Conférence Sainte-Anne : Psychiatrie et psychanalyse : une amitié à cultiver
Comment travailler de façon psychanalytique en psychiatrie ?
Anaïs Restivo-Martin
11 avril 2022
« Tout porte à croire que le temps n’est pas loin où l’on se rendra
compte que la psychiatrie vraiment scientifique suppose une bonne
connaissance des processus profonds et
inconscients de la vie psychique. » S. Freud
« Du moment que quelqu’un parle, il fait clair » S. Freud[1]
« La situation contemporaine de la parole fait évidemment partie des problèmes vitaux urgents,
qui peuvent aggraver tous les autres, au lieu d’aider à les résoudre. » F. Worms
Lorsque Charlotte Costantino et l’équipe des conférences de Sainte-Anne m’ont proposé d’intervenir dans le cadre de la conférence de ce soir, c’était il y a un presque an. Une fois la proposition de travail acceptée, j’ai dû donner un titre à cette conférence : Psychiatrie et psychanalyse : une amitié à cultiver. Ce titre s’est comme imposé à moi, du fait de mon travail depuis 16 ans dans un établissement psychiatrique pour adulte que j’allais bientôt quitter, et du fait aussi de mes préoccupations sur les liens houleux, voire violents qui existent entre psychiatrie et psychanalyse depuis quelques années. Ces liens violents, meurtriers parfois, m’attristent car ils ne correspondent pas à l’expérience que j’ai pu en avoir, ni à la fécondité que j’ai pu voir à l’œuvre lorsque psychiatres et psychanalystes travaillent ensemble, en complémentarité, en bonne amitié, dans les institutions de soin.
J’ai donc eu le désir de vous proposer de considérer ensemble ce soir comment il était encore possible de compter sur ce nouage nécessaire, vital pourrait-on dire, entre psychiatrie et psychanalyse.
Au moment de commencer à préparer cette intervention, le titre m’est apparu soudainement anachronique : comment pouvais-je avoir proposé un titre aussi idéaliste, au moment même où il est question du démantèlement de la psychiatrie publique, des attaques violentes à l’endroit de la psychanalyse, et au moment où un des plus grand hôpitaux psychiatrique lyonnais n’accepte plus d’accueillir en stage des étudiants d’orientation psychanalytique ?
Et puis dans ces temps guerriers, est-il encore possible de parler d’amitié ? Dans notre monde moderne, propice aux pensées binaires, en pour ou contre, n’est-il pas nécessaire justement de réhabiliter/soutenir une pensée qui relie, qui associe, qui tient ensemble ? L’histoire nous a montré que les dictatures aiment les purges, les divisions, et les visions manichéennes du monde… elles diabolisent leurs opposants, enflamment et exacerbent les clivages, les oppositions, s’en délectent même.
Ainsi, à l’heure des fragmentations et exacerbations des petites et grandes différences, comment la psychanalyse pourrait-elle contribuer à dire la nécessité de lier, relier, rééquilibrer la balance mortifère des discours partisans, des discours où prévalent la haine et la désinhibition du désir d’élimination de l’autre-différent, de cette altérité nécessaire qui nous constitue en tant qu’humain ?
Je souhaiterais montrer comment une psychiatrie vivante, humaine, ne peut en aucun cas se passer de l’apport vital de la théorie psychanalytique - avec l’ouverture à la complexité du fonctionnement psychique humain qu’elle nous propose. De même que la psychanalyse n’a pas intérêt à s’enfermer dans un « quant-à-soi » stérilisant, qui l’isolerait du monde, des autres disciplines et du socius.
L’interdisciplinarité nécessaire au soin psychique de personnes en grande souffrance ne peut faire de doute et quiconque pratique une psychanalyse vivante ou une psychiatrie vivante ne peut faire l’impasse sur cette « entraide » nécessaire, cette nécessaire amitié entre psychiatrie et psychanalyse. Étant entendu que l’amitié ici n’est pas à concevoir comme une attirance pour le semblable et le même, mais du côté d’une altérité structurante et vitale. Une amitié comme respect, confiance, fidélité réciproque, « égalité dans la différence », « unité dans la diversité » (Leibniz cité par Manhes p.192.)
