Racine de la vie mentale, le corps en est aussi l’un des modes privilégiés d’expression. Il n’y a pour ainsi dire aucun trouble psychopathologique qui ne mette en jeu le corps. Posture, gestuelle, mimique, parole et comportement sont sollicités différemment selon les conjonctures cliniques. Certes, la dramatisation, la séduction, l’hypersensibilité et l’exubérance affective sont des traits de la personnalité et du comportement hystérique mais ce dont je voudrais traiter aujourd’hui concerne les symptômes physiques de l’hystérie. L’hystérie se distingue en ceci que le corps y est souvent l’espace privilégié de mise en scène des conflits sexuels inconscients et du retour du refoulé. Le corps chez l’hystérique donne à voir et à comprendre ce que tait la parole et ce qui se soustrait à la conscience. L’usage du corps que fait l’hystérique s’étend de façon assez vaste. Si la conversion, depuis Freud, spécifie les manifestations corporelles de l’hystérie, certains symptômes corporels se situent en deçà, du côté de l’aversion, du rejet essentiellement sexuel, d’autres au-delà car ils s’apparentent à des troubles neuro-végétatifs à proximité de perturbations somatiques.
L’hystérie de conversion n’a pas disparu mais emprunte des formes en rapport avec la culture dans laquelle vit le sujet. C’est aussi l’influence des modes, des valeurs et des idéologies dominantes dans une société qui détermine les lieux où la demande et l’expression des manifestations conversives vont se révéler.
Dans notre monde occidental actuel, les manifestations bruyantes décrites jusqu’à la fin du XIXème siècle sont moins fréquentes même si nombre de patients cherchent auprès de divers médecins, en particulier des neurologues et des services de médecine interne un soulagement de leurs troubles conversifs. Les grandes attaques d’hystérie observées à la Salpêtrière au temps de Charcot ne se voient plus. Les paralysies motrices, l’astasie-abasie, les rétrécissements du champ visuel mènent rarement chez l’analyste.
L’hystérie de conversion est langage du corps où, comme l’écrit Augustin Jeanneau l’affect se fait action dans l’innervation. L’hystérique dans la conversion donne à voir et montre plastiquement sa jouissance comme sa souffrance. Cette souffrance pose le problème du plaisir de la souffrance proprement masochiste dans certains cas. Ailleurs, elle serait plutôt liée à l’ignorance et au rejet violent du désir inconscient issu de la sexualité infantile. Enfin, il faut mentionner ici qu’une douleur dépressive est fréquemment sous-jacente.
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Freud en décrivant et en nommant la conversion hystérique, a participé au travail considérable de délimitation entre les troubles organiques et les manifestations de l’hystérie qui fut effectué à la fin du XIXème siècle.
Le mot de conversion qu’il a introduit, signifie qu’en lieu et place d’affects pénibles, car se rattachant à des représentations de nature sexuelle inconciliables avec le moi du sujet, se développe un phénomène d’innervation moteur, sensoriel ou sensitif dans le corps. Il s’agit du corps et non du soma car la fonction atteinte n’obéit pas aux lois anatomiques et qu’elle est choisie en raison de sa signification, reliée associativement au conflit. C’est sur un aspect de la représentation inconciliable que va se condenser l’investissement. La part de la représentation, objet de la condensation, est choisie du fait de sa correspondance associative et signifiante avec la région du corps ou la fonction corporelle susceptible de la représenter. Cette association peut reposer sur un souvenir inconscient, sur une correspondance temporelle entre divers évènements, sur une relation de contiguïté ou encore sur une signification symbolique collective.
Classiquement, le conflit se situe entre une tendance sexuelle refoulée et son interdit, la fonction atteinte exprimant de façon condensée le désir et son interdit.
