Je tiens à remercier les organisateurs, Dominique Cupa et Clarisse Baruch, de m’avoir invité à vous parler sur le thème de cette année : « Qu’est-ce qu’un père ? », sous-entendu d’un point de vue psychanalytique, c’est à dire à partir de notre expérience des traitements psychanalytiques.
Comme vous avez déjà eu un certain nombre de conférences, il va m’être bien difficile de vous dire quelque chose de plus que ce que vous avez déjà pu écouter. Gageons sur le fait qu’il y ait suffisamment de différences d’un auteur à un autre !
À la réflexion, ce défi est le plus banal qui soit. Aucun discours n’épuise le sujet dont il traite, puisque toute réalité échappe à la connaissance censée en rendre compte. Vous connaissez tous la belle parabole opposant la grise théorie et la verte réalité, à laquelle il convient d’ajouter que le peu de lumière que nous avons du monde est du à l’intelligibilité propre au discours. C’est ce que l’on appelle l’effet de vérité, qui ne signifie d’ailleurs pas que ce qui est dit traduise la réalité. Le rapport au savoir est en effet compliqué, puisqu’il ne se superpose pas forcément à ce qui est ressenti comme « vrai ». Il s’agit de l’écart entre savoir, réalité et vérité. Ainsi tout savoir est-il voué à être à jamais incomplet, en même temps que le discours qui l’exprime est notre seule source de lumière
Ceci me permet de souligner un autre aspect. La connaissance, du fait même de sa nature d’inscription langagière positive, tend toujours à nous faire oublier une tendance contraire à cette dernière, très active à l’intérieur de la psyché, la tendance à l’effacement des inscriptions, voire à la propre disparition du sujet, qui ne se traduit pas par un contenu représentationnel, mais par un éprouvé, un ressenti désagréable. Ainsi, tout discours participe-t-il peu ou prou à soutenir le déni de cette tendance, même lorsque nous parlons d’elle. Nous savons que la parole agit ce paradoxe.
À l’écart existant entre la réalité et le savoir, il convient donc d’ajouter un autre type de connaissance, en fait de reconnaissance, qui est de nature radicalement opposée à celle engagée dans ce que l’on appelle le savoir, je veux parler de la prise en compte de cette tendance intrapsychique au disparaître, prise en compte qui ne peut se suffire d’un savoir du fait qu’elle est obligatoirement l’objet d’un déni. Cette reconnaissance consiste à lever ce déni, et n’est effective que par un changement du fonctionnement psychique lui-même. Seul ce dernier peut servir de preuve à cette prise en compte.
C’est ici que je situerai d’ores et déjà une particularité de la fonction paternelle, en tant qu’elle s’implique dans l’élaboration de tout savoir certes, mais aussi dans cette reconnaissance de cette tendance pulsionnelle à la disparition, à l’extinction, dans l’exigence d’accéder à un fonctionnement mental qui la prend en compte, et qui est basé sur une oscillation entre déni et reconnaissance. Cette oscillation fait appel à deux activités psychiques régressives, une nocturne, le rêve, l’autre diurne, l’érotisme ; donc à deux modalités de régression, celle formelle onirique, l’autre sensuelle érotique.
