Je reçus un jour Catherine. C’était une femme d’une quarantaine d’années qui, ayant fait une analyse avec une femme, souhaitait reprendre « un travail » avec un homme. Elle ne voulait plus parler d’Œdipe, elle en avait assez, mais aller plus avant, plus précoce, vers des zones plus archaïques, là où se nichaient des inconnues qui, l’éprouvait-elle, avaient une importance primordiale.
Je notais l’idée de s’adresser à un homme pour « ne pas parler d’Œdipe » mais invoquer l’obscurité maternelle, ainsi que l’expression « un travail » qui, elle aussi condensait les différents registres de la naissance. Faudrait-il suspendre Œdipe, une fois encore par les pieds, pour aborder le maternel ? Le tenir bien haut en attente de son premier cri ?
Nous eûmes un premier entretien, puis un deuxième.
A l’aube de ce second contact, elle me fit part de son impression diffuse de m’avoir déjà vu quelque- part, tandis que dans le même temps, un semblable sentiment me traversait.
Mais où donc était-ce ? Et quand ?
Nous étions tous deux l’objet d’un silence interrogatif et introspectif, passant en revue les divers possibles, quand tout à coup et là encore au moment où le souvenir s’imposait à moi, elle me demanda : « Ne travailliez vous pas à la maternité en telle année ? »
En effet j’y travaillais, et l’avais rencontrée à l’occasion de la naissance de sa fille aînée.
Elle craignait de rentrer chez elle dés la fin des quatre jours réglementaires, angoissée de devoir si vite descendre de son vécu élationnel, protégé par le cadre de la maternité, pour se confronter, sans filet, à la dure réalité matérielle (mater : matériel) qui l’attendait.
Je lui aurais dit alors « On ne vous mettra pas dehors », et cela lui avait fait du bien…
Elle me confiera quelques mois plus tard et revenant sur cet épisode avec humour et un brin d’agressivité : « Vous étiez passé en coup de vent, la blouse blanche épousant vos mouvements tel Saint Pierre, entouré de stagiaires virevoltant comme des anges ». Nous reviendrons sur ce vécu d’élation.
Elle prenait en tous cas conscience alors, que possiblement, ce qu’elle venait chercher chez moi, guidée par ce souvenir, c’était précisément une mère « qui ne la mettrait pas dehors ».
La suite confirmera cette première idée ainsi que sa difficulté à s’exprimer devant un homme sauf, disait-elle, à me considérer dans le registre maternel.
« Je voulais un homme et je trouve une mère, plus mère que mon analyste précédente qui pourtant était une femme » conclut-elle. C’est le maternel qu’elle m’invitait à mettre au travail, et sans doute avec lui, ce qu’il en était d’une potentialité oedipienne.
Remis sur la piste de la maternité comme lieu, où j’avais travaillé pendant de nombreuses années, ma rêverie allait vers la double valence de cet endroit, d’un langage brodé mohair et petites mains à une violence latente, pleine de crises, de pleurs, de déceptions, de peur et de mort parfois. En effet, à la maternité, la peur de l’accident néonatal, de l’anomalie non détectée, d’un drame destructeur, rôdent avec l’implacable argument de la réalité. C’est un lieu du corps, mais d’un corps brut relié au monde et aux mythes, apparenté aux cataclysmes, aux tremblements de terre, aux raz de marée passés et à venir, le lieu d’un corps traversé par un autre corps qui attend tout, qui veut tout, exigeant et sans pitié.
Oui, dans ce temple de la douceur, des mamans et des bébés, ne peut s’éviter l’expression d’un maternel sauvage, primitif où l’acte n’est jamais loin.
Je revois cette mère qui avait entrepris de couper les ongles de son petit de trois jours, de ses grands ciseaux si près, au ras des tous petits doigts, déjà perçus comme de véritables griffes…ou cette autre qui n’hésite pas à le laisser seul sur la table à langer. Tombera ? Tombera- pas ?
Violence fondamentale de Bergeret, ou violence primordiale de Liliane Abensour qui considérerait que le pulsionnel est déjà là et soutient des mouvements d’attraction, d’expulsion et de répulsion.
Devenir mère, d’abord en son corps, sollicite le maternel du côté de la violence. Violence redoublée par le bébé qui veut naître et vivre coûte que coûte.
Ce maternel originel va, dans un mouvement contraire et clivé, faire l’objet d’une idéalisation collective, il va devenir un maternel « purifié. On va le retrouver dans la vierge Marie et dans toute une imagerie de la mère bonne, patiente, parfaite, « sans sexe et sans blessure » dans une tentative de réduire la complexité, les conflits et contradictions vécus dans le maternel vivant. Grâce à elle, le désarroi est devenu félicité, et le maternel s’apparente au miracle.
Mais l’idéalisation du maternel conduit aussi au retour de sa négation. On voit que la toute puissance maternelle peut s’exprimer dans les deux sens : de la déréliction à la félicité certes mais aussi de la félicité à la déréliction. Dans le va et vient d’un semblable phénomène se rétablira alors un maternel rejetant, excitant par défaut, traumatisant.
