Bernard Penot
Réactions au propos théorique de Jean-Luc Donnet
Le choix fait par Jean-Luc Donnet de reprendre la question du rapport entre parole et agir dans la cure me semble faire écho à une évolution perceptible du mouvement psychanalytique, en ce tournant de siècle, vers une autre façon d’envisager la contribution possible de l’agir au processus. Cela fut bien mis en évidence par les rapporteurs Belges au congrès de Langue Française à Bruxelles (mai 2002). Il apparaît de plus en plus que dans nombre de cas difficiles (« limites », dit-on) l’instauration d’un processus subjectivant va nécessiter une véritable conquête, au prix d’une action conjointe du patient et de l’analyste, et non sans une dépense énergétique éprouvante pour les deux.
Il est certes compréhensible que Freud, au moment de fonder la psychanalyse en tant que cure de parole (talking cure), ait eu besoin d’insister sur la dimension défensive d’un agir en séance, pour autant, dit-il, qu’il revient à préférer « répéter au lieu de se souvenir ». Mais nombre de nos patients d’aujourd’hui s’avèrent « limites » en ceci que l’agir prend chez eux une place régulatrice prépondérante, au détriment des formations névrotiques résultant du refoulement. Davantage encore que les patients de Freud, ces cas nous imposent leur maladie « non comme un événement du passé mais comme une force actuellement agissante ». Le mouvement inter-subjectiviste américain constitue sans doute une forme de réponse à cette clinique nouvelle (voir la discussion prochaine avec Owen Renik sur le site « débat sans frontière »). Tout se passe comme si certaines données de l’histoire du patient n’avaient pas acquis une suffisante re-présentation par des images mentales ou par des mots (faut-il encore rappeler que le signifiant lacanien n’est pas seulement verbal ?). Maintenues à l’état d’empreintes perceptives à potentiel traumatique, elles ne peuvent se re-présenter qu’au travers de l’agir – lequel apparaît du coup plutôt porteur d’une compulsion (aveugle) vers la mise en image psychique et la reconnaissance subjective (un peu comme la révenance). Freud parlera bien plus tard (à la fin de « Constructions », 1937) d’un travail de « restitution » ouvrant à une appropriation subjective possible.
1 – Ma première réaction à la proposition de Jean Luc sera de souligner la nécessité pour l’analyste d’évaluer les différents agirs spontanés en cours de cure (y compris les siens propres, si discrets soient-ils) sous l’angle de leur contribution possible au processus, c’est à dire leur potentiel de signifiance. Car celui-ci diffère considérablement, non seulement d’un cas à l’autre, mais aussi à des temps différents d’une même cure. Les multiples agirs possibles constituent une vaste gamme qualitative entre deux pôles extrêmes – je dirai : entre acte et agir. D’un côté, en effet, il y a ce que Freud a qualifié d’ « acte manqué » : une action involontaire dont la charge pulsionnelle réprimée (à potentiel hostile, érotique, etc.) tend à être assez facilement reconnue, par les témoins d’abord, mais même aussi par son auteur. Au cours d’une cure, cela va prendre typiquement la forme de l’acting out, ou de l’acting in.
Mais l’autre pôle de l’agir constitue malheureusement un phénomène beaucoup plus opaque dont la fonction dynamique et économique est surtout d’une décharge expulsive – d’un rejet hors psyché donc, sans potentiel métaphorique directement exploitable ; et Jean Luc a alors raison d’évoquer « la menace de perte de sens » (un peu comme dans l’addiction). C’est un des mérites de Lacan (1956-57) de s’être attaché à examiner un tel différentiel de signifiance entre les deux pôles de l’agir. Il a pensé pouvoir exemplifier cela au travers du cas célèbre d’une patiente de Freud, dite La jeune homosexuelle, qui est décrite produisant deux agirs symptomatiques nettement différenciables quant à leur valeur de symptôme (« Psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine », 1920). Elle effectue d’abord un acting caractérisé en allant se promener au bras de son amie demi-mondaine dans la rue où travaille son père, de sorte que celui-ci ne manque pas de les croiser et de lui jeter un regard courroucé. Mais un agir de nature différente va survenir après que l’amie soucieuse de s’éviter des difficultés sociales lui ait signifié son intention d’en rester là : la jeune fille réagit à cette annonce de rupture en se jetant sur les voies du chemin de fer de ceinture de Vienne.
Lacan observe que le premier agissement est un montage hautement significatif, c’est un acte qu’on peut dire pro-vocateur. Il peut être opposé en cela à la décharge dé-subjectivante du second agir par lequel elle se précipite à « choir » comme objet délaissé, vers une non existence possible. La reprise en séance de ces deux agirs ne saurait être la même.
2 – Je propose de considérer – ce sera ma deuxième remarque – que le rapport entre un acting out (ou in) et sa mise secondaire en parole n’est pas sans présenter une certaine analogie avec le passage du rêve lui-même au récit secondaire du rêve. L’activité interprétative de l’analyste ne doit habituellement pas s’appuyer de façon directe sur les éléments du rêve mais sur les associations du rêveur. N’en va-t-il pas de même pour notre travail à partir de certains actings de transfert ? On peut dire que le transfert est une manière de rêver la relation avec l’analyste. Et l’on observe aussi un large gradient dans la qualité des rêves, depuis le cauchemar traumatique jusqu’à la subtilité polysémique du rêve de désir. Tout cela incite à considérer le répéter agi autrement que comme pure résistance au remémorer, mais plutôt dans une ambiguïté similaire à celle que Freud attribue précisément au transfert : précipité concrétisant qui fait avant tout résistance, bien sûr, mais qui est en même temps seul à même de réactualiser la charge affective de manière à la restituer à la vie subjective du patient dont elle demeurait rejetée.
