Thème de ce cycle de conférences, la symbolisation constitue un fil rouge traversant la diversité des pratiques actuelles de la psychanalyse. Parmi celles-ci, la psychanalyse d’enfants et le psychodrame diffèrent très sensiblement de l’analyse d’adultes, tout en permettant un authentique travail psychanalytique. Ces pratiques de l’analyse, sans divan, ne sont-elles pas susceptibles d’enrichir notre compréhension de l’efficacité symbolique de la psychanalyse, et de nous faire mieux découvrir sa spécificité, son invariance au-delà des variations du cadre et de la technique ?
Chacun connaît l’apport décisif à la pratique de l’analyse d’enfant de Mélanie Klein, inventant dès les années 1920 une technique du jeu qui garde aujourd’hui toute sa pertinence. Cette innovation introduit une médiation permettant de prendre en charge de jeunes enfants.
En 1955, reprenant l’histoire de cette technique, Mélanie Klein lui donnera toute sa portée, demandant que soit pris en compte le fait que son « travail avec les enfants et les adultes » et ses « contributions à la théorie psychanalytique dans son ensemble proviennent en dernier ressort de la technique de jeu élaborée avec les jeunes enfants » (Mélanie Klein, 1955, page 24)1.
Cette phrase vient déconstruire toute prétention à une hiérarchie entre « cure-type » d’adultes et analyse d’enfants. Bien que M. Klein témoigne ici de sa propre expérience, son propos pourrait être pris dans le sens d’un renversement de la hiérarchie ; on pourrait y voir une sorte de retournement de la situation, attribuant aux analystes d’enfant une sorte de prééminence liée au contact direct avec les enfants. Piqués au vif, certains analystes d’adultes pourront toujours rétorquer que l’analyse se situe dans l’après-coup, l’infantile dans l’analyse n’étant pas l’enfant. Plutôt que d’inverser la hiérarchie, dans un sens ou l’autre, n’est-il pas envisageable de déconstruire cette pseudo hiérarchie entre les pratiques, divan versus analyse d’enfants, afin de construire un modèle moins réducteur, émergeant des apports de cette diversité ?
Il va de soi que la technique de jeu n’est pas applicable directement à l’analyse d’adultes, personne n’ayant songé à leur réserver une petite boîte de jouets pour leur séance. Par contre les rapports du jeu et de l’inconscient, la métaphore d’un « jeu analytique » ainsi que la question de manières appropriées de formuler une interprétation peuvent être revisités à partir de l’expérience avec les enfants et les adolescents.
Pour Mélanie Klein « la psychanalyse d’un enfant consiste à comprendre et à interpréter les fantasmes, les sentiments, les angoisses et les expériences exprimées par le jeu ou, si les activités de jeu sont inhibées, les causes de cette inhibition. » (Idem, page 28).
Mélanie Klein découvre très vite la nécessité de poser un « cadre de jeu analytique », condition pour une situation de transfert puisse s’établir, se maintenir et être analysée. Ainsi elle cesse de faire des traitements au domicile de l’enfant, avec ses propres jouets, pour délimiter une salle de jeu, avec une boîte de jouets réservés à l’enfant, la possibilité d’utiliser un lavabo et de dessiner. Le cadre de la séance est là pour que les scénarios fantasmatiques de l’enfant puissent être joués, et interprétés, passant du jeu manifeste à ses contenus latents. Remarquons qu’il y a là tout lieu de penser que Mélanie Klein avait intériorisé le cadre, le restituant dans son travail avec ses patients, à la suite de sa propre analyse sur le divan. L’idée d’un cadre de jeu analytique peut nous servir de fil conducteur entre les diverses pratiques.
Ajoutons que pour Mélanie Klein « l’analyste peut, grâce à l’interprétation, rendre de plus en plus libre, de plus en plus riche et productif le jeu de l’enfant, et en réduire graduellement les inhibitions. » (Mélanie Klein 1932, page 45)2. Le jeu sera donc mis au service de l’approfondissement du processus analytique qui permet lui-même au jeu de se développer grâce à son interprétation. L’augmentation de la capacité de jouer en présence de l’analyste, est ici pointée comme un développement lié au travail analytique.