On le sait, la toute puissance est biface : divine et diabolique. Je vous renvoie au Saint Pierre tout de blanc vêtu et aux anges qui virevoltent. Entre Saint Pierre et Méphisto, il manque la limite.
(Pour ma patiente, la chute du Paradis fût rude. Passer de Saint Pierre à l’analyste, en chair et en os ! Eh oui, chez moi, ce n’était pas Bergasse 19.)
L’état d’élation a tendance à éliminer l’objet et encore plus le tiers et se fonde sur l’absence de limite, de contrôle. De cet état peut naître un maternel dévoreur, incestueux, terrible.
Ce maternel incestueux, cruel ou purifié, dans son vœu d’étouffement, de possession et d’anéantissement, fait horreur. Il est une enclave sans fantasme. Il fait obstacle à l’oedipe, et donc, nuit à l’organisation de la vie psychique.
Alors comment se fait-il, qu’en principe et si nous ne sommes pas tout à fait psychotiques, nous ne dévorons pas nos bébés, bien qu’ils aient la peau douce et appétissante ? Comment se fait-il qu’il soit rarissime que nous les étouffions ces bébés et qu’en plus nous prenions soin d’eux ?
Dans plusieurs textes et en particulier dans « Totem et tabou », Freud fait référence à l’identification primaire qu’il définit comme l’identification au père de la préhistoire personnelle. Qu’en est-il ? S’étayant sur de nombreux travaux de préhistoriens de son époque, il suppose à l’origine, un père violent, jaloux et chassant ses fils à mesure qu’ils grandissent. Les fils, unis entre eux auraient tué ce père et l’auraient ensuite dévoré, s’identifiant à lui et s’appropriant chacun, une partie de sa force par incorporation. L’étude porte surtout sur le passage de l’incorporation à l’identification, cette dernière s’associant alors à l’ambivalence des sentiments. Ce qui importe ici est le passage de cette ambivalence, avec la reconnaissance de la haine, au sentiment de culpabilité oedipienne qui révèle que certes les frères enviaient et haïssaient le père, mais qu’en même temps ils l’aimaient.
Déjà, pointe la future théorie du surmoi, et de l’idéal du moi.
Dans ce passage qu’est la maternité comme lieu de régression et comme traversée du corps, se signifie le passage de l’incorporation à l’identification et permet sans doute à la mère, représentante du maternel et porteuse du père originaire la fameuse identification winnicottienne aux besoins de son enfant. « Le psychisme primitif est, au plein sens du terme impérissable » nous dit Freud, dans sa prise en compte de la phylogenèse pour une conception de l’ontogenèse. Le maternel processuel n’échappe pas à la règle. Ce qui est vrai pour l’humanité, l’est aussi pour l’homme.
La référence au père originaire transmet au bébé son appartenance à l’espèce, son accueil dans la culture et dans la grande histoire des hommes et, à ce titre sa préservation.
De ce père naît toute l’histoire des générations et de la transmission entre ces générations. Un fait humain groupal est contenu d’emblée dans le maternel, fait qui, d’un point de vue horizontal, se retrouve dans le socius. Une partie de l’investissement nécessaire au fonctionnement psychique individuel tire donc son origine de la dimension groupale de la psyché. Ainsi, ce qui deviendra « la culture », maîtrise ce dangereux désir d’agression de celui qui s’oppose à elle…et le désarme en le faisant surveiller par une instance située en lui-même, le surmoi.
Il y a, dans un certain nombre de poèmes et de ballades allemandes, une créature maléfique appelée « erlkönig » traduit par « le roi des aulnes », qui hante les forêts et entraîne les voyageurs vers leur mort. Goethe en a fait une interprétation qui me semble illustrer le combat qui se livre dans le maternel des origines et au sein même du lieu qu’est une maternité.
Dans le poème, la victoire revient à la créature maléfique, à la mort et à la psychose contre le père :
Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ?
C’est le père avec son enfant.
Il porte l’enfant dans ses bras,
Il le tient ferme, il le réchauffe.
« Mon fils, pourquoi cette peur, pourquoi te cacher ainsi le visage ?
Père, ne vois-tu pas le roi des aulnes, le roi des aulnes, avec sa couronne et ses longs cheveux ?
Mon fils c’est un brouillard qui traîne. »
Viens cher enfant, viens avec moi !
Nous jouerons ensemble à de si jolis jeux !
Maintes fleurs émaillées brillent sur la rive
Ma mère a maintes robes d’or.
Mon père, mon père et tu n’entends pas
Ce que le roi des aulnes doucement me promet ?
Sois tranquille, reste tranquille, mon enfant :
C’est le vent qui murmure dans les feuilles sèches.
Gentil enfant, veux-tu me suivre ?
Mes filles auront grand soin de toi
Mes filles mènent la danse nocturne,
Elles te berceront, elles t’endormiront, à leur danse, à leur chant.