Ainsi soutenir l’amitié, l’interdisciplinarité n’est-ce pas soutenir les forces de liaison, les forces de vie ? Pourquoi donc parler d’amitié par les temps guerriers qui nous traversons ?
En effet, notre monde moderne est traversé par des menaces guerrières de tous ordres : n’entend-on pas parler dans les institutions de soin de guerre entre psychanalyse et psychiatrie ? De guerre à l’université entre les différents courants de la psychologie ? Et tout récemment cette actualité géopolitique qui nous préoccupe, aux portes de l’Europe…et qui nous pousse à penser que nous assistons à un nouveau basculement. Le travail du négatif semble gagner du terrain dans tant de lieux et d’espaces différents, que nous, psychanalystes, psychologues, psychiatres, infirmiers, éducateurs, soignants …avons à construire à l’intérieur de nous et ensemble une théorie et une pratique de soin nous permettant de lutter contre les effets de découragement induits par la prédominance de l’action des pulsions de destruction. Comme l’écrit A. Green dans L’intériorisation du négatif : « Le pire n’est pas toujours sûr et, tant que se poursuit le travail analytique, le résultat n’est pas nécessairement défavorable. »
En 1933, la date de cette lettre ne peut être que mémorable, Freud livre à Albert Einstein ses idées à propos de la question que celui-ci lui a soumise : « Que peut-on faire pour détourner des hommes de la fatalité de la guerre ? » Essayons alors de ramener cette question à celle qui nous occupe ce soir des liens entre psychiatrie et psychanalyse. Dans cette lettre à Albert Einstein Freud se positionne clairement comme « philanthrope » et « pacifiste », se situant du côté de l’union et de l’opposition obstinée à la violence.
Dans « Pourquoi la guerre ? » Freud nous montre que c’est la déliaison des pulsions de vie et des pulsions d’agression qui fait la guerre, comme au cœur de l’humain c’est quand Eros et pulsion agressive ne trouvent plus de voie pour œuvrer ensemble que l’autodestruction prend le dessus, comme nous le verrons dans le récit clinique qui viendra plus tard.
Dans cette lettre et face au constat de l’inéluctable violence qui habite l’humain, Freud constate que deux pulsions sont agissantes en chaque homme, je le cite : « celles qui visent à conserver et à unir – nous les nommons érotiques, tout à fait dans le sens de l’Eros de Platon […] et d’autres, qui visent à détruire et à tuer ; nous regroupons celles-ci sous le terme de pulsion d’agression ou pulsion de destruction. » Il poursuit : « L’une de ces pulsions est tout aussi indispensable que l’autre ; des interactions et des réactions de ces deux pulsions procèdent les phénomènes de la vie. » Ainsi l’une est toujours plus ou moins l’alliée de l’autre et c’est de cette intrication pulsionnelle que va dépendre le destin humain et ses issues. Freud, avec l’introduction du second dualisme pulsionnel de 1920 nous invite à réfléchir aux rapports qu’entretiennent amour et haine, Eros et pulsion de destruction et c’est lorsqu’elles cohabitent, se tricotent ensemble, se mêlent l’une à l’autre que la vie dans sa vivifiante conflictualité peut triompher des impasses de la haine et de la violence mortifère.
Ainsi l’amitié au sens d’Eros tend à lier, unir, là où tentative de déliaison il y a. Non pas que l’amitié soit du côté d’un bon sentiment pur, mais plutôt du côté d’une force de liaison qui intègre en elle des penchants agressifs, et qui tend à unir en son sein les contraires, les oppositions et les zones de conflit. C’est alors qu’il est possible de travailler en cohérence dans les institutions de soin, dans des alliances et des identifications possibles au travail des collègues, quelque différents qu’ils soient. Dans les institutions de soin, médecins, infirmiers, psychologues, s’ils ne se laissent pas prendre les pieds dans le tapis des forces de déliaison, peuvent apprendre ou réapprendre à faire « communauté soignante », nécessaire liaison de travail entre les professionnels pour constituer cette communauté soignante si souffrante dans notre monde moderne.
