Owen Renik doit être remercié pour la clarté de son exposé sur le thème de l’analyse intersubjective. J’ai pu apprécier l’ardeur sincère de son souci de nous faire partager ses positions et de le suivre dans l’aventure qu’il nous propose.
Cette aventure de l’analyste et de l’analysant travaillant ensemble nous est familière et riche en implications ; mais peut-être pas tout à fait les mêmes que celles proposées par O. Renik.
J’aurais souhaité que l’auteur puisse nous faire part de la définition qu’il donne au terme et au concept du sujet. En lisant, O. Renik je me suis dit qu’il se réfère à un sujet « déjà là » venant rencontrer un autre sujet déjà là. A cet égard, et tenant compte du riche travail de R. Cahn (1991) un certain nombre de questions se sont posées pour moi.
1. La constitution d’un sujet établi en avant coup du travail de l’analyse, quelle place laisse-t-elle au procès de subjectivation, indispensable surtout quand on a affaire à des patients borderline ou psychotiques, pour qui la terre de l’identité est une terre qui tremble ? Ces patients ont élargi le champ de la pratique analytique actuelle. Pour eux, devenir « sujet » est l’aboutissement d’un trajet long, pas toujours accessible, et particulièrement pénible, comme j’ai essayé de le montrer dans un travail récent 1. Mais même si on laisse de côté ces de patients, et tout en admettant que la théorisation Freudienne du « sujet » est très lacunaire, comment concevoir la « co-création de deux sujets » dont parle O. Renik (p.2 du texte) ?
En tout état de cause, il s’agit de production sur un axe, dont l’un des pôles est supposé être possesseur de connaissances subjectivement appropriées portant sur les fantasmes et le jeu des pulsions/défenses, alors que l’autre ne l’est pas. Il faut donc préciser qu’il n’y a pas d’homologie concernant la production créative des deux sujets et le niveau de fonctionnement de ceux-ci.
2. En 1987 Stolorow, Brandchaft et Atwood 2disaient que « la psychanalyse cherche à éclairer les phénomènes qui émergent dans un champ psychologique spécifique, constitué par l’intersection de deux subjectivités … ». Ils ajoutaient : « La psychanalyse, en tant que science de l’intersubjectif, se focalise sur l’interaction de mondes subjectifs organisés différemment, celui de l’observateur et celui de l’observé. Le concept d’intersubjectivité est en partie une réponse à la tendance de la psychanalyse classique à considérer les phénomènes cliniques en termes de processus et de mécanismes existant dans le seul patient ».
En tenant compte de nombre de publications françaises et anglaises plus anciennes et encore des plus récentes (D. Winnicott, S. Viderman, C. et S. Botella, A. Green, R. Roussillon), portant sur le thème du transfert /contre-tranfert, je ne crois pas que O. Renik dirait aujourd’hui la même chose. Néanmoins, il se réfère au co-créé par le patient et l’analyste, comme s’il s’agissait d’une expérience réalisée uniquement dans le cadre de l’analyse intersubjective.
Par ailleurs, l’implication affective des deux membres de la dyade ne revient pas seulement à l’ordre du subjectif comme l’indique le texte de Renik (p.1). Mais je peux bien le suivre, quand il parle du contre-transfert excédant de loin la conscience de l’analyste. Je dirai même que pour plusieurs d’entre nous l’essentiel du contre-transfert se retrouve dans les scories, dans les points obscurs, ou lors du retour du refoulé chez l’analyste.
3. Si la relation s’inscrit dans un champ d’où la notion du « comme si » est plus ou moins absente, le processus analytique se développe entre deux personnes dont l’une porte pour l’autre le poids de l’objet primaire irremplaçable, chargé d’investissements haineux et de désespoir. Où tracer alors les carrefours des échanges interpersonnels ? Le patient est-il ici agent d’échanges autres que ceux produits surtout par les clivages et les projections ? Qu’en est-il des échanges intersubjectifs, quand le psychisme ne se prête pas aux constructions, mais se trouve en nécessité d’articulations re-aménageantes ?
