Si nous sommes entrés dans l’ère de l’écran électronique au cours de ces dernières années, nous mesurons encore mal les effets de cette mutation sur notre vie psychique. Certes, les dossiers de presse ne manquent pas et nous pouvons faire état, au moins dans mon pays, d’un certain nombre d’études doctrinales mais les enquêtes sur le terrain restent rares et leurs résultats peuvent être soumis à des interprétations divergentes. Le Centre International de l’Enfance vient de publier une synthèse bibliographie sur la relation enfant-télévision (E. CHEVALLIER et coll., 1991). Récemment, un pédopsychiatre marseillais le Professeur RUFO a étudié l’influence de la télévision sur le développement scolaire (M. RUFO, 1992). Les conclusions retenues méritent la plus grande attention : les performances scolaires baissent à mesure qu’augmente la durée d’exposition à la télévision, en même temps apparaissent des troubles divers (états anxieux et tendances boulimiques avec prise de poids). Statistiquement, il n’y a pas de différence entre la prise d’un somnifère et l’endormissement devant la télévision. Enfin, le caractère pathogène de la télévision est plus marqué dans les familles de conditions modestes.
De ces résultats nous pouvons tirer deux conclusions contradictoires, reflets de positions idéologiques personnelles. Nous avons le choix soit d’accuser la télévision et de promouvoir par conséquent un projet pédagogique tendant à la bannir du foyer soit, au contraire, constater que ce qui est ici en cause ce n’est pas la télévision en elle même mais le fait que l’écran soit un alibi au manque de présence et d’attention des parents. Dans cette dernière hypothèse, la télévision est totalement neutre : ceux qui sont immobiles devant l’écran auraient été en d’autres temps livrés à eux mêmes aux hasards de la rue et il faudrait alors pouvoir établir un échantillon de population comparable en tout point sauf en ce qui concerne les pratiques télévisuelles.
A travers cet exemple, à la fois simple et décisif, nous percevons l’extrême complexité des facteurs à prendre en compte pour analyser l’objet de ce travail. Et le moindre n’est-il pas précisément que, dans notre propre enfance, nous n’avons jamais été placés dans des situations analogues. Il y a moins de trente ans parler de l’enfant et de l’ordinateur aurait pu apparaître comme un thème de science-fiction alors qu’il appartient, au moins dans nos cultures, à la vie quotidienne (Sherry TURKLE, 1984, 1986).
De son côté, la diffusion accélérée des jeux vidéo a quelque chose de fascinant et introduit incontestablement une rupture par rapport à toutes les générations précédentes caractérisées par une grande stabilité de jeux (certains remontant à l’Antiquité) (R. CAILLOIS, 1967). Pour introduire le débat, quelques chiffres sont utiles. Selon le mensuel le Globe (A. WIZMAN, 1991), en France en 1990 20 Millions de jeux (pour cinq millions de foyers environ) étaient déjà vendus. Le service d’assistance Nintendo France reçoit 3000 appels quotidiens, 6000 le mercredi (jour de repos scolaire en France) et 10000 en période de congés scolaires. 80% des prescripteurs d’achat ont entre 8 et 14 ans. La revue « Nintendo Club » diffuse à un million d’exemplaires. Rien n’indique que le mouvement soit amené à s’atténuer dans l’immédiat.
Sur le plan clinique, il est tout à fait exceptionnel que nous soyons amenés à recevoir en consultation un enfant parce qu’il regarderait trop la télévision ou bien parce que sa passion pour le jeu vidéo est trop forte ; par contre, les parents invoquent souvent ces facteurs à l’origine des échecs scolaires ou des troubles du comportement. De leur côté, les enfants, dans le cours des psychothérapies font volontiers références qui, à une émission, qui à un jeu, parfois amenant leur console portable pendant la séance. A l’inverse, pour ceux qui présentent des difficultés d’apprentissage scolaire, le recours à la tortue logo peut apporter une aide originale à la construction et à la gestion des relations spatio-temporelles. Dans notre équipe, c’est un psychologue Gérard LEBUGLE qui a en charge tout particulièrement cette activité (G. LEBUGLE, 1983, 1985).
