Traitement de noyaux fétichiques, autistiques, ou autocalmants
Je vais vous parler de l’addiction comme un analyste peut la rencontrer dans son cabinet, en espérant que cela intéressera aussi ceux qui travaillent en institution. S’il ne traite pas des cas d’addiction aussi aigus, le psychanalyste a l’avantage de disposer du temps d’étudier la situation de ces patients en profondeur, tant du point de vue de la structure psychopathologique que des mécanismes en jeu et des causes. La durée de la prise en charge, bien au-delà de l’addiction elle-même, permet ainsi d’affiner le développement théorique et la stratégie technique.
Ceux de ma génération, après avoir connu les toxicomanies, ont préféré, à la suite de Joyce McDougall, le mot d’addiction. Je pense que c’est parce qu’il est plus général, moins centré sur le produit toxique lui-même, et qu’il prend davantage en compte le comportement du sujet. Le mot d’addiction peut ainsi s’appliquer aux pratiques sexuelles, à la boulimie d’achats ou de nourriture, à l’alcoolisme, au goût du risque et à la passion du jeu, au tabagisme comme à la drogue proprement dite. Il dit bien, à mon avis, la façon qu’a un sujet de « s’adonner », de se donner corps et âme au diable — à la pulsion de mort, dirait-on aujourd’hui — soit l’aliénation du sujet à un objet dont la qualité propre le cède au fait même de se donner, sans savoir le faire, ni à qui (à quel saint se vouer, comme on dit).
Mais avec ce mot général, on perd en précision, et on risque de s’égarer dans un catalogue dont le DSM 4 nous a donné l’habitude en psychiatrie, mais que les psychanalystes récusent à cause de son mode anhistorique, et de son idéologie addictive — un symptôme, un médicament, une toxicomanie, pourrait-on dire pour ironiser. Je vais donc reprendre pour vous les trois paramètres de mon titre.
1. Noyaux fétichiques ou échecs de l’aire transitionnelle
L’aspect fourre-tout du mot, l’impression d’un manque de définition métapsychologique, viennent du fait que Freud n’a guère abordé la question des toxicomanies ou des addictions. Ce n’est pas dû seulement à son époque, car l’alcoolisme était déjà un fléau social au XIXe et au début du XXe siècles. Certes, notre époque a cultivé les addictions, mais le phénomène existe depuis la nuit des temps. Cela nous incite à poser une question supplémentaire : quel lien y a-t-il entre la consommation addictive et les idéologies sociales, au-delà de la simple pathologie individuelle ? Nous verrons qu’il y a des rapports entre l’addiction, la mortification de l’objet transitionnel et le non-humain : faut-il voir dans la multiplication des conduites addictives une réaction à la perte du lien aux objets vivants, à la nature humaine et à ses émotions, à la dissolution du cadre familial et de la relation mère-enfant traditionnelle ?
On a attribué le peu d’attention porté par Freud aux toxicomanies et à l’alcoolisme à ses rapports ambigus avec la cocaïne au début de sa carrière : il en conseilla l’usage à son ami Fleisch, qui devint toxicomane, et se le reprocha. Sans doute y avait-il aussi son tabagisme, dont il mourra. Mais Freud n’a pas non plus beaucoup remis en cause la relation primaire mère-enfant — et on peut y voir un lien tout aussi fort avec la négligence de l’addiction dans sa théorie.
Pour être juste, il a tout de même donné des éléments précieux pour notre compréhension, des éléments jetés négligemment ça et là dans sa correspondance ou au détour de ses écrits. Il a ainsi suggéré que la libido pouvait avoir des effets toxiques quand elle n’était pas liée psychiquement par des fantasmes, et que la masturbation était la première des addictions. Ferenczi a prolongé cela avec son idée de formes d’onanisme larvé, sans fantasmes, associés aux névroses de caractère ou proches de la psychose.
L’idée de comportements auto-érotiques sans représentations associées, a permis tout le développement que l’on sait sur les comportements autocalmants par les psychosomaticiens, ou encore ce qui a été décrit par Frances Tustin sous le terme d’autosensualité ou d’autoérotisme primaire, spécifique des fonctionnements autistiques.
Mais Freud a aussi élaboré la notion de clivage du moi, et la fonction du déni comme défense plus mutilante que le refoulement, face au traumatisme narcissique que constitue pour certains sujets la menace de castration, ou la perte d’un objet très investi. Ainsi, dans son article sur Le fétichisme (1927) Freud dit que le fétichiste, face à la perception du manque de pénis chez la femme, peut s’accrocher à des perceptions voisine du « gouffre » qu’il entrevoit — les jambes, les sous-vêtements — pour à la fois accepter intellectuellement la différence des sexes, et la refuser affectivement ; il opère un déni qui entraîne un clivage du moi. Il évoque aussi l’idée que le même type de déni peut se produire face à la mort d’une personne proche. D’une certaine façon, il situe le fétichisme et le déni «entre névrose et psychose» (titre de deux articles contemporains du « fétichisme »).
