Propositions...
La réaction thérapeutique négative, expression clinique de la compulsion de répétition, conduit Freud à « inventer la pulsion de mort ». Le concept de pulsion de mort met au travail ce paradoxe d'un originaire que qualifie une dualité pulsionnelle déjà là. Mais en même temps, la pulsion appartient au champ processuel de la création de l'appareil psychique.
En 1937, dans « Analyse finie et analyse sans fin » ainsi que dans « Construction dans l'analyse », Freud met cette résistance au travail analytique en lien avec la culpabilité inconsciente. La réaction thérapeutique négative devient expression de la pulsion de mort. Elle résulterait d'un mixage des forces moïques masochistes et surmoïques sadiques.
La pulsion de mort dont l'élaboration théorique recouvre la nécessité de rendre compte de ce fait clinique qu'est la réaction thérapeutique négative, devient par inférence conceptuelle la cause même de cette réaction thérapeutique négative. Serait-elle une conséquence du passage trop direct postulé par Freud de la compulsion de répétition à la pulsion de mort ?
Peut-on disjoindre le parcours personnel du parcours théorique dès lors que le travail sur cette autre scène que génère l'espace analytique croise et entrecroise les différents registres intrapsychique, inter psychique, inter analytique et leurs multiples mouvements transférentiels et contre transférentiels.
Peut-on questionner le concept de pulsion de mort sans en repenser soi-même la genèse, reprendre des trajets, réinvestir des traces ?
La théorisation de la pulsion de mort par Freud a été interprétée comme un travail élaboratif de positions contre transférentielles négatives non transférables sur l'analyste qu'il n'avait pas. Cette réflexion ouvre le champ des échanges inter analytiques et le nécessaire recours à un autre analyste pour un travail du contre-transfert devenu exigence éthique.
Il est incontestable qu'il est difficile de distinguer l'intrication et la désintrication des mouvements transféro-contretransférentiels de la problématique de la transmissibilité de l'analyse. Le processus analytique s'origine avec « l'appropriation subjective de la méthode » à travers l'entendement du travail d'auto-analyse que Jean Luc Donnet présente comme « l'indéfini du processus analytique chez l'analyste ».
La création de la pulsion de mort peut se comprendre comme une forme d'expulsion de la destructivité hors du cadre analytique, mais elle se soutient également de sa reprise dans la constitution du psychisme et donc du processus lui-même. Le traitement de cette destructivité intègre aujourd'hui l'approche interprétative du contre-transfert. L'élaboration concerne la destructivité et ses intrications, et se présente dans la continuité des recherches concernant le travail du négatif.
Le changement fondamental de la conception du fonctionnement psychique avec la deuxième topique, dont on retrouve les prémices dans les écrits antérieurs à 1920, fait apparaître la notion d'une processualité pulsionnelle toujours en mouvement où l'inconscient n'est plus présenté comme une entité organisatrice du psychisme mais acquiert le statut de qualité psychique qui concerne toutes les instances à des degrés divers. Le Moi et le Surmoi plongent leurs racines dans le Ça, miscellanées pulsionnelles « émanées de l'organisation somatique et qui trouvent dans le Ça sous des formes qui nous restent inconnues, un premier mode d'expression psychique ». Rien n'est acquis, tout est en devenir : l'appareil à penser les pensées reste à construire, le processus pulsionnel lui-même dans ses valences de vie et de mort est à inventer. Et l'objet y joue un rôle primordial.
Le refoulement qui façonnait l'appareil psychique sous l'égide d'une fonctionnalité représentative conservatrice est supplanté par des défenses concernant la destructivité. La remémoration, qui devait lever l'amnésie infantile et les symptômes, laisse la place à un processus dynamique de construction, de création. La nouvelle topologie que Freud propose introduit une perspective dynamique et processuelle. La construction d'un appareil psychique à partir d'un vécu élaboré au contact de l'autre se complexifie. Elle fait intervenir des forces dont l'organisation en motions pulsionnelles relève de rencontres ou encore d'expériences qui laisseront des traces de satisfaction et/ou de douleur, forces et mouvements en perpétuels réaménagements.
Comment penser cette désorganisation des forces psychiques qui conduit à la réaction thérapeutique négative ? Dans cette répétition, quelle figuration donner à l'impensable, à l'inconnaissable, à la destructivité, à la mort ?
- Les expériences de satisfaction laissent des traces dont le réinvestissement induit au sein du psychisme une rencontre qui sollicite le déploiement de la potentialité hallucinatoire. L'échec de la satisfaction hallucinatoire est à la source même de la constitution du désir à la recherche de l'objet susceptible d'engendrer la satisfaction. La rencontre me semble pouvoir être représentée par l'entité « objet-zone complémentaire » telle que la conçoit Piera Aulagnier, représentation qui possède déjà cette qualité topique d'intrapsychique et d'inter psychique, à la fois interne à tonalité d'auto-engendrement mais aussi radicalement dépendante d'un étayage externe donnant toute son importance à l'objet et à son environnement. Mais surtout la rencontre ne peut se concevoir en dehors d'autres rencontres, ayant déjà eu lieu ou à venir.