Cette remise en dialectique (dynamique) de l’agir nous amène de façon plus large à reconsidérer la manière qu’a eu Freud de répudier sa théorie de la séduction subie par l’adulte – ce qu’il a appelé sa « neurotica » – pour mettre l’accent sur la construction subjective du fantasme sexuel. Il est intéressant de voir qu’il n’a pas éprouvé la même nécessité, par exemple, de désavouer sa première topique pour établir la seconde.
Cela nous oblige aussi à reconsidérer le concept de pulsion dont on voit bien qu’il fut surtout ancré du côté de l’endogène par Mélanie Klein (elle parle volontiers d’ « inné », de « constitutionnel »). En France, on s’est davantage tenu à suivre l’indication posée au départ par Freud de la nature « limite » de la pulsion – entre organique et psychique – ce qui amène à concevoir celle-ci comme résultant de la rencontre entre les mouvements de l’organisme nouveau-né et les actes-réponses, plus ou moins signifiants, plus ou moins sexualisés, plus ou moins « énigmatiques », produits par l’Autre parental premier. Là-dessus, on peut apprécier aujourd’hui la fécondité des développements apportés par des auteurs comme André Green et Jean Laplanche, chacun selon sa veine propre, à partir de l’impulsion particulière qu’ils ont pu recevoir de l’enseignement de Lacan dans les années soixante : chacun d’eux a puissamment contribué à faire reconsidérer le rôle des inter-actions premières dans la genèse du fantasme (l’école anglaise ayant eu davantage tendance à considérer le fantasme comme un acquis naturel). Tous deux ont aussi du même coup contribué au nécessaire ré-examen de la mal nommée « pulsion de mort » (objet du débat précédent sur ce même site). Dans bien des cures, la nature du transfert oblige l’analyste à travailler à ce niveau, disons, naissant de la subjectivation – où l’intra-psychique doit s’étoffer à partir de l’inter-actif. C’est sans doute aussi pourquoi bien des cures doivent d’abord s’amorcer dans un travail en face à face. (Voir un prochain numéro de la Revue française de Psychanalyse sur ce sujet).
3 – Ma troisième remarque ne sera qu’indicative. Jean-Luc souligne fort justement au passage que Freud a dû en venir, avec sa deuxième topique, à prendre en compte l’existence d’un Inconscient moïque et sur-moïque. Mais j’extrapolerai sur son propos en observant que cela n’autorise nullement pour autant à parler de « pulsions du moi » – et la discussion là-dessus avec Jean Guillaumin sera sans doute intéressante.
9 janvier 2005
Réponse de J.-L. Donnet à l’intervention de B. Penot
1. Les remarques de B. Penot font apparaître que la condensation de mon texte ne facilite sans doute pas la saisie de son enjeu : celui-ci n’est pas dans la problématique de l’agir, mais dans un retour sur la forme parlée de l’agieren en séance. C’est à propos de cette forme que le lien établi par Lacan entre la mise en acte de l’inconscient par la parole et la théorie du sujet représenté par un signifiant pour un autre signifiant se montre la plus pertinente, tout en révélant, me semble-t-il, ses limites. Quand Bernard Penot rappelle que le signifiant lacanien n’est pas que verbal cela ne concerne pas mon propos ici ; et j’ajoute que si cela veut dire que l’agir – comme la somatisation, etc – a un potentiel de signifiance, il faudrait que Penot nous dise en quoi cette formulation est « lacanienne » ?
2. Pour revenir à mon propre et modeste « retour à Freud » – dont je n’ai pas besoin de dire ce qu’il doit à tous ses successeurs – et pour faire écho à Bernard Penot, voici ce que je dégage de « Remémorer, répéter, élaborer ». La prise en compte de l’agieren y concerne un éventail si large de manifestations si hétérogènes qu’il est facile de s’y perdre. On peut les répartir en trois registres :
a) ceux qui se produisent en dehors de la situation analytique, et que Freud souhaite limiter par la règle d’abstinence. Le rattachement de ces « acting » au transfert est souvent délicat ; et leur caractéristique est que l’analyste ne les connaît qu’à travers le récit éventuel qu’en fait le patient. Un tel récit s’inscrit nécessairement dans le registre d’une remémoration-représentation. Aussi bien suis-je en accord avec B. Penot pour comparer le couple agir/récit et le couple rêve/récit de rêve. C’est bien la problématique de la neurotica, où l’agi remplace le subi ; il en découle que la différence clinique au demeurant bien claire entre les deux « agir » de la jeune homosexuelle, outre qu’elle échappe à une prise transférentielle, ne préjuge en rien de la position subjective de la patiente dans un récit après-coup adressé à l’analyste, position qui est la clef d’une élaboration virtuelle.
b) Un deuxième registre est celui des « agir » qui se produisent en séance et, le plus souvent, mettent en cause ou en jeu le cadre de la cure. Leur importance renvoie dialectiquement à la fonction de contre-agir préventif du cadre.