J’ai moi-même travaillé sur l’hallucination négative, notion freudienne très proche du déni et du clivage, en tentant de montrer qu’il s’agit d’un mécanisme d’urgence, face à un vécu traumatique. Pour pouvoir durer, cette défense primaire, trop coûteuse en énergie doit être soutenue par un des trois types de mécanismes suivants :
- un déni par investissement latéral d’un objet concret, qui devient de ce fait un fétiche ;
- un appoint toxique simulant le mécanisme du déni, une toxicomanie ;
- une fuite motrice qui peut conduire à un épuisement dépressif ou psychosomatique.
Mais c’est Winnicott qui m’a vraiment donné les clés pour comprendre l’addiction, avec sa notion de phénomènes transitionnels. Dans sa formulation la plus aboutie : « Objets transitionnels et phénomènes transitionnels » dans son livre Jeu et réalité (1971), il a défini l’objet transitionnel de façon délibérément complexe, ce qui a souvent été oublié par la suite, dans la vision simpliste, quasi addictive qu’on s’est faite de l’objet transitionnel.
Il voit dans l’attachement de l’enfant à ce type d’objets la partie mortifiée d’un processus de symbolisation qui parcourt toute une gamme de phénomènes : de l’objet qui permet de se rassurer en l’absence de la mère (et qui est à la fois l’enfant lui-même et sa mère, un symbole et un objet concret), jusqu’à une série de phénomènes transitionnels, de comportements, qui occupent l’aire intermédiaire entre réalité psychique et réalité extérieure. Ces phénomènes sont : la création artistique (dont on sait la coexistence fréquente avec les addictions), le jeu, les croyances religieuses, le vol et le mensonge, la toxicomanie, le fétichisme et les rituels obsessionnels. Parmi les phénomènes transitionnels, il faut donc distinguer ceux qui sont au service de la sublimation, et ceux qui témoignent d’un échec du processus de symbolisation. La toxicomanie est citée parmi les échecs de l’évolution, un dégagement de l’aspect concret et ambigu de l’objet transitionnel : une sorte de ratage fétichique, au service du déni de la séparation.
Dans le même texte, Winnicott poursuit en précisant que « le petit enfant peut employer des objets transitionnels quand l’objet interne est vivant, suffisamment bon (pas trop persécuteur). Si celui-ci présente une carence relative à une fonction essentielle, cette carence conduit à une mort ou à une qualité persécutive de l’objet interne. Si l’objet externe persiste à être inadéquat, alors l’objet transitionnel se trouve lui-aussi dépourvu de toute signification »< Et plus loin, il ajoute : « Quand la mère est absente pendant une période qui dépasse une certaine limite… le souvenir de la représentation de l’objet interne s’efface et l’objet transitionnel est dans le même temps désinvesti, perdant sa signification. Juste avant que la perte soit ressentie, on peut discerner, dans l’utilisation excessive de l’objet transitionnel, le déni de la crainte que cet objet perde sa signification. » Ce passage met bien en évidence le noyau de fixation qui induira plus tard une addiction à un objet mortifié, un comportement ou un toxique.
Tout juste après, Winnicott donne l’exemple très démonstratif de l’enfant à la ficelle, un petit garçon qui avait paré aux absences de sa mère dépressive pendant sa petite enfance par l’utilisation de cet objet transitionnel atypique, qui à la fois représentait sa mère et lui-même, et avait pour fonction de dénier la séparation. Il eut plus tard des peluches, dont il interdisait de dire qu’elles n’étaient pas réellement ses enfants. Dans son rôle de déni de la séparation, la ficelle était une «chose en soi», dit Winnicott, dotée d’une fonction fétichique qui faisait craindre le développement d’une perversion, au lieu du processus transitoire que constitue normalement l’objet transitionnel. Or, c’est justement de l’objet fétichique de Wulff que Winnicott avait tenté de dégager l’idée d’un objet transitionnel, ce qui montre la proximité entre les deux, lorsque l’objet, au lieu d’être transitoire, se fixe et se met au service d’un déni.
Winnicott nous apprend que l’évolution de l’enfant à la ficelle fut mauvaise, car il habitait loin, et ne pouvait être séparé de sa mère pour entreprendre une psychothérapie. « À l’adolescence, dit-il, il chercha de nouvelles addictions, particulièrement à la drogue. » Ce texte est le pendant exact du jeu de l’enfant à la bobine de Freud dans l’Au-delà du principe de plaisir. Mais l’enfant à la ficelle illustre davantage que ce dernier la compulsion de répétition traumatique et mortifère.