En 1937, dans L’analyse avec fin et l’analyse sans fin, Freud s’appuie, pour donner du poids à son second dualisme pulsionnel, sur la théorie du philosophe Empédocle d’Agrigente (Ve siècle av. J.C.). Pour le philosophe deux principes régissant la vie de l’âme, « sont éternellement aux prises l’un avec l’autre. […] L’une de ces puissances, [Philia] tend à agglomérer en une unité les particules originaires des quatre éléments, l’autre au contraire [Neikos-lutte] veut défaire tous ces alliages et dissocier les unes des autres les particules originaires des éléments. » Ainsi, Empédocle conçoit le processus universel comme une alternance continue de périodes dans lesquelles l’une ou l’autre des deux forces fondamentales remporte la victoire. Cette théorie de l’alternance de cycles peut ainsi nous porter à compter sur l’alternance nécessaire et continue de ces deux forces, et sur un renversement toujours possible de l’une à l’autre.
La question se pose alors de savoir s’il nous suffit de compter sur le cycle naturel d’alternance continue de ces deux forces pulsionnelles, ou si un travail de parole, de mise en sens, de transmission, « travail de culture » cher à Freud, puis à Nathalie Zaltzman (1998), est nécessaire pour qu’Eros ou Philia, au choix, œuvre toujours au cœur et trace sa voie comme pulsion de liaison. Il serait ainsi de l’ordre du vital, de travailler à préserver l’amitié, la Philia qui unit psychiatrie et psychanalyse. Au-delà de la nécessité individuelle que cette liaison psychiatrie-psychanalyse permet aux êtres les plus démunis psychiquement et socialement, un enjeu sociétal, collectif est là devant nous. Cet enjeu de soutenir les forces d’Eros face aux pulsions de destruction d’une psychiatrie humaine, vivante et « transférentielle » selon l’expression de Pierre Delion nécessite une psychanalyse engagée dans la société et consciente non seulement de la part qu’elle peut jouer mais aussi du risque qu’elle prendrait à se désintéresser de cette question.
Didier Anzieu dans Devenir psychanalyste aujourd’hui soutient cette voie d’une psychanalyse engagée à soutenir la pulsion de liaison. Anzieu interroge les liens entre psychanalyse et militance et se demande si la psychanalyse contemporaine ne pourrait pas assumer une forme de militance, non au sens de fixation idéologique, mais au sens d’une position qui soutient les forces de désaliénation psychique et sociétale de l’être. Pour lui, les psychanalystes sont des défenseurs de la liberté de penser, de la liberté d’expression, « de l’humanisation des hôpitaux et des prisons […] Ils sont contre les violences graves et injustes, le racisme, la torture […], les sévices infligés à des enfants : ils le manifestent s’il y a lieu activement. » (p. 303)
Je poursuis avec Anzieu : notre rôle est aussi « d’apprendre au patient à repérer et à déjouer les ruses de l’autodestruction, représenter pour lui la réalité extérieure chaque fois que c’est nécessaire, c’est-à-dire chaque fois que la pulsion d’autodestruction l’aveugle gravement sur cette réalité, enfin lui signifier notre confiance dans le primat possible d’Eros. » (p.297)
Pour poursuivre, je vais faire un petit détour par l’histoire des liens entre psychiatrie et psychanalyse.
La naissance de la psychanalyse est intrinsèquement liée à la désaliénation mentale, puisqu’elle est issue du désir de donner la parole à ces femmes hystériques, jusqu’alors considérées comme possédées et diabolisées par la société de la fin du 19ème siècle. Les femmes hystériques faisaient peur, elles étaient enfermées et mises à l’écart de la société. Freud, avec l’influence de Charcot (qu’il a ardemment souhaité rejoindre à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris), comprend peu à peu que ces femmes hystériques sont en fait prisonnières d’affects, de désirs refoulés, réprimés, enfouis. On découvre alors que l’hystérie n’a rien d’organique. En écoutant attentivement, avec patience, la libération des symptômes advient. Freud souhaite alors montrer au monde qu’en découvrant la signification cachée d’un symptôme et en lui permettant une voie de mise en sens par la parole le symptôme disparaît.