Si on peut dire que les processus inconscients sont intemporels aussi bien pour l’individu que pour l’espèce, que nous sommes tous nés de la relation sexuelle d’un homme avec une femme et que nous sommes à la fois destinés à croître et à mourir, il n’empêche que les révolutions technologiques engendrent des modifications dans la vie psychique en ce qu’elles brouillent les repères habituels entre les individus.et les générations (S. FREUD, 1929)
Aussi, il faut d’abord nous situer du côté de ce que nous appelons les relations d’objet et de voir comment elles peuvent se trouver modifiées dans le cas de l’enfant presse bouton. A tout seigneur tout honneur, nous commencerons par la relation parents-enfants, puis nous aborderons la relation solitaire par rapport à l’objet presse-bouton, enfin nous élargirons notre perspective par l’évocation des conséquences en ce qui concerne les relations au sein de la même classe d’âge.
LES PARENTS
Il n’existe pas d’être humain qui n’ait été engendré et nous devons donc nous demander dans quelle mesure, l’enfant presse-boutons va avoir vis-à-vis de ses parents des relations spécifiques.
Il parait judicieux de distinguer deux niveaux d’analyse. D’une part, la situation actuelle marquée par la mutation que nous sommes en train de vivre et pour laquelle nous disposons d’un certain nombre de données d’autre part quelles sont les perspectives d’avenir lorsque nos enfants presse-boutons seront à leur tour parents
FREUD a introduit dès ses tous premiers écrits la notion capitale d’après-coup (S. FREUD, 1950). Initialement, lorsqu’il croyait au rôle exclusif du traumatisme sexuel infantile comme facteur pathogène, il décrivait toujours une action en deux temps. Autrement dit, un enfant a été victime de séduction sexuelle, dont les effets ont été refoulés ou qui n’a pas perçu ce qui lui arrivait. Après la puberté, l’éveil de la vie génitale lui fait évoquer à nouveau le souvenir de la séduction de l’enfance qui prend alors sa pleine valeur traumatique. Même si FREUD a, en grande partie, abandonné cette théorie, il est resté fidèle au schéma de l’après-coup auquel il convient de donner une valeur générale. Toute expérience vécue dans l’actualité donne sens au passé qui va, par là même, faire retour pour infléchir l’effet de l’expérience présente.
Or, dans notre cas, les parents sont souvent perplexes sinon anxieux devant une activité de leur enfant qui ne les renvoie pas directement à une expérience de leur passé. Pour nous, tout ce qui est du domaine de la « puce électronique » semble encore revêtu d’une idée de toute puissance et de magie. On dit que l’avenir appartient à ceux qui maîtriseront l’informatique dont les possibilités, dire des spécialistes (SCHONBERG, 1985) sont très généralement surévaluées. Au minimum, dans les échanges quotidiens, de nombreux parents ont constaté que leurs enfants semblent sur ce point beaucoup plus à l’aise qu’eux mêmes. Au moins très partiellement, nous observons un renversement des identifications : ce sont les parents ici qui prennent modèle sur l’enfant. Quelles en sont les conséquences ? La psychanalyse a mis en évidence l’évolution de la sexualité humaine en deux phases. La sexualité infantile, son évolution culmine avec le complexe d’Œdipe, elle décline lorsque l’enfant prend conscience que ses désirs ne peuvent se réaliser. Commence alors la phase de latence qui dure jusqu’à la puberté. Pendant cette période, l’enfant remet à plus tard ses désirs et cherche à s’identifier à ses parents ou aux personnes qui les représentent. Le déclin de la curiosité sexuelle permet, en particulier, l’intérêt pour les disciplines scolaires. Après la puberté, l’accès à la vie génitale entraîne un important remaniement, dont témoigne la crise d’adolescence, avec comme je l’ai dit, une nouvelle élaboration de la sexualité infantile dans un mouvement d’après-coup (S. FREUD, 1905).
Pour un certain nombre de raisons, essentiellement soit à une perturbation précoce de la relation mère-enfant, soit un peu plus tardivement à une mauvaise perception des images parentales différenciées, l’entrée dans la latence peut être problématique et l’enfant va présenter des troubles aussi bien dans son comportement que dans sa scolarité. Il est certain que le sentiment d’impuissance au moins relative des parents et le renversement des identifications qui placent l’enfant dans une position de toute puissance ne facilitent pas la latence en maintenant l’enfant dans l’illusion qu’il est déjà grand et qu’il n’a pas besoin d’attendre. On considère que, généralement, dans ce cas, il y un certain risque d’évolution vers la perversion. Du côté de l’enfant, le surcroît d’excitations qu’il reçoit met à mal la fonction de pare-excitations maternelle et rend également le processus de latence plus aléatoire, nous y reviendrons. Il parait donc important, même s’ils étaient tentés, que les parents renoncent à faire de leur enfant une idole parce qu’il sait appuyer sur quelques touches avec une apparence de grand plaisir.