En résumé, d’après cette conception, une caractéristique propre à tous les cas d’addiction serait de reposer sur un raté du processus de symbolisation, une fixation aux aspects non-vivants de l’aire transitionnelle, renvoyant à un problème de séparation avec la mère non surmonté psychiquement en raison d’une défaillance du cadre familial. La mère créatrice d’illusion, dont naît l’objet transitionnel comme illusion de coïncidence entre réalité intérieure et réalité extérieure, et illusion d’indépendance, n’a pu remplir son rôle tout aussi essentiel dans la désillusion qui doit succéder à l’illusion première. L’addiction commence alors dans l’après-coup de la puberté, alors que l’excitation libidinale en excès, non liée psychiquement, fait sentir son effet toxique sur l’appareil psychique, comme le dit Freud. C'est à ce moment qu’il est fait appel à un équivalent des objets transitionnels d’avant la puberté : le comportement addictif impliquant souvent un aspect inerte, non-vivant, qui témoigne de la tentative de lier l’excitation par un retour au calme artificiel.
Ce que Winnicott n’évoque pas, même s’il y viendra dans la seconde partie de son œuvre, c’est que la relation de la mère au père est ici en jeu : une mère psychiquement morte, une mère dépressive, ou une mère dont la relation au père n’est pas vivante, ne peut préparer son enfant à la séparation. L’objet transitionnel perd alors sa signification, par déprivation paternelle tout autant que par absence psychique de la mère, ce que Winnicott envisagera en pointant dans plusieurs articles le rôle de la carence paternelle dans les comportements délinquants (vol, mensonge, toxicomanie…), ce que j’ai pu pointer dans mon travail « Le père chez Winnicott est-il suffisamment bon ? » (2004)
Pour vous détendre après ces développements théoriques, je vous raconterai un film qui illustre bien la problématique typique de l’addiction. Il s’agit du film Sideways d’Alexander Payne. Deux trentenaires font un voyage, une semaine avant le mariage de l’un des deux, dans le vignoble de Californie. Cela tient de la virée d’adolescent et de l’enterrement de vie de garçon. Miles est écrivain, alcoolique depuis le départ de sa femme, avec qui il partageait une passion sublimée pour l’œnologie, et qu’il ne parvient pas à oublier. Dégoûté de l’amour, la libido à zéro, il est dithyrambique sur le pinot rouge, qui demande une attention constante et un soin extrême pour parvenir à maturité. Le film débute d’ailleurs par une scène où l’on voit Miles amener son ami chez sa mère, et lui voler de l’argent en douce, dans un tiroir plein de sous-vêtements rouges, pendant qu’elle discute, ravie, avec son ami, qui est acteur. Cette scène est évocatrice d’une carence paternelle et d’une mère mortifiée, déprimée, qui n’a pour amants que des acteurs imaginaires, ce qui ne laisse d’autre issue à son fils que l’addiction, ou le vol.
Son ami Jack est donc un acteur-séducteur, addicté au sexe, qui ne songe qu’à s’envoyer en l’air pour enterrer sa vie de garçon, et qui révélera pour finir une soumission enfantine à sa future épouse, dont le père doit l’embaucher. Pendant sa virée avec Miles, il trouve évidemment une femme seule à qui il fait croire qu’il est amoureux, et à qui il joue l’homme idéal jusqu’à offrir à sa petite fille un énorme ours en peluche, symbole de la façon dont il considère les femmes. Celles-ci ne sont finalement que des objets transitionnels pour le grand enfant qu’il est resté, l’incident de la peluche révélant la perversion de l’aire transitionnelle dont il souffre. Le sexe est pour lui une addiction, un comportement auto-calmant, qui finit en scènes de violence avec celles qu’il a bernées.
Chaque héros aide l’autre, en tentant de lui apporter ce qu’il tente de fuir, le tiers qui déjoue l’addiction, et réanime le fantasme. Ainsi, Miles l’alcoolique fait la morale à son ami, et est à l’origine de la découverte de sa tromperie par sa victime ; il sera aussi l’agent de son retour à sa promise. Jack le séducteur parvient, à force de faire assister Miles malgré lui à ses ébats sexuels, à le pousser dans les bras d’une nouvelle amie, et lui fait retrouver le goût de l’amour. Il joue les entremetteurs, et le détourne ainsi du vin. Ainsi, le film entier ressemble à une psychothérapie où chaque ami joue pour l’autre le rôle de l’analyste, et fait l’objet d’un transfert paternel.
La jeune femme que rencontre Miles joue aussi un rôle dans sa restauration, en lui tenant de très beaux discours sur le vin qui est un être vivant, qui parle de tous les gens qui l’ont cultivé. Ceci fait comprendre que l’objet transitionnel de Miles, qui lui ouvrait l’aire transitionnelle de la culture et de la sublimation jusqu’à son abandon par sa première épouse-mère, avait régressé ensuite au statut d’objet mortifié, devenu non-vivant, tandis que sa conduite passait de l’œnologie à l’alcoolisme.