Freud écrit en 1922 dans Le sens des symptômes : « alors que la psychiatrie ne se préoccupe pas du mode de manifestation et du contenu du symptôme, la psychanalyse porte sa principale attention sur l’une et sur l’autre et a réussi à établir que chaque symptôme a un sens et se rattache étroitement à la vie psychique du malade. […] La psychiatrie distribue des noms aux différentes obsessions, et rien de plus. Elle insiste, en revanche, sur le fait que les porteurs de ces symptômes sont des « dégénérés ». Affirmation peu satisfaisante : elle constitue, non une explication, mais un jugement de valeur, une condamnation. » Ainsi, Freud se différencie nettement d’une médecine déshumanisée, enfermante, et jugeante et a eu à cœur d’inscrire la psychanalyse comme discipline scientifique certes mais avant tout humaniste et porteuse du souffle de la compréhension et de la mise en sens.
La psychanalyse est ainsi née de la découverte que c’est la relation, l’écoute et la parole qui soignent, et plus précisément la reviviscence d’éléments enfouis du passé, par l’intermédiaire de cette relation privilégiée qu’est la relation transférentielle. En se mettant à l’écoute des femmes hystériques, Breuer et Freud offrent une voie de libération à ces femmes enfermées et brimées par la société de la fin du 19ème siècle.
Après la Seconde Guerre Mondiale, l’apport de la psychanalyse participera à l’invention de la psychothérapie institutionnelle, ce courant « désaliéniste » se poursuivra notamment dans la politique de secteur mise en place dès 1960. La notion de psychothérapie institutionnelle est introduite dès 1952 par Georges Daumezon, celle-ci « vise à utiliser le milieu hospitalier comme facteur thérapeutique en tant que tel. » Je cite Keller et Landman dans - Ce que les psychanalystes apportent à la société : « pour la psychothérapie institutionnelle, le milieu hospitalier peut devenir facteur de changement et de développement, au lieu d’être le facteur de chronicisation, de traumatisme ou de déshumanisation que l’on connaît, avec ses redoutables effets. Les terribles conséquences de la Seconde Guerre Mondiale sur la population asilaire avec la mort d’au moins 45 000 malades psychiatriques, favorisent l’essor de la psychothérapie institutionnelle. »
Déjà en 1918, à la fin de la Grande Guerre, Freud, dans son discours de Budapest au Ve Congrès psychanalytique, s’était prononcé sur l’utilité sociétale de ces centres de soins publics. Il écrit : « On peut prévoir, d’autre part, qu’un jour la conscience sociale s’éveillera et rappellera à la collectivité que les pauvres ont les mêmes droits à un secours psychique qu’à l’aide chirurgicale qui lui est déjà assurée par la chirurgie salvatrice. La société reconnaîtra aussi que la santé publique n’est pas moins menacée par les névroses que par la tuberculose. […] A ce moment-là on édifiera des établissements, des cliniques, ayant à leur tête des médecins psychanalystes qualifiés…[…] ces traitements seront gratuits. Peut-être faudrait-il longtemps encore avant que l’Etat reconnaisse l’urgence de ces obligations. », je précise nous étions en 1918 !
Le discours de Freud de 1918 comporte d’étonnantes résonnances avec notre préoccupation actuelle et indique qu’une psychanalyse humaniste, engagée et libératrice des entraves psychiques de tous a été souhaitée et désirée dès l’origine.
Freud, en conclusion de son discours de Budapest, dira : « tout porte à croire que, vu l’application massive de notre thérapeutique, nous serons obligés de mêler à l’or pur de l’analyse une quantité considérable du plomb de la suggestion directe. » Autant dire que Freud entrevoit le nécessaire assouplissement de la théorie psychanalytique proprement appliquée à la cure-type, ainsi que son élargissement considérable au-delà même du champ de la névrose et de la clinique des adultes. Si la psychanalyse contemporaine accepte cet alliage nécessaire de l’or et du plomb, elle reste ainsi vivante et incarnée, puisqu’elle accepte de ne pas être idéale et de ne pas rester idéalisée. Car idéalisée elle court aussi le risque d’être rejetée.
