Conférence donnée au siège de la SPP
Le samedi 16 décembre 2023
Il n'est pas évident qu'un psychanalyste vivant et travaillant en Algérie parle à ses collègues parisiens. Que dire de sa place, dans un pays où sa discipline commence à naître, au moment où elle peine à exister partout ? Une naissance qui vient après un recul net de la pensée. L'engouement pour la psychanalyse et la pratique de la psychothérapie psychanalytique a pratiquement disparu. Il laisse place à une existence historique de sa pratique, selon les normes de l'Association Psychanalytique Internationale : avec un membre titulaire à la SPP à Alger, 2 adhérents à Azazga, en Kabylie, et une adhérente en formation, à Blida ; c'est trop peu, en même temps essentiel. Donner la parole à la personne dans un environnement où elle est bridée, ouvre des perspectives prometteuses. L'avenir de la psychanalyse prend la forme d'une course contre la montre. C'est ce que tente de montrer cet exposé qui ne prétend pas être une vision historique et scientifique, mais plutôt le point de vue d’acteurs de cette dynamique.
De la psychologie clinique à la psychanalyse
Ce texte résume le processus d’évolution de la psychanalyse durant près de quatre décennies. Après les précurseurs qui ont posé les bases de la psychologie dans les années soixante-dix, un groupe de jeunes enseignants s’est efforcé de construire une psychologie clinique qu’on peut qualifier de rationnelle. Les années qui ont précédé et suivi la décennie du terrorisme, peuvent être qualifiées d’âge d’or de la psychologie scientifique. Les luttes idéologiques et des savoirs, qui se sont immiscées profondément à l’université d’Alger, mère des autres universités du pays, sont à leurs apogées dans les années quatre-vingt-dix. Des universitaires en psychologie clinique, ont marqué de leur empreinte cette période, réussissant à contrer les dévoiements du savoir. Progressivement, la psychologie projective d’inspiration psychanalytique, la psychanalyse et la psychosomatique de l’école dite de Paris, deviennent les idées dominantes à Alger. De nombreux noms de psychanalystes ont rayonné à l’université : S. Freud, de R. Perron, de C. Chabert, de R. Debray, P. Marty, et d’autres. L’écrasante majorité des travaux académiques s’inscrivaient alors dans ces perspectives. La création d’un Bureau d’Aide Psychologique aux Etudiants (BAPE), vers 1988-89, a permis à ce groupe d’avoir une activité clinique qui confronte aux connaissances théoriques. A la même période, est créée la première association dénommée Société Algérienne de Recherche en Psychologie. Elle permet de développer les activités et l’influence en dehors de l’université, proposant notamment des formations continues aux psychologues praticiens. Cette institution aura rapidement une revue scientifique Psychologie et un certificat de formations aux techniques projectives (Rorschach et TAT). L’enseignement adopte comme références les collègues de l’université de Paris 5 et leur perspective psychanalytique. Au BAPE, l’écrasante majorité des intervenants, soit environ huit sur dix, pratiquent avec un arrière-plan psychanalytique. Le BAPE, transformé en Centre d’Aide Psychologique Universitaire (CAPU), est devenu la norme dans les universités algériennes. Actuellement, presque chaque université, possède son propre CAPU. Cependant, la référence à la psychanalyse et à sa pratique, devient exceptionnelle et limitée. La SARP, qui s’inscrivait dans un cadre psychanalytique, s’est progressivement transformée, devenant une institution généraliste, qui propose des formations et des activités variées, où la psychanalyse possède une place rétrécie. De toutes les associations et institutions qui ont existé ou existent en Algérie, seule l’Association de Psychologie d’Alger, s’est définie franchement dans la psychanalyse. Ses activités se sont bornées à des séminaires de formations dans le domaine de la psychologie projective et dans celui de la psychothérapie psychanalytique. Un Groupe de Psychothérapie d’Inspiration psychanalytique (GPIP), a accueilli en moyenne une cinquantaine de praticiens par an, durant plus de deux décennies, où on présentait exclusivement des vignettes cliniques. Ce n’est pas un hasard si cette association a disparu après un succès considérable. Le recul de la pensée en général et de la psychanalyse en particulier, lui a été fatal. Sans aucune information publicitaire, l’institution refusait des demandes, parce que surchargée ; progressivement, elle a disparu.