Que fait Mélanie Klein avec les enfants incapables de jouer ? Son propos est d’interpréter précocement leurs angoisses et le transfert négatif à son égard. Elle considère que la résolution de l’angoisse, prise en charge par l’interprétation permet à l’enfant de continuer à jouer et de développer son jeu.
Ainsi Peter (Idem, page 36) casse les jouets dès la première séance. Se saisissant de sa mise en acte et des associations de l’enfant pendant la séance, Mélanie Klein lui dit que les jouets qui se tamponnaient étaient des personnes, reliant son agressivité au fait que « sa maman et son papa faisaient se tamponner leurs organes génitaux, et en faisant ça avaient fait naître son petit frère ». L’effet de l’interprétation est que Peter se met à jouer, au lieu de chercher à briser les jouets. Ce développement du jeu résulte ici d’un processus de co-symbolisation, l’analyste proposant un contenu symbolique s’accordant à divers éléments du contenu manifeste de la séance. Au fond Mélanie Klein ne fait-elle pas signe à Peter, lui montrant qu’elle entend ce qu’il fait en séance comme un agir symbolique, et non comme une manifestation d’agressivité à corriger. Elle va chercher la potentialité symbolique, le jeu de l’inconscient là où la répétition agie semble désymbolisée. Captant ce potentiel ludique l’analyste l’amplifie, faisant émerger la musique du jeu là où tout n’aurait pu être que bruit de la casse.
Peter cesse de casser les jouets : couchant un jouet en forme de personnage sur une brique qu’il appelle un ‘lit’, il le jette par terre et dit qu’il est mort est fichu. La symbolisation appelle la symbolisation, sans que les mouvements pulsionnels n’en soient entravés.
Notons aussi que Mélanie Klein ayant interprété le fait qu’il abîmait un personnage-jouet comme représentant des attaques sur son frère, Peter lui fera remarquer qu’il ne ferait pas ça à son frère réel, il ne le faisait qu’au frère jouet. (Idem, page 46). Serions-nous là simplement face à une banale dénégation de l’enfant ? Pas sûr, Peter a bien compris que l’analyse se situe dans un espace de symbolisation propre à la psychanalyse, captant la réalité psychique dans un jeu où les personnages sont à la fois réels et pas réels en même temps.
Une question : Mélanie Klein jouait-t-elle avec les enfants? Et bien oui, à plusieurs reprises elle nous montre qu’elle n’hésite pas à jouer avec les enfants qui peuvent aussi bien lui attribuer des rôles de marchands, de docteur, que de mère ou d’enfant. La technique de Mélanie Klein préfigure alors ce qui sera développé après la guerre en France sous le nom de psychodrame psychanalytique (R. Diatkine, S. Lebovici, E. et J. Kestemberg en seront les pionniers). Dans cette technique, plusieurs cothérapeutes vont être amenés à jouer des scènes avec un analysant, le jeu apparaissant comme une des manières d’accompagner la co-fantasmatisation tout en faisant émerger la dimension latente des positions du sujet avec ses objets. Le directeur de jeu ne joue pas, mais prend en charge le setting des séances ainsi que l’interprétation à partir du jeu et du transfert. Cette technique a pu être employée avec succès pour des enfants, des adolescents, mais aussi avec des adultes qui ne pourraient souvent bénéficier du cadre analytique classique. Le jeu apparaît ici susceptible à la fois d’étendre le travail analytique aux jeunes patients, mais aussi à des adultes qui présentent une problématique non névrotique, ou des difficultés de symbolisation dont nous savons qu’elles sont de plus en plus fréquemment rencontrées par les analystes.
Si le psychodrame analytique se développe en France à partir des années cinquante, un autre apport de l’analyse d’enfant, extensible à l’ensemble du champ analytique, nous viendra également d’Angleterre avec Winnicott. De ses consultations thérapeutiques, nous retiendrons notamment le modèle du squiggle, engageant aussi l’analyste dans une forme de jeu avec l’enfant. Rappelons que la technique de Winnicott passait par le dessin. Au gribouillis initial de l’un ou de l’autre, l’enfant et l’analyste ajoutaient des éléments au dessin, ouvrant à un dialogue analytique faisant émerger la problématique de l’enfant, avec un effet mutatif lié à cette rencontre.