Freud a complété sa description en invoquant une nécessaire et mystérieuse complaisance somatique (je mentionne ici que les nouvelles traductions donnent le terme de « prévenance somatique »), permettant de rendre compte de l’aptitude d’un organe ou d’une région du corps à modifier son innervation pour devenir le siège de la conversion. Il s’agissait dans son esprit d’une modification fonctionnelle sans lésion organique, mais il a avancé l’idée, parmi un certain nombre de possibilités, de modifications constitutionnelles ou consécutives à une maladie organique. Sandor Ferenczi, de son côté, a évoqué une régression somato-psychique à une unité première, permettant des modifications physiologiques du corps propre, ce qu’il a appelé l’autoplastie. Bien plus tard, Ronald D. Fairbairn a émis l’hypothèse de frayages fonctionnels en rapport avec le mode et la nature des premiers soins corporels donnés par la mère au nourrisson. Cette hypothèse s’accorde bien avec ce que la clinique des conversions nous montre souvent, à savoir une atteinte de fonctions corporelles qui auraient nécessairement dû être précocement l’objet d’une attention maternelle.
L’existence de la complaisance somatique permet le déplacement du conflit psychique dans le corps et un même symptôme, du fait du nombre limité de régions corporelles complaisantes, pourra exprimer différents conflits en même temps, c’est la surdétermination, ou exprimer successivement dans le temps des conflits distincts, comme Freud l’a montré dans le cas de Dora.
Après ce bref examen des conditions somatiques permettant ou facilitant le phénomène de conversion, il convient de se pencher sur les conditions psychiques nécessaires à son effection. Le conflit en jeu implique une tendance sexuelle inscrite dans la problématique œdipienne, refoulée car inconciliable avec le moi du sujet. C’est bien son rejet dans l’inconscient qui permet à l’affect de se libérer pour être innervé et à la représentation d’être soumise aux processus primaires de l’inconscient. Les caractéristiques des processus primaires, circulation énergétique libre, déplacement, condensation, figurabilité, coexistence des contraires, intemporalité, facilitent l’association de cette représentation avec d’autres représentations, en particulier celles de la zone ou fonction corporelle complaisante. Représentations de choses et représentations de mots traitées en processus primaire pourrons s’associer parfois par un seul trait commun, rapprochement formel, assonance, proximité dans une trace mnésique qui réunit le corps, l’objet et la représentation sexuelle, communauté de désir avec un autre sujet, recours à la symbolique collective. Grâce à ce fonctionnement inconscient dynamique, la pensée, le langage comme les souvenirs peuvent se traduire en langage du corps et ce dernier pourra exprimer au travers d’un même symptôme des tendances diverses voire opposées. Un même symptôme par exemple viendra signer l’identification partielle et ponctuelle à un rival ou bien au contraire à l’objet d’amour. Ailleurs, ce sera l’identification par communauté de désir à une personne étrangère ou à un groupe humain. Dans ces derniers cas, on peut songer aux épidémies d’hystérie des siècles passés, qu’il s’agisse de « choréiques » ou de « possédés ».
Ainsi, pour que se réalise une conversion hystérique doivent être réunis :
- le facteur de complaisance somatique ou de prévenance somatique
- la modification de l’innervation traduisant la conversion de l’affect
- La valeur de représentance du symptôme derrière lequel se cachent les représentations inconscientes de désir œdipien et l’interdit.
Le résultat de la conversion est l’atteinte d’une fonction qui, de façon habituelle, n’intervient que de façon marginale ou pas du tout dans la sexualité adulte, alors qu’elle peut tenir une place de premier plan dans la sexualité infantile prégénitale. Ainsi en est-il par exemple de l’appareil oro-digestif, de la vision et de l’audition, de l’appareil loco-moteur. Cette fonction, normalement au service des intérêts du moi dans son rapport à la réalité (l’auto-conservation) se trouve détournée de ses buts, sexualisée. Elle devient l’enjeu déplacé du conflit sexuel où se condense son champ d’expression.