L’apport de Roger Perron à cette dynamique, a été considérable. Non seulement il a conseillé, guidé et soutenu tout ce processus, il a fédéré également des dizaines de psychanalystes français, essentiellement de la SPP et ensuite de l’Association Psychanalytique de France. Les échanges et la collaboration ont été continus durant quatre décennies. Ils peuvent être illustrés ici par les « supervisions » (groupe de sensibilisation à la psychanalyse) de psychothérapie, animées par R. Perron, G. Guedeney, M. Vincent et M.F. Laval, agréée par la SPP. Les deux derniers ont assuré cette activité, alternativement, chaque mois, durant quatre ans, au profit de 32 psychothérapeutes, répartis en deux groupes à la SARP et à l’APA. Les autres échanges essentiels, qui méritent d’être signalés, concernent l’organisation conjointe de quatre colloques algéro-français, dans une collaboration entre la SPP et l’APA. Le premier a porté sur Névroses et transferts (2001) ; le deuxième, L’amour et la haine, en hommage à Jean Cournut (2005) ; le troisième, Travail du psychothérapeute et travail du psychanalyste, est domicilié pour la première fois à Constantine (2008) ; le quatrième et dernier, sur Problématiques de l’adolescence, est tenu en 2011, à l’université d’Alger. Les actes de ces rencontres scientifiques ont été publiés et existent à la bibliothèque Sigmund Freud. Une partie de cette histoire est condensée dans un hommage rendu à Roger Perron dans la Revue Française de Psychanalyse, sous le titre : Roger Perron et les deux rives de la méditerranée (2023-2) et développée dans un ouvrage La psychothérapie psychanalytique en Algérie (L’harmattan 2017 et en autoédition, Algérie, 2022).
L’évolution de la clinique :
Au départ, on qualifiait le travail d’aide de prises en charges psychologiques, par précaution et fidélité, à Roger Perron, qui a finement imposé cette notion dans ses écrits et son propos, parce qu’aucun des thérapeutes n’était analysé. Progressivement, avec l’expérience, on ose parler de psychothérapie. Ensuite, à l’APA est créée un Groupe de Psychothérapie dit explicitement d’Inspiration Psychanalytique. Les supervisions assurées par les collègues de la SPP, sont venues consolider cette expérience de formations continues.
Constats cliniques fondamentaux de la période pré-psychanalytique.
Nous évoquons des réflexions et des constats partiels de cette période.
Le règne de la névrose
Le règne de la névrose franche, voire grave, a coïncidé fortement avec le débordement de la violence terroriste. Dans la dynamique de travail de l’APA, qui comptait alors dans ses effectifs, près d’une dizaine de thérapeutes on profession libérale, cette donnée s’impose brutalement. Alors que beaucoup relient la pathologie aux violences débordantes dans la société, dans cette perspective, c’est plutôt ce drame qu’on explique par l’irruption brutal du désir et du conflit névrotique dans la société. Ce ne sont pas les traumatismes liés au terrorisme qui expliquent les souffrances psychiques, mais la névrose individuelle, doublée d’une névrose collective, qui expliquent le drame. La névrose obsessionnelle, associée à un noyau phobique, représentait alors le fonctionnement le plus dominant chez des centaines de patients. Ce bouleversement est théorisé comme l’expression de l’échec du passage du groupe à la personne. Les demandes de psychothérapies, voire de psychanalyses, étaient alors à un niveau très élevé. Les patients traversaient littéralement des champs de batailles, pour venir s’occuper de leur guerre intérieure. Pendant près de deux décennies, la névrose franche ou grave, s’impose comme la pathologie par excellence, aussi claire, sinon plus claire, que dans les descriptions de Freud. Il s’agit de la première fois où la personne, le désir et donc le conflit intrapsychique, font une irruption généralisée, ébranlant l’emprise du groupe et de la communauté. Quelques années après l’indépendance, l’individualité entre comme par effraction dans les familles et la société.