c) Le troisième registre – celui auquel je m’intéresse – est le plus crucial, puisque l’agieren s’y manifeste sous une forme exclusivement parlée. Il s’agit d’une modalité d’actualisation transférentielle qui vient alors subvertir la règle fondamentale en utilisant la liberté de parole qu’elle offre. C’est à cette modalité de discours que s’applique au mieux, je l’ai rappelé, l’idée lacanienne d’une mise en acte de l’inconscient par la parole. Il faut relire les quatre exemples qui viennent l’illustrer pour mesurer la complexité de leurs implications. Un de ces agieren englobe la production de rêves et d’associations confuses, transposant une situation du passé. Le quatrième exemple est celui d’un patient que l’énoncé de la règle rend mutique : répétition d’un conflit avec l’autorité parentale. L’agieren est saisi ici comme refus de la parole attendue, désirée et comme une attaque contre la règle fondamentale qui perd toute valeur tierce pour devenir enjeu du conflit.
Si Freud pose l’alternative remémorer/répéter, ce n’est pas – comme le suggère Bernard Penot – pour mettre l’accent sur la valeur défensive de l’agieren ou sur le fait que le patient « préfère agir ». A la deuxième édition du texte Freud a ajouté un long passage qui fait précisément le joint entre remémorer et répéter, dans lequel il recense les formes de plus en plus complexes prises par le travail de mémoire en psychanalyse ; de telle sorte que l’agieren, avec la confusion totale qu’il réalise entre le présent et le passé, semble en représenter la forme la plus extrême en même temps qu’il négative le transfert en tant que tel. Je ne reviens pas sur l’ampleur des implications métapsychologiques de cette prise en compte freudienne.
Pour m’en tenir à l’enjeu méthodologique, il me semble utile de rappeler que l’ouverture de cette deuxième scène intersubjective ne fait aucunement disparaître le privilège de la scène intrapsychique de la représentation, mais qu’elle rend nécessaire de décrire la situation analysante comme résultant du jeu complémentaire et antagonistique de ces deux scènes – dont la dualité ne recoupe pas celle décrite par Freud. Le processus analytique est marqué par l’alternance très variable de leurs désemboîtements et réemboîtements. L’agieren parlé a comme caractéristique essentielle l’imprévisibilité de son destin. Dans bien des cas il semble utiliser la scène intersubjective du transfert pour une mise en représentation (enaction) aisément reprise, avec ou sans intervention de l’analyste, en représentation interne. Mais, très souvent le délai de cette transformation s’allonge faisant valoir la dimension la plus aléatoire de l’après-coup, jusqu’à la perte du sens même de la situation. Pour rendre compte des aléas de cette transformation, le recours à la notion de transfert sur la parole (André Green) est précieux. Lorsqu’il s’avère après-coup que le dire a opéré la transformation, c’est que l’agieren parlé est devenu acte de parole. Lorsque le transfert sur la parole est neutralisé, négativé, le dire reste indice d’une catastrophe psychique ; je suis tenté d’invoquer un agir de parole. L’articulation des deux scènes se présente comme un enjeu processuel essentiel, même – sans qu’il le sache – pour un intersubjectiviste. Elle est aussi nécessaire et difficile à penser que l’articulation de la première et de la deuxième topique.
19 janvier 2005
Jean Frécourt
Fräu Emmy v. N…
« Elle me dit alors, d’un ton très bourru, qu’il ne faut pas lui demander toujours d’où provient ceci ou cela mais la laisser raconter ce qu’elle a à dire. J’y consens (je souligne. J.F.) et elle poursuit sans préambule… » (Études sur l’hystérie, PUF ,1956, p. 48).
Ce moment est manifestement décisif, parmi d’autres, dans « l’invention » de la psychanalyse. Il me paraît, au regard de la position de type médical traditionnelle, revêtir le sens d’une révolution éthique, si l’on veut bien y voir l’effet d’une nouvelle alliance, « intersubjective », entre un sujet, une « analysante » qui apparaît dans la suite de cette protestation première et un sujet qui se découvre psychanalyste, encore à son insu sans doute, dans ce « j’y consens », bien que cette formulation puisse apparaître encore ambigüe. Toujours est-il qu’Autre chose va se dire. Il y a eu événement : un double avènement subjectif… Il est inutile d’insister sur leur portée.
Si l’on retient la notion d’un « transfert sur la parole » – qui me semble problématique –, je me demande quelle est le statut, selon le développement de J.-L. Donnet, de cette forme très « agie » de la prise de parole inattendue, qu’il faut bien dire inaugurale, de la part de la patiente: une femme qui se subjective, ou se résubjective, face à une parole très marquée par l’appel à l’autorité doctorale d’un homme qui semblait, jusque-là, aller de soi. Que dire encore de l’effet de la confrontation de ces deux types de prise de parole, ou de « transfert sur la parole » ? Ne serait-ce pas, pour aller trop vite, l’effet imprévisible de la confrontation entre une parole de transfert sur un savoir – pré-existant au sujet – et la parole de l’Autre, qui ne relèverait pas vraiment, me semble-t-il, d’un transfert ?