André Green dans le livre que je vous recommande vivement : Un psychanalyste engagé (1994) nous invite à découvrir à ses côtés « la psychanalyse dans la diversité » qu’il a connue lorsqu’il était interne à Sainte-Anne justement, en 1954. Il écrit : « une telle diversité, de neurologues, de psychiatres, de psychanalystes présents à Sainte-Anne, a joué un rôle majeur pour moi parce qu’elle m’a permis de les voir en action. […] cela m’a donné l’occasion de voir faire les uns et les autres. J'ai rapidement compris qu'il n'y avait pas une psychanalyse, mais diverses manières de comprendre la réalité dont parle la psychanalyse (la réalité psychique) : diverses manières de la faire apparaître, de l'entendre, de l'analyser, de la communiquer, d'en renvoyer quelque chose au patient, et divers styles dans la façon de la transmettre. »
Ainsi, la diversité, les liens d’amitié entre les différentes disciplines et la fécondité de l’interdisciplinarité sont fortement soutenus par André Green et font partie intégrante de la stimulation intellectuelle de cette période. Tout comme le sujet humain sans le secours de l’objet, de l’autre ne peut survivre, une psychiatrie neurobiologique perdant son lien avec la relation et avec la psychanalyse, risque de perdre sa vitalité et son utilité collective, au profit d’une psychiatrie diagnostique et évaluatrice, passionnée de protocoles plus que d’êtres humains singuliers. De même une psychanalyse désincarnée, qui se détournerait des apports aujourd’hui indiscutables d’autres disciplines, ainsi que des apports de la psychopharmacologie serait une psychanalyse hors du temps.
P-C Racamier, qui comme Green, s’est enrichi en suivant les enseignements de Jean Delay et d’Henri Ey à l’hôpital Sainte-Anne, et qui a connu cette pépinière intellectuelle si vivifiante dans laquelle baignaient nombre de psychiatres et psychanalystes de l’époque, dirigera l’ouvrage collectif Le Psychanalyste sans divan paru en 1970. Racamier nous met ici en garde vis-à-vis de la menace toujours existante qu’une institution de soin perde contact avec sa mission première de soin. Tout comme la paix ou la santé psychique, l’équilibre créé est toujours susceptible de se dérégler et sans cesse les institutions, comme les êtres humains ont à mener ce travail de pensée, de rééquilibrage nécessaire pour ne pas se perdre ou perdre leur arrimage au travail d’humanisation. Racamier écrit : « Que les organismes de soins soignent effectivement, ne va nullement de soi. C’est céder à l’illusion que de croire à leur caractère automatiquement thérapeutique. Historiquement leur vocation est d’ailleurs récente. Mais il ne suffit pas d’afficher un titre thérapeutique pour exercer la fonction correspondante. L’histoire de la pratique psychiatrique nous livre jusqu’à maintenant maints exemples du glissement par lequel une intention originellement curative se transforme subrepticement en un procédé parfaitement anti-thérapeutique. » (p 58-59, Payot)
Historiquement nous sommes donc globalement passés d’un fonctionnement asilaire, on pourrait même dire concentrationnaire, à la naissance du soin, des institutions de soin, dès 1920 en Europe, puis de façon marquée et forte après le drame provoqué par le sort réservé aux malades mentaux de notre société pendant la seconde guerre mondiale. A partir de l’expérience de l’ASM 13 dans les années 60 à Paris avec Philippe Paumelle ensuite rejoint par Serge Lebovici et René Diatkine, la politique de sectorisation donne une place autre à la maladie mentale. Le fou n’est plus celui qu’il faut cacher, que notre société ne saurait voir, mais il a le droit de cité, grâce aux soins de proximité qui sont mis en place.
L’apport incontestable des neuroleptiques en 1952, a permis l’élargissement d’une possibilité de soin aux personnes psychotiques ou sujettes à des « angoisses incontenables » (Winnicott) et a ainsi permis une prise en charge différente, indéniablement. Néanmoins, comme l’écrit Green (1994) : « Prescrire des médicaments n’est pas la fonction essentielle du psychiatre dans quelque condition qu’il exerce et à quelque patient qu’il s’adresse. Il y a là un détournement de ce qu’est la vocation de la psychiatrie. […] Faudra-t-il que les catastrophes s’accumulent pour que le balancier revienne à d’autres pôles, quand on se sera rendu compte des déceptions que peut entraîner cette attitude pseudo-scientifique qui, au fond, cherche à se débarrasser des responsabilités réelles envers ceux qui ont recours à la psychiatrie ? ». En effet cherche-t-on à effacer notre responsabilité collective face à la maladie mentale, de la même façon qu’aujourd’hui nous assistons à ce mouvement sociétal qui tend à déculpabiliser la haine de l’autre ? La responsabilité et la culpabilité, si cette dernière est bien tempérée, ont aussi des vertus transformatrices et civilisatrices qu’il conviendrait de pouvoir ne pas oublier.