Mon père, mon père, et ne vois-tu pas là bas
Les filles du roi des aulnes à cette place sombre ?
Mon fils, mon fils, je le vois bien
Ce sont les vieux saules qui paraissent grisâtres.
Je t’aime, ta beauté me charme
Et, si tu ne veux pas céder, j’userai de violence.
Mon père, mon père, voilà qu’il me saisit
Le roi des aulnes m’a fait mal.
Le père frémit, il presse son cheval
Il tient dans ses bras l’enfant qui gémit,
Il arrive à sa maison avec peine, avec angoisse :
L’enfant dans ses bras était mort.
Le vol d’enfant, version atténuée de sa dévoration est un fantasme courant dans la maternité. « Je vous le prends » dit une aide-soignante à une mère, le pédiatre en a besoin…
« Je l’ai eu deux minutes et, on me l’a volé » dit une mère qui me racontait son accouchement.
Un fantasme, parmi les personnels de maternité était que des pères, le soir, auraient pu se cacher et rester dans les murs au lieu de rentrer chez eux. Amant dans le placard certes, mais amant dangereux, incestueux peut-être.
Maintes fois, j’ai moi-même été traversé par l’envie diffuse d’emporter un bébé, certains sont si tentants. Heureusement veillait mon père originaire interne. Ce père-là punit inexorablement, à la mesure de l’ampleur du crime commis. Non, nous ne mangerons plus notre père, et en conséquence, nous ne mangerons plus nos bébés.
Curieusement, dans ce lieu de l’essence du maternel, la maternité, où s’était finalement inaugurée l’analyse de mon analysante, les pères, les vrais, incarnés, avaient plutôt une place réduite.
Je revois les affairés qui s’essoufflent dans des allées et venues incessantes, les bras chargés de courses oubliées, les inquiets qui se font les relais de leur femme pour guetter le passage du médecin, les photographes qui bombardent leur enfant et leur femme à longueur de journée, prenant leur part dans le spéculaire, ceux qui s’ennuient et sortent fumer tous les quarts d’heure, pensifs à l’idée de ce qui les attend, ceux qui se mettent sans ambages au lit avec leur femme, le bébé au milieu, avec parfois un bouquet de fleurs devant, et ceux qui s’y mettent car ils sont trop grands pour entrer dans le berceau, les fiers, les admiratifs, ceux qui boivent le bébé des yeux, ceux qui ont peur de casser l’enfant, ceux qui en oublient leur femme, ceux qui lui donnent leurs recommandations : « Prends le comme ça, pas comme ça, attention à la tête, n’oublie pas de lui parler souvent, c’est bon pour son intelligence, tu crois que c’est bon de manger des salsifis, pour le lait… ? », bref chacun d’eux s’arrange à sa manière avec son ambivalence , sommé d’aimer son rival sur le champ, et de faire avec la frustration que le corps qui porte le maternel est d’abord celui de leur femme.
Autant de figures qui montrent que dans le meilleur des cas, le père est là. En effet, l’exercice de la fonction maternelle nécessite un « appui référent ». Il lui faut un regard, regard qui perçoit mais aussi qui veille. Le maternel suffisamment bon ne peut s’exercer par une personne qui n’aurait d’autre recours que de se percevoir toute seule. L’idée d’un paternel de supervision pourrait ici s’entendre, par l’image qu’il produit d’un emboîtement. Quelque chose qui « surplombe », peut-être comme l’analyste derrière son analysant.
En règle générale, quand nous avons commencé à travailler là, les pères étaient perçus comme des gêneurs car potentiellement porteurs de pénis et fantasmatiquement amenés à s’en servir. N’étaient-ils pas responsables de l’outrage qui avait amené leur femme ici ?
Ainsi, la salle de change leur était interdite. Cela s’est modifié par la suite, du fait de diverses influences dont la notre, mais nous avions l’impression que sur eux étaient projetés tous les débordements pulsionnels dont le maternel contient l’irruption pour son exercice adéquat.
Ce qui avait tendance à leur être disputé, c’était précisément l’aspect surmoïque du paternel dont l’exercice est traditionnellement revendiqué par le personnel, digne représentant du socius. Un conflit pour la place du père s’opérait par le truchement de cette situation exceptionnelle.
Par exemple, juste après la naissance, l’enfant est posé sur le corps de la mère quelques instants, puis il est emporté pour la toilette. C’est un bébé propre et habillé, socialisé, c'est-à-dire débarrassé des oripeaux du pulsionnel, qui est rendu à la mère.
Après le raz de marée de l’accouchement, où explosent la violence du corps, la douleur et la haine, le sang et parfois les excréments, les mots crus et les cris, voilà que revient un « enfant » déjà socialisé.