7 février 2005
Christine Bouchard
Questions à J.-L. Donnet
Le texte de Jean-Luc Donnet « Entre l’agir et la parole » pose quelques questions que je formulerais ainsi :
Tout d’abord la proposition de J.-C. Rolland, à laquelle il se réfère, selon laquelle la parole crée une nouvelle évènementialité, me semble constituer, non pas une donnée première mais une situation à construire dans la cure analytique. Sin on, que dire de ces situations où le divan semble ne pas être à l’origine d’une nouvelle modalité d’utilisation de la langue ? Parfois la situation semble particulièrement « mal » utilisée (même si cette proposition peut paraître aller quelque peu à l’encontre du postulat selon lequel à son insu, et quoi qu’il dise, le patient produira des effets de sens) ; elle ne semble parfois utilisée que pour traduire, informer. Une sorte de détour nécessaire mais contraignant. Étrangement ainsi la modalité de la « parole couchée » n’est pas interrogée ni explorée malgré sa spécificité en particulier de ne rencontrer aucune réponse autre qu’interprétative. Même au cours de cures « classiques » on peut remarquer des moments où l’analyste est sollicité explicitement autrement que comme interprète, voire où son rôle d’interprète lui est interdit. Demande de prises de positions, excuses d’avoir pu blesser l’amour propre, etc. l’analyste est requis sur un mode où la polysémie même du langage du patient est volontairement exclue.
Ainsi l’écart entre la parole et l’événementialité psychique est abrasée, ignorée. Le sujet de l’énonciation ne saurait se distinguer et se reconnaître autre que celui de son énoncé. La parole en séance perd de ce fait son ambiguïté et sa valeur transitionnelle, où elle trouve et crée en même temps la réalité psychique du patient. La référence à l’échange ordinaire dé spécifie la situation et crée alors un malaise contre transférentiel à la mesure du mouvement d’emprise sous-jacent à ces formulations impérieuses du patient. Le refus radical implicite du déplacement, de la polysémie, de la répétition à l’œuvre et donc du registre interprétatif me paraissent constituer la nature du transfert négatif, transfert négatif sur la méthode. Rappelons la distinction de Freud entre « l’attente croyante sur un guérisseur quelconque et celle où intervient la certitude d’une bonne démarche », religion ou science, la psychanalyse rencontre des modalités d’investissement, qui même si leurs ressorts sont difficilement dissociables, ne mettent pas en symétrie le transfert positif et le transfert négatif. Le transfert analysable suppose l’investissement de son interprétabilité donc de la neutralité de l’analyste. Un transfert sur l’objet et conjointement sur la parole.
20 février 2005
Réponse de J.L. Donnet à l’intervention de Jean Frécourt
Il est tentant, en effet, de faire de la célèbre formule évoquée par J. Frécourt (laissez-moi parler sans m’interrompre), un moment décisif dans l’invention de la méthode psychanalytique ; parce que cela convient à notre éthique que cette invention parte d’une manifestation subjectivante de la patiente, prise en compte par celui qui deviendrait, de ce fait, son analyste. Ce que je retiendrai surtout, c’est ce que peut devenir un tel moment, après que, repris par Freud, il est intégré dans sa méthode en tant que règle fondamentale avec la situation cadrée qui en est le corrélat, puisque la question se trouve posée jusqu’à quand laisser parler la patiente ? La règle fondamentale, en désignant le patient comme un agent actif de sa cure, souhaite que de tels événements de parole adviennent et transgressent une limite interne, dont ils révèlent en même temps l’existence. Il n’en reste pas moins que désormais elle les aura précédés, qu’elle ait été énoncée ou pas ; il existe donc, au sein de la méthode, une tension entre les conditions qui organisent l’aventure, et celles qui visent à préserver l’émergence, et ainsi à éviter de soutenir directement une parole que Jean Frécourt désigne comme parole de transfert sur un savoir pré-existant : je dirai plutôt parole témoignant d’un transfert.
Je reviens aux deux scènes dont l’articulation constitue la situation analysante. Dans le cas évoqué, on peut dire que la patiente fait acte de parole, parce que, même très bourrue, son énonciation, en intimant à Freud de se taire, semble faire appel à une méthode d’investigation meilleure, celle de l’association libre, qu’elle fait reconnaître à Freud. Il faut souligner que c’est là notre interprétation de ce moment et qu’elle vient après-coup. Après-coup aussi, nous pouvons imaginer que, dans la situation établie, un énoncé identique pourrait être à entendre comme une répétition agie de transfert : à ce moment-là la patiente ferait parler sans le savoir son identification inconsciente à sa mère ; sur le modèle d’un transfert par retournement elle ferait subir à son analyste ce qu’elle a subi de sa mère sous la forme par exemple d’un gavage autoritaire de paroles. Dans ce deuxième cas de figure, je serais tenté de parler d’un agir de parole parce que l’énonciation semble s’accompagner d’une négativation de la scène intra-psychique de la représentation ; l’analyste se trouve, provisoirement, seul en position de transformer cet agir de parole en représentation sur la scène inter-subjective du transfert sur l’objet ; puis de proposer un énoncé interprétatif susceptible de devenir représentation intra-psychique pour la patiente. Dans le premier cas de figure, au contraire, l’énonciation extériorise la scène interne et sa représentation sur la scène du transfert. Un même énoncé peut ainsi renvoyer à deux situations processuelles bien différentes correspondant à deux modalités d’articulation entre la scène interne et ma scène inter-subjective. La différenciation est donc contextuelle, liée bien entendu à l’écoute ; mais en dernier ressort, elle ne se révèle que dans l’après-coup en fonction d’un destin largement imprévisible.
La référence au transfert sur la parole (André Green) demanderait une longue discussion. Je soulignerai seulement qu’il désigne les attendus spécifiques qui sont inhérents à la mise en œuvre, dans la situation cadrée, du jeu de la règle fondamentale.