La psychiatrie actuelle, parfois anti-psychanalytique, principalement diagnostique, avare de temps accordé aux malades, avare du coût que représente la responsabilité collective de la folie individuelle, ne serait-elle pas en train de perdre elle-même la tête, oubliant ainsi l’horreur des drames du passé avec le risque que dans un effet boomerang, notre société paie cher ce refoulement, ce refus de la folie, de ce nécessaire prendre soin de l’autre si différent soit-il ? L’altérité est au cœur de notre humanité.
Comment travailler de façon psychanalytique en psychiatrie ?
Je vais maintenant prendre appui sur une situation clinique où le travail de dégagement possible d’une fixation mélancolique, et une relance des processus de liaison sont rendus possibles par le travail conjoint, soutenu et durable entre psychiatrie et psychanalyse. La clinique ici présentée, nous permettra aussi d’éclairer les enjeux de transformation pulsionnelle permis par ce nouage pluridisciplinaire fécond ainsi que par l’étayage et la présence continue permise par le travail en institution. Lorsqu’un fonctionnement binaire paralyse le sujet, ne lui proposant que des solutions psychiques en impasse, en tout ou rien, comment peut s’ouvrir la voie à la découverte de la complexité psychique intégrant en elle le manque et l’intrication pulsionnelle nécessaire à la sortie de la survie psychique ?
Samuel est un patient rencontré dans le cadre d’une hospitalisation longue en clinique psychiatrique pour adulte. Après avoir subi une série de tests dans un centre spécialisé dans les dépressions résistantes, et être depuis quelques années assommé de médicaments pour ne pas avoir à vivre la douleur psychique, il arrive dans cette clinique avec l’attente de pouvoir faire un travail de parole, ce qu’il n’avait pas pu envisager jusque-là. Depuis de nombreuses années, en parallèle du développement harmonieux d’une vie professionnelle et familiale, des pensées suicidaires irrépressibles avaient pris possession de lui. Quand, face à la force de ces pulsions d’autodestruction, un passage à l’acte grave survient, il accepte enfin de suivre les conseils de ses proches, et de se tourner vers un soin qui privilégie la parole et la relation. Il se décrit comme un grand rationnel, qui jusqu’alors ne croyait pas à ces « foutaises » de la causalité psychique et de l’histoire singulière. La théorie d’un déficit chimique au niveau cérébral lui convenait à merveille, pour ainsi dire. Le problème qu’il décrit très bien c’est qu’il a fallu augmenter de plus en plus la quantité de traitement pour faire face au quantitatif d’une « pulsionnalité mal accueillie » selon l’expression de Ferenczi (1929), d’angoisses non reconnues, et de traumatismes ayant entravé gravement la construction d’un pare-excitation lui permettant de contenir et de transformer les événements, déceptions, aléas de sa réalité interne, comme de la réalité externe.
Tout récemment Samuel, en séance, se souvient de ses débuts à la clinique et de son scepticisme vis-à-vis de la chose psychique. Il dit : « quand je suis arrivé à la clinique, moi les histoires de parole, j’étais très sceptique, j’ai expliqué au Docteur P. que j’avais été diagnostiqué bipolaire 2 et il m’a répondu « vous savez moi ce qui m’intéresse c’est le patient, la catégorie beaucoup moins… » déjà le cadre était planté ! Ça me changeait de mon ancien psychiatre qui ne voyait pas l’intérêt de la parole, il me disait que tout ça c’était du déficit chimique et qu’il n’y avait pas besoin de plus de séances, « on ne va quand même pas demander à un cul de jatte de faire le 10 000 mètres ! En fait le Docteur P. il m’a laissé être sceptique et il m’a dit que j’étais libre, et qu’on verrait…c’est pour ça que j’ai pu rester. » Le docteur P. ne cherche ni à le convaincre de sa thérapeutique ni à contrer ses résistances, il l’accueille avec celles-ci, et il propose de se mettre au travail.
