La métaphore de « la source et du puits sans fond » repose sur l’expression de la vie pulsionnelle et sur celle de l’excitation non liable. Le destin de la pulsion, outre la satisfaction et le modèle de la fixation-régression, est largement évoqué dans l’œuvre de Freud mais aussi dans son devenir inachevé, inhibé, refoulé et répété. Quel est le destin de l’excitation ? La voie de la décharge dans le comportement et dans le soma constitue des modalités habituelles et l’approche psychosomatique a beaucoup contribué à la conception économique.
Notre propos s’étayera sur trois points de discussion théorique. Nous vous proposons d’étudier en premier la notion de régression et de dépendance à partir du concept de pulsion et d’excitation. Nous aborderons aussi le concept « du néo-besoin » que M. Fain et D. Brauschweig ont largement évoqué dans « La nuit, le jour » (1975). Dans un deuxième chapitre, l’analyse du narcissisme et la notion de dépendance à l’objet-d’amour retiendra notre intérêt, à partir de l’étude du texte de Freud dans « Pour introduire le narcissisme ». Enfin, il nous a semblé important de reprendre l’analyse de la notion de traumatisme et de la tentative du Moi à faire advenir un affect, puis une représentation mentale, à partir de l’étude des textes de Freud sur la compulsion de répétition. Le non-destin de la pulsion se pose là où précisément la névrose traumatique échoue et que le Moi du sujet est immergé par le trauma.
I - Régression et dépendance
Dans les Trois Essais sur la Théorie de la Sexualité (1905 revu en 1915-1923), Freud a un passage très riche à propos des investissements des zones érogènes et essentiellement celui de la succion à partir de sa conception théorique de l’étayage. Nous le citons « mais bientôt le besoin de répéter la satisfaction sexuelle se séparera du besoin de nutrition… », ceci se situe au moment de l’apparition de la dentition.
Nous sommes dans un processus pulsionnel où la source érogène orale est à son acmé. Et le puits sans fond ! Alors. Un peu plus loin, Freud a une formule elliptique et intuitive selon lui. Il parvient à définir l’accession à l’auto érotisme lorsque le nourrisson suçote ses propres lèvres (s’agirait-il du narcissisme insuffisamment érotique ?) d’où le recours aux lèvres d’une autre personne, il a cette formule « dommage que je ne puisse me donner un baiser » (1905, p.75) pourrait-on lui faire dire.
C’est l’évocation du concept d’auto-érotisme à propos de la succion des lèvres et celui de l’insuffisance de ce même autoérotisme qui amène Freud à ouvrir quasi incidemment une autre question « Tous les enfants ne suçotent pas, il est à supposer que c’est le propre de ceux chez lesquels la sensibilité érogène de la zone labiale est congénitalement fort développée. Si cette sensibilité érogène persiste, l’enfant sera plus tard un amateur de baisers, recherchera les baisers pervers, et devenu homme il sera prédisposé à être buveur et fumeur » (Ibid., p. 75). Mais s’il y a refoulement, il éprouvera le dégoût des aliments et il sera sujet à des vomissements hystériques.
Il est toujours question de la pulsion mais d’une certaine qualité, (à partir de son exemple de la succion) qui ne trouve qu’un exutoire dans la satisfaction, de type pervers, ou répétitive, sans processus représentationnel. Ne peut-on pas alors trouver un pont épistémologique avec le concept de dépendance de la source pulsionnelle et de l’autoérotisme (le buveur, le fumeur) ?
Le processus de dépendance tient à l’exécution de la pulsion, son versant moteur et la difficulté à un autre devenir dans l’appareil psychique ; ceci la réfère plus à un processus d’excitation sexuelle quant à sa dimension hystérique, comme Freud a le souci de le préciser « Mais s’il y a refoulement il éprouvera le dégoût des aliments et sera sujet à des vomissements hystériques ». La chaîne d’innervation libidinale est ainsi rétablie dans le processus hystérique. Lorsque Freud insiste sur l’aspect congénitale de la sensibilité érogène (1905) il est au cœur de la fixation au trama (1905), il l’est encore plus lorsqu’il évoque la prédisposition à être buveur ou fumeur ! Quelle anticipation génitale de la dépendance, addictive du sujet à la source pulsionnelle, intarissable, on retrouve ainsi le puits sans fond. Mais Freud se réfère à la congénitalité, ce que M. Soulé va reprendre en termes de fixations intra-fœtale.