24 février 2005
Christophe Derrouch
De l’agir à l’acte de parole via le transfert sur la personne de l’analyste
Monsieur Donnet,
L’agir de parole en séance sur lequel vous attirez l’attention renvoie à la question du processus analytique. Il serait une mise en acte (par une parole opératoire), sur la scène intersubjective, d’une identification inconsciente ; de ce qui ne se représente pas dans l’appareil psychique de l’analysant. Donc le signe d’une altération des chaînes de la parole et des représentations (« Le langage dans la psychanalyse », A. Green) et des rapports entre celles-ci, d’une neutralisation des transferts sur l’objet et la parole. Il subvertirait un élément clé du cadre : la contrainte/liberté de parole sensée favoriser le déploiement de la générativité associative.
Que reste-t-il sinon le voisinage de la personne réelle de l’analyste pour attirer vers elle les investissements de l’analysant (le dualisme pulsionnel ayant conflictualisé le cadre) ? L’agir de parole appelant le contre-agir, l’analyste doit faire preuve d’endurance pour maintenir sa neutralité bienveillante, pour rester un « medium malléable » (R. Roussillon à partir de M. Milner).
Ainsi, on peut espérer la subjectivation, et donc un discours incarné (signant la présence des processus tertiaires) par un analysant désormais auteur d’actes de parole. La perlaboration en deviendrait moins incertaine, qu’elle soit la résultante d’un après-coup interprétatif ou non (inhérente à l’évolution dans le temps du rapport de l’analysant à son propre dire formulé en présence de l’analyste).
Avec un préconscient fonctionnel, un travail analytique plus classique pourrait commencer, où les actes de parole tiendraient toute leur place.
28 février 2005
Jean Frécourt
Bref commentaire de la réponse de Jean-Luc Donnet
Il est aussi « tentant » de théoriser par l’appel au savoir psychanalytique constitué, ce moment paradigmatique de l’invention de la méthode, en précisant qu’il est le moment de l’ouverture décisive de la voie de l’Inconscient ; mais « invention » aussi, indissociable, de ce que Jean-Luc Donnet désigne comme « notre éthique »…, formule qui peut paraître optimiste si on considère que son statut, son souci, semblent rien moins qu’évidents et généralisés dans notre mouvement.
En somme, le moment en question serait, pour Jean-Luc Donnet, une sorte d’ « avant-coup » d’un « inconscient » toujours déjà là, avant même d’avoir été parlé comme tel et conceptualisé. Mais ne pourrait-on pas essayer de penser comment ce puissant – la composante dynamique doit évidemment être prise en compte –, ce puissant « mouvement du dire », sa protestation qui anime Mme Emmy, ne procèderait pas, ou pas uniquement…, de l’Inconscient, un Ics avant la lettre ; sinon la partenaire de Freud est purement et simplement désubjectivée, au sens où elle serait parlée par son « transfert » et non plus parlante en son nom: demandant avec force de poursuivre son mouvement sans interruptions hétérogènes.
Pour conclure, ma question serait de savoir si la pulsion épistémophilique, et ce que Jean-Luc Donnet a repéré comme un « transfert sur la théorie » (« Le divan bien tempéré ») n’a pas recouvert, ou forclos, la voix de l’éthique en psychanalyse (Ce n’est pas, pour moi, celle de Lacan) qui a cette faiblesse de sa vertu – c’est son désintéressement absolu (cf. E. Lévinas) – de n’être liée à aucune pulsion. Elle ne parle que dans son manque. On sait, à ce propos, la difficulté que rencontre Freud à situer le « processus de civilisation” (cf. le « Malaise »…) : au-dessus de l’humanité…, dans le ciel…, « processus organique »… ?
4 mars 2005
Réponse de J.-L. Donnet au commentaire de Jean Frécourt
Je ne suis pas sûr de saisir le sens de la critique que J. F. semble m’adresser. Je suis pleinement d’accord pour reconnaître la valeur irremplaçable de l’acte de parole de la patiente de Freud, de son évenementialité propre. Je l’opposais fictivement a un agieren, une répétition agie de transfert, ou la désubjectivation est présente ; il arrive dans ce cas, que l’agir débouche, après-coup sur une ressaisie spontanée, ou bien qu’elle survienne après une simple intervention de l’analyste ; cette dimension aléatoire de l’après-coup marque ce qui se joue entre l’agir et la parole.
10 mars 2005
Alain Ksensée
Questions et une idée
Le texte de Jean-Luc Donnet me conduit à lui soumettre tout d’abord quelques questions qui m’aideront à bien situer ma propre compréhension d’un texte très dense et très stimulant. Je voudrais ensuite lui proposer une idée qui m’est venue après un certain temps d’une réflexion discrète, insistante.
Ces interrogations cheminent à partir de deux passages de son texte, dont l’un me paraît comme une conclusion théorico-clinique et l’autre une remarque clinico-théorique tout aussi importante.
Voici donc le premier passage du texte et ma question :
« De fait, l’agieren correspond à la manifestation d’une identification inconsciente qui trouve sur la scène intersubjective du transfert la possibilité de se faire représentation ».
Jean-Luc Donnet, suggérez-vous ainsi une possible dimension topique et peut être dynamique à l’agieren ? Si tel est le cas votre démarche redonne une certaine forme de « noblesse » à l’agieren : celle d’un destin particulier du refoulé et de son retour. Un destin particulier qui intéresse alors une scène intersubjective au cours des séances….