Dans cette maternité, j’animais régulièrement un groupe de paroles. Je réunissais une dizaine de femmes proches du terme (8e mois). Une sage-femme était présente et nous parlions associativement de tout ce qui pouvait advenir. Vous savez la liberté de propos des femmes à ce moment de leur vie. Les pères avaient la possibilité de venir s’ils le désiraient.
J’étais frappé par la puissance qui se dégageait de ces femmes assises en cercle, ventres fièrement brandis, tandis que les uns ou deux futurs pères présents, mal à l’aise, se recroquevillaient, s’effaçaient, impressionnés par ce déploiement de forces et visiblement en proie à une forte angoisse de castration.
Nous avions réfléchi au moyen de prendre en compte cet effacement des pères et de leur offrir un espace à eux.
Cette réflexion nous avait amené à la constitution d’un groupe de pères animé par un gynécologue. (Un père originaire ?). Il s’agissait de partager, par la technique, pour ces hommes, ce qui se passait dans le corps de leur femme.
Plusieurs arguments nous avaient alors guidés :
La constatation d’un surinvestissement du spéculaire de leur part (le pénis se voit), surinvestissement accentué par la technologisation médicale, notamment lors des échographies. (On a décrit des pères collés à l’écran, presque près à plonger dedans, comme s’ ils réalisaient le fantasme originaire de retour au sein maternel).
En second lieu, l’observation de groupes d’hommes, type « banquet des anciens » ou « fête du club de pétanque », groupes bien décrits par Michel Fain. Je le cite : « Quelle est la structure de ce groupe éphémère (effet mère ?) ? A sa surface règne une illusion commune : une réunion au sommet de chefs de clan s’apprêtant à partager leur bétail féminin, dans une sorte de réalisation hallucinatoire en commun. Ce groupe s’uniformise, fasciné par un personnage fantasmatique phallique dont la puissance est brunie par l’analité. Les liens libidinaux ainsi créés doivent être suffisamment forts pour écarter la panique liée à la menace de castration ».
Comme à l’école primaire, notre groupe de futurs pères se liait d’une homosexualité de bon aloi, avec à sa tête ce gynécologue qui ne s’épargnait pas les plaisanteries parfois douteuses qui font la joie des garçons à l’âge de latence, quand ils sont en groupe et protégés du regard des filles.
Dans ce groupe, nous semblait-il, l’ambivalence des pères face au ventre redouté de leurs femmes et à leur contenu, pouvait trouver un support, par la pénétration spéculaire commune, et le piétinement partiel, anal, cadré et autorisé du puissant mystère féminin, préservant ainsi l’actualité du courant tendre, et le passage du fœtus à l’enfant.
Mais revenons à nos universités.
Le maternel naît donc de l’expérience de satisfaction. Le bébé fait l’expérience d’être satisfait et l’autre secourable fait l’expérience de satisfaire le bébé. C’est l’avancée fondamentale de Freud, dans « L’esquisse » (1895). On pourrait parler d’attente, de préconception comme Bion ou de potentiel comme Winnicott. Quand il naît, cette « esquisse » d’humain justement, par le fait même de sa venue, est en attente de quelque chose et il exprime ce quelque chose par sa détresse. Devant la détresse du nourrisson, apparaît l’impératif de l’intervention de l’autre, à un moment d’ailleurs où celui-ci n’est pas encore constitué comme tel. C’est cette intervention de l’autre secourable, du « nebenmensch » qui va permettre l’expérience de satisfaction. C’est sans doute ce moment, « l’expérience de satisfaction », qui constitue le temps essentiel de la construction de la pulsion et donc de ses destins et donc du psychisme. Le maternel est lié à la naissance de la pulsion. Notons que Freud ne précise pas qui est cet autre secourable, il prend soin de ne jamais le spécifier comme mère. Il parle d’aide étrangère, de personne qui apporte son aide, d’être humain proche. Ce n’est pas la personne qui importe, mais la fonction.
En tous cas, c’est l’établissement de l’expérience de satisfaction qui prend en charge la continuité narcissique. Elle est l’expérience de la continuité d’être.
Dans « l’avenir d’une illusion » (1927), revenant vers la mère comme premier objet d’amour en tant qu’elle satisfait la faim et qu’elle protège l’enfant contre toutes sortes de dangers externes et internes (le premier pare- angoisse), Freud promeut néanmoins le père, plus fort dit-il, à qui cette fonction, comme objet protecteur, dès lors, reste dévolue durant toute l’enfance. Ainsi le Maternel devient le manifeste d’un paternel profond. Dans une note de 1923, il parlera « des parents ». Mais nous en sommes là au potentiel et nous proposons que le maternel, s’il s’éprouve d’abord sur le corps de la mère, est un espace fantasmatique composite où le paternel est présent comme tiers potentiel.
L’ombre paternelle permettrait de penser le maternel comme une sorte de « trinité » ( trois dans un) et le rendrait interactif par nature (Penot) , comme l’illustre par exemple le tableau de Léonard :La vierge, l’enfant Jésus et sainte Anne, tout de gestes et de regards.