En clinique, ce modèle théorique de la conversion hystérique est souvent très incomplètement retrouvé.
D’une part, il est nécessaire de prendre en compte l’hétérogénéité du fonctionnement mental des patients, la coexistence de mécanismes de défense névrotiques, au premier chef le refoulement, avec d’autres mécanismes plus drastiques tels que le déni et le clivage.
D’autre part, l’évolution des connaissances psychanalytiques nous a permis de mieux appréhender les soubassements du complexe d’Œdipe et le rôle pathogène des perturbations dans les premières relations comme dans l’organisation du narcissisme. La dimension dépressive de la symptomatologie mérite donc d’être prise en compte, incluse ou exclue de l’hystérie selon les auteurs.
Pour ce qui concerne la conversion proprement dite, la clinique nous offre des manifestations que nous pourrions situer sur un gradient selon le degré de mentalisation des conflits. Cela apparaissait déjà en filigrane dans les observations de Freud dans Les études sur l’hystérie où d’un côté la souffrance diffuse, plastique, expressive et érotique de certaines hystériques semblait correspondre à une problématique inconsciente mentalisée plus riche que certains troubles et douleurs plus circonscrits, certes symboliques mais à rapprocher des troubles fonctionnels voire somatiques.
Je vais vous proposer plusieurs vignettes cliniques brèves qui, je l’espère, illustreront le gradient des manifestations corporelles hystériques (depuis l’aversion sexuelle jusqu’aux troubles fonctionnels proches des somatisations) et le mixte d’hystérie et de dépression bien souvent rencontré.
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Une jeune femme, mariée depuis quelques années, consulte pour un « blocage sexuel » avec son mari. Elle ne peut supporter qu’il la touche entre le ventre et les cuisses, dans une région qu’elle montre sans pouvoir la nommer. Les rapports sexuels, quand ils ont lieu, c'est-à-dire très rarement, sont douloureux et source de dégoût. L’hypersensibilité douloureuse du vagin et l’inversion de l’affect viennent signer une symptomatologie hystérique. Le motif de la consultation est la conscience de quelque chose d’anormal par rapport aux valeurs sociales mais c’est aussi sous la pression de son mari qu’elle consulte. Ce dernier vit en effet très mal cette situation. Elle, « elle n’y peut rien » et si le symptôme par son retentissement la gêne, elle n’éprouve aucun conflit, aucune angoisse et vit ses difficultés comme extérieures à elle. « Je voudrais bien mais c’est impossible ». Se glisse là une sorte de « belle indifférence » où, si ce n’était le symptôme, le trouble de la sensibilité et les affects pénibles de dégoût, tout irait bien. Cet aspect du symptôme tendrait à le rapprocher d’une conversion.
Les mots même de la sexualité sont difficilement prononçables et lorsque, après un effort et un certain nombre de séances, elle peut les dire, se peint sur son visage une expression mêlant jouissance et horreur. C’est comme si elle était salie par les mots sexuels eux-mêmes. Le travail de thérapie mettra à jour l’existence de jeux sexuels de l’enfance et son attrait pour le pénis qu’elle répugne à évoquer. Elle évoque le souvenir de sa curiosité sexuelle dans l’enfance, mais apparaîtra aussi une constellation familiale extrêmement difficile et douloureuse. Une fixation incestueuse à un père malade et tyran domine, alors même que la mère peu protectrice et fragile l’a placée en position de principale interlocutrice et partenaire de celui-ci.