- Lorsque c'est la douleur qui envahit ces différents champs de l'inter et de l'intrapsychique, les mouvements d'investissement tentent de s'y opposer ou de l'éviter. La potentialité générative relevant du précipité des expériences avec l'objet se renverse en un recours massif indifférencié au désinvestissement. Dès lors dans ces moments de décharge menaçant l'intégrité du sujet en devenir, la désorganisation creuse le lit d'une auto-destructivité interne. Ces forces destructrices entravent l'organisation des auto-érotismes secondaires, processus essentiel pour l'avènement de l'altérité et donc du sujet. Le dispositif pulsionnel n'est pas là d'emblée, mais sa fonctionnalité est déterminante pour la constitution du psychisme et générative de sa structuration. Elle a cette spécificité du vivant d'être toujours à inventer et en devenir, dans l'intrication-désintrication des mouvements d'investissement et de désinvestissement de circuits potentiels.
Qu'en est-il alors de ces situations où l'appareil psychique semble refuser les mouvements de réorganisation et d'élaboration internes ? Avec la notion de position phobique centrale, André Green nous permet une certaine compréhension d'un mécanisme qui consiste à éviter au prix d'une mutilation psychique le retour d'une douleur innommable dans la réactivation de ces traces-motions dont il faut détruire non seulement la potentialité mais la virtualité même. La position phobique centrale et la destructivité qui s'y attache sont immanentes et relèvent tout à la fois des participants de la rencontre à leurs multiples niveaux : l'analysant, l'analyste, le principe qu'ils représentent ensemble et chacun d'eux avec leurs objets psychiques mais relèvent également des processus mêmes de leur constitution. Rencontre d'une butée qui serait l'annulation de la destructivité et de la douleur, ou de tout ce qui pourrait y renvoyer. Ma proposition : La réaction thérapeutique négative, expression d'une butée du travail analytique pourrait être entendue comme manifestation paradigmatique du processus analytique, expression manifeste de forces négatives à l'œuvre, tant au niveau du transfert, du contre-transfert que de l'inter-transfert. Élément de la clinique psychanalytique, elle devient également opérateur théorique comme la résistance qui d'obstacle est devenue outil essentiel. Apparaissant à la suite d'une amélioration clinique ou encore appartenant aux mouvements de fin de cure, la réaction thérapeutique négative serait l'expression de la réactivation de mouvements internes de désinvestissement sur le modèle de l'évitement de la douleur lorsqu'elle s'associe à une menace de désorganisation psychique ou somatique : l'absence d'investissement du sujet par l'objet primaire se combine à l'absence d'auto-investissement du moi pour lui-même. Les traces investies alors pourraient-elles être celles de la désorganisation elle-même ?
Mise en acte du transfert, symptôme adressé à l'analyste, la réaction thérapeutique négative peut alors être ressaisie comme déplacement de la destructivité du côté de l'analyste et mobilise ses propres traces traumatiques qu'il lui faut remettre au travail.
Bibliographie
Aulagnier P. - Un interprète en quête de sens, Paris, Payot 1991, 425 p.
Donnet J.-L. - Le divan bien tempéré. Paris, Presses Universitaires de France 1995, 308p.
Freud S. - Abrégé de psychanalyse, Puf, 1978.
Freud S. - Essais de psychanalyse, Paris, Payot 1972
Freud S. - Résultats, idées, problèmes : t.2 : 1921-1938 Paris, Puf, 1985, 298 p.
Guillaumin, J. (dir.) - L'invention de la pulsion de mort, Paris, Dunod 2000, 200 p.
Green A. - La position phobique centrale : avec un modèle de l'association libre,
Revue française de Psychanalyse, 2000, vol. 64, n° 3, pp. 743-771.
Potamianou A. Le traumatique, répétition et élaboration. Collections Psychismes, Dunod éditeur. 2001. 164 pages.
Résumé
En interprétant la conceptualisation par Freud de la pulsion de mort à partir de la constatation clinique de la réaction thérapeutique négative comme une expulsion de la destructivité et de la négativité hors de l'analyse, l'auteur envisage que la RTN puisse être un outil au même titre que la résistance névrotique, passage à l'acte transférentiel qui doit être entendu comme un retour de la destructivité dans le cadre de l'analyse, dans une tentative d'évitement d'une douleur innommable, que ferait craindre l'amélioration clinique avec son risque de réinvestissement de traces traumatiques.