La référence à l’appareil psychique, que Freud fera plus tard à propos du refoulement originaire, enrichit et complexifie la notion de fixation ou de congénitalité.
M. Fain et D. Brauschweig (1975) ont largement inspiré notre précédent propos à travers le concept de « néo-besoin » (« La nuit, le jour »). L’insatisfaction (ou le déplaisir chez Freud) peut faire l’objet d’une liaison grâce au retour du besoin sur une image mnésique qui a été satisfaisante. La trace mnésique s’édifie à partir de la satisfaction maternelle, c’est leur définition du narcissisme primitivement secondaire : « abandonné à lui-même, le sujet ne pourrait que s’épuiser en tentatives vouées à l’échec de trouver des éléments particuliers susceptibles de tracer une voie spécifique de décharge à une excitation excessive », il est inséparable de l’instinct maternel.
Y a t-il un lien avec la notion freudienne de congénitalité ?
Quel lien avec la notion de dépendance qui intéresse notre propos ? Nous le retrouvons à partir de l’expérience d’insatisfaction qui n’a pas de devenir psychique sous forme de trace mnésique mais qui porte néanmoins un quantum d’excitation qui ne cherche qu’à se décharger (dans le comportement ou dans le soma). Mais selon M. Fain et D. Brauschweig, la mère est porteuse d’un double message, celui de l’angoisse de castration et celui de la désexualisation de l’enfant. La mère cherche à réduire l’état de détresse mais elle reste néanmoins « femelle » (sic).
Ils évoquent ainsi la toxicomanie au tabac : « le tabac est à la source d’une toxicomanie qui n’altère qu’un soma personnel tout en favorisant la vie sociale ». Pour ces auteurs, « on parle d’érotisme oral » à propos de cette toxicomanie, il s’agirait alors d’une espèce de perversion à la fonction respiratoire, fumer, répète en fait, à travers un besoin crée de toutes pièces, une expérience de satisfaction et ne suit pas le traçage spécifique de la voie érotique (zone orale) (Ibid., p. 263). La notion de dépendance apparaît au grand jour chez M. Fain et D. Brauschweig, ils le situent au niveau du narcissisme primitivement secondaire en liaison à l’instinct maternel et ils donnent l’exemple des besoins vitaux qui impliquent la dépendance à l’objet réel, amour, animal ou inanimé (chose substance). Ils estiment, à partir de la prégénitalité, que les pulsions partielles sont des néo-besoins et qu’ils ne concernent pas à proprement parler des mouvements érotiques.
Pour la définition du néo-besoin (p. 264), ils donnent l’exemple du sein : la mère interprète tout déplaisir comme une carence du sein (exemple : otites douloureuses) et le vœu d’apaisement (cf. mère calmante de l’excitation) est au premier plan.
Quel est ce néo-besoin ? Il hérite de cette expérience de déplaisir. Le néo-besoin consiste alors dans le fait de placer une sucette de façon continue avec le message maternel : « tu pourras le faire plus tard… » (confiserie, tabac), ce qui deviendra la dépendance à l’objet. En réalité, il s’agit plus simplement du court-circuit de l’investissement érotique (la fonction hallucinatoire, le masochisme érogène primaire, la satisfaction du désir…) avec la mise en place du néo-besoin en lieu et place de la carence et de la promesse ultérieure. L’attente différée de la satisfaction puis la satisfaction elle-même, sont envahies par la nécessaire mise en place du néo-besoin, qui suit le traçage non pas mnésique mais excitatoire de la pulsion, dans un registre quasi traumatique.