Un jour, en séance, comme si de rien n’était et surtout comme s’il n’y avait aucun lien avec son symptôme, elle rapporte un phénomène habituel chez elle. Elle est très myope et porte des lunettes. Dans sa maison, sur une petite table, il y a, encadrée, une photographie de son mariage sur laquelle elle est au bras de son mari. Elle raconte alors que lorsqu’elle enlève ses lunettes, elle « voit » son père avec elle sur la photo. Elle est gênée de cela et s’en offusque même, ça la dégoûte. Des raisons qui semblent indépendantes de sa volonté et surtout liées aux troubles psychiques de son père avec qui elle avait une relation passionnelle jusqu’à ses 17 ou 18 ans, ont conduit à une rupture avec lui au moment de son mariage. Il n’y est pas venu et depuis lors, il n’existe plus de contact entre eux. Le symptôme de dyspareunie et le dégoût sexuel, qui affleuraient avant, se sont brutalement manifestés avec le mariage. Le désir inconscient de relations sexuelles avec le père, refoulé de longue date et combattu, d’autant plus fortement que les liens se sont douloureusement brisés, s’exprime avec son interdit dans la perturbation de la fonction sexuelle. L’association inconsciente du père et du mari scelle le symptôme. La patiente manifeste aussi par son symptôme la perte d’amour qu’elle a subi. Le refoulement apparaît très réussi au sens où il n’y a aucune trace de conflit psychique ni d’angoisse. Le travail analytique mettra en lumière l’importance des fixations orales, le souvenir de fantaisies de l’enfance où transparaît le sens d’un désir oral pour le pénis du père, ce qui n’est pas sans lien avec une quête du sein et la carence dans les soins maternels précoces que l’investissement précoce et massif du père avait tenté de pallier.
Le symptôme en lui-même condense le refus inconscient de la sexualité (Freud avait parlé chez l’hystérique du refoulement du surmoi), l’expression négativée du désir sous forme de dégoût, mais aussi la trace du désir du désir de l’autre car le père à travers ce qu’elle en dit, véhiculait une horreur du féminin et leur relation avait longtemps été dominée par un climat sado-masochiste où s’érotisait le refus, l’opposition, le « non ».
On imagine comment dans le transfert se sont à la fois déployés, la quête maternelle et homosexuelle comme le transfert paternel avec la recherche de l’instauration d’une relation de refus, négative mais aussi la résistance profonde à la mise à jour coupable des désirs sexuels.
Dans ce cas d’hystérie assez pure, la problématique œdipienne avec fixation génitale et orale comme aux objets incestueux était au premier plan, le symptôme incarnant les fantasmes sexuels inconscients refoulés et le rejet de la sexualité. Les séances ont permis de lever l’amnésie infantile comme de dévoiler la sexualité infantile, mais comme souvent, lorsqu’un symptôme est installé depuis un certain temps, elles eurent une action lente et partielle sur lui, d’autant que la dimension masochiste des troubles tenait une place importante.
Ici, le facteur de complaisance somatique est en rapport avec l’érogénéité de la zone génitale dont la sensibilité est modifiée. Mais elle s’étend, comme par diffusion, bien au-delà.
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Dans d’autres cas, une réelle atteinte organique fait le lit de la complaisance somatique. Un autre exemple va vous montrer l’association par concomitance d’une atteinte somatique et du conflit psychique, à l’origine d’une conversion douloureuse et motrice. Ce cas, comme bien d’autres, soulève aussi la question du mixte d’hystérie et de dépression. Ici, la conversion peut être envisagée sous deux perspectives combinées : celle de l’expression d’un conflit sexuel, celle de l’expression de la perte d’amour mais aussi de la perte d’un objet narcissique, incorporé et comme figuré dans le symptôme corporel, une mélancolie limitée dans le moi corporel en quelque sorte.