André Green, en dialogue avec les anthropologues propose la notion d’oedipe comme « modèle », il en fait une situation fondamentale à partir d’un retour au corps. « Il n’y a pas de relation duelle car la relation primitive inclut directement le père dans les fantasmes et les pensées de la mère. Cette part de paternel au sein d’une trinité permettrait des mouvements, jeux, permutations rendant possible à chacun l’occupation de la position tierce. On voit alors la richesse potentielle du système en termes de passivité, renversements, rendant compte d’un maternel ouvert, où pour énigmatique qu’il apparaisse au petit, le sexuel s’invite bel et bien à la table des négociations. A l’affirmation de Laplanche : « Quand l’enfant crie c’est de l’auto conservation, quand le maternel répond, c’est déjà du sexuel » on pourrait ajouter c’est déjà du bisexuel. En effet, si la bisexualité psychique se construit tout au long d’un processus, son enjeu futur est contenu dans le maternel, en termes de masculin féminin, actif passif, phallique-châtré.
C’est bisexuellement que la mère investit chaque zone érogène de son enfant.
Par exemple, lors de la tétée, on voit avec quelle énergie active, le bébé prend le sein. Il a faim, il y va, tandis qu’en même temps la caresse qu’il reçoit de la mère est d’ordre passif.
Le trajet somato-psychique des auto-érotismes est bisexuel, et fonde le narcissisme primaire individuel, lequel est anticipé par la mère sur le modèle du miroir lacanien. Le terrain se prépare de la future rencontre avec le corps de l’autre sexe, en l’occurrence le corps du père sur lequel la bisexualité est alors ressentie à travers les sensations de soi et de l’autre.
C’est à ce moment, anticipé par la mère que s’actualisera la bisexualité.
Ainsi, nous serions déjà en présence d’une pré-organisation disponible et qui permettrait à la masse psychique première de l’enfant de petit à petit s’organiser, de cheminer vers l’oedipe et de faire émerger un individu.
Tous ces visiteurs du maternel introduisent dans cette fonction, une manière d’incertitude qui est au cœur de notre travail psychanalytique.
Ce qu’on appelle les capacités maternelles : tendresse, amour inconditionnel, hypersensibilité, disponibilité illimitée, indestructibilité, liées à la possibilité de ressentir, de s’identifier à certains vécus traumatiques du bébé et de savoir y répondre, toutes ces capacités sont à articuler à la dépression post- partum, à la psychose puerpérale voire à l’infanticide et à la congélation des nouveaux nés. Le Maternel se décline sur un spectre partiellement mesurable à l’intensité paternelle en son sein.
Mise en latence et désexualisation. On considère donc que, pour répondre à l’état traumatique premier du tout petit, la mère doit pouvoir faire état d’une régression identificatoire. Cela est possible seulement si elle peut suspendre suffisamment l’investissement sexuel évoqué plus haut. Son activité psychique sera alors centrée sur un noyau masochique organisable du fait d’une mise en latence du sexuel qui lui permettra d’accepter de son enfant ce qu’elle n’accepterait de personne, d’être utilisée comme objet, comme le suggère Winnicott.
Pour que cette mise en latence soit possible, et qu’advienne l’amour d’objet, il faut que chacun des parents ait traversé la situation oedipienne avec suffisamment de bonheur, il faut qu’ils aient eux-mêmes l’expérience de la mise en latence entre 7 et 11ans.
Ce retour de latence (ou seconde latence) autour d’un nouveau né, permet aux parents d’apprendre de lui, de l’écouter, d’en être curieux. Elle permet tout ce qui a été tant de fois décrit de la préoccupation maternelle primaire et sur laquelle je ne reviens pas.
D’un point de vue sociétal, beaucoup d’analystes semblent s’accorder sur le fait que la phase de latence définie par Freud en 1905 est en voie de disparition, ce qui évidemment n’est pas sans avoir quelques conséquences sur le plan économique.
Florence Guignard (2007), souligne les caractéristiques de cette disparition : La force du Moi se construit par l’introjection de valeurs hédoniques plutôt que par l’introjection d’un surmoi parental (donc défaite du paternel). Sur le plan des investissements sublimatoires qui caractérisent la phase de latence, « les pulsions épistémophiliques » ne s’organisent plus essentiellement autour des fantasmes originaires de scène primitive qui orientent la curiosité mais vers un système de logique binaire, qui ramènerait le sujet au niveau primaire du principe de plaisir / déplaisir : bon à avaler, mauvais à recracher ».
Une absence de phase de latence, de seconde latence chez les parents d’un jeune enfant aura donc une influence notable.
On peut voir alors s’installer un maternel discontinu, excitatoire et dont l’organisation économique est débordée.
Il est courant de rencontrer dans les maternités de jeunes mères ayant des difficultés à allaiter leur enfant au sein.
Evoquée ou non, on s’aperçoit que cette difficulté est souvent liée à un vécu d’indécence de leur part, à un plaisir suspect voire incestueux.