J’ai pu rencontrer un Miles qui avait une histoire semblable, et pour qui le traitement analytique fut difficile, car en plus de son alcoolisme, il sortait de prison et avait des conduites à risques au volant – conducteur de travaux, il conduisait en état d’ivresse — et rendait services à d’anciens détenus. Son évolution a été proche de celle du héros du film. Enfant, il avait été très fixé à sa mère, qu’il n’avait connu que dépressive, délaissée par son père routier et alcoolique. Elle s’était mise à boire elle-aussi, et eut un lien incestueux avec lui vers ses dix-douze ans, le faisant coucher dans son lit quand elle avait bu, avant qu’il ne s’y refuse. Juste après, il eut un rapport incestueux avec sa soeur.
L’alcoolisme de Miles avait débuté tôt, mais s’était aggravé après une rupture avec une amie plus âgée qui l’avait aidé à se détacher de sa mère et à suivre une formation. Dans l’analyse, je fus rapidement le père qui lui interdisait de rechuter, et le mettait en garde contre sa tentation de retourner vivre avec son ancienne amie (qui ne le voulait plus), ou d’autres de l’âge de sa mère. Il avait une fixation particulière à des éléments concrets ; parmi ses conduites à risques, il subtilisait ainsi des caisses de ciment dont il n’avait rien à faire, même s’il rêvait vaguement de construire un mur dans son jardin. Je pensais à L’enfant à la ficelle de Winnicott, et au mur d’alcool entre sa mère et lui. Un jour, avant une séparation due à mes vacances, il emporta un coquillage de mon cabinet, ce qu’il ne m’apprit qu’à mon retour.
Je dus l’aider plusieurs fois activement : au niveau de l’argent, en lui fixant des amendes s’il oubliait de me payer (il me l’avait plus ou moins suggéré lui-même) — au début, c’est qu’il avait bu ; par la suite, en l’aidant à quitter définitivement son amie sans se culpabiliser pour elle, comme lorsqu’il avait laissé sa mère alcoolique, et à croire à sa nouvelle rencontre avec une femme de son âge. Cette technique active, avec des éléments comportementaux ou psychodramatiques fut payante, signifiant pour lui que j’acceptai d’endosser le transfert paternel, non sans, par moment, le réconforter comme une mère qui pouvait croire en lui sans l’envahir. Faite de frustration et de réconfort, cette technique nous permit d’évoluer ensuite vers un protocole plus classique, au bout de deux à trois ans de cure, et une interruption provisoire. Il avait rencontré une jeune femme, qui devait se révéler un lien durable, et fit alors une sorte de fuite dans la guérison, dans la toute-puissance magique… jusqu’à ce qu’il accepte de revenir à cause d’un problème d’impuissance, punition de son ivresse amoureuse un peu trop rapide. À chaque épisode, mon engagement a été de toutes façons décisif pour qu’il puisse poursuivre.
Je ne crois pas qu’avec ce genre de patient, la neutralité soit de toutes façons autre chose qu’une répétition du défaut de l’objet primaire, et un manque de fiabilité de l’objet-tiers comme soutenant la dyade mère-bébé — un des rôles du père, selon Winnicott. Au début, j’avais dû le recevoir trois fois par semaine en face à face, mais il a pu finalement continuer sa cure, et la terminer, sur le divan.
2. Noyaux autistiques et comportements autocalmants
Au-delà de Freud et de Winnicott, deux types de conceptions théoriques m’ont aidé : celles de Harold Searles et de Frances Tustin concernant la psychose, d’une part, et celles de Michel Fain et des psychosomaticiens qui ont développé à partir de lui la conception des procédés autocalmants, d’autre part.
Harold Searles, par son livre L’environnement non humain (1960), m’a fait prendre conscience du rôle de l’attachement à des éléments non-humains chez les sujets psychotiques ou limites, qui tient à leur caractère constant, face à l’imprévisibilité et à l’effet traumatique de la perte des éléments humains de l’environnement. Lorsqu’un sujet, enfant, a souffert d’avoir été dépendant d’un parent inattentif à ses besoins, quand ses relations affectives avec les êtres importants (son partenaire ou son groupe familial) sont instables ou imprévisibles (origine de vécus d’abandon), intrusives ou confuses (rendant toute emprise impossible), les objets non-humains deviennent un refuge. Pour tous ces sujets qui ont peur des émotions désorganisantes, ils sont un lieu de projection, un fond stable pour contenir l’excitation pulsionnelle, et soutenir l’hallucination négative du vécu traumatique et de l’affect d’angoisse suscités par des émotions trop intenses. Je rappelle ici mon patient Miles, qui avait un investissement compulsif du bricolage, des conduites à risques en voiture, et des objets concrets.
Une réflexion m’est venue, en lisant Searles, qui l’évoque lui-même dans son livre L’environnement non humain. Si la société dite «de consommation» traite de plus en plus les êtres humains eux-mêmes comme des objets consommables et jetables (comme on le voit dans la consommation sexuelle, la pornographie ou les très grosses entreprises), et qu’elle valorise en les dotant de caractéristiques hautement humaines des objets de consommation tels que la nourriture, la boisson ou les médicaments (comme on le voit dans la publicité), alors n’est-il pas logique que la distinction entre l’humain et le non-humain puisse se perdre et favoriser l’augmentation de toutes les addictions ?