Ce mouvement se caractérise par un moment de décompensation systématique significatif : la terminale et l’examen du bac. Ce saut risqué vers la maturité adulte, est le phénomène le plus régulier de la psychopathologie algérienne de cette période. Pratiquement tous les adultes et les jeunes adultes qui ont consulté, ont connu l’éclosion des troubles à proximité de cette examen significatif (avant, pendant ou après l’examen).
Le recul de la pensée et de la névrose
Après la décennie noire, plutôt rouge, si on se réfère au conflit et à sa violence, on assiste à un apaisement de la souffrance psychique, avec un net recul des demandes en général et de celles des psychothérapies en particulier. Alors que notre travail, était fait essentiellement de psychothérapies, avec une durée moyenne de 4 ans, on assiste à un « assèchement » de ce type de processus. L’émergence de la personne, des intérêts individuels, du conflit psychique, ont cédé à une nouvelle forme d’emprise du groupe. L’idéologie groupale reprend sévèrement ses droits, cette fois sous l’emprise de la pensée religieuse. On se transforme en des formes de « perroquets » et de « caméléons » ; on gagne en paix intérieure, en étouffant l’authenticité et la voix personnelle. On bâillonne le Moi individuel au profit d’une construction groupale mimétique. Le fonctionnement psychique redevient plus lâche, moins caractérisé et la névrose plus nuancée. Son pendant politique, rend bien cette transformation : une sorte de « normalisation » du psychisme. Il n’est pas étonnant alors que le mouvement de recul de la psychanalyse dans le monde, soit plus prononcé dans une société plus surmoïque que jamais. La période où le désir dispute sa place, cède au profit d’une soumission aux contraintes imposées symboliquement de l’extérieur ; le livre personnel en effervescence, « s’éteint » au profit du Livre unique, devenu source de lumière empruntée. La répression s’accoquine lourdement avec le refoulement, pour brider les mouvements pulsionnels qui ont débordé franchement durant au moins une décennie. Aux pressions des nouvelles sciences du cerveau, du comportement, se superpose l’emprise de la pensée religieuse. Actuellement, globalement, on se retrouve face à une certaine normalité feinte, accompagnée d’une réduction de l’intensité de la souffrance et de la névrose.
Paradoxalement, c’est dans un tel contexte que s’installe la psychanalyse. La présence quantitative fortement affaiblie, laisse place à une véritable naissance, avec une perspective prometteuse, mais incertaine.
Les écrans culturels et le roc de la religion dans le transfert
Dans la dynamique du processus thérapeutique, l’universel et le pulsionnel l’emportent aisément sur les obstacles culturels manifestes, avec une résistance plus tenace du roc de la religion. Sur toute la période considérée, tous les patients inscrits rigoureusement dans la religion présentent presque systématiquement une problématique sexuelle d’allure perverse. « Sans ma barbe et mon kamis (La robe religieuse), je ne sais pas ce que j’aurais fait » déclare l’un d’entre eux, incapable de discipliner ses pulsions sexuelles. Cependant, aucun d’eux, ne dépasse un certain niveau du processus thérapeutique, qui serait à leurs yeux, une remise en cause de la parole de Dieu par celle de Satan. Dès que leur souffrance et leurs symptômes se réduisent sensiblement, ils brisent le travail thérapeutique. Rares ceux qui ont dépassé deux ans de thérapie. De façon générale, les écrans culturels, constituent des défenses et des rationalisations, qui cèdent progressivement devant la clarté des processus psychiques. Par contre, les fixations religieuses se posent comme un obstacle majeur au travail thérapeutique avancé. La prégnance des matériaux psychiques inconscients sur les infléchissements culturels, sont encore plus apparents dans le travail de cure. Dans ce processus, la culture et ses écrans se situent plutôt dans la sphère des pensées pré-conscientes. Ce qu’on percevait dans les psychothérapies avant la formation analytique, devient plus tangible dans les cures. Cependant, il n’est pas aisé de composer avec ce matériel. Que dire de la pensée personnelle, des pulsions et de leurs relations à Dieu ? Comment dire au patient notre pensée spécialisée, quand il convoque ses convictions religieuses ?