Les histoires d’allaitement font parfois souffrir les psychanalystes qui interviennent en maternité, pour peu qu’ils s’identifient aux nouveaux nés.
Certaines mères font un choix très clair : ou elles choisissent le biberon, plus distancié selon elles, ou elles choisissent le sein. Les difficultés surviennent quand une mère souhaite allaiter au sein pour des raisons, disons de puériculture, mais que tout en elles le refuse. L’enfant est mal tenu, le sein est sadiquement empoigné et fourré de force dans une bouche qui se dérobe. Il s’ensuit des pleurs des deux côtés, puis des crevasses, puis des abandons dans la douleur et la haine.
Il suffit parfois pour le thérapeute, face à ce traumatisme, de ne rien faire au sens de la « capacité négative » décrite par Bion, de s’asseoir au bord du lit et de parler avec la mère, de choses et d’autres, de partager une histoire, de faire une histoire dans le hic et nunc, peut-être une histoire à rêver debout, pour voir l’enfant commencer à téter sans qu’on y prenne garde. Une rêverie est devenue possible. C’est comme si on passait alors des seins au pluriel érotique si l’on peut dire, adressé à un bébé- amant prématuré, au sein maternel désexualisé, selon une distinction qu’avait faite Lebovici dans un article célèbre (le sein et les seins). Il y a eu comme un freinage, au cœur du passage de l’excitation à la pulsion. C’est bien connu, on ne peut jouer quand on est trop excité. Allaiter, dans le giron de la latence, je vous le dis, c’est un jeu d’enfant.
Il y a, dans cette mise en latence, une suspension référée à l’ordre paternel, favorisant une inscription symbolisante et traçant les limites d’un tiers à venir. L’attente, elle, est d’ordre masochique féminin. La latence, signifiée par l’attente, permet l’installation des rythmes, annonciateurs d’une temporalité.
Si le maternel s’inaugure dans le secours apporté à l’enfant, il se poursuit par sa croissance.
En effet, un enfant croît et veut croître. C’est sa disposition naturelle. Après l’illusion première et nécessaire, il tourne le dos, il questionne le maternel sur sa capacité au deuil originaire. Il questionne le maternel sur sa capacité à accepter cette souffrance là.
Les différents destins de l’activité pulsionnelle de la mère, en présence du père : deuil de l’oedipe, (sa traversée) et tendresse qui en découle, identification au désarroi du bébé, désexualisation, sublimation font d’elle l’autre du processus dans lequel est engagé l’enfant.
De l’autre secourable, elle devient l’autre du processus, l’autre de la croissance.
Ces processus psychiques complexes, qui partent de la fonction d’ « autre secourable »et vont vers celle de partenaire dans la croissance, vont amener chez l’enfant la capacité, la possibilité de désinvestir la perception. Pouvoir désinvestir la perception est primordial pour investir la vie psychique.
Cette possibilité de désinvestissement de la perception a deux conséquences :
Premièrement, l’endormissement, et du coup l’investissement du travail de rêve et de jeu.
Et, deuxièmement, la capacité à ne pas s’endormir à chaque traumatisme. C'est-à-dire la capacité à se tenir éveillé, à être attentif au monde. « Faire ses nuits », mais aussi « faire ses jours », comme le dit joliment Bernard Chervet.
Nous allons, à ce sujet, nous étayer sur « la censure de l’amante ».
Le concept de « censure de l’amante », élaboré en 1971 par Michel Fain et Denise Braunschweig a fait fortune. De quoi s’agit-il ?
Il marque la façon dont la mère peut moduler sa présence à l’enfant lorsqu’elle lui procure des soins corporels ou nourriciers.
Quand, au cours de ces soins, sa rêverie la porte vers sa vie amoureuse avec le père de l’enfant, cet éprouvé, indépendant de l’enfant, amène celui-ci à construire un premier état de triangulation. Cet état servira de base à la future triangulation oedipienne.
Il s’agit donc de l’effet des mouvements internes de la mère qui invite son enfant à organiser la place d’un tiers dans le cadre de leur relation « réelle » à deux. C’est ce mouvement qui permet à la mère de contre investir l’émoi érotique que fait naître le contact avec le corps de l’enfant, en même temps, qu’il en protège l’enfant.
Par ailleurs, un processus se construit là, dans le travail de rêve. Par sa capacité à « rêver » au père de l’enfant, la mère invite ce dernier à rêver lui-même, afin de retrouver sur un mode hallucinatoire, ce qui lui est momentanément retiré, et donc à dormir. Dans ce « momentanément », quelque chose s’ébauche d’une absence qui dessine les contours d’une présence tierce. Nous sommes à l’aube de la négation (d’un « non-mère »), la négation comme matrice de l’image paternelle. En d’autres termes, la rêverie de la mère assure la fonction de gardienne du sommeil de l’enfant. L’oscillation entre deux identités, celles de mère et d’amante et donc l’introduction d’une certaine discontinuité, assure une continuité du sommeil.
