses différences fondamentales avec la psychanalyse de l'adulte. Les manifestations corporelles de l'enfant font partie du matériel clinique que ce soit « comme point d’appel de la demande initiale de consultation, comme point d’émergence au décours de la cure, comme trace historique ou mnésique ou comme manifestation somatique ».
L'enfant « va traduire ou trahir beaucoup de son fonctionnement à travers son corps ». Quantité d'excitation en quête de représentation, le corps de l'enfant est souvent d'abord du côté de la force avant de pouvoir passer vers celui du sens. Ce point de vue économique amenait Léon Kreisler, cité à plusieurs reprises, à insister sur la relation entre homéostasie biologique et régime psychoaffectif.[5]
L'enfant, comme l'ont montré Bion et Winnicott, par son immaturité, doit fonctionner avec une topique psychique encore inachevée qui le rend dépendant des qualités de son environnement. Son corps est en grande partie non maîtrisé et traversé par des excitations internes et des séductions externes (au sens de Jean Laplanche) qu'il ne peut contenir seul. C'est la qualité de son environnement et la mise en place progressive de l'auto-érotisme qui vont lui permettre d'investir son corps comme objet.
Le symptôme psychosomatique est à considérer comme l'expression corporelle d'un conflit intrapsychique ou intersubjectif. Chez le nourrisson, ces difficultés d'organisation prennent la forme de troubles fonctionnels s'exprimant dans l'alimentation, le sommeil, la respiration ou la peau et s'accompagnent parfois d'une hyper maturité du Moi. Chez l'adolescent, la poussée pubertaire peut provoquer un surcroit d'excitations non-élaborables qui viendront en après-coup réinterroger le premier développement et ses achoppements. Certains adolescents régressent vers des points de fixation somatiques en lien avec l'histoire de leur première enfance. Françoise Cointot précise que les symptômes comportementaux ou caractériels peuvent former, dans cette régression du psychique vers le somatique, des paliers évitant une plus grande désorganisation somatique. Le symptôme psychosomatique peut à son tour être le dernier palier avant une désorganisation psychique plus profonde.
Un psychanalyste, a fortiori quand il s'occupe d'enfants ou d'adolescents, n'écoute pas seulement le discours mais est également réceptif à ce qui s'exprime corporellement. Andrée Green écrivait : « L'analyste n'entend pas seulement avec son oreille fut-ce la troisième mais avec son corps tout entier ».
Pour illustrer son propos, Françoise Cointot développe la passionnante cure de Victor, un adolescent déscolarisé souffrant de céphalées intenses sur un terrain préalable de tumeurs cérébrales bénignes récidivantes depuis l’âge de neuf ans. Avec engagement et patience l'analyste soutient chez le jeune Victor l'intérêt pour sa vie psychique et lui permet de sortir d'un fonctionnement d'allure opératoire. La séparation de ses parents apparaît visiblement traumatique à plusieurs égards. Mais, loin de pouvoir d'emblée utiliser une quelconque interprétation de ces éléments, l'adolescent a d'abord besoin de trouver dans la relation à son analyste un objet résistant à son indifférence et à ses attaques. C'est le passage d'une négativité latente vers une remise en question plus explicite du cadre et du sens de son traitement qui permet à Victor d'éprouver la reconnaissance par Françoise Cointot de cette nécessaire agressivité. Ce passage mutatif de la dynamique transféro-contre transférentielle lui permet de se dégager de la parole médicale-parentale pour s'approprier sa cure psychanalytique. Un véritable processus analytique s'engage alors dans lequel le travail du rêve et le plaisir du fonctionnement vont prendre progressivement le pas sur les symptômes psychosomatiques que constituaient les céphalées. La reconnaissance de ses affects puis de ses fantasmes amènent Victor vers un fonctionnement de meilleure qualité intégrant les aspect libidinaux et agressifs de sa vie psychique. On peut ainsi rétrospectivement voir dans la décompensation psychosomatique de Victor le signe d'une insuffisante mise en place du pare-excitation lors des échanges primaires. C'est cette fragilité de sa constitution psychosomatique qui a conduit à un débordement des défenses obsessionnelles précaires installées pendant la phase de latence. Les excitations générées par la crise familiale puis la poussée pubertaire ont débordé le système de défense de Victor, ses céphalées telles des « crises de la pensée » devenant le seul représentant de ce débordement.
À la suite de ce bel exposé, Françoise Cointot, livre l'étonnant cas de Cassandre, adolescente lui ayant été adressée pour des angoisses et des difficultés relationnelles auxquelles s'associaient de multiples plaintes somatiques assez imprécises. Prenant à revers le cliché d'une psychosomatique psychanalytique qui rabattrait toute symptomatologie somatique sur la réalité psychique, cette cure nous montre que le mal être psychique peut masquer une souffrance somatique non identifiée et non reconnue. En effet, c'est à la demande de l'analyste troublée par l'atypicité des plaintes de sa patiente que Cassandre passe un examen neurologique. L'examen révèle une tumeur médullaire bénigne mais nécessitant une opération en urgence. La formation médicale initiale de Françoise Cointot a évidemment soutenu son intuition clinique mais c'est sa position d'analyste qui lui a permis d'écouter et de regarder autrement Cassandre. Celle-ci dira en après-coup avoir renoncé depuis des années à parler de ses douleurs neurologiques à des adultes qui, pensait-elle, ne la croiraient plus. Françoise Cointot prendra en compte la difficulté transférentielle induite par ces circonstances : comment aider sa patiente à ne pas l’investir comme celle qui l’aurait sauvée ?
La conférence suivie sur zoom par une centaine d'auditeurs se poursuit par des questions qui permettent à Françoise Cointot de préciser certains points de la théorie psychosomatique et de la technique psychanalytique, clôturant avec générosité le cycle 2020/21.
[1]
[1] Societé Européenne pour la psychanalyse de l’enfant de et de l'adolescent
[2]
[2] Institut de Psychosomatique
[3]
[3] Angelergues J. Cointot F., 2016, Le principe de plaisir, coll. Monographies et débats en psychanalyse, PUF.
[4]
[4] Nayrou F., Szwec G., 2017, La psychosomatique, Coll. Débats en psychanalyse, PUF.
[5]
[5] Kreisler, L, 1987, Le nouvel enfant du désordre psychosomatique Edition Privat
Kreisler, L. 1987, Notations sur le corps de l’enfant dans la gaieté, l’indifférence et la dépression, in Soulé M, Cramer, B- Bonjour Gaieté : la genèse du rire et de la gaieté du jeune enfant, ESF, 1987- pp 99-111