La conférence évoque le matériel d’une vignette clinique d’une jeune femme adulte qui illustre les difficultés d’un tel processus de conciliation des exigences de la cure et celle de sa croyance religieuse. Un conflit existentiel intense qui déteint fortement sur le transfert, avec un déchirement entre les deux ordres de réalité. La confidentialité nécessaire ne permet pas de détailler ici cet exemple. Pour un psychanalyste, il n’est pas étonnant d’observer combien l’impossibilité de rencontrer Dieu, soit reliée à l’impossibilité de capter l’amour des parents et d’être accepté par eux. Cette vignette indique combien les croyances et les convictions religieuses s’invitent lourdement sur le divan. Si les processus psychiques et pulsionnels sont universels, la relation thérapeutique, le transfert, sont rendus compliqués et sensibles par le système de valeurs du patient et par les pressions de l’environnement social et familial. Plus qu’ailleurs, le psychanalyste doit rester prudent et savoir choisir le moment et les mots pour ne pas compromettre le processus de la cure. En même temps, se pose la question de la possibilité, que des personnes aussi ancrées dans la pensée religieuse, puissent devenir psychanalystes. Précisons que cette patiente a de réelles ambitions de s’épanouir et de se réaliser en tant que personne. Sans cette aptitude, le travail serait arrêté depuis longtemps, comme chez d’autres patients, soumis plus profondément à la religion. Observons qu’on craint que la psychothérapie éloigne de la religion, alors que la majorité des patients qui tiennent à leur foi, la vivent nettement mieux après leur cure.
D’autres candidats à la cure, profitent de ce cadre exceptionnellement ouvert à la parole libre, dans une société fermée. Pour l’instant, deux raisons expliquent leur adaptation réussie à la cure. La première, est qu’ils sont des psychologues au fait de la théorie et de la pratique psychanalytiques ; ils sont tous issus de nos formations continues. Deuxièmement, certains sont originaires de Kabylie, où les esprits sont moins marqués par une position religieuse rigoureuse. Au passage, notons une différence essentielle entre Alger et Azazga, dans les prises en charges des enfants et des adolescents. Dans la capitale, il n’est pas rare que les familles se fixent fondamentalement sur le comportement moral de l’enfant. « Pourquoi il ne fait pas la prière à l’heure ? Pourquoi elle se maquille ? Pourquoi, elle aime ? ». En Kabylie, plus de parents restent centrés sur l’épanouissement de l’enfant et coopèrent mieux.
Un problème délicat du travail thérapeutique réside dans un fort besoin d’étayage, avec ses conséquences, l’exigence d’un soutien, souvent associée à un accrochage sur des conseils. L’équilibre entre les attentes du patient et les attitudes techniques du thérapeute est parfois difficile. Trop distant, on frustre le patient, voire on le perd ; répondre à ses exigences ne correspond pas à la nature du travail. Sinon, l’obstacle pratique le plus important réside dans les transports aléatoires, qui compliquent considérablement le travail, avec la nécessité d’aménager le cadre. Il est exceptionnel d’avoir une cure distribuée sur des séances réparties sur trois jours. Pour être bref, on peut dire que le patient arrive une heure à l’avance ou une heure en retard, en partant à la même heure. Ces aléas imposent l’option de deux déplacements en faisant deux séances en une matinée. Concrètement, un déplacement de cent kilomètres, peut se faire en deux heures, comme il peut se faire en cinq heures ou plus. Les patients, notamment les femmes, errent souvent malgré elles dans la ville, où il n’est pas aisé de trouver un endroit intime pour leurs besoins urgents.