Donc, un jeu oscillatoire de présences et d’absences, constitue un des enjeux du maternel et s’organise d’une présence paternelle.
Mais si la mère peut endormir son enfant, ou plutôt ne pas l’empêcher de dormir, il lui faut aussi le maintenir éveillé.
Là encore est convoquée la notion de mise en latence. Ce qui est suspendu là, ce qui est différé c’est la régression onirique. En anticipant ce qui est naturel chez son enfant, c'est-à-dire « croître », elle lui indique la voie de cette croissance. Mais « croître » comporte des risques. Et, l’engageant sur la voie du processus, elle lui en signifie les risques et notamment la menace de castration, au nom du père. Le paternel en elle, porte à la fois la croissance et la menace.
Grâce à sa capacité identificatoire hystérique aux menaces ressenties par son enfant par tout ce qui est susceptible de l’éveiller, elle peut le conduire vers les réalités externes, vers sa perception sensorielle et tous les objets qui en découlent. Elle fait en sorte qu’il ne s’excite pas outre mesure. Elle soutient chez lui le devenir et l’objectalité, à un rythme convenable, qui ne dépasse pas ses capacités. Le parcours est fléché mais sécurisé.
En offrant un étayage à son enfant à travers sa sensorialité et la capacité d’installer des auto-érotismes, un narcissisme corporel, elle lui permet de différer, d’annoncer un futur, un autre temps, qui sera celui de la fonction paternelle et de la bisexualité. Ce fait d’attente suppose la transmission d’un certain masochisme d’ordre féminin, ce qui peut d’ailleurs pouvoir dire que la structure du désir est d’essence masochique.
Un contre- exemple clinique nous est fourni par Grunberger dans un essai de 1956 sur « la situation analytique et le processus de guérison », exemple que je reprends car il témoigne des difficultés de nombreux « Don Juans » que nous recevons.
Il s’agit d’un patient appelé Jean, dont la problématique semble se centrer autour de la crainte de perdre sa virilité, crainte combattue par une activité sexuelle effrénée. C’est pourtant un homme décidé, maître de lui, capable d’initiative…avec néanmoins la caractéristique de s’effacer au dernier moment après qu’il se soit imposé à ceux qu’il a pour tâche de diriger, finissant par adopter une sorte d’attitude d’éminence grise.
Jean apportait la preuve dans son analyse, qu’il avait atteint un degré de maturation satisfaisant en ce qui concernait ses pulsions partielles prégénitales. « Adulte, note Grunberger., les situations oedipiennes l’attiraient spécialement et dans les relations de ce genre, il se montrait parfaitement puissant, si certaines conditions pour son narcissisme se trouvaient réalisées. »
Alors pourquoi, dans une situation où l’oedipe se trouvait dépassé, le patient vivait-il toujours celui-ci avec une telle intensité ?
Grunberger conclut que sa blessure avait pour cause son incapacité orgastique infantile.
En état d’excitation sexuelle précoce et prématurée entretenu par une promiscuité maternelle, et dont le père n’était pas signifié, l’enfant s’était heurté, « non pas aux barrières de l’inceste, mais à l’insuffisance organique de pouvoir le réaliser ».
Le problème pour lui n’était pas « puis-je le faire ou non ? » ni « y ai-je droit ou non ? », mais : « En suis-je capable ou non ? »
C’était donc pour tenter de maintenir refoulée la blessure narcissique causée par son incapacité qu’il accentuait la situation oedipienne dans son analyse et la jouait dans sa vie.
« Je suis puissant, se disait le patient, le seul obstacle qui m’empêche de me satisfaire est mon père, c’est une force majeure, mais mon intégrité narcissique est préservée ».
La véritable blessure est donc celle d’entendre une petite voix dire, comme le rapporte l’homme aux rats : « Avec le petit, on pourrait bien faire ça, mais Ernst est trop maladroit, il raterait sûrement son coup ».
L’absence de père dans le maternel, l’absence de mise en latence, confrontait cet homme à l’obligation dans laquelle il se trouvait de rejouer en permanence des pseudos situations oedipiennes dans lesquelles il brandissait le père désespérément pour maintenir caché le sentiment de sa petitesse.
J’ai, jusque là impliqué la présence paternelle, les qualités paternelles, dans le maternel, mis en scène principalement par la mère. Je n’ai pas, par ailleurs ignoré la matérialité du père auprès de la mère. Mais j’ai inféré une relation du père à l’enfant de nature indirecte. Si on suppose que le corps du père est absent de la relation primordiale, c’est par la mère que se manifeste sa présence. La manière dont la mère intègre le père de l’enfant et le surmoi en général montre sa façon d’investir l’enfant et en second lieu, induit ce que sera le père pour lui.
Dans la psyché maternelle, le lien de la mère avec son propre père va bien entendu prendre une place essentielle dans le processus.
Les choses tendent à se complexifier avec la présence maintenant beaucoup plus classique du corps du père dés l’origine.