Le deuxième passage intéresse ma deuxième question :
« Dans bien des cas, la manifestation parlée de l’agieren se présente comme opératoire, dépourvue de toute événementialité propre, comme le simple indice d’un événement psychique évacuateur, déjà accompli. » Il semble s’agir de cet agieren qui est affecté, même s’il ne prend pas le destin de la motricité, de ce que vous soulignez (au début de votre) réflexion d’un indice de moins-value psychique. Nous voici donc « revenus » l’agieren comme indice de moindre valeur psychique ? Dans ce dernier cas l’identification inconsciente dans la mesure où elle résulte d’un travail psychique serait pour paraphraser Freud « en germe ».
Je pense que ces deux citations de votre Proposition théorique mettent notre réflexion en tension, ce qui m’a conduit à l’idée suivante :
Il serait intéressant de réfléchir à l’élaboration de cette identification inconsciente, non pas en qu’elle échappe au refoulement ou qu’elle en émane, mais à sa constitution. Il ne s’agit pas de juger son degré d’achèvement à partir d’une dimension génétique que serait la classification en identification primaire ou secondaire. Mais de tenter de saisir la proportion respective de ce qu’elle contient comme investissement libidinal selon les deux courants qui sont au cœur de l’identification : ce qu’on voudrait « être » et ce qu’on voudrait « avoir ». Ce qu’on voudrait « avoir » interrogerait la libido objectale, son importance dicterait le destin d’une identification inconsciente qui donnerait toute sa vivacité à un « acte » de parole susceptible de « muter » en représentation. Une mutation qui nécessiterait un certain aménagement ponctuel du cadre de la cure classique. L’importance du courant liée à la libido narcissique, c’est-à-dire la prééminence de l’investissement narcissique sur le courant objectal, conduirait à une identification inconsciente fondamentalement narcissique. Cette dernière témoignerait déjà d’un possible clivage du Moi. Un Moi blessé, « altéré » conduit au clivage pour se protéger. L’événement psychique évacuateur n’aurait pu alors être élaboré par la libido narcissique, celle qui sert au travail psychique du rêve. L’acte de parole manifesterait alors avant tout une « manière » d’être, une façon de dire par l’acte d’une parole déjà aux confins de la motricité.
24 mars 2005
Réponse de J-L Donnet au commentaire de Christine Bouchard
Je suis pleinement d’accord sur le fait que l’évenementialité de la parole est à construire, que plus généralement elle revêt une dimension spécifique du fait de son lien à la situation analysante et aux règles de jeu qui l’organisent ; c’est ce qui sous-tend la pertinence de la notion proposée par André Green d’un transfert sur la parole, la parole couchée tout particulièrement. L’intérêt des énonciations incongrues que tu évoques est qu’elles se présentent comme de véritables défis, même mineurs pour l’écoute analytique, dans la mesure où leur valeur d’agir semble manifester une prédilection inconsciente pour la disqualification des enjeux virtuels de la règle fondamentale. La saillance de l’agieren va de pair, alors, avec la perception aigue du caractère aléatoire de sa mise en sens après-coup. L’embarras de l’analyste découle, pour une bonne part, du décalage pressenti entre la profondeur des implications cliniques – en termes de clivage, déni, projection, exigence d’emprise, etc. –, et le caractère incertain d’une intervention qui semble requise car l’attente silencieuse peut donner le sentiment de laisser s’organiser un malentendu sans dynamique. Ces « agir » de parole annoncent un transfert direct, transfert dont l’interprétabilité sera, comme tu l’indiques, difficilement investie par le patient. Mais, comme toujours, ces énoncés pourront s’avérer, le cas échéant, « symptômatisables » et sources d’élaborations inattendues.
28 mars 2005
Bernard Chervet
Commentaires sur le texte de J.-L. Donnet :
Note sur l’action du librement associer, l’acte de parole et la répétition agie de transfert
Par cette proposition théorique, exigée concise, Jean-Luc Donnet nous fait don d’un extrait de sa pensée. Il s’expose ainsi aux effets de l’isolation, en particulier à celui qu’il connaît bien, le transfert sur le concept élu objet de réflexion. Et avec humour, il nous en fait la démonstration vivante, en répétant lui-même une telle isolation ; et cela en plaçant en exergue un extrait de la pensée de Freud, l’article « Remémorer, répéter, élaborer » (1914). La répétition agie de transfert se réalise ainsi sur le concept même de répétition agie de transfert. Mais le but de Jean-Luc Donnet, par sa référence à cet article de Freud, est d’appeler une démarche différenciatrice, telle celle qui est annoncée dans le titre même, par trois termes. Il tente ainsi de sortir de la répétition en la « recontextualisant » dans l’ensemble de la métapsychologie. Il lui dessine une délimitation dans le but de mieux la définir telle qu’elle se présente en séance.
Freud lui-même a en effet posé dans son texte une différenciation entre les processus psychiques remémorables, liés aux impressions et événements vécus dans le passé et refoulés, et les processus psychiques inconscients, « actes purement intérieurs » non refoulés, susceptibles de se manifester par « des fantasmes, des idées connexes et des émois » ; actes psychiques se révélant non pas par des souvenirs mais par une traduction en actes, en actes du discours associatif, pourrait-on préciser.