C’est bien sûr dans « Jeu et Réalité » (1970)3, que Winnicott théorisera le plus clairement sa contribution, remarquant que les psychanalyses se sont montrés trop occupés à décrire le contenu du jeu, pour regarder l’enfant qui joue, et comprendre à partir de là quelque chose sur le jeu en tant que tel. Il dialogue ainsi de manière critique avec Mélanie Klein, qui a tendance à considérer le jeu comme une simple modalité technique permettant d’accéder aux fantasmes inconscients.
À partir de « Jeu et réalité », Winnicott fait une série de propositions théoriques. Si elles résultent de son expérience avec les enfants, elles n’en sont pas moins extensibles à l’ensemble du champ analytique.
Rappelons en quelques points ses propositions les plus connues sur la dynamique de l’analyse:
- C’est le jeu qui est universel et la psychanalyse s’est développée comme une forme très spécialisée du jeu, mise au service de la communication avec soi-même et les autres.
- La psychanalyse se tient là où deux aires de jeu (playing) se chevauchent (overlap), celle du patient et celle du thérapeute.
- Le corollaire de la proposition précédente est que lorsque le jeu n’est pas possible, le travail fait par le psychanalyste a pour but, à partir d’un état où le patient n’est pas capable de jouer, de le mener à un état où il est capable de jouer.
- Si le thérapeute ne peut pas jouer, cela signifie qu’il n’est pas fait pour ce travail. À noter que cette formule de Winnicott, un peu sèche, a pour mérite d’attirer notre attention sur la formation des analystes dont on saisit là une fois de plus en quoi elle diffère d’une formation universitaire. Si la capacité de jouer analytiquement résulte en partie de l’indispensable analyse personnelle du futur analyste, il est de plus en plus admis qu’une formation au psychodrame psychanalytique va remarquablement dans ce sens.
- Si le jeu est essentiel, c’est parce que c’est en jouant que le patient se montre créatif. Le jeu n’a évidemment rien d’une fin en soi, la créativité et le jeu étant, dans l’esprit de Winnicott, profondément associés au sentiment d’existence et à la quête de soi.
Privilégiant le déploiement des aires de jeu dans la situation analytique, devrait-on imputer à Winnicott d’avoir mis de côté l’interprétation du transfert ?
Winnicott donne plutôt de nombreux exemples, non d’un rejet de l’interprétation, mais de sa manière d’aller chercher quelque chose comme le blanc, la déréalisation, la difficulté à se sentir exister face à des empiètements de l’objet. Tous ces enjeux de la séance sont à entendre chez certains patients qui ne répondent pas forcément à une interprétation classique en termes de conflits pulsionnels. Le modèle du jeu analytique ne pose alors aucun problème quant à sa compatibilité avec le modèle de l’interprétation du transfert proposé par Freud. En effet, Winnicott s’est employé à critiquer l’interprétation donnée en dehors d’un matériel parvenu à maturité, celle qui entraîne l’endoctrinement et provoque une soumission.
Il ne suffit pas de donner des interprétations correctes, en théorie, mais en théorie seulement si l’analyste offre autre chose à l’analysant que des signes de reconnaissance du jeu des inconscients, mobilisé dans une séance.
Il y a en effet des interprétations qui sont hors-jeu analytique, intempestives parce qu’elles ne correspondent pas un moment adéquat où parce qu’elles viennent au nom d’un a priori théorique, fonctionnant du côté de l’analyste comme une réassurance, face à l’angoisse suscitée par un matériel nouveau dont il ne maîtrise pas le sens. Une telle angoisse de la part de l’analyste peut donner lieu à une compulsion à interpréter dans une certaine direction, à ramener au connu, bref à créer les conditions du développement d’un faux self analytique, parfois rompu par une réaction thérapeutique négative.
Les propositions de Winnicott sur le jeu analytique ont aussi pour intérêt de critiquer tout théorie de l’interprétation qui se voudrait traduction, décodage. Cela concerne notamment l’utilisation abusive des symboles (« La crainte de l’effondrement », page 77)4, comme une sorte de clé permettant d’accéder à l’inconscient. Winnicott prend l’exemple d’une interprétation qui serait « les deux objets blancs du rêve sont des seins ». Dès que l’analyste s’est embarqué dans ce type interprétation, Winnicott note « qu’il a quitté la terre ferme pour se trouver maintenant dans un domaine dangereux où il utilise ses idées personnelles, et elles peuvent être inexactes du point de vue du patient à cet instant-là » (idem). L’abus de symbolisation n’écrase-t-il pas l’efficacité symbolique ?