Ainsi, dès le début de son hospitalisation, le Docteur P. lui propose des RDV quotidiens avec lui, un suivi hebdomadaire avec une psychologue-psychanalyste, moi-même, la participation à un groupe photolangage, ainsi qu’à un groupe de parole et un groupe de sophrologie.
Samuel se saisit rapidement de ces différents espaces qui lui sont offerts, il semble circuler d’un espace à l’autre, utilisant le contenu d’une séance de groupe pour élaborer son vécu, ses ressentis, ses affects dans les espaces individuels. Peu à peu, il semble évident que ces différents espaces lui permettent de s’approcher de sa vie psychique, d’en découvrir la complexité, de s’en étonner…Il se découvre, s’observe, expérimente, éprouve…Non sans douleur toutefois. Il passe par de nombreux moments de découragement, et il s’agit parfois en face uniquement de « survivre » selon l’expression de Winnicott. La négativité de Samuel est insistante, tout semble lui faire mal, lui faire violence, ses insomnies, ses douleurs somatiques, les propos d’un autre patient dans un groupe, le retard d’un soignant, et le plaisir semble si peu présent…Une économie psychique en « au-delà du principe de plaisir » (Freud). Green dans Pour introduire le négatif en psychanalyse écrit : « Winnicott suggère que les expériences traumatiques qui ont mis à l’épreuve la capacité d’attente de l’enfant à l’égard de la réponse ardemment souhaitée de la mère, conduisent, faute de cette réponse, à un état où seul ce qui est négatif est réel » (p. 15)
Néanmoins, l’alliance thérapeutique avec Samuel se construit pas à pas. Et il faut bien ces différents espaces concomitants pour amortir, absorber et contenir l’angoisse que représente la confrontation avec lui-même, son histoire de vie, les cauchemars qui arrivent, les insomnies qu’accompagne la reviviscence d’éprouvés anciens qui avaient été enfouis, forclos depuis si longtemps.
Samuel identifie après-coup un moment mutatif lors d’une séance de sophrologie au début de son hospitalisation. Il en parle ainsi : « Ça a été une vraie cassure pour moi cette séance. L’infirmière qui anime le groupe de sophrologie propose la consigne suivante : « Imaginez trois personnes qui pensent à vous », là je me suis retrouvé complètement sec… rien, un néant, impossible de convoquer une image. A partir de ce moment-là je me suis dit que ça déconnait plein tube…même pas réussir à imaginer ma femme, mes enfants, je ne pouvais pas me raccrocher à eux…la solitude totale quoi. Ça m’a bouleversé. Et à partir de cette expérience de la solitude totale je me suis mis en marche. »
Cette expérience de la désolation face à l’absence de recours interne à l’objet, à l’impossible convocation de sa présence à l’intérieur de l’être va ainsi permettre que le travail psychique s’ébauche. C’est cette expérience du désaide, de la détresse primitive même qui va être constitutive de la subjectivité naissante.
L’institution, par la présence continue qu’elle offre, va permettre à Samuel d’être accueilli dans sa détresse lorsque celle-ci le submerge. Il peut ainsi faire cette expérience de régression nécessaire car une équipe soignante est là, disponible, présente nuit et jour, pour faire face au flot d’angoisse qui jaillit face à la reviviscence de l’absence d’objet secourable dans son histoire singulière.
Peu à peu, en séance, des souvenirs reviennent, nombreux, violents… la rage arrive, retournée contre lui la plupart du temps. Régulièrement il se décourage de ce parcours du combattant, de la douleur que représente le fait de sortir du déni, du clivage et des défenses par la froideur et le non-ressentir. Cet homme se met à éprouver, éprouver de la peine, de la douleur, du déplaisir…mais ça fait rudement mal. Il le dit souvent, il ne voit pas l’intérêt d’avoir mal comme ça, et puis s’il n’y a pas de plaisir, quel sens cela a ? Il semble parfois m’adresser la question… je diffère, j’attends, je traverse avec lui l’enfer de la douleur psychique, mais aussi de la culpabilité qui émerge peu à peu d’avoir si longtemps enfoui la tristesse, et ainsi fait souffrir ses proches. Il réalise maintenant que ses proches ont dû souffrir de sa froideur, de sa rigidité, de ses dépressions répétées et de sa conviction du non-sens de la parole.