Ainsi, on peut penser qu’au cours des prochaines années, la banalisation des nouvelles techniques, aura supprimé au moins ce problème. Il reste cependant le risque que les enfants presse-boutons devenus parents dans le mouvement appelé compulsion de répétition (S. FREUD, 1920) les mêmes perturbations que celle qu’ils ont eux même subi avec, en particulier, une tendance plus grande à abandonner l’enfant. Un écran ne remplace jamais une présence humaine et le plaisir solitaire rend plus complexe les relations avec les autres.
UN PLAISIR SOLITAIRE
L’enfant presse un bouton et va rester comme fasciné devant un écran, parfois plusieurs heures de suite, souvent étrangement immobile, parfois grignotant et manifestant sa colère si l’écran est déconnecté. Vu de l’extérieur qu’il s’agisse de jeux vidéo, de programmation d’ordinateurs, de serveurs Minitel, ou plus banalement de télévision, une véritable relation addictive semble être observée. Qu’en est-il réellement, est-ce une évolution inévitable, est-ce obligatoirement nocif ?
Malgré le succès foudroyant de ces nouvelles technologies, il faut constater qu’elles ne touchent pas également tous les enfants Ainsi, quelle que soit l’habileté en marketing des fabricants, la vente des jeux, par exemple, n’a pas suivi une évolution linéaire. Après une première percée au début des années 80, les ventes se sont ralenties et les enfants semblaient moins intéressés jusqu’à l’apparition des consoles portables qui ont relancé le marché. Ainsi, il existe des seuils de saturation qui, pour certains, sont atteints assez vite.
Avant de porter tout jugement de valeur, il faut analyser la nature du plaisir qui est ressentie face à l’écran. S’il est vrai que l’enfant ressent douloureusement son impuissance, le recours à l’écran lui offre un champ quasi-magique pour oublier ses limites corporelles et mentales. Lorsqu’un enfant joue, il joue avant tout à être une grande personne et peut tirer beaucoup de plaisir de la répétition de cette situation (S. FREUD, 1920) Un peu moins aujourd’hui qu’autrefois, les animaux de compagnie pouvaient être utilisés dans ce but. Face à l’animal, le petit d’homme retrouve non seulement une présence et une réassurance mais aussi peut éprouver le sentiment de sa propre supériorité. La différence est toutefois considérable avec la machine. L’animal est un être vivant : non seulement la maîtrise que l’enfant peut avoir sur lui est limitée, il s’agit d’une vraie relation d’objet, enfin, comme on le sait, les mécanismes de la reproduction et de la sexualité sont plus faciles à percevoir que chez l’homme et l’animal joue là un rôle à la fois pédagogique et maturant.