4. Que des points obscurs, prouvant l’action des refoulements ou des clivages, soient présents chez les deux membres de la dyade, je suis tout à fait d’accord avec O. Renik (p.1 du texte), puisque l’inconscient dynamique se manifeste, et pour autant que les poussées pulsionnelles ne subissent pas d’extinction. Mais il est évident aussi que la part de la participation subjective de l’analyste n’est pas égale à celle du patient et surtout elle n’invite pas nécessairement à l’interaction de deux subjectivités (p.2 du texte) dans le sens que l’auteur indique, quand, par exemple, il pense à l’analyste qui « discute » de ses propres réactions avec le patient (p. 5 du texte), « l’interprétation de sa psychologie » se rapportant à ce que l’analyste comprend de l’interaction actuelle entre le patient et lui-même. Faut-il d’ailleurs rappeler, que ce qui se passe ne concerne pas seulement la dyade dans l’actuel, puisque l’analyste a eu lui aussi un analyste et qu’il est porteur des imagos de son enfance ?
À la création de ce que j’ai appelé le mythe-historème 3 dans une analyse, un autre mythe-historème a précédé.
5. Je suis également d’accord avec O. Renik que l’expérience de l’analyste doit et peut être accessible à son patient. Mais c’est en prenant une toute autre voie que je le rencontre. O. Renik se réfère à ce que D. Widlöcher 4, parlant du patient, avait appelé : « Communication informative ». Celle-ci implique le besoin de faire connaître et partager une connaissance du monde personnel des représentations. » Mais une fois que le besoin est de la partie, que ce soit du côté du patient ou du côté de l’analyste, on est de toute façon entraîné vers le registre de l’interaction.
Or, je pense à ces cas où l’interaction dans la cure en analytique est liée à des décharges comportementales et somatiques, qui marquent les déficiences du tissu des représentations et de la pensée symbolique et réflexive. Dans ce cas, c’est le travail du préconscient de l’analyste – basé sur son propre vécu des possibilités de liaison /déliaison / reliaison – qui est offert à son patient à travers les interventions interprétantes. L’expérience propre de l’analyste se propose ainsi aux mouvements identificatoires du patient.
6. Un dernier point concerne l’évaluation des résultats positifs dans la clinique psychanalytique. Il est certain que ceux-ci peuvent être considérés comme étant sous l’influence de facteurs culturels. Mais, je crois, que les critères de base des transformations, qui consistent à suivre les voies progrédientes ou regrédientes tracées par les moyens de décharge des excitations dans le courant de la cure, et à reconnaître les changements du niveau de fonctionnement de la pensée, sont indépendants des influences culturelles.
Ces critères, suivant les déplacements des investissements, peuvent conduire à considérer une analyse non pas comme réussie – pour plusieurs raisons je ne souscris pas à ce terme – mais comme initiatrice de mouvance psychique plus libre qu’elle ne l’était. Par conséquent, la rencontre avec soi-même est facilitée à partir des appropriations subjectivantes. Selon moi, celles-ci se constituent dans l’après coup de mouvements d’inclusions/exclusions, impliquant le Moi, tout autant que les autres instances « La prise du pulsionnel dans un rapport signifiant » 6, quand elle devient possible, me semble être à même de mener le patient, tout autant que l’analyste, vers un ailleurs des échanges interactives et interpersonnelles.
C’est l’horizon de l’infinitude et de la multiplicité du sens qui s’ouvre devant nous. Et l’objet analytique qui se construit entre le patient et l’analyste5 émerge alors comme objet de vibrations entre le pôle des répétitions et le pôle des transformations progrédientes. Pour moi, il ne peut être que palpitation de sens.
Je remercie O. Renik de m’avoir donné l’occasion de cette réflexion.
Février 2004
1Potamianou, A. Souffrance et douleur dans la mouvance psychique chez les états limites. Colloque de Lyon sur la douleur, décembre 2003.
2Stolorow, R., Brandchaft B., Atwood, C. (1987) Psychoanalytic Treatment, an intersubjective approach. The Analytic Press Hillsdate.
3Potamianou, A. (1985) « Points de rencontre » Rev. Franç. Psychan. 4 : 1093-1100.
4Widlöcher, D. (1995) « Pour une métapsychologie de l’écoute psychanalytique ». Bulletin SPP, no 35, p.170.
5Potamianou, A. (1997) « Naissance de l’objet analytique » Revue Ek ton ysteron 1 : 48-55.