Le thème du père et du paternel a par ailleurs donné lieu à un Congrès des psychanalystes de langue française, à Paris, en 2013. Depuis un numéro de la RFP a été publié. Vous avez donc déjà pu lire les rapports et les nombreux échanges qui ont eu lieu à partir et autour de ceux-ci. Ont été soutenu les notions de principe paternel, de fonction paternelle, de potentialité originaire et d’aspiration au devenir, à mettre tous à l’actif du paternel. Toutes ces notions cherchent en filigrane à préciser celle plus classique de Freud, d’impératif surmoïque, articulée au sein d’une topique constituée de trois instances, le ça, le moi, le surmoi, celle du surmoi étant associée au père et au paternel. Cette combinatoire déjà abstraite est devenue avec le structuralisme et Lacan, le RSI, le Réel, l’Imaginaire, et le Symbolique, ce dernier représentant au sein du schéma de ces trois registres, la fonction ou le principe paternel, avec pour Lacan la notion qui l’accompagne de « père mort ». En terme plus explicite, il s’agit du père qui transmet l’impératif à réaliser le deuil des objets œdipiens, donc le père qui exige la résolution du complexe d’Œdipe. Par voie de conséquence, ou d’inférence, ce père doit se présenter mort pulsionnellement à ses enfants ; ce qui ne veut pas dire, mort pulsionnellement pour tous, ni en soi. Cette association entre le père et le mort, fut déjà établie par Freud, mais sous l’angle d’une élimination du père, d’un meurtre, la célèbre première assertion du complexe d’Œdipe, le « meurtre du père ». Freud vise alors le père de l’impératif en tant que père bien vivant, donc articulé à un père pulsionnel. Ce « père primitif » désigne une puissante pulsionnalité orientée vers d’autres objets que l’enfant. Pour l’enfant exclu du désir sexuel du père, celui-ci devient l’objet de sa pulsion. Nous reviendrons tout à l’heure sur cette articulation entre le père mort pulsionnellement pour l’enfant, le père support de l’impératif de résolution du complexe dŒdipe, et le père érotique. Notons d’ores et déjà que cette articulation se fait autour de l’exclusion. C’est en tant que tiers exclu que le père introduit l’exigence de mentalisation. En excluant l’enfant, depuis la place de tiers exclu, il l’oblige à construire ses autoérotismes et son futur désir érotique objectal. La mère participe pleinement, par son oscillation mère-femme, à mettre en place cette topique de l’exclusion. Nous reviendrons sur cette définition du père, en tant que tiers exclu excluant l’enfant.
Les différents schémas du fonctionnement psychique rappelés plus haut, ont en commun d’être abstraits et de désigner une position idéale, toute théorique ; une asymptote non atteignable dans la réalité humaine concrète, mais efficiente concrètement par sa réalité de référentiel idéal, par l’exigence de son attraction.
Toutes ces notions, principes, fonctions, registres, désignent des qualités définissant le paternel, et sont généralement associés à un impératif de désexualisation, opération en effet engagée dans le procès de deuil. Toutefois, l’objet de mon propos est de soumettre à la réflexion ce qui est dénommé ici trop facilement désexualisation, ce terme laissant penser que le but recherché par le paternel s’opposerait à la sexualité, la notion de père se trouvant dès lors étroitement associée aux valeurs morales et esthétiques, à un idéal ayant à son horizon, le travail civilisateur et les productions culturelles.
L’introduction de l’impératif paternel par le biais du tiers exclu excluant l’enfant, sollicite en fait la pulsionnalité et des transformations de celle-ci, en particulier l’établissement des autoérotismes et de la sensualité constituée d’éprouvés qu’il convient de distinguer de la vie affective, même s’ils se combinent. Ceux-ci, les affects, rendent comptent des qualités du travail psychique et de l’objet qui l’occupe ; par exemple, de la transgression avec la culpabilité ; de la perte avec la peine douloureuse ; de l’état du narcissique avec la haine et l’amour ; du rapport aux valeurs avec l’estime de soi et la honte ; etc. Par contre les éprouvés sensuels traduisent l’incarnation de la pulsion, sa conversion dans le corps qui en devient érogène, fond sur lequel se construit le ressenti du désir.
J’aborde donc cette question du père en pensant la vie psychique sous un angle qui privilégie un processus organisateur de la pensée humaine et de la sexualité humaine, processus qui se déroule en deux temps et que nous dénommons l’après-coup ; et qui est justement organisé en deux temps parce qu’il prend en compte la tendance à la disparition dont je vous ai parlé plus haut, cette tendance pulsionnelle régressive que je dénomme la régressivité pulsionnelle extinctive.