Les néo-besoins (manger, obésité, tabac, fumer…boire…) sont des tentatives de satisfaction érotique, elles utilisent la zone érogène orale, mais elles ne débouchent pas sur une satisfaction. Elles rappellent le message maternel, et, elles ancrent l’objet mère comme un modèle indispensable, non pas de la satisfaction pulsionnelle, mais de la promesse de la satisfaction pulsionnelle, la jouissance est toujours plus tard (deuxième temps de la sexualité).
Ne retrouvons-nous pas la formule de Freud, « dommage que je ne puisse pas sucer mes lèvres », qu’il situe au niveau auto-érotique ? Mais les addictions (obésité, alcoolisme, tabac) peuvent constituer autant de modalités liées à des néo-besoins, c’est à dire à un processus de désexualisation avec une recherche de suppression de toute excitation. Le néo-besoin (cf. l’automatisme de répétition…le traumatisme…) comme toute expérience d’insatisfaction est vouée à la répétition et il est à l’origine de bon nombre de comportement. C’est l’exemple du maintien abusif du nourrisson au sein empêchant la latence et l’auto érotisme. Les traces mnésiques ne sont pas réactivées lors de la mise en place des néo-besoins (la satisfaction érotique).
II - Narcissisme et amour de l’objet
Le deuxième point concerne l’approche du narcissisme et l’amour de l’objet.
C’est dans « Pour introduire le narcissisme » (1915) que Freud va fonder l’existence de la dualité pulsionnelle : pulsions du Moi et pulsions sexuelles à partir de l’étude des névroses de transfert. L’objet d’étude du narcissisme va, entre autres, reposer sur l’étude de la maladie organique, l’hypocondrie et la vie amoureuse des deux sexes.
C’est à propos de l’étude sur l’hypocondrie que Freud évoque la qualité d’érogénéité de tout organe et non pas seulement à propos des zones érogènes : «c’est une activité qui consiste à envoyer dans la vie psychique des excitations qui l’excitent sexuellement…nous pouvons nous décider à tenir l’érogénéité pour une propriété générale de tous les organes… » (Freud, 1915).
Freud décrit plus loin le phénomène de stase de la libido (ou fixation) : « De plus, c’est une idée qui nous est déjà familière que le mécanisme d’entrée dans la maladie et la formation de symptôme dans les névroses de transfert, le progrès de l’introversion à la régression est lié à une stase de la libido… » (Ibid., p. 91).
Mais la stase de libido dans le Moi est ressentie comme déplaisante avec la contrainte, dit Freud, de sortir des frontières du narcissisme et de placer la libido sur les objets : « un solide égoïsme préserve de la maladie, mais à la fin l’on doit se mettre à aimer pour ne pas tomber malade et l’on doit tomber malade lorsqu’on ne peut aimer par suite de frustrations (refus de la satisfaction d’une revendication pulsionnelle) (Ibid., p. 91).
Freud aborde la vie amoureuse des êtres humains en insistant sur la pulsion sexuelle (Ibid., p. 93), qui s’étaye d’abord sur la satisfaction des pulsions du Moi, dont elle ne se rendent indépendantes que plus tard, la mère ou son substitut est ainsi le premier objet sexuel. Il rajoute, « des personnes comme les pervers et les homosexuels ne choisissent pas leur objet d’amour ultérieur sur le modèle de la mère mais sur celui de leur personne propre…ils se cherchent eux-mêmes comme objet d’amour, choix d’objet narcissique » (Ibid., p. 93).
Pour Freud, c’est le plus puissant motif qui vous contraint à l’hypothèse du narcissisme. Le développement de l’étude sur le narcissisme conduit Freud à définir l’Idéal du Moi qui est « le substitut du narcissisme perdu de son enfance, en ce temps-là il était son propre idéal » (Ibid., p.98). Freud a alors l’intuition géniale de trouver une « instance psychique particulière qui accomplit la tâche de veiller à ce que soit assurée la satisfaction narcissique provenant de l’Idéal du Moi actuel et la mesure à l’idéal » (Ibid., p. 99). Il la nomme « conscience morale » et elle émane de l’influence critique des parents, puis plus tard de la critique de la société.