Frances Tustin, on le sait, a beaucoup travaillé avec des enfants autistes, mais également sur ce qu’elle appelle des noyaux autistiques clivés dans la personnalité de sujets adultes, non-psychotiques. « Certains patients névrosés ont beaucoup en commun avec les enfants autistes. Chez ces patients, le développement affectif et cognitif semble s’être fait en contournant une zone aveugle de développement bloqué, une capsule d’autisme dans les profondeurs de leur personnalité », dit-elle dans Le trou noir de la psyché (1986). On trouve chez eux des restes d’objets autistiques, d’enveloppe autistique molle faite de formes autosensuelles, et des comportements d’adhésivité mimétique aux objets humains, exigeant souvent que ceux-ci soient sans mouvement propre, quasi non-humains, ce qui rappelle Searles.
Les objets et les formes autistiques, nous dit-elle encore, ont l’avantage d’être bien plus disponibles et constants que les objets humains, et permettent à ces sujets de lutter contre des terreurs irreprésentables dans la relation à l’objet primaire, à un stade préverbal et même préimaginaire. À la différence de l’objet transitionnel qui est à la fois moi et non-moi, l’objet autistique est totalement moi, sous emprise narcissique.
Frances Tustin fait le lien avec l’addiction, notamment pour la thérapeutique. Dans un premier temps, les formes et les objets autistiques doivent être partagés, pour acquérir une signification. Puis l’addiction à ces formes et objets autistiques doit être combattue avec énergie. « Comme un drogué l’a dit un jour : “Les parents doivent être durs dans leur amour". C’est aussi l’attitude que l’analyste doit adopter avec les patients drogués à l’autisme » (1989). Ainsi une de ses patientes, Ariadné, une femme qu’elle avait suivie lorsqu’elle était enfant, lui a appris à l’aider à combattre son addiction à un tic autistique : une façon invisible de se mordre les lèvres, qui lui permettait de s’isoler du reste du monde « plus efficacement que toutes le drogues ». On voit la parenté de ce comportement avec certaines formes de toxicomanies.
Michel Fain, un des fondateurs de l’école psychosomatique de Paris, s’est intéressé au lien entre les besoins vitaux (que Freud a appelé pulsions d’autoconservation) et les pulsions sexuelles, aux origines de la vie psychique du nourrisson. Il a décrit à partir de là des « néo-besoins », qui sont la base des addictions, des sortes de leurres calmants pour faire face au gouffre du désir maternel lorsque la mère désinvestit l’enfant, non pour réinvestir sa vie de femme et faire ainsi le lit d’un plaisir fantasmé pour son enfant, mais en raison de problèmes personnels. Dépourvu ainsi de véritable auto-érotisme, l’enfant cherche à s’accrocher à des traces motrices, à des « trucs » qui tentent de simuler l’instinct maternel protégeant normalement contre l’excès d’érotisation, et contre l’angoisse de castration. On retrouve ici le mécanisme du fétichisme, mais à un niveau primaire, sans représentations véritables. Ainsi, donner le sein à la moindre manifestation de déplaisir, bercer de façon automatique, donner une tétine ou un objet transitionnel pour endormir, des médicaments (de plus en plus tôt), sont une façon de tromper l’enfant : « un néo-besoin est un besoin faux dans son essence, car organisé à l’avance, et qui a mission de se charger de la même impérativité que les besoins vitaux dominés par l’instinct de conservation » dit-il dans La nuit, le jour (1975).
Dès la pré-adolescence les enfants cultivent les néo-besoins en groupe, nous dit Michel Fain, en s’associant par exemple pour fumer clandestinement une cigarette. Ce néo-besoin préfigure la toxicomanie par sa façon de court-circuiter la voie érotique sur le modèle de la satisfaction du besoin. Le besoin est ici de s’intégrer au groupe. L’idéologie de la consommation et le prosélytisme offrent un but préfabriqué, en prolongement du bercement ou de la tétine donnés par les parents pour apaiser leurs propres angoisses face à la vitalité érotique et excitante de leur enfant.
Michel Fain souligne le but totémique (identitaire) raté de l’idéologie de consommation groupale des futurs toxicomanes : en l’absence d’un autoérotisme bien constitué, avec satisfaction hallucinatoire du désir, l’accrochage à la perception évoque un fétichisme primaire sans fantasmes, un fétichisme négatif, ou un fétichisme du manque, qui fait le lit de la toxicomanie ultérieure. On pense ici au jeu permanent avec le manque des héroïnomanes, que tout ceux qui en ont rencontré connaissent bien.
L’objet transitionnel, ou le fétichisme du manque, dit Fain, sont en fait un substitut, un ersatz du père inaccessible lorsque la censure de l’amante n’a pu se mettre en place normalement, pour que la mère puisse progressivement désinvestir son enfant et rejoindre le père source de plaisir érotique.