Et si le principal apport de l’analyse d’enfant à la psychanalyse était de nous avoir clairement fait réaliser que le travail de symbolisation en séance peut être pensé en fonction du modèle du jeu, et ce, au-delà des variations du cadre liées à l’âge du patient ou à son organisation psychique ?
Loin d’être en contradiction avec l’analyse sur le divan, proposée aux adultes névrosés, cet apport de la psychanalyse d’enfants nous permet au contraire de retrouver de multiples remarques de Freud étayant ce point de vue.
Ainsi, dans un texte important, « Remémoration, répétition, élaboration », Freud considère que la situation analytique permet à la compulsion de répétition de se déployer dans « le transfert comme terrain de jeu » (Tummelplatz), avec une liberté quasi totale.
La règle fondamentale, l’invitation à dire tout ce qui vient, peut être considérée comme une règle constitutive d’une forme d’échange humain spécifique, la psychanalyse, qui n’aurait pas lieu en dehors de l’espace de symbolisation qu’elle encadre. René Diatkine (1986)5 envisage la règle fondamentale comme une règle du jeu, dont découle le fait que « le discours d’un patient adulte au cours d’une séance ordinaire de psychanalyse comporte une dimension ludique qui a son importance dans l’élaboration interprétative ».
Parler d’un modèle du jeu en psychanalyse, c’est mettre l’accent sur le fait que la répétition agie dans le transfert doit pouvoir être entendue dans sa potentialité symbolique. La prise en compte de cet élément de jeu dans la psychanalyse ne fait pas pour autant de celle-ci une expérience ludique, au sens d’un divertissement. La psychanalyse doit aussi pouvoir être considérée comme un travail. Un traitement aussi, avec toute la latitude que ce dernier terme donne quant à son sens de soins aussi bien que de transformation, la psychanalyse apparaissant en ce sens comme un mode de traitement du jeu humain, plus précisément du jeu de l’inconscient, de ses scénarios de désir qui assurent la continuité symbolique de soi, séparé et relié à ses objets ?
Dès 1908, Freud avait d’ailleurs repéré la présence du jeu de l’inconscient dans le symptôme. En effet, à cette date, il nous relate une attaque d’une patiente hystérique, tenant d’une main sa robe serrée contre son corps, en tant que femme, tandis que de l’autre main elle s’efforce de l’arracher, en tant qu’homme. « La malade joue en même temps les deux rôles », masculin et féminin, nous dit Freud, posant le symptôme explicitement en termes de jeu du désir, permettant de contenir une « simultanéité contradictoire ». Si ce jeu renvoie à la bisexualité, il est aussi interprétable par rapport à la scène primitive, sans doute symbolisée dans le symptôme comme un viol. Au scénario de désir, au pulsionnel s’articule la problématique narcissique de la patiente, figurant dans le jeu sa vision de la scène primitive, excluant le désir de sa mère pour le père.
Les effets du jeu sont ici aussi spectaculaires, qu’il est inconscient dans sa construction. Son déploiement sur la scène du transfert ouvre la voie à son interprétation, ainsi qu’à une relance du processus associatif de l’analysant. Le changement tient à la symbolisation de cette mise en jeu de l’inconscient dans la situation analytique.
Dans les problématiques non névrotiques, on a pu mettre l’accent sur le travail du négatif (Green, 1993)6, la destructivité et le défaut de symbolisation. Loin d’être facilité par l’expérience de la transitionnalité, le jeu propre du sujet a pu être écrasé par le jeu de l’autre, qu’il s’agisse de sa prise dans les scénarios narcissiques ou le rejet de l’un des parents. Tout le poids d’une scène familiale peut aussi venir organiser de véritables impositions de rôles (Wainrib, 2002)7, parfois liées à une problématique transgénérationnelle. L’analyse devra prendre en charge ce que Winnicott appelle « le patient qui n’est pas en état de jouer », formule que j’entends comme un patient porteur d’une histoire, celle de sa prise dans le jeu parfois pervers de ceux qui l’ont utilisé en excès comme objet de leurs propres visées narcissiques et pulsionnelles.