La machine est asexuée et de plus, non sollicité, l’écran est vide (au contraire d’un engin mécanique ou même électrique où il est possible de percevoir une homologie entre la structure de la machine et son utilité), il va, lorsque certaines règles, assez simples, sont respectées, soit montrer des images innombrables et dans une large mesure imprévisibles (télévision) soit au contraire, se prêter à toutes les fantaisies de l’enfant (jeux vidéo, ordinateur) , où vont alterner, à travers un trajet semé d’embûches des mouvements de rapprochement et d’éloignement de l’objet
Dans tous les cas il s’agit d’une image à deux dimensions et pour qu’elle soit source de plaisir pour l’enfant il faut qu’elle entre en résonance avec son monde de représentations et de fantasmes internes. Nous constatons tous les jours le contraste entre la faible qualité de l’image ou des informations échangées et l’importance de l’investissement. Tous les enfants ne sont pas réceptifs, ou comme nous disons en français « mordus » de la même façon. Par exemple, dans les écoles, les clubs d’informatique n’intéressent vraiment qu’une minorité d’élèves. J’ai fait l’hypothèse que seuls pouvaient s’accrocher de manière quasi-addictive à l’écran les sujets qui avaient soit éprouvé un deuil non résolu (dans le cas de l’adulte) soit pour l’enfant ceux qui avaient des carences plus ou moins marquées dans leur environnement maternel et la relation à l’écran sert alors de substitut. Mon sentiment est fondé sur les réactions que j’ai pu observer chez ceux de mes patients, adultes et enfants qui avaient eu l’occasion de me voir à la télévision dans des débats où j’avais été invité. On observe des phénomènes contradictoires : la plupart des patients associent sur l’émission qu’ils ont vue en ayant une hallucination négative de leur analyste, un petit nombre en tire un sentiment d’importante satisfaction narcissique, exceptionnellement certains sont angoissés en percevant une image sur l’écran différente de leur représentation interne. Il faut mettre à part le très petit nombre de ceux qui ont décidé une consultation après une émission : cette décision est généralement prise lorsque l’image sur l’écran se superpose à un objet interne à la fois très investi et très distant. En somme, au delà de son contenu manifeste, l’émission de télévision peut avoir fonction de test projectif.
D’une certaine façon, l’écran est aussi un miroir. L’enfant carencé croit retrouver là ce qui lui manque. S’il avait une meilleure relation avec ses objets internes l’écran perdrait son rôle magique. En effet, même si nous avons le sentiment que nos enfants sont bombardés d’images, d’informations etc., elles ne peuvent avoir valeur à la fois traumatiques que si elles sont ressenties comme réelles. L’enfant est excité et cette excitation, non différenciée lui donne le sentiment de ne plus être abandonné.
Dans ces conditions, la situation de l’enfant devant l’écran peut être assimilée à une activité de type auto-érotique qui présente un certain nombre de caractères originaux. La nécessité de fixer l’écran et les réponses quasi-magiques que celui-ci apporte aux sollicitations, entraînent un phénomène de répétition qui favorise la régression. D’autre part, nous sommes dans un monde extrêmement primitif avec nombre de réponses en tout ou rien, une perte des limites entre soi et le monde extérieur et une indistinction entre le fantasme et la réalité. En d’autres termes, nous sommes essentiellement dans un registre de fonctionnement oral. C’est ce qui explique que la situation devant l’écran d’une part s’accompagne souvent des conduites de grignotage ou de véritable boulimie et que, d’autre part le contenu des programmes (des menus serait-il plus exact de dire) renvoie très précisément à ce fonctionnement oral et ce sont les cassettes de jeu ou les dessins animés qui fonctionnent à ce niveau qui ont, on le sait le plus de succès auprès des enfants. Il faut bien voir que c’est bien parce à ce moment là l’enfant vit dans un monde de ce type à l’intérieur de lui qu’il prend plaisir à en retrouver des éléments à l’extérieur. Nous retrouvons bien nos « mordus »! L’écran est asexué, certes, mais bon nombre d’œuvres de science fiction, ne lui donnent-elles pas un rôle explicite de mère (par exemple dans les films « Alien » l’ordinateur s’appelle Maman)
On peut penser que l’utilisation de l’écran rend plus perceptible un phénomène qui aurait existé de toutes manières : quels que soient le sadisme, la cruauté de certains scénarios ils sont sans doute moins effrayants que les fantasmes internes des enfants presse-bouton. Dans certaines limites, il est possible que la tentative de maîtrise, à travers le jeu ou le spectacle, constitue une tentative d’auto-guérison, à rapprocher des mécanismes mis en action dans la tendance anti-sociale (D.W. WINNICOTT, 1956). En tout état de cause, les enfants n’ont pas attendu les écrans pour se masturber et on sait que même chez ceux d’entre eux qui ont subi le moins de frustration il existe des zones d’angoisse plus archaïques qui sont justement celles qui sont les plus apparentes dans le fonctionnement auto-érotique.