Dans L’enfant et son corps (1974), Fain montre la parenté de l’addiction avec des troubles psychosomatiques de l’enfant comme le mérycisme, proche de l’autisme, ou avec le spasme du sanglot, les insomnies et l’agitation autocalmante de l’enfant, précurseurs des conduites à risques addictives de l’adulte, ou de la pensée opératoire qui va faire le lit de maladies psychosomatiques.
La notion de comportements autocalmants a été reprise récemment par les psychosomaticiens Cl.Smadja et G.Szwec. Ils y ont vu le recours à une motricité primaire, là où faisaient défaut des représentations suffisantes reliées aux souvenirs des soins maternels et au plaisir fantasmatique projeté sur le tiers et la scène primitive.
G.Szwec (1998) a ainsi comparé un de ses patients, Rocky, toxicomane au bruit répétitif de sa batterie de hard-rock, à un enfant insomniaque se martelant la tête contre le mur pour s’endormir, proche du bercement automatique d’une mère sans plaisir ni fantasmes, ou encore du rameur solitaire sur l’océan déchaîné, bercé avec violence durant des mois. Il s’agit pour lui de cultiver des perceptions fétichisées (ici les coups rythmiques) afin de colmater un vécu traumatique, en manque de représentation. On ne peut évidemment manquer de faire le rapprochement entre ces comportements moteurs autocalmants et les formes ou des mouvements autistiques.
Bien entendu, tous les comportements autocalmants ne sont pas de l’ordre de l’irreprésentable : déambuler à travers la pièce ou fumer une cigarette quand on prépare un travail difficile, ou encore avoir plaisir au jeu, ou aux sports extrêmes, ne conduisent pas obligatoirement à la maladie, et ne sont pas non plus toujours des activités dépourvues de fantasmes. C’est ici que l’idée d’un noyau clivé de fonctionnement traumatique, autistique ou opératoire, est utile pour comprendre ce type de sujets, et les soigner.
Pour illustrer ces différents mécanismes, je vais aborder une seconde cure, celle d’une jeune fille, Vanessa, qui était héroïnomane depuis plusieurs années lorsqu’elle décida de faire une analyse. Elle venait juste de rencontrer un ami qui l’avait aidée à se désintoxiquer, mais c’était trop récent pour pouvoir être sûre de lui, et elle avait peur de devoir s’en séparer, et de rechuter aussitôt. Au début de son analyse, dans le protocole classique qu’elle avait accepté, elle n’avait pas avoué sa toxicomanie, craignant mon rejet et mon incompréhension. Lors des entretiens préliminaires, elle avait mis l’accent sur ses angoisses relationnelles à type d’agora et de claustrophobie, qui la gênaient pour son travail, des inhibitions datant de son enfance, et la peur d’être abandonnée de son ami. Quant à moi, j’avais bien l’impression d’un état-limite, essentiellement à cause de la façon dont elle semblait par moments absente de son histoire, mais j’acceptai de tenter l’analyse.
La difficulté de la cure tint surtout au fait qu’elle était incapable de me parler de ses émotions si je ne les devinais pas d’abord, alors que rien ne me les laissait percevoir dans ses paroles. Ayant l’habitude de la relaxation psychanalytique, j’étais attentif à sa motricité, et je tentais de relier mes impressions à son matériel verbal, comme je le pouvais. C’était important, car elle fit plusieurs épisodes d’angoisse aiguë et de dépersonnalisation qui m’ont parfois obligé à la garder un long moment en face-à-face avant de la laisser partir. Lorsque je pouvais lui formuler ses angoisses en paroles et les rattacher à son histoire en les différenciant de la réalité du transfert et de notre relation, elle pleurait, puis se calmait. Elle fit aussi une rechute, pour tester ma capacité à m’inquiéter pour elle, ce que sa mère n’avait jamais fait, allant même jusqu’à nier l’intoxication de sa fille. Un fois où elle avait fait une overdose, elle n’avait dû sa survie qu’à l’intervention de son oncle, sa mère ayant refusé de la prendre au sérieux. Elle n’avait jamais reparlé de cet épisode, sauf pour dire qu’elle avait fait une crise de nerfs.