Une femme, sans doute selon ses dires, très belle dans sa jeunesse, a mené une vie insouciante marquée par de nombreuses histoires sentimentales, dans une sorte de tourbillon séducteur l’empêchant d’éprouver pleinement l’effet d’évènements et de situations traumatiques graves. Épisodiquement, elle a présenté des symptômes à type de lipothymies, de malaises divers dont la durée était brève et qui surgissaient lors de vécus d’impasses affectives dans ses relations amoureuses. Elle n’est pas parvenue à construire de relation stable et se présente dans une dramatisation hystérique de conte de fées tragique comme ayant atteint la maturité, perdu sa beauté, condamnée à rester seule et sans enfants. Des symptômes somatiques, en rapport avec une arthrose cervicale apparaissent. Lors du mariage de son frère aîné auquel elle assiste, elle ressent de plus vives douleurs et ne peut plus porter sa tête. C’est là que débute une symptomatologie conversive étayée sur l’arthrose. Elle souffre, n’a plus de force dans le cou, ce qui l’invalide, la conduit à interrompre son travail et à consulter en vain de nombreux médecins.
Un travail de thérapie fera très lentement disparaître la conversion, en même temps que sera mise à jour, derrière une défense par un transfert amoureux, une fixation amoureuse à son frère, plus âgé qu’elle, qu’elle a toujours admiré et qui se révèlera être l’objet de rêves érotiques nocturnes, sources d’un certain embarras. Le contenu de ses rêves permettait de se représenter la sexualité infantile de la patiente et se rattachait également à des traces de souvenirs.
Mais cette fixation incestueuse la protégeait surtout d’un vécu de dépression intense en rapport avec des séparations précoces d’avec ses parents, en particulier un vécu d’abandon par une mère narcissique et rejetante. Le frère plus âgé, substitut du père dans une configuration familiale singulière, l’avait beaucoup étayée lorsqu’elle était enfant. Mais ce garçon, enfant préféré de la mère, avait été le support déplacé d’une quête d’amour maternel. La fragilité de l’assise identitaire de la patiente ne lui permettait pas d’affronter une rivalité avec son frère, et elle en avait fait, comme sa mère avant elle, son objet d’élection, s’identifiant ainsi au désir de sa mère, son véritable objet.
Le symptôme conjuguait en les condensant les dimensions hystérique et dépressive. La douleur et le fait de ne plus pouvoir porter sa tête exprimaient la dépression et la menace d’effondrement par perte d’objet. Mais cette faiblesse musculaire dans le cou la « décapitait » en quelque sorte, signant le vécu de castration, indiquant le plaisir et le désir phallique de la sexualité infantile et son interdit, comme la perte d’amour.
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J’ai remarqué que dans plusieurs cas d’aphonie hystérique chez des femmes, la perte de la voix correspondait à une blessure objectale et narcissique condensée avec la dévalorisation du féminin, interprété en termes de châtré dans l’opposition inconsciente phallique – châtré de la sexualité infantile. Ces femmes avaient été blessées par une trahison conjugale, ne se sentaient plus aimées. Elles avaient brutalement perdu l’usage de leur voix. L’humeur était dépressive, et ce qu’elles exprimaient par le corps reflétait des pensées négatives sur elles-mêmes. « Je ne peux être entendue, faire valoir mes droits, j’ai perdu ma fonction, ma place ». A la blessure narcissique s’ajoutait le refus du féminin et la demande d’amour par l’exhibition d’une castration déplacée vers le haut, ce déplacement étant favorisé par d’importantes fixations orales. L’aphonie avait également été choisie comme symptôme car la voix, dans l’histoire relationnelle de ces patientes, tenait une place particulière. Ainsi pour l’une d’elles, la rivale à laquelle son mari s’était attaché chantait dans une chorale. L’aphonie, jamais complète, s’exprimait par une voix dont l’intensité et le timbre fluctuaient, tantôt comparable à un soupir douloureux, tantôt à un chuchotement confidentiel porteur de secrets inavouables. Chez l’une des patientes qui avait de fortes fixations homosexuelles, l’aphonie s’associait à d’autres symptômes, réalisant un tableau de conversion complexe. Je mentionne que tous les bilans somatiques avaient été négatifs. Cette femme, encore jeune, souffrait d’une dyspnée. Elle bloquait sa respiration, le tableau imitant un trouble asthmatiforme. Il apparut que cet aspect du symptôme correspondait à une identification à une parente asthmatique, le motif en était une communauté de désirs inconscients avec cette parente. Mais il y avait aussi un autre symptôme, une toux survenant par quintes. Ce symptôme manifestait quant à lui une identification à son grand-père maternel auquel elle avait été très attachée lorsqu’elle était enfant. Ce dernier souffrait d’une affection respiratoire chronique responsable d’une toux semblable à celle de la patiente. Dans ce cas, se trouvait illustrée la nature bisexuelle des identifications hystériques, en même temps que le relais de l’investissement érotique par une identification.