La décennie de psychanalyse :
Après une décennie de pratique, la psychanalyse s’avère pertinente et irremplaçable. Non seulement, elle apporte un sens (des sens) à la souffrance psychique, mais elle résout des situations jusque-là rebelles à tout traitement. Les personnes sont souvent soulagées de savoir que leurs difficultés ne relèvent pas d’un problème du cerveau, comme elles ne sont pas liées à des forces extérieures maléfiques (sorcelleries, malédiction parentale ou divines). Elles découvrent avec l’avancée du processus thérapeutique, combien les pensées personnelles (négatives) sont difficilement réversibles.
C’est dans les consultations thérapeutiques avec les enfants et les adolescents, que les résultats sont plus palpables. Alors que les autres pratiques se focalisent sur les facultés de l’enfant (intelligence, mémoire, attention, etc.) la psychanalyse apporte des significations salutaires, liées à l’histoire et à la dynamique familiale. Il n’est pas rare de régler des troubles tenaces, juste en prescrivant des changements dans la famille : sortir l’enfant ou un membre de la fratrie de la chambre familiale ; faire entrer un frère ou une sœur à la crèche ; montrer le lien entre les difficultés de l’enfant et la grossesse de la mère ou la naissance d’un puiné. D’ailleurs, un des problèmes importants que connaît le système éducatif algérien (famille et autres institutions), concerne sa propension à méconnaître les initiatives à l’autonomie de l’enfant et donc de l’adulte en devenir. Les fixations sur les données biologiques, sur le cerveau, doublées d’un appui serré sur la religion, réduisent fortement l’intérêt des stimulations relationnelles et humaines. La fréquence impressionnante des autismes en rapport avec l’exposition très précoce à la télévision, qui devient comme une première mère, donne une représentation quasi-expérimentale. Rencontrer un psychanalyste, dans un contexte aussi réducteur de la dynamique personnelle et historique, relève d’une véritable chance. De nombreux parents et enfants, sont comme réveillés d’une torpeur profonde. Beaucoup d’adultes sont étonnés qu’un enfant, parfois avancé dans l’âge, comprenne des choses banales. Les parents font dormir un enfant dans leur chambre, alors qu’il est scolarisé, parfois même pubère. Beaucoup de professionnels examinent l’enfant sur toutes les coutures, en vain. Sorti de la chambre, ce dernier redevient un autre et perd comme par magie son symptôme. Il redevient serein, vivant, alors qu’il était agité et tourmenté ; ses compétences générales sorte d’inhibitions parfois invalidantes qui le font considéré comme « arriéré ».
De nombreux professionnels ont mis sur le compte d’explications générales de « crise d’adolescence », de « stress », une anorexie sévère d’une jeune fille, qui était dans une incapacité avérée, mais transitoire, de prise d’autonomie vis-à-vis des parents. Comme son amie, elle s’apprêtait à partir étudier à l’étranger. Elle développe une phobie caractérisée des transports, associée à une anorexie sévère qui réduit sensiblement ses formes de femme, tant sa maigreur est vive. Le trouble lié à la transplantation est fréquent ; ces patients sont traités en France de psychotiques, parce que l’état de dénuement dans lequel les met le brutal dépaysement, les soumet à des angoisses archaïques qui débordent fortement leur Moi. Ces sujets jeunes étaient relativement équilibrés dans leur milieu familial et dans leur société d’origine. Ils n’étaient pas destinés aux troubles de cette nature.
Certaines thérapies brèves, tendent dans la même direction. Un homme refoule ses tendances homosexuelles liées à une identification négative au père, jusqu’à l’irruption, à près de quarante ans, d’attaques d’angoisses insupportables. Un peu comme si ces dernières lui disaient « Réveilles-toi ! jusqu’à quand ton identité sexuelle doit rester indéfinie, bloquée ! ». Comment peut-il être aidé sans les significations des processus inconscients de la bisexualité et des identifications complexes. Il se sent devenir fou ou un nerf allait se briser physiquement en lui. L’accès à des pensées proches du pré-conscient, le soulage progressivement, en attendant un travail plus avancé. De façon générale, les patients découvrent avec soulagement les processus psychiques en eux, notamment des notions freudiennes essentielles qui mettent de l’ordre dans leur vie ou dans leur famille :
- Leurs souffrances prennent sens par rapport à des pensées internes inconscientes (refoulement) et non par rapport à des manques dans leur cerveau (leur constitution) ou à des attaques par des forces extérieures occultes (Dieu, malédiction, « djins », sorcellerie, etc.)