Dans ces cas, l’interprétation de la seule agressivité inconsciente de l’analysant ne constitue pas forcément la meilleure manière d’accompagner l’analysant d’un état où il n’est pas capable de jouer analytiquement, à une perspective de symbolisation. La capacité de l’analyste à créer un espace de jeu avec le patient, tout en contribuant à comprendre quelle est la nature exacte de la répétition mise en jeu dans transfert, sont ici au premier plan. Ici, c’est souvent en repérant les rôles que lui souffle de jouer son contre-transfert, que l’analyste peut retrouver l’usage de sa fonction analytique, facteur de tiercéité lors de déploiement de transfert parfois passionnels.
Poser un cadre de jeu analytique fiable et traçant les bords de la situation, constitue certainement dans tous les cas, et quel que soit l’âge des patients, une condition nécessaire en vue de l’interprétabilité du transfert, le contre-transfert étant un élément de la mise au jour du jeu de l’inconscient.
Michael Parsons (1999), dans son article sur « La logique du jeu en psychanalyse »8 nous montre qu’en cours d’analyse « un élément de jeu fonctionne en continu pour soutenir une “réalité paradoxale” où les choses peuvent être réelles et pas réelles en même temps ». Ce paradoxe est considéré par l’auteur comme « le cadre de la psychanalyse ». Au cadre convenu de la séance, s’ajoute ici un cadre psychique. Michael Parsons situe « l’analyste comme gardien de ce cadre du jeu ». Ce rôle ne consiste pas simplement à protéger l’intégrité de ce cadre, mais répond à la nécessité d’aider l’analysant à utiliser de plus en plus l’espace de jeu avec l’analyste.
Être gardien de ce cadre de jeu implique aussi pour l’analyste de se laisser prendre suffisamment comme objet, support du scénario transférentiel. Il est assez tentant de reprendre ici (comme l’ont fait René Roussillon et Pierre Fedida) le néologisme de Francis Ponge. En effet, un analyste est quelqu’un qui se prête à être un « objeu » (objet-jeu), suffisamment malléable pour qu’on puisse l’inscrire dans son scénario, à l’intérieur des bords du cadre.
- Dans la situation analytique classique ce peut-être le silence de l’analyste qui facilite son utilisation comme objeu, personnage transférentiel aux confins de la séance et de la scène du rêve.
- Dans la technique de jeu avec les enfants, ce sont des objets proposés par l’analyse qui vont servir de médiation au déploiement de la symbolisation.
- Dans le psychodrame psychanalytique, les cothérapeutes viendront jouer tous les rôles proposés par le patient, s’efforçant de leur donner toute leur coloration fantasmatique.
Au-delà de la diversité des cadres, un fil rouge apparaît, lié à la disponibilité de l’analyste à laisser se déployer le jeu qui l’inclut progressivement dans les scénarios fondamentaux du sujet.
Le transfert a toujours été pour Freud une mise en acte, aussi la terminologie du « jeu analytique » vient mettre l’accent sur la transformation consistant dans l’analyse à permettre à l’analysant de s’en approprier la dimension symbolique. Le jeu se différencie du passage à l’acte brut par la prise de conscience de sa dimension symbolique.
Le travail de l’analyste ne consiste nullement à rétablir une sorte de vérité sur ce qu’il serait en tant que personne, pour de vrai, par rapport aux illusions du transfert, sur le mode : je ne suis pas celui ou celle que vous croyez. L’analyse se tient dans une dialectique entre l’analyste objeu du scénario transférentiel et sa fonction analytique, gardien du cadre, interprète donnant du sens.
S’il y a un art de l’analyste, c’est bien celui d’assurer le passage entre le rôle que lui donne le transfert, l’implication agie que pourrait lui suggérer son contre-transfert, et le temps de l’interprétation devant permettre un certain décalage qui relance le processus associatif. Interpréter n’est pas casser le jeu, mais permettre à l’analysant d’utiliser d’une manière de plus en plus approfondie le cadre de jeu analytique comme espace potentiel de mise en sens.