Y a-t-il enfin une différence entre l’enfant qui se balance longuement dans une activité de « rocking », celui qui se masturbe sans contrôle, le boulimique et le « mordu de l’écran » ? Il me semble que nous pouvons là aussi pointer une différence majeure : dans les activités auto-érotiques habituelles, l’enfant fantasme sa mère, le couple parental qui sont présents de façon continue alors que dans le jeu avec l’écran la présence du partenaire est beaucoup plus aléatoire et on peut le rapprocher du « jeu avec la bobine » que FREUD avait observé chez son petit-fils. Il s’agit dans ce cas, non pas d’imaginer la mère absente mais de jouer à un jeu de séparation suivi de retrouvailles qui aboutissent à de nouvelles séparations (S. FREUD, 1920). Et de fait, au moins dans les jeux vidéo toutes les réponses de l’écran peuvent être ramenées à un Fort! Da ! (elle est partie ! la voilà !). Le jeu avec l’écran entretient la frustration qu’il prétend réparer et donc peut entraîner facilement chez ceux qui y sont prédisposés des comportements addictifs.
De fait de nombreux enfants recourent à l’écran de façon compulsive : ainsi dans le cadre de psychothérapie c’est dans les moments où la tension est la plus forte que la console de jeu peut servir de résistance à l’élaboration (comme pour certains patients adultes le fait de fumer une cigarette dans ces moments là).
Mais l’écran peut-il jouer un autre rôle chez ceux des enfants qui ne souffrent pas de distorsion majeure ? Il semble que nous puissions répondre de façon affirmative. Dès 1953 D.W. WINNICOTT pédiatre et psychanalyste anglais soulignait l’importance du jeu et de ce qu’il appelait les phénomènes transitionnels. L’enfant qui a eu une mère « suffisamment bonne » (« a good enough mother ») devient capable de supporter ses absences sans en être traumatisé. Il parvient, par le jeu, zone d’illusion intermédiaire entre le réel et le fantasme à remplacer son absence (D.W. WINNICOTT, 1971). L’écran peut également jouer ce rôle en donnant à l’enfant une impression de plus grand maîtrise vis à vis du monde extérieur. Cela est surtout vrai de l’ordinateur qui permet une multiplication des capacités cognitives et de la perception de l’espace.
Même dans les cas où le comportement vis à vis de l’écran semble être un symptôme particulièrement régressif il s’en distingue pourtant radicalement, comme nous allons le voir à présent.
LES CONTEMPORAINS
Par définition, tout symptôme psychopathologique enferme le sujet et l’isole des autres. Or même si l’activité avec l’écran est un exercice solitaire elle est, en même temps, un moyen de communication avec les autres, les contemporains en particulier. Ce terme devant être, bien entendu, pris dans son sens le plus large. A travers une même passion du jeu vidéo, un garçon de huit ans pourra être pris au sérieux par celui qui en aura quinze. Dans le même ordre d’idées, il faut noter que les programmes de télévision sont partagés par une grande partie de la population ce qui donne également des possibilités d’échange de communication ou d’identification à tel ou tel personnage. Dès lors même si le contenu proprement dit du programme apparaît comme particulièrement archaïque, le fait qu’il soit repris par une communauté culturelle plus ou moins large le place désormais dans un registre névrotique beaucoup plus évolué.
Allons plus loin. Nous vivons dans un monde incertain où l’histoire une fois de plus semble s’accélérer où l’absence croissante de repères amène dans beaucoup de pays les individus à se replier, ou du moins à tenter de le faire sur des groupes de plus en plus réduits entraînant un processus de désagrégation. Or, l’un des rares éléments sur lequel nous puissions appuyer des perspectives optimistes vient de la capacité sans cesse croissante qu’ont les individus à s’identifier les uns aux autres.
Les tortues Ninja sont japonaises, vivent à New-York, pourtant elles se nourrissent de pizza et portent les noms de célèbres artistes toscans : n’est-ce pas un exemple de « melting pot » réussi ? Qu’on m’entende bien, il ne s’agit pas de prôner une uniformisation au risque d’une perte de l’identité propre. J’évoque des images mentales et des représentations inconscientes.
De façon plus profonde, en faisant partager aux enfants du monde entier les mêmes fantasmes, même à un niveau archaïque, les différents écrans qu’ils sont amenés à rencontrer peuvent, paradoxalement, les rapprocher les uns des autres. Il nous faut du moins l’espérer.
Conférence prononcée le 8 Mai 1992 aux 9èmes Rencontres internationales de Castiglioncello de 1992, organisées par le Ministère Italien des Affaires Sociales, auprès de pédagogues et parents italiens dans le cadre du groupe franco-italien de la SPP.
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