Enfin, Freud va définir la libido narcissique dont dépendent l’estime de soi (dans les paraphrénies) et la libido d’objet (qui domine dans les névroses de transfert avec une baisse de l’estime de soi). « La dépendance par rapport à l’objet (d’amour) aimé a pour effet d’abaisser le sentiment d’estime de soi […] l’amoureux est humble et soumis… ». L’appauvrissement du Moi résulte du fait que les investissements libidinaux (d’objet) extraordinairement grands sont retirés du Moi (Ibid., p. 102).
Freud lie « le sentiment d’estime de soi avec l’érotisme, les investissements libidinaux d’objet » et ce n’est que le refoulement de la libido (Ibid., p.103), tout investissement d’amour qui amoindri le moi, la satisfaction amoureuse est impossible. À la fin de son exposé, Freud a cette formule intéressante pour notre sujet à propos du névrosé – qui a des investissements d’objets excessifs et qui s’appauvrit dans le Moi – qui est hors d’état d’accomplir son Idéal du Moi. Sa propre guérison réside dans le choix d’un Idéal sexuel portant des perspectives qu’il ne peut atteindre…il décrit ainsi « une dépendance accablante envers ce sauveur… » (Ibid., p.105).
III - Dépendance et compulsion de répétition
Le troisième point de discussion théorique est repris dans l’étude des Essais de Psychanalyse (Freud, 1920), lorsque Freud met en place sa deuxième théorie des pulsions et les instances psychiques du Moi, de la psyché et du Surmoi. Il ne s’agit pas de faire une exégèse freudienne et encore moins une maïeutique, mais Freud ouvre constamment des voies nouvelles. Encore une fois, son travail va beaucoup contribuer à élaborer notre point de vue sur la régression et la dépendance ou pour reprendre notre métaphore de la source et du puits sans fond.
Cette fois-ci, le concept de compulsion à la répétition va étayer notre propos au moment où la dualité pulsionnelle, pulsions de vie/ pulsions de mort est mise à jour. La compulsion à la répétition est un concept issu de l’analyse des mécanismes de défense du Moi contre les excitations extérieures et l’échec de ceux-ci. Cette tendance à la répétition est largement commentée à partir de la clinique de la névrose traumatique.
C’est la métaphore de la boule protoplasmique où la couche corticale amortie l’excitation, d’origine externe, et permet à une partie de l’énergie d’atteindre les couches les plus profondes. En annexe de notre sujet, Freud décrit le mouvement des excitations internes, qui perturbent le Moi (principe plaisir, déplaisir), et qui utilise le même système de protection « comme si elles étaient extérieures » ; c’est l’explication de la projection. Freud avance dans la définition de ces excitations - qui rompent la barrière de protection- et qu’il appelle traumatiques. Le principe de plaisir est ainsi lui-même attaqué du fait de l’envahissement de l’appareil psychique. Dès lors, l’organisme va essayer d’immobiliser ces excitations puis les décharger.
Les rêves du névrosé traumatique ne correspondent pas au but du rêveur névrosé, c’est à dire à la satisfaction hallucinatoire du désir, ils ont pour but de faire naître chez le sujet un état d’angoisse (Freud parle de signal alarme face aux dangers) qui lui permette d’échapper à l’emprise de l’excitation qu’il a subie et dont l’absence a été la cause de la névrose traumatique. L’automatisme de répétition, le « for da » est une tentative de maîtrise d’une situation liée à l’angoisse (de séparation précoce de la mère) et cette tentative de reproduction est aussi au service du principe de plaisir. Dans la névrose traumatique, la répétition du trauma s’impose au Moi, qui va toujours tenter d’en rechercher l’angoisse, pour pouvoir mieux s’en protéger secondairement.