L’histoire du sujet se rejoue de séance en séance, une histoire distordue par la réalité psychique, plus ou moins symbolisée, plus ou moins ré-agie, mais à laquelle le processus analytique s’emploie à donner toute sa dimension de jeu, d’acte symbolisant, de trame sur laquelle se forme et se reforme la position de l’analysant en fonction de ses objets.
Mettre au jour le jeu l’inconscient, ses logiques, c’est aussi découvrir les raisons de la souffrance qu’il engendre, masquant la virtualité d’une jouissance ignorée du sujet. L’analysant, enfant ou adulte, change lorsqu’il entrevoit que ce qui lui semblait une sorte de réalité incontournable n’est peut-être qu’un scénario, un jeu de son inconscient, par rapport auquel de nouvelles marges de jeu sont possibles, voire d’autres jeux, moins coûteux, permettant à la subjectivation de reprendre son cheminement, sa quête identificatoire.
Freud posait comme but de l’analyse le devenir conscient, la prise de conscience du fonctionnement de l’inconscient à partir de l’analyse du transfert. Élaborant la deuxième topique il modifia cette formule pour désigner dans son fameux « Wo Es war soll Ich werden », le Moi qui doit advenir là où était le Ça.
L’analyse d’enfant et l’expérience du psychodrame nous incitent à articuler ces formules freudiennes, toujours actuelles, au modèle du jeu évoqué précédemment.
Rappelons-nous, Peter s’appropriant à sa manière l’interprétation de Mélanie Klein sur les attaques contre son frère, en évoquant le « frère jouet ». Pourquoi suis-je tenté de lui donner raison, alors que Mélanie Klein aimerait bien, dans le fond, qu’il reconnaisse sans nuances que c’est bien son frère réel qu’il veut tuer ? Dès qu’il déteste son frère, Peter n’est-il pas déjà pris dans les jeux de son inconscient, la ruse de l’imaginaire consistant ici à croire qu’une possession sans limites de la mère serait possible, si seulement son frère ou son père venaient à disparaître.
Qu’est-ce que l’interprétation analytique, sinon une parole qui fait référence à ce jeu de l’inconscient, seule réalité qui vaille dans l’échange analytique ? Du jeu manifeste à la question virtuelle qu’il s’efforce de résoudre, l’interprétation analytique s’efforce d’ouvrir une voie au devenir conscient, qui s’apparente ici à un devenir auteur de son jeu. Assumant une fonction auteur, le Moi accepte d’authentifier, de signer le jeu qui l’anime, bien qu’il ne soit pas à son origine, mais tout simplement parce qu’il reconnaît que ce jeu s’efforce le dessiner dans un monde dont il serait à nouveau le centre - si le frère venait à disparaître...
« Là où Ça joue, le Moi doit devenir auteur du jeu inconscient », serait peut-être une formulation post-freudienne, susceptible de prendre en compte l’apport de la psychanalyse d’enfant à la théorie générale du changement en psychanalyse.
Conférences d’introduction à la psychanalyse
8 octobre 2003
Bibliographie
Diatkine R. (1986) Les jeux et les âges. Les textes du Centre Alfred Binet. Édité par ASM 13.
Freud S. (1900) L’interprétation des rêves. PUF.
Freud S. (1914) Remémoration, répétition, élaboration. In : La technique psychanalytique, PUF, 1970.
Freud S. (1920) Au-delà du principe de plaisir. Œuvres complètes, PUF.
Green A. (1993) Le travail du négatif. Éditions de Minuit.
Klein M. (1932) La psychanalyse les enfants. PUF, 1959.
Klein M. (1955) La technique de jeu psychanalytique : son histoire et sa portée. In: Le transfert et autre écrits, PUF 1995.
Parsons M. (1999) The logic of play in psychoanalysis, Int. J. Psychoanal., 80, 871.
Wainrib S. (2002) Des familles qui vous collent à la peau. Les liens trans-subjectifs. Revue Française de psychanalyse n° 1, 2002.
Winnicott D.W. (1970) Jeu et réalité. Gallimard.
Winnicott D.W. (1942) Pourquoi les enfants jouent-ils ? In : L’enfant et le monde extérieur. Payot, 1972.
Winnicott D.W. (1974) La crainte de l’effondrement. Gallimard.