- Prévalence du passé infantile et des transmissions générationnelles.
- Le rêve, le fantasme, la scène primitive et le conflit œdipien, sont particulièrement salutaires dans le travail de psychothérapie. Ces notions essentielles éclairent fortement les choses malgré les résistances.
Ces concepts fondamentaux de la psychanalyse, apportent régulièrement la preuve de la pertinence et de l’efficacité du processus thérapeutique.
La nature surprenante des demandes de cure
Il est banal pour un psychanalyste de constater qu’une souffrance avérée constitue la motivation première de la recherche d’une cure psychanalytique. Dans le cas de notre expérience, pour les raisons déjà évoquées, on s’attendait à ce que la motivation principale serait celle de devenir psychanalyste, surtout qu’une partie des postulants exercent en profession libérale et semblent relativement équilibrée. Il est surprenant d’observer que peu de candidats ont sollicité ce travail pour des besoins professionnels. La majorité d’entre eux, a réfléchi longtemps avant de s’aventurer dans ce projet. Mêmes les bénéfices du métier inclus dans cette demande, visent essentiellement la réduction de leurs limites personnelles qui rendent difficile la relation thérapeutique. Bien qu’au fait de la psychanalyse, ils sont surpris de la qualité de cette thérapie et des changements substantiels survenus dès les premiers mois, voire dès les premières semaines. Leur venue tardive à la cure est malheureusement dommageable pour l’avenir de la psychanalyse en Algérie. Si ces candidats sont intéressants et assez bien formés, leur âge suffisamment avancé ne laisse pas de temps pour leur participation au développement de cette discipline. De ce point de vue, il s’agit presque d’une course contre la montre. Les jeunes sont plus rares et mal formés. L’avenir de la psychanalyse en Algérie, dépend beaucoup de la longévité et de la santé des futurs psychanalystes. Par ailleurs, le nombre appréciable des postulants à la formation est trompeur. La période actuelle est favorable en raison d’un travail de sensibilisation formidable effectué durant près de trois décennies. Sur une dizaine de futurs psychanalystes, seuls deux se situent largement au-dessous de la moyenne des autres qui est environ de 55 ans ; plus de la moitié a presque 60 ans. Ils finiront leur formation à l’approche de 70 ans. L’avenir est certainement meilleur par rapport au passé. Mais il paraît moins prometteur que la décennie actuelle, qui vit sur les traces d’un passé florissant.
Conclusion
Cette rencontre n’est pas initiée seulement pour apporter un éclairage sur l’état et le destin de la psychanalyse en Algérie. Elle est aussi un moyen d’impulser un peu de souffle à l’articulation entre les membres de la Société issus des deux rives de la méditerranée. Un lien sans lequel nous aurons du mal à vivre et surtout à garder une pensée et une pratique psychanalytique performantes. Atomisés, dans un environnement peu favorable, cette soudure semble indispensable aux collègues de notre continent. Être psychanalyste en Algérie est une chance formidable. Travailler à développer cette spécialité dans un climat difficile, est source de tourments permanents. L’importance de cette thérapie pour les gens qui souffrent, fait que ce combat mérite d'être mené.
Références bibliographiques
Si Moussi Abderrahmane et Ourari-Si Moussi Mira (2017), La psychothérapie d’inspiration psychanalytique en Algérie. Névrose individuelle et névrose collective, L’harmattan, Paris.
Si Moussi Abderrahmane et Riadh Ben Rejeb, Roger Perron et les deux rives de la méditérranée, Revue Française de Psychanalyse, 2023-2, 411-419
Si Moussi Abderrahmane (2023), Psychanalyste en Algérie, Editions L’odyssée, Algérie.