Le processus de l’après-coup ne peut que se déduire, et être une reconstruction à partir de ses productions manifestes, celles du deuxième temps. Celles-ci sont séparées du temps premier, qui est généralement ignoré en tant que tel, par un entre-deux temps lui-même occupé par un travail psychique inaccessible directement, dont le prototype est le rêve, le travail de rêve. L’impératif paternel porte sur la réalisation de ce processus complexe. Le premier temps fait appel à des activités psychiques régressives, le second réinvestit le champ objectal de la perception. Ce processus en deux-temps séparés par une latence, est impliqué dans le diphasisme de la sexualité humaine, dans la mise en place de l’érogénéïté corporelle, de cette intimité sensuelle de laquelle émerge le désir. L’après-coup instaure le corps érotique et la vie érotique objectale.
C’est par une longue démarche que Freud a pu découvrir ce processus, et son importance. Il est parti d’abord des symptômes hystériques et névrotiques, qui avaient été mis en corrélation avec des évènements antérieurs, dénommés par Charcot « traumas ». Par la méthode cathartique de rétrogression de Breuer, il a cherché à retrouver de tels évènements par la remémoration. Puis il s’est aperçu que ceux-ci concernaient fréquemment l’enfance, et tout particulièrement les évènements sexuels de l’enfance. Il a alors perçu que ce qui était décrit comme articulation entre le trauma et le symptôme, existait de façon générique entre l’enfance et la puberté (le cas Emma) ; que l’articulation se faisait donc entre un régime particulier de sexualité, la sexualité infantile, et un autre régime sexuel, celui de la sexualité objectale ; et que ces deux modes de sexualité était articulés par un « entre deux temps » durant lequel se faisait un travail intrapsychique, latent ; que ce moment de l’entre-deux correspondait à une période de l’enfance qu’il a dénommé la période de latence, centrale dans la mise en place du diphasisme de la sexualité humaine, mais qu’elle correspondait aussi à une période de la vie quotidienne, celle de la nuit, du sommeil et du rêve.
Freud fit ainsi un pas décisif en rapprochant les logiques du symptôme, du développement banal de tout enfant, et de l’oscillation nycthémérale, nuit-jour, tout aussi banale. Chemin faisant, il modifia son implication de la sexualité de l’enfance, en privilégiant un régime particulier de sexualité, celui de l’infantile, actif dans l’inconscient toute la vie ; et il remplaça encore la conception étiologique d’un trauma évènementiel par une qualité traumatique qu’il reconnut progressivement en tant que qualité élémentaire de la pulsion (1920), puis de la sexualité infantile (1925).
Ce que Freud a donc perçu d’essentiel, c’est que ce qui se passe à la dimension du développement de l’enfant, se réalise aussi chaque jour, le rêve étant l’activité inconsciente prototypique de l’entre-deux temps se réalisant sous couvert du sommeil ; ce qui permet de déduire que la sexualité adulte se prépare aussi sous couvert d’une période de « sommeil » sexuel occupé par un travail silencieux, celui de la période de latence (La belle au bois dormant et Blanche-Neige sont ici reconnaissables, etc). Ce travail nocturne a une fonction essentielle. Tout au long de la vie, chaque nuit, il inscrit la pulsionnalité des êtres humains au sein de leur vie psychique et soutient, par la production d’une prime de désir, leur sexualité objectale post-œdipienne.
Vous percevrez la complexité du rôle de l’impératif paternel quand vous reconnaitrez qu’il porte sur l’ensemble de ce processus. Notons, pour être plus précis, que la notion de père s’associe plus spécifiquement à la finalité de ce processus, l’élaboration du désir érotique objectal, les autres moments de ce procès, en particulier ceux régressifs par lesquels il débute, étant spontanément associés à la mère. Père et mère sont donc porteurs du paternel et se conjuguent dans son effectivité.