Dans « Inhibition, Symptôme et Angoisse » (1926), Freud va développer l’hypothèse selon laquelle la compulsion de répétition est le type même de « résistance » propre à l’inconscient. L’étude de la névrose traumatique met en échec tout processus régressif pour s’aligner sur une recherche constante d’annulation de l’excitation à priori traumatique et secondairement traumatique, voire même dans la névrose actuelle (l’hypocondrie également).
Ce long exposé introductif ne doit pas nous éloigner de notre sujet sur la métaphore de la source et du puits sans fond.
La source, certes pulsionnelle, par contre, est caractérisée par sa mobilité qui définit aussi la capacité régressive du Moi. Le puits sans fond concerne essentiellement un état d’inassouvissement du Moi, non seulement par l’excès de charge d’excitation pulsionnelle (interne ou externe), mais par la faiblesse de l’appareil psychique. Il y aurait ainsi, un état traumatique chronique d’incapacité à assumer un principe de constance, et un état de décharge par excès d’excitation et par défaut de l’appareil psychique.
Nous allons ainsi détailler ces quelques considérations en recourant aux concepts freudiens de régression et de fixation, de compulsion et de répétition – mais aussi à la capacité objectalisante du Moi.
La régression et la fixation ne peuvent se concevoir sans la notion d’investissement libidinal, objectal ou narcissique, elles (régression, fixation) constituent une des bases structurales de l’appareil psychique et une conception fondamentale de la psychonévrose. Néanmoins, leur destin est marqué par les différents avatars défensifs du Moi et par les processus d’inhibition. Nous retiendrons pour l’exemple, l’inhibition de la pulsion quant à son but, qui vient en amont des processus régressifs. Le mouvement pulsionnel, dans le système régression-fixation préserve toujours l’objet-source de la pulsion et il aménage constamment un principe de plaisir pour le Moi qui fonctionne selon le principe plaisir-déplaisir.
D’autres systèmes économiques du Moi doivent être d’emblée précisés, en particulier, le processus masochique érogène primaire, qui fixe en grande partie le Moi dans sa capacité à assumer le manque la frustration. En parallèle, le processus hallucinatoire, (à travers le concept de satisfaction hallucinatoire du plaisir) permet également au Moi de fonctionner dans une modalité du principe de plaisir / déplaisir, parfois en amont des processus régressifs / fixation.
On notera néanmoins que la fonction onirique implique ipso facto une régression formelle, M. Fain, D. Brauschweig ont même évoqué dans « La nuit, le jour » la capacité de satisfaction hallucinatoire primaire…).
La compulsion à la répétition s’exprime lorsque le but de la pulsion n’est pas satisfait mais également dans le but de répéter une situation d’angoisse pour permettre au Moi de mieux lutter contre l’élément traumatique. On l’a vu précédemment à propos du concept de fixation au trauma et de l’incapacité du Moi à organiser un système de liaison lorsqu’il est envahi par le perceptif. Une partie du Moi est alors dépendante, au plan économique et structural de cette effraction excitante. Les barrières pare-excitantes deviennent les seules défenses du Moi pour se préserver d’une éventuelle destruction. Le destin pulsionnel du Moi n’est alors plus régi par un système de régression fixation qu’il soit édifié ou non. Le Moi rentre dans un autre système régi par les processus d’excitation au sens large du terme, avec une nette référence à la notion de fixation au trauma, expression à entendre comme une dépendance du Moi à l’égard du monde extérieur et intérieur.
L’expression « puits sans fond » prend tout son sens métaphorique puisque tous les processus représentationnels, symboliques et fantasmatiques sont marqués par un court-circuit avec un frayage direct du pôle excitatoire (ou moteur) de la pulsion, directement dans la vie consciente. Par ailleurs, le « puits sans fond » constitue un état de dépendance du Moi, face à toute excitation avec une nécessité d’organiser un système d’écoulement dans la décharge, comportementale ou dans le soma. Si la source pulsionnelle s’étaye sur le corps, toute l’excitation (interne, externe) ne peut se comprendre sans un processus de liaison primaire. Le ça-Moi indifférencié du nourrisson reçoit ainsi sa qualification pulsionnelle à partir des projections maternelles et des premières expériences de satisfaction.