Je vais vous rapporter une séance avec cette femme dans le courant de sa deuxième année d’analyse qui illustre l’aptitude à la conversion comme l’envie du pénis et la dévalorisation du féminin dans l’opposition infantile phallique châtré. La cure avait fait en grande partie rétrocéder le symptôme d’aphonie même si la toux et la dyspnée persistaient.
La patiente débute la séance par la narration d’un rêve où elle fait intrusion chez un de ses collègues, ce qui, par le détour associatif d’une erreur concernant une invitation qu’elle avait cru à tort qu’on lui avait faite, la conduit à l’idée de s’être sentie déplacée. Elle associe alors, à partir d’un intérêt commun avec le protagoniste de l’invitation, sur les peintures pariétales de la préhistoire dont elle a vu des reproductions dans un musée. Elle pense alors à une peinture réalisée par son père sur la porte de la chambre des parents dans leur maison de campagne quand elle était enfant. Sur la peinture, il y avait représenté un troupeau de taureaux au-dessus de quelques personnages. Elle pense à la porte de la chambre des parents et au monde imaginaire de son père. Je lui dis « accéder aux objets du père ? » Après un silence, la patiente dit que le mot objet la fait penser au corps et au sexe de son père, à son intimité, puis très vite, elle me dit qu’elle ressent des « vibrations » dans les mains et dans les jambes, très fortes tout à coup. Elle se demande ce qui se passe. Je lui dis « des manifestations de pensées inconscientes ? » Elle se dit que oui, c’est des « raideurs », une « contraction » dans les mains. Ces mots mêmes lui paraissent ambigus et elle pense à son désir d’avoir un sexe d’homme, son regret de n’être pas un homme. Non en fait elle voudrait les deux, homme et femme. Souvent elle s’habille de façon masculine. Puis elle revient aux objets du père, pense à un placard où il gardait ses objets. Je dis « les mains pour attraper les objets » Oui, elle pense à son ours quand elle était enfant et dit « il me manquait un bras à mon ours ». C’était « une perte irrémédiable, mais c’était comme ça ».
Cette séance, outre la thématique phallique avec la théorie sexuelle infantile de la castration, met aussi en lumière, à travers le symptôme conversif de raideur des mains, l’activation des traces mnésiques inconscientes de la masturbation infantile et de la culpabilité en rapport avec des fantasmes concernant le père.
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La frontière entre conversion hystérique et trouble somatique n’est pas toujours aisée à définir. P. Marty, M. Fain, M. de M’Uzan et C. David, reprenant le célèbre cas de Dora ont montré outre la problématique adolescente de la patiente, la dimension psychosomatique d’une partie de ses symptômes.
En clinique, certains symptômes, en particulier douloureux survenant par crises, correspondent à des troubles fonctionnels neuro-végétatifs ou somatiques derrière lesquels ne se retrouve pas la richesse associative et représentative qui vient attester du conflit objectal et sexuel. Dans ces cas, la blessure narcissique domine ainsi que l’objet investi narcissiquement, la thématique est dominée par l’effraction traumatique, l’atteinte du moi, la perte conjointe d’une zone du moi corporel et de l’objet narcissique indifférenciés.