Quelques éléments de son histoire, lors de mon travail avec Vanessa, m’ont beaucoup fait penser à Searles, à Frances Tustin ou à Michel Fain, dont les idées m’ont soutenu tout au long cette cure. Issue d’une famille serbe de Bosnie émigrée en France, elle avait connu une enfance assez difficile, car sa mère, qui avait peur des voisins, l’enfermait dans sa chambre une bonne partie de la journée pendant qu’elle faisait des courses ou le ménage. La patiente devait en garder longtemps des habitudes de balancement rythmique (ce qui devait se retrouver plus tard, adolescente, dans le fait qu’elle aimait danser des nuits entières). Son père, qui était routier, était rarement présent. Les choses ne changèrent qu’à la naissance de son frère, période pendant laquelle Vanessa devint un temps encoprésique. À l’école, on la toléra malgré ses troubles du comportement, mais comme dans le film « Les mots bleus », elle ne devait pratiquement pas parler pendant un an, jusqu’à ce qu’une enseignante réussisse à mobiliser son attention. Elle s’intégra alors rapidement, et devint une sorte de caïd, dominant ses camarades de classe. Elle commit aussi quelques vols. Mais à cette époque, c’est son frère qui se mit à inquiéter ses parents, car il devenait insomniaque, coléreux, et empêchait toute la famille de dormir. Ce frère devint par la suite psychotique.
Vanessa avait des crises d’angoisse quand elle commençait à ressentir son corps, ou du désir pour moi dans le transfert, ce qui l’effrayait considérablement. Elle était beaucoup plus rassurée lorsqu’elle pouvait me raconter son travail, ou ses inquiétudes concernant sa santé : elle avait en effet une maladie polykystique qui lui faisait craindre de ne pouvoir démarrer une grossesse sans risques — ce qui m’a rappelé les observations de Tustin (1986) concernant le lien qu’elle avait parfois observé entre un noyau autistique et des kystes psychosomatiques. Nous devions découvrir qu’elle craignait aussi beaucoup de revivre la haine dont elle prenait peu à peu conscience vis-à-vis de sa mère, avec un enfant qu’elle devrait porter dans son ventre, alors qu’elle-même se sentait informe, pas encore vraiment née.
Elle avait souvent peur de devenir folle, de craquer complètement. Elle révélait ainsi l’étendue du clivage du moi et du noyau autistique dont elle souffrait. Pendant un temps, elle dût même s’arrêter de travailler, craignant de ne pas pouvoir reprendre, tellement ses angoisses l’envahissaient. C’étaient des angoisses à type d’effondrement, de liquéfaction, qui l’empêchaient de dormir. Durant les séances, elle devait toucher le bois du divan, et parfois s’agripper à mon bras pour arriver à se lever. En même temps, elle ne pouvait rater aucune séance, et refusa son hospitalisation pour cette raison. Finalement, elle a pu sortir de ce passage difficile, qui m’est apparu lié à la rupture de l’écran toxique qui prolongeait l’isolement de son enfance, et lui rendait tout partage émotif à la fois extrêmement désirable, et extrêmement violent, effrayant, du fait d’une absence d’un jeu psychique suffisant et d’un lien spéculaire avec un autre capable de refléter ses émotions et de partager son vécu.
Elle commença nettement à s’améliorer le jour où elle put se mettre à sculpter : elle sculptait des femmes torturées, et des enfants. Du fait de son travail d’éducatrice, le développement de son aire transitionnelle trouvait un emploi utile avec les enfants dont elle s’occupait, qui l’investissaient beaucoup. Elle put enfin tomber enceinte. Mais cette période ne devait pas aller sans de nouvelles difficultés. Il y eut d’abord qu’elle voulait arrêter de fumer, ce qui lui fut très difficile, presque autant, me dit-elle, que d’arrêter l’héroïne, d’autant que son compagnon était également un grand fumeur. Son fils une fois né, elle craignit un moment qu’il ne soit autiste, car par moments il ne la regardait pas, et refusait de téter. Il s’agitait alors, et se tapait la tête contre son bras. Le travail sur ses propres angoisses concernant l’allaitement, et sur la dépression de sa mère lors de sa petite enfance, permit de passer ce cap sans que son fils n’en soit apparemment trop perturbé. Il lui fallut enfin réussir à retrouver le père de son enfant, ce qui n’alla pas non plus sans mal, car celui-ci ne ressentait pas de désir pour les femmes un peu rondes. Il avait un amour fétichique, selon Vanessa, pour les jambes effilées et les bottes en cuir. Elle se bagarra un moment avec le fait que cela l’avait sans doute arrangé qu’elle ait été toxicomane quand il l’avait rencontrée, car il avait lui-aussi une difficulté de contact avec ses émotions. Tout finit par se résoudre à peu près, et elle a pu terminer sa cure, se sentant bien ainsi que son enfant. Elle me donne régulièrement de ses nouvelles.
3. De la structure à la technique
J’aimerais ajouter maintenant quelques généralités sur la technique analytique que l’on peut employer avec ces patients, qui permet qu’on puisse désormais les suivre sur un assez long parcours, ce qui n’était pas le cas du temps de Freud.
Il y a deux façons, pour un toxicomane ou un sujet addictif, d’entreprendre un cure analytique. La première est de commencer sur injonction thérapeutique de l’entourage, ou face au sentiment d’être au bout du rouleau, sans autre recours qu’une désintoxication, assortie ou non d’une psychothérapie. La seconde est de commencer pour une toute autre raison, et de n’amener le problème addictif que dans un second temps, après l’avoir tenu longtemps à l’écart, voire dissimulé derrière des problèmes dépressifs ou névrotiques banaux.