L’objet mère est une partie du Moi du bébé et la conception du narcissisme primitivement secondaire de M. Fain et D. Brauschweig est pertinente : « le bébé ne s’organise qu’à partir de l’investissement maternel, le narcissisme primaire du bébé s’édifie à partir du cadre parental, maternel et paternel avec toute la complexité des investissements maternels » (cf. censure de l’amante). L’état de dépendance du nourrisson à l’égard de l’objet mère est alors en relation avec la problématique maternelle et nous devons tenir compte de la qualification pulsionnelle de la mère. Lorsque Freud écrit dans les Trois Essais sur la sexualité infantile, à propos de l’auto-érotisme « dommage que je ne puisse pas sucer mes lèvres… », il nomme la primauté de l’objet – mère – étayée sur la fonction alimentaire.
On pourrait ainsi rajouter « heureusement » au lieu de « dommage », mais le dommage signe un autre processus : celui de masochisme érogène primaire, c’est notre hypothèse qui permet de développer l’auto-érotisme qui est alors secondaire. L’étude du néo-besoin a beaucoup contribué à approfondir notre conception du lien entre objet-pulsion-excitation.
En guise de conclusion
L’étude freudienne de l’excitation (du congénital) et de la pulsion nous ont amené à faire le lien entre la pulsion et la dépendance à l’objet (la mère) indispensable pour l’édification des auto- érotismes mais aussi nécessaire au travail de la représentation du manque (la satisfaction hallucinatoire du désir), le masochisme érogène primaire avec un vrai travail de mise en latence, et de retenue.
Les trois concepts chers à M. Fain et D. Brauschweig sont largement compris dans les termes de dépendance et de néo-besoins. Ils portent sur le message maternel « tu le feras seul quand tu seras grand » ; en attendant c’est l’acte de fumer/boire/manger, par exemple, qui renforce le manque de la satisfaction et de l’auto-érotisme en rendant le sujet dépendant de l’excitation du néo-besoin. Or, la source pulsionnelle avec la trace mnésique – la mère et son message de castration de l’enfant, la censure de l’amante, l’angoisse de castration du père, la satisfaction du désir – est largement organisée au plan des auto-érotismes et de l’édificateur de l’appareil psychique.
Le « puits sans fond » avec la dépendance à l’objet mais surtout avec la notion de néo-besoin, reflète entièrement le processus (de l’addiction à l’agent calmant de l’excitation) chaque fois que la mère n’a pas pu qualifier érotiquement la source du plaisir. Elle nomme la retenue et le message, « tu le feras quand tu seras plus grand », mais elle ne procure pas les conditions de la satisfaction de la source pulsionnelle, d’où la nécessité de répéter chaque fois la source d’excitation (fumer, boire, manger) qui mènerait à l’autoérotisme mais qui s’arrête à la porte de la satisfaction du désir en ravivant l’excitation sans l’apaisement liée à cette satisfaction.
La conception de l’économie psychosomatique du Moi s’étaye ainsi sur la nécessité de l’étayage maternel primaire et de l’objectalisation précoce de la source pulsionnelle, dans un premier temps définie par Freud et très enrichie par A. Green, et de la désexualisation dans un deuxième temps édifiée par le Moi du sujet par un travail de son appareil psychique.
Conférences d’introduction
à la psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent
8 décembre 2004
Références
Braunschweig-Damay D., Fain M., (1975). La nuit, le jour : essai psychanalytique sur le fonctionnement mental. Paris, 1975, 302 p.
Freud. S. (1913-1914) Pour introduire le narcissisme. In : Œuvres complètes, tome 12, trad. J. Laplanche. Paris, Presses Universitaires de France 2005, pp. 213-245.