Freud, dans les Études sur l’hystérie décrit un cas de ce genre, celui de Frau Cecilie M. qui souffre d’algies faciales que l’on peut rapporter à une névralgie du nerf trijumeau ainsi que d’autres douleurs. Il convoque alors l’hypothèse d’une conversion par symbolisation car ces douleurs peuvent dans le cours du traitement être comprises comme l’expression symbolique de scènes où la patiente fut offensée, giflée moralement par son mari, percée du regard par sa grand-mère. Ici, selon Freud, le langage retournerait à ses racines corporelles et la conversion par symbolisation serait la plus typiquement hystérique. Freud montre le lien entre l’offense et l’image d’un « coup reçu en plein visage », ce que le langage du corps traduirait par une névralgie faciale. Mais dans le même cas, il est aussi question de douleurs thoraciques, ressenties comme des « coups au cœur » qui sont reliés à des vécus d’agression. D’autres affronts « impossibles à avaler » détermineraient une gêne pharyngienne à la déglutition. La monotonie de la thématique, la pauvreté associative, la délimitation nette des symptômes conduisent cependant à différencier ces troubles des conversions hystériques mieux mentalisées et où l’objet comme la thématique sexuels tiennent le devant de la scène.
Dans la pratique quotidienne, il n’est pas rare de rencontrer de semblables situations. Dans ces cas, c’est la pensée associative de l’analyste dans sa fonction d’étayage de la mentalisation de l’analysant qui permettra le déploiement d’une activité représentative chez ce dernier. L’enjeu dans ces situations est avant tout celui des premières relations avec l’objet primaire qui furent traumatiques.
Une patiente d’une trentaine d’années souffrait de crises douloureuses thoraciques intercostales sous forme d’un point de douleur exquise qui lui bloquait la respiration et durait de 24 heures à plusieurs jours. L’intensité de la douleur comme son retentissement l’empêchait souvent de sortir de chez elle pendant la crise, incapable de travailler, de dormir ou même de s’alimenter. Aucune cause organique n’avait été décelée à ces crises qui évoluaient depuis l’enfance, c'est-à-dire plus de vingt ans. Les conditions de survenue des crises de douleur étaient toujours les mêmes. La veille de la crise une dispute ou une vive contrariété était arrivée lors d’un échange avec l’un de ses proches, le plus souvent sa mère. Dans ce cas, l’analyse a permis d’inférer à partir de l’analyse du transfert et du contre-transfert de sévères perturbations de la relation maternelle primaire dès les premiers échanges entre l’infans et la mère, à l’origine d’une fragilité des limites du moi corporel. Le symptôme douloureux put être compris à la fois comme la trace de l’effraction par l’objet sur le moi naissant se répétant mais aussi et peut-être surtout comme effet de la répression et du retournement contre soi du mouvement pulsionnel impossible à élaborer. Le rejet de l’objet de par son caractère effractant était à l’origine d’une tentative d’effacement de l’objet dans une dynamique désobjectalisante et d’un retour de son effet douloureux sur une région du corps propre du sujet indifférenciée d’avec lui. Les traces traumatiques inélaborées étaient responsables d’une haine violente de l’objet, inextinguible, réprimée et retournée contre soi. De minimes évènements actuels réactivaient ces traces et conduisaient à une répétition au delà du principe de plaisir d’un conflit primaire sous forme de crises douloureuses. La douleur intercostale réalisait une sorte de source pulsionnelle artificielle où disparaissait moi et objet.
Le travail de la cure analytique permit une liaison signifiante de ce symptôme avec des souvenirs et des fantasmes où les mots piqûre, couteau, ciseaux, coup de poing, se reliaient symboliquement à lui, permettant le déploiement d’une activité représentative et de l’affectivité à partir de l’effraction douloureusement ramassée sur le point thoracique.