Bien sûr, vous le devinez aisément, il y a mille et une raison à ce que ce processus complexe subisse des perturbations, et qu’il soit le lieu même d’achoppements et d’avatars divers au cours de sa réalisation. C’est donc sous cet angle, celui de l’efficience d’un processus aboutissant à une réalisation psychique pouvant être accomplie ou symptomatique, que je situerai la fonction paternelle, c'est-à-dire dans la possibilité de rendre psychique ce qui ne l’est pas encore. De ce point de vue, le père est le garant d’une vie psychique qui a pour objectif de s’accomplir et d’accéder à l’objectalité.
Il convient de rappeler ici une évidence. Afin d’être efficiente dans la vie psychique d’un sujet, les différentes qualités référées au paternel doivent être rencontrées, reconnues, trouvées-créées-prêtées, chez un/des personnages qui en sont les supports, et qui les incarnent. Rien de la vie psychique ne peut s’installer sans trouver au dehors un support sur lequel se transposer, et qui servira de détour à l’élaboration intrapsychique. Tel est le cas du jeu de la bobine du petit-fils de Freud.
Une question fondamentale apparaît ici, que nous laisserons de côté ce soir, liée à ce mouvement premier de transposition, indispensable à tout avènement, toute aspiration au devenir, et à tout accomplissement et réalisation. Un transfert, que je qualifie transfert d’autorité, transfert mû par une aspiration à un devenir, va élire des personnes extérieures, qui vont elles-mêmes favoriser peu ou prou ce mouvement de transposition. L’énigme concerne donc cette première opération, cette transposition vers des personnes qui vont devenir des personnages de la scène psychique interne figurant ce désir de grandir et le modèle de fonctionnement vers lequel l’enfant aspire. Ces personnages peuvent être représentés, mais le plus important c’est qu’ils deviennent efficients en tant que processus de pensée, et non pas seulement en tant qu’images internes.
Ces personnages internes et ces imagos fonctionnelles, habitent le monde des représentations de l’enfance sous diverses formes, rassurantes et exigeantes, inquiétantes voire terrifiantes, et sont transposés sur des personnes réelles appartenant au champ de la perception de l’enfant, que cela soit le père biologique ou non. Le personnage ressenti en tant que père, ainsi que l’entité suprême qui le coiffe, appartiennent au monde psychique de tout enfant et sont incarnés concrètement par un être psychiquement vivant, dénommé père. On se rappelle le cas du « petit Hans », qui, sortant du cabinet de Freud, s’étonne auprès de son père, sous forme d’une question : « il parle avec le bon dieu le Professeur pour savoir tout cela ». Se retrouvent présents dans la tête de Hans, son père biologique charnel, avec qui il discute sachant l’attention très particulière qu’il lui porte, Freud à qui le père rapporte ses observations, et auquel le père et le petit garçon confèrent l’autorité de résoudre les angoisses, et Dieu qui sait les désirs inconscients et charge Freud de les formuler.
Ces quelques mots laissent deviner que si la fonction paternelle peut se centrer sur une personne précise, elle se distribue généralement sur diverses personnes, qui sont les supports des diverses modalités de transfert, avec en arrière-fond, ce transfert d’autorité justement qualifié de paternel, sans que l’on sache bien ce que cela veut dire, sinon qu’il se présente en séance associé à une personne désignée du terme de père, ou de substituts du père.