Les deux modes indiquent chacun à leur façon le clivage du moi qui existe chez le sujet, entre une partie plutôt névrotique, même si elle comporte elle aussi des éléments dépressifs ou une fragilité narcissique, et la partie concernée par l’addiction, ancrée dans un défaut de symbolisation, un refoulement primaire sans élaboration psychique, un vécu traumatique qui rend nécessaire une décharge compulsive dans la motricité ou dans l’agir.
Le premier est parfois conçu comme une aventure, un moment initiatique comme dans Sideways ou chez mon patient Miles. Passé le premier temps de résistance, un temps d’euphorie apparaît, et la guérison prend un aspect magique. Mais le transfert addictif n’est pas liquidé pour autant, et le sevrage est loin de tout résoudre ; l’analyse demande un tout autre travail, rarement accepté sans une période d’interruption ou de latence. Toute la difficulté est de garder le contact avec le patient pour qu’il puisse reprendre le travail, en général sous la forme d’une analyse selon un protocole classique.
Le second mode est moins connu : il s’agit d’un patient qui vient faire une analyse, mais en dissimulant ou en n’abordant pas vraiment un noyau addictif plus important qu’il n’y paraît, et qui ne se révèle véritablement que dans un second temps, de la même façon que l’addiction n’apparaît que dans l’après-coup pubertaire d’une carence précoce atteignant l’aire transitionnelle. C’est un peu le cas de ma patiente Vanessa, dont nous avons vu qu’elle m’avait dissimulé son héroïnomanie. C’est souvent le cas des patients alcooliques à peu près compensés, des grands fumeurs, ou des sujets ayant des comportements à risque.
J’ai ainsi eu plusieurs patients qui, ayant fait une longue cure très fructueuse dans un protocole à trois séances par semaine, sur le divan, ont pu la terminer, malgré un léger sentiment d’insatisfaction ou d’inachèvement plus ou moins motivé par des éléments manifestes, ou au contraire latents. Certains d’entre eux reviennent (soit chez moi si j’étais le premier analyste, soit après changement d’analyste), pour amener enfin un noyau clivé, passé pour une part inaperçu, ou sous-évalué, concernant une conduite addictive limitant leur fluidité psychique et entraînant un certain temps après la fin de l’analyse des complications diverses : dépressives, psychosomatiques ou directement liées au toxique lui-même (alcoolisme, tabagisme, médicaments, hyperactivité professionnelle, consommations sexuelles ou sportives excessives, conduites à risques, etc…). Souvent, dans ce second temps de reprise, une relaxation ou un face-à-face temporaire ont constitué un meilleur moyen d’approche de cet aspect, lié à des traces motrices, autistiques ou auto-calmantes. Ces traces, qui doivent être mobilisées à partir du corps même du patient, de sa gestuelle ou de sa posture inconsciente, portent en effet la marque de traumatismes dont la verbalisation a toujours été impossible, ou qui n’empêche de toutes façon en rien la compulsion de répétition.
Je vais m’arrêter et conclure, en attirant votre attention sur les différences ou les nuances qui existent entre les différentes formes d’addiction. Certains sont plus dans l’idéologie de la consommation (boulimie, achats, alcool, drogues), servant une agitation motrice qui fait penser à une sorte de manie blanche – la toxicomanie. D’autres ont des comportements autocalmants, autodestructeurs, comme les sportifs drogués que l’on connaît de plus en plus, mettant en scène une conception peu élaborée et violente de la scène primitive ou du lien à l’autre (conduites à risques, jeu, certaines drogues). D’autres enfin, les plus nombreux, m’évoquent un noyau autistique, par leur recours à un matériel inanimé qui isole et garantit contre la terreur de l’effondrement (sédatifs, héroïne, rituels rappelant les formes autistiques). La technique doit s’adapter à chaque cas et à chaque histoire, en remontant à trois générations, pour tenir compte de l’aspect irreprésentable du noyau traumatique contenu dans l’addiction. Celui-ci, incoercible au début, doit d’abord être agi par le patient et contenu par l’analyste, par un cadre et une technique adaptés, sur mesure, pourrait-on dire, avant de pouvoir être représenté.
La question de l’addiction au cadre psychanalytique pourrait se poser, m’objectera-t-on, au moment de terminer la cure. Je pense que ce problème peut être atténué si l’analyste n’est pas lui-même enfermé dans un cadre trop ritualisé, trop fétichisé, et qu’il a adopté des techniques différentes au long de l’évolution : comme on l’a vu, des périodes de latence et des reprises sont souvent nécessaires avec ces patients. Si l’analyste sait rester souple, et ne s’identifie pas à son cadre idéologique ou à un rituel non-humain, l’addiction au transfert se résoudra (non sans une période de deuil parfois assez longue) : un environnement « suffisamment humain » est justement l’antidote, normalement, à l’addiction.
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