Il y a toujours eu des pères prenant une position maternelle. Cependant il semble qu’on assiste depuis quelques années à un remaniement de la place du corps du père, et cela d’emblée. Ainsi, si le père est celui qui, par son apparition, prive de la mère, il est aussi celui qui offre un plaisir corporel d’une autre nature. Cela signifie qu’il est investi indépendamment de son passage par la psyché de la mère. Dans ces conditions, l’enfant est confronté d’emblée à deux objets virtuellement distincts, par les différentes expériences corporelles qu’il a vécues. Après l’identification au père de la préhistoire personnelle, il n’y aurait non pas une, l’identification à la mère sur le mode de l’oralité, mais deux identifications, la seconde étant l’identification au père réel sur un autre mode pulsionnel.
La question est la suivante et portée à la discussion :
Cette différence perçue par l’enfant d’emblée, indépendamment d’un passage par la psyché de la mère, sans latence, aurait-elle une incidence sur l’organisation du fantasme de scène primitive, préalable au devenir de la conflictualité oedipienne ? Il semblerait qu’il ne s’agisse ni d’oedipe précoce ni de prématurité car la différence des sexes perçue, n’implique pas, à ce stade de relation sexuelle entre eux (que celle-ci soit orale, anale ou génitale). Cette évolution dépendra de la maturation progressive du moi. La question concerne donc la capacité à quitter la perception pour organiser le fantasme de scène originaire. Quitter la perception et donc investir la pensée, en serait l’enjeu.
Le lien se fait avec des patients qui ont les plus grandes difficultés à quitter le perceptif pour recourir à une symbolisation primaire. On peut repérer chez certains une véritable panique sur le divan.
Ne pas perdre l’objet primaire, situé hors de la vue, impliquerait pour l’analyste une présence qui, si elle n’est pas visuelle implique d’autres modes sensoriels comme la voix. Le but d’un tel travail pour ces patients serait de pouvoir organiser une scène primitive fantasmatique et une possibilité de latence.
Je voudrais dire quelques mots pour terminer, du concept de rêverie maternelle empruntée à Bion.
Ce concept est élaboré à partir de patients pour lesquels la fonction paternelle a fait faillite, patients pris dans des angoisses primitives, angoisse de mort, de destruction, de liquéfaction… d’avant le langage et qu’il s’agit de transformer.
La rêverie maternelle, au-delà des apparences, inclut le père à l’intérieur de la mère, tiers psychique symbolisé entre elle et son enfant, qui lui permet de se détacher des angoisses de mort de son enfant, projetées sur elle.
J’ai eu quelques années en analyse Audrey, patiente sur laquelle aucune interprétation n’avait de prise. Peut-être l’avais-je allongée prématurément, influencé par son affirmation que oui, elle avait déjà fait une analyse. Ma parole était systématiquement déniée, violemment rejetée ou ignorée. J’étais par ailleurs frappé de son amabilité souriante et de la tonalité enfantine de son attitude au début et à la fin des séances. Etrangeté de l’ange.
Ses propos ne quittaient pas la perception, dans le sens où elle me relatait par le menu tout ce qu’elle avait vécu entre deux séances.
Dans les premiers temps je me vivais comme mauvais et plein de haine pour elle, allant même jusqu’à souhaiter son départ et redoutant les séances que nous avions ensemble.
Je me sentais tendu et persécuté par elle. Il me fallu du temps pour penser que cette négativité ne s’adressait pas à moi mais à ma parole, au son de ma voix peut-être et au-delà à la fonction interprétative. Mais il me semblait que ce n’était pas même les mots qui lui faisaient horreur, simplement la manifestation de ma présence derrière elle. Je me dis que j’étais une mère prédatrice, dangereuse et que la haine par moi éprouvée était la sienne prise à l’intérieur de moi. C’était comme si la moindre de mes paroles la confrontait à un effondrement, en tous cas à un grand danger.
C’est là qu’intervient la rêverie maternelle de l’analyste, qui renonce à toute interprétation signifiante. Le tiers est cette « capacité négative » à l’intérieur de lui qui lui enjoint de renoncer à toute interprétation signifiante pour entendre, dans un propos anodin ce qui échappe au langage, sans autre boussole que ce qui s’éprouve à l’état brut, sans recourir au savoir analytique. C’est là la signification de la provocation bionnienne du « sans mémoire, sana attente et sans compréhension », qui considère que chaque séance est un commencement et que rien ne doit en être attendu.
Concernant Audrey, je pensais à un champ de bataille, peut-être à un vieux film : Les croix de bois. Quelqu’un déterrait à moitié un mort, peut-être le détroussait-il, il l’emportait sur son dos.
Je dis : « Je porte un mort ». Je retrouvais le roi des aulnes.
Rien ne se dit de plus à cette séance. J’entendis couler des pleurs. Je sentais que nous allions commencer à penser ensemble.
Conférences d’introduction à la psychanalyse, 12 avril 2012