Dans ce type de cas, c’est la cure qui fait naître en quelque sorte la dimension expressive du symptôme, facilitant progressivement une conflictualité objectale et sexuelle qui, au départ, est surtout virtuelle et en tout cas inopérante dans l’économie d’un sujet avant tout pris dans une problématique narcissique. Nous sommes là à mon sens aux confins de l’hystérie et des troubles somatiques. Mais il faut rappeler qu’un certain nombre d’auteurs ne distinguent pas franchement les mécanismes des troubles somatiques des mécanismes de la conversion hystérique. On peut penser à l’école de psychosomatique de Chicago avec Franz Alexander mais aussi à des auteurs comme Michaël Balint ou comme en France Jean-Paul Valabrega. A contrario, l’école de psycho-somatique de Paris dont la figure de proue fut P. Marty, oppose les symptômes hystériques caractérisés par leurs mécanismes, leur sens inconscient et l’absence de lésion organique aux symptômes des affections psycho-somatiques qui associent lésion organique et défaut de sens inconscient avec faillite de la mentalisation.
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Les troubles hystériques sont donc envisageables comme recouvrant une palette très étendue de manifestations corporelles. Il me semble qu’il convient d’en restreindre le mécanisme à des modifications fonctionnelles des organes qui ne vont pas jusqu’à l’atteinte organique lésionnelle. Les tableaux eux-mêmes sont extrêmement variés, empêchant une description systématique quelconque. Avec les brèves vignettes cliniques présentées, j’espère avoir pu donner une image de l’éventail de troubles auxquels l’analyste d’aujourd’hui se voit confronté dans sa pratique quotidienne. Elles illustrent le refus de la sexualité et en particulier du féminin chez l’hystérique, la place centrale du refoulement d’une sexualité infantile active dans l’inconscient avec ses fixations orales et phalliques et la multiplicité des identifications partielles et bisexuelles chez l’hystérique. Dans les cas de conversions hystériques, il faut noter la fréquence de la souffrance dépressive et des achoppements dans les premiers liens à la mère comme leur sexualisation oedipienne. Cet ensemble rend compte du double niveau de nombre de problématiques hystériques, archaïque et génital. Mais c’est aussi le motif des difficultés dans un certain nombre de cas pour délimiter certaines hystéries graves de pathologies dites limites.
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Les Anciens rapportaient dans l’antiquité l’hystérie de conversion comme les crises d’hystérie à la migration de l’utérus dans le corps. Je ne vous ai parlé que de cas féminins. Cela veut-il dire qu’il n’existe pas de conversions chez l’homme ? Je ne crois pas. Il m’a été donné d’observer des manifestations conversives chez des hommes hystéro-phobiques. Il s’agissait de troubles discrets quoique invalidants. Je pense au cas d’un homme qui souffrait de crises inexpliquées de faiblesse musculaire symétrique dans les deux jambes s’accompagnant d’un sentiment de malaise. Ces crises duraient plusieurs heures et ont donné lieu à des bilans tous négatifs. Au cours de la consultation, j’appris que ces crises survenaient toujours dans des circonstances particulières qui, assez clairement, s’avéraient être des situations évocatrices de fantasmes sexuels inconscients de nature incestueuse en lien avec la problématique oedipienne. Un autre patient souffrait de curieux états de malaise intérieur difficilement descriptibles. Il y avait des paresthésies, des bourdonnements d’oreille, un abattement et un besoin d’expirer l’air avec force et avec bruit. Il reliait ces malaises qui duraient plusieurs semaines aux changements de temps disait-il. C’était un homme de la campagne, accoutumé dès son plus jeune âge à observer les phénomènes naturels. Outre ces épisodes bizarres, il était agoraphobe, ce qui l’entravait beaucoup dans son quotidien. Dans ces deux cas, la composante anxieuse et phobique était importante ainsi que la dimension dépressive. De façon générale cependant, les troubles des conduites et du comportement sont plus fréquents que les conversions chez les hommes hystériques.
Conférences d’introduction à la psychanalyse, 24 mars 2011