Nous retrouvons tous dans nos souvenirs, toute la kyrielle de personnes auxquelles, enfant, nous avons reconnu et attribué ce que nous désignons ici par le terme d’autorité. Il s’agit donc avant tout d’une attribution d’une autorité, et des rapports à l’autorité, rapports qui vont se présenter à la conscience de nos souvenirs sous les représentations de scènes concrètes engageant ces personnes, réunies à l’intérieur d’un personnage interne que nous évoquons quand nous parlons de père et de paternel. Ces personnes auxquelles nous conférons une autorité, sont généralement désignées ainsi, choisies, du fait de leurs fonctions ; mais elles doivent aussi avoir les qualités en mesure de susciter ce transfert, et être aptes à supporter le transfert d’autorité, transfert essentiel pour tout devenir, pour toute croissance, transfert réunissant les qualités signalées plus haut, l’aspiration au devenir et la potentialité originaire, transfert permettant que le procès de l’après-coup se déroule de façon optimale.
Une question se pose ici ; peut-on isoler la notion de père de celle de mère, et donc de celle de parents, mais aussi par voie de conséquence de celle d’enfant. D’un point de vue psychanalytique, ces mots, père, mère, parent, enfant, doivent être entendus ; ils désignent tout à la fois :
- des représentations de personnes réelles ayant une fonction émanant de leur vie mentale, vis-à-vis de la mise en place et du déploiement de la vie psychique de leur enfant;
- des personnages internes donnant lieu à des complexes de représentations (le complexe paternel) et ayant fonction d’imagos identificatoires ;- des processus avec leurs opérations fondant la pensée humaine, c'est-à-dire cet ensemble
constitué de contenus et de qualités que sont les sensations, les sentiments, les affects. Le jeu de la bobine implique un tel père-processus;
- enfin un impératif à ce que ce procès de mentalisation se réalise selon un modèle idéal, jusqu’à son aboutissement accompli, asymptotique.
Les opérations désignées par les termes de père et de mère sont évidemment liées, nous l’avons déjà souligné, ce lien étant sous-entendu dans le mot parent, lien conjuguant père et mère sur un mode désexualisé. Ainsi l’entité parent contre-investit-elle la scène primitive des « parents combinés », la bête à deux dos pulsionnelle. Dans cette lignée, le terme « enfant » est le produit, le rejeton, le résultat du travail psychique impliquant père et mère au sein de cette combinatoire parents.
Les processus « parents » se conjuguent donc dans la réalisation du procès de l’après-coup. Si le père est le garant de son aboutissement, la mère en assure l’amorce. Elle veille à ce que le mouvement régressif ait lieu, que le en-deux temps se déploie. Elles invitent les enfants à ne pas s’exciter au-delà de ce qu’elle juge dangereux, et les accompagne dans l’endormissement. Elle leur transmet le message selon lequel il est dangereux pour eux de ne pas suivre la voie régressive du sommeil rêve, et en même temps qu’elle veille à ce que cette régression se fasse dans un espace de mentalisation restant en contact par le biais de représentations, avec le monde extérieur. Elle les invite à cultiver leurs jardins internes, leurs fors intérieurs. Elle les ouvre à la culture. Ainsi a-t-elle à cœur que l’enfant s’éveille afin de construire en lui les matériaux dont il a besoin pour réaliser son travail psychique nocturne, son élaboration de sa pulsionnalité. Elle transmet donc l’oscillation constitutive du procès de l’après-coup. Dès la naissance, elle invite l’enfant à faire des allers-retours entre régression et progression ; pour cela elle offre à l’enfant ses propres capacités régressives qui atteignent des niveaux qui lui seraient inaccessible en dehors de sa fonction maternelle. La mère se dévêt de son dégout et de sa pudeur dans ce don régressif qui la définit. Elle implique ainsi son masochisme au-delà de ce que sa vie de femme exige d’elle.
Ce faisant, elle se conjugue à la fonction paternelle, au père qui exige que ce procès s’établisse en dehors de la présence maternelle, que l’enfant se l’approprie, et qu’il aboutisse à l’instauration de l’objectalité, étayée sur la résolution du complexe d’Œdipe. Le père confronte donc l’enfant à la situation du manque par le biais de l’exclusion. En réinvestissant érotiquement le père, la mère introduit la fonction paternelle, qui exige que l’enfant se construise en son absence ; qu’il construise ses autoérotismes au contact de cette exclusion de la scène primitive.