Freud découvre donc là une nouvelle forme de réminiscence, autre que celle des retours de contenus refoulés. La répétition n’est pas seulement une remémoration qui ne se fait pas, elle est l’expression d’une autre modalité de mémoire. Freud perçoit alors qu’il existe plusieurs modalités de réminiscence pouvant coexister de façon concomitante, et être ainsi entremêlées. Les retours du refoulé eux-mêmes peuvent se faire dans une dynamique de répétition agie de transfert ; ils portent alors, et sont portés par cette dernière. Remarquons encore que cet article de Freud commence par plonger d’abord dans le passé de la méthode (catharsis, abréaction, remémoration) pour ensuite se focaliser sur une nouvelle investigation, celle de la mémoire de la mise en place du narcissisme et de ses identifications propres ; investigation de la répétition des avatars des procès d’identification, procès utilisant eux-mêmes la répétition pour s’instaurer.
Mais cet article s’ouvre encore d’avantages, de façon certes prémonitoire, sur un avenir de la méthode, désigné par le terme « élaboration » et que Freud laisse en suspens, laisse même au temps ; il lui donne du temps ; il n’y reviendra qu’en 1925. En effet, un grand déséquilibre existe entre l’espace accordé par Freud à ses réflexions sur la répétition agie de transfert et celui, succinct, réservé à l’élaboration. Il faudra que Freud repense en 1920 le transfert, la place en son sein de la régressivité des motions pulsionnelles du ça, pour qu’il puisse reconnaître une nouvelle forme de résistance, celle du ça, et qu’il théorise la perlaboration comme travail spécifique lié aux contraintes régressives auxquelles est soumis le ça lui-même. Désormais l’intemporalité de l’inconscient est perçue comme devant être mis en place. C’est ce qu’il reconnaît dans le jeu de la bobine, jeu répétitif. Ce jeu n’est pas seulement la remémoration d’une mère-bobine s’absentant, mais la répétition d’un acte psychique ayant besoin d’un acte moteur pour se construire, répétition prise entre la tentative d’assurer le maintien du lien-ficelle à la mère-bobine-représentation, et les aspirations à laisser s’effacer dans le départ de l’objet, aussi bien la représentation que le lien d’investissement. L’acte moteur, acte rythmé, support de cette processualité en train de s’installer, combine un geste du bras, une articulation maxillaire, et l’émission de sons-mots. Une analogie avec la libre association de séance est possible. Ce jeu apparaît alors comme une forme inchoative, propre à l’enfant, de la libre association de l’adulte.
C’est ce conflit entre une inscription d’un procès et une extinction pulsionnelle qui devient très perceptible quand la répétition menacée se double régressivement de compulsion, et lutte alors ainsi contre l’extinction de l’investissement libidinal. La répétition travaille à instaurer la part narcissique de l’investissement. L’acte qui se répète est la tentative de réaliser une désexualisation narcissisante. La présence sous-jacente d’un tel acte instaurateur se laisse deviner au sein de l’action de librement associer.
Notons encore que cette ouverture de la répétition sur la compulsion et la régressivité extinctive va permettre à Freud de découvrir une troisième forme de réminiscence, celle des constructions perceptives (fétichique, idéologique, collective, délirante).
Le titre de l’article de 1914 pourrait donc, après-coup, devenir « Remémorer, répéter, construire ». Il représenterait alors mieux les trois modalités complémentaires de réminiscence participant toutes au devenir conscient ainsi qu’à la résistance contre la visée thérapeutique de l’analyse ; visée exigeant encore une autre opération, celle de la résolution.
Malheureusement, il me faut renoncer à poursuivre ce cheminement avec Jean-Luc Donnet, une contrainte de limitation s’applique à ce type de débat.
Avant de nous arrêter, signalons encore qu’il serait aussi possible de suivre la démarche différenciatrice présente dans la proposition de Jean-Luc Donnet. Ainsi pourraient être distingués divers actes par lesquels s’exprime cette répétition agie de transfert en séance. Une telle discrimination pourrait être abordée par exemple par la prise en compte d’un facteur de décalage temporel, d’un jeu de rythme du discours, basé sur la préséance pouvant exister entre les revendications des motions pulsionnelles et les protestations narcissiques du moi. Il apparaît alors que certains de ces actes de parole suivent la logique de la précocité du sexuel eu égard au développement du moi (les lapsus), d’autres suivent celle de la prématurité du moi (ritualisation totémique du discours). D’autres encore évitent certains mots et cherchent la protection d’autres. La poursuite de telles différenciations nous amènerait à envisager que tous les styles associatifs les plus singuliers, styles de la libre association de séance, styles de cette parole déliée et sous contrainte, ne cessent de nous informer du rapport que le sujet entretient avec la règle fondamentale, de ses tentatives de s’en écarter et ainsi d’échapper au but thérapeutique de la cure.
L’action de librement associer ne cesse en séance de se faire acte et agir, et ainsi de nous ouvrir à notre propre virtualité ; de traduire et de porter à l’écoute de celui qui est attentif aux procès inconscients, nos conceptions du vivant, notre implicite éthique. En ce sens, la répétition agie de transfert est aussi une éthique en acte de langage. Et c’est avec plaisir qu’après ce court détour de péripatéticiens en compagnie de Jean-Luc Donnet, je retrouve d’autres propositions qui lui sont chères et par lesquelles il nous a toujours beaucoup donné à penser. Merci Jean-Luc.
3 avril 2005
Réponse de J.-L. Donnet aux commentaires de Bernard Chervet
Bernard Chervet a parfaitement saisi pourquoi un retour à « Remémorer, répéter, élaborer » (RRE) permettait de se déprendre, un temps, de la trop grande familiarité qui marque, pour nous, la répétition agie de transfert, pour retrouver son étrangeté initiale; en intitulant son amical message : « Note sur l’action de librement associer », il oppose implicitement la découpe de l’acte, ou de l’agir, à la continuité de l’action, et fait valoir que la saillance à travers laquelle Freud saisit méthodologiquement l’agieren ne trouve de réponse virtuelle que dans une écoute associative, et le postulat processuel d’un après-coup. De ce point de vue, la lecture que B. Chervet esquisse de RRE, qui le conduit à lier perlaboration et construction est lumineuse ; comme l’est aussi l’équivalence entre le jeu de la bobine et le jeu de la règle fondamentale. Il me semble pertinent de comparer la scène analytique et la scène du jeu : de même que l’agieren vient mêler ses enjeux à la scène intrapsychique de la remémoration-représentation refoulée, de même, dans le jeu de la bobine, il n’y a pas seulement représentation remémorative de la mère-bobine s’absentant, mais répétition d’un acte psychique qui a besoin de se matérialiser dans une action motrice, rythmique, et l’articulation du fort-da. L’enjeu de cette répétition vient de ce que la tentative pour assurer le lien rencontre l’aspiration à laisser s’effacer dans le départ de l’objet la représentation, et jusqu’à l’investissement libidinal ; ce suspense propre au jeu implique une pluralité d’identifications dont la relation avec les mouvements de désinvestissement et de ré-investissement est rien moins que simple.
C’est bien l’aléatoire de ce destin que Freud pressent dans l’agieren en séance, et qui justifie son cramponnement à la scène intra-psychique de la représentation, de l’investissement ; ce qui se joue entre l’agir et la parole. B. Chervet le résume comme le conflit entre l’inscription d’un procès, et la tendance à l’extinction pulsionnelle ; lorsque l’agieren devient le mode d’actualisation transférentielle unique, on peut dire avec B. Chervet que la répétition se double régressivement d’une dimension compulsive: s’agit-il comme il l’indique, de lutter ainsi contre l’extinction de l’investissement libidinal, avec une part de désexualisation narcissisante ? Ou de l’indécidable de la vocation de la compulsion, entre liaison et évacuation ? En tout cas l’analyste, plus que jamais, est requis de faire jouer le jeu analytique pour maintenir l’investissement transférentiel : le destin sera celui de l’après-coup.
17 avril 2005
Réponse de J.-L. Donnet à Alain Ksensée
Cher collègue,
Bien sûr, l’agieren se voit conférer un destin particulier, aléatoire, qui découle de la dynamique de sa rencontre avec la situation devenue analysante, incluant la capacité du psychanalyste à la transformer figurativement en scène, puis en une formulation signifiante pour le patient ; l’agieren devient une nouvelle voie royale !
La deuxième formulation que vous relevez est plus éloquente que claire ; elle concerne la négativation de l’évènementialité virtuelle de la parole en séance; elle parait exclure l’actualisation de l’avènement psychique sous-jacent. Je ne crois pas qu’on puisse relier cette forme à l’idée de moins-value psychique ; et, par ailleurs, la décharge motrice à l’œuvre dans l’expression affective n’est certes pas dépourvue de valeur psychique. Je vous rejoins, par contre, dans le sentiment qu’une telle manifestation témoigne non d’un processus identificatoire dynamique, mais d’une identification clivée, aliénée, vestige d’une défense narcissique répétitive.
Votre suggestion relative à la différence entre les deux types d’identifications va tout à fait dans le sens du problème crucial de la compatibilité entre identification et représentation : l’identification dite symbolique, reste prise dans la dynamique de l’investissement objectal, dont elle soutient les mouvements de désinvestissement et de réinvestissement; cette dialectique qui permet de décrire l’enaction comme l’extériorisation d’une relation d’objet interne. La situation est beaucoup plus opaque et requière beaucoup plus l’implication du psychanalyste, lorsque l’identification semble prendre valeur identitaire, voire caractérielle, alors même que, lorsque sa mise en sens réussit, elle s’avère toujours avoir été une enclave désubjectivée.
9 avril 2005
Jean-Luc Donnet
Conclusion
Je remercie les responsables du Site d’avoir accueilli ma proposition et bien sur tous ceux qui ont bien voulu participer aux échanges. Pour moi, cette expérience a d’abord été celle de la découverte d’un certain mode de communication que j’ai trouvé à la fois difficile et excitant ; je ne peux pas dire que j’y ai trouvé matière à approfondir ma réflexion. Mais cela m’a beaucoup intéressé de mesurer à quel point la complexité du thème convoquait des références et des embrayages différents. Il me semble toujours pertinent de faire un retour à Freud, non pas bien entendu pour y trouver des réponses, mais pour mesurer nos acquis devenus parfois machinaux, à la découverte en train de se faire et également pour saisir les racines de l’inexorable babélisme des discours psychanalytiques, tels qu’ils se découvrent dans l’interprétation du texte freudien. L’article de Freud dont j’ai proposé la ressaisie vaut par la tension : la fièvre presque angoissée qui s’y décèle et que l’histoire de la psychanalyse illustrera.
18 mai 2005