C’est dans ce rapport d’exclusion centré peu ou prou sur la vie érotique des ex-parents que va se déployer la fonction paternelle. Le père exige la mise en place des opérations psychiques aptes à traiter le manque qu’il fait ressentir. Mais, ce qui est décisif dans cette exigence, c’est que le père mette l’enfant en position d’exclu, depuis sa place très singulière, celle de tiers exclu. Si nous voulons être plus précis, c’est en tant qu’amant de la mère qu’il transmet l’impératif de résolution. Le désir érotique de la mère, se trouve être le maillon désignant le père, du fait qu’il est déjà exclu de la fonction maternelle, et que l’enfant le ressent comme annonciateur de l’absence de sa mère. D’où la désignation de l’amant de la mère en tant qu’objet tiers exclu, ce dernier se retrouvant éclairé par les feux du désir de la femme ex-mère.
Ainsi, en même temps que le désir exclu de la mère entre en scène et exclut l’enfant, le désir de l’amant et son pouvoir attracteur sur le désir de la mère prennent toute leur puissance pulsionnelle, d’où l’appel à la fonction paternelle pour traiter ce ressenti du manque lié à la situation d’exclusion. Le père est donc bien le tiers exclu qui exclut l’enfant, mais progressivement et en veillant à lui donner, au préalable, par la mère, les moyens de construire ses propres opérations mentales, ses auto-érotismes et sa sensualité.
Cette scène de double exclusion renversée, transmet un message sur la visée de cette construction, l’accès à un fonctionnement objectal incluant l’opération du deuil. Cette exclusion va solliciter l’ambivalence la plus fondamentale qui soit, entre faire le deuil des apports de la mère au profit de sa propre construction, et éliminer cette exigence. L’exclusion est donc tout autant le nid du devenir que celui du meurtre. Entre les deux, il n’y a qu’un pas, mais leurs conséquences respectives sont radicalement opposées ; l’une se fait sous l’égide d’un paternel intériorisé, l’autre selon le meurtre du paternel.
Lors de cette conférence, un moment clinique a été rapporté, d’une situation d’achoppement de la réalisation de ce processus, dans laquelle la référence à la notion de père se faisait directement dans le matériel manifeste, du fait même de cet achoppement. Pour des raisons de confidentialité, il ne peut être reproduit ici. Si c’est cet achoppement qui a fait choisir cette séance d’analyse, toute autre séance aurait pu servir d’illustration. En effet, la fonction paternelle est idéalement impliquée dans la réalisation du travail psychique de séance. Elle est agie par ce travail même, de façon inapparente, le travail lui-même étant la preuve de l’efficience de l’impératif paternel. Se saisit alors aisément l’ambivalence envers le principe paternel, entre un engagement dans l’endeuillement œdipien, et le meurtre-éliminatoire de cet impératif de résolution.
Bien sûr, toute séance est à situer sur le fond d’un transfert d’autorité, dont est investi l’analyste, avec l’espoir implicite partagé d’arriver par ce biais, à restaurer le procès d’après-coup là où tel patient en est privé, et est contraint à trouver d’autres voies, symptomatiques, pour répondre à la régressivité pulsionnelle. C’est sur ce fond de transfert d’autorité que pourront se transférer les divers achoppements identificatoires, avec l’espoir ambivalent de les modifier.
En conclusion, le paternel se définit d’un impératif à réaliser le procès de l’après-coup, et d’un modèle de fonctionnement psychique doublement oscillatoire, entre la nuit et le jour, et de jour, entre le pôle de la culture groupale et celui de l’érotique intime. Le paternel n’est pas seulement un impératif de désexualisation au service de la culture, il est aussi un impératif de résolution pro-érotique. Il se fait tour à tour, appel aux sens et appel au sens.