Ce qui l’a fait tenir pendant si longtemps, dit-il, c’est une parole souvent répétée de sa mère :
« La carcasse doit avancer ». Ce n’est pas le désir qui fait avancer, mais la nécessité, le devoir, l’impératif de survie, jusqu’au jour où ça n’avance plus, où l’enfant blessé, meurtri, réclame ses droits. Régulièrement avec Samuel j’ai le sentiment de devoir faire un travail immense pour m’extirper des impasses de la négativité à l’œuvre tout en restant à son contact, je tente alors de déjouer les ruses des perspectives en impasse qu’il me présente continuellement. Ici il s’agit je crois d’une permission de sortie pour le week-end et tout semble impossible : s’il sort il ne va pas pouvoir faire face à tout ce qu’il aurait à faire, il craint de décevoir ses proches, de se décevoir, de rechuter, mais s’il reste ce sera le signe qu’il est incapable de vivre normalement, de faire face… Tout est en impasse. Je tente maladroitement de lui demander ce qu’il désirerait faire pour ce week-end s’il écoutait vraiment ce qu’il ressent. Il dit : « vivre est un devoir, pas un désir…pour moi le désir c’est un concept », je lui réponds alors qu’on va continuer à travailler pour que la question du désir et pas seulement de la survie s’ouvre en lui. « Faire savoir au patient notre confiance dans le primat possible d’Eros », nous transmet Didier Anzieu.
Travail de patience, travail de « longue haleine » (Freud, 1922, p. 409). Le temps de comprendre, de construire des hypothèses sur ce qui fait que le sujet s’inflige une telle charge de négativité, « l’ombre de l’objet tomba ainsi sur le moi », écrit Freud (1917) à propos de la mélancolie. Il s’agit ainsi de retrouver la trace de l’objet, mais il faut du temps, puisque comme le souligne René Roussillon (2014) dans les problématiques narcissiques-identitaires, le sujet tend à effacer la part de ce qu’il doit aux objets qui l’ont constitué.
Puis un jour, un rêve survient : il a rêvé de son père, le rêve est bref, le voici : « je voyais mon père parler, laborieusement, et l’interlocuteur de mon père dans le rêve c’était un frère, un individu sans visage, un frère mort à la guerre ». Ce « laborieusement » l’amène à dire l’état psychique, gravement dépressif et la médication importante qui était nécessitée pour son père. En parlant de ce traitement très lourd, il dit : « quand je suis arrivé à la clinique avec la quantité de traitement que j’absorbais je pouvais dormir 18h par jour, comme mon père finalement, en fait j’ai l’impression d’être devenu lui. »
En fin d’hospitalisation, au bout de neuf mois, Samuel semble avoir retrouvé contact avec le vivant en lui. Il dit aujourd’hui avoir découvert que l’on peut guérir par la parole, guérir de cette culpabilité primaire écrasante qui le jugeait inapte à la vie, inapte à ressentir, inapte à aimer. « Je suis un peu un handicapé de l’amour », dira-t-il, à plusieurs reprises. Pas à pas et acceptant la temporalité longue nécessaire au soin, quoiqu’on en dise aujourd’hui, il se découvre sensible et touché. Il découvre que son psychiatre actuel et moi-même ne sommes pas là seulement comme il l’avait dit une fois avec froideur « pour faire le job » ce qui m’avait un peu hérissée, je lui avais formulé : « Qui s’est contenté de « faire le job » comme vous le dites dans votre histoire ? » Quelques séances plus tard, il reviendra sur cette expression : « cette pensée de la dernière fois « ils ont fait le job » je l’ai souvent, je l’ai toujours eue en fait : quand des amis prennent des nouvelles, quand mes enfants m’appellent. »
Au bout de neuf mois, le temps de naître à soi-même pourrait-on dire, Samuel quitte l’hospitalisation complète. Il me recontacte pour poursuivre une psychothérapie à l’extérieur et, capable désormais de parler de la dépression traversée avec ses proches il découvrira lors d’un long échange avec un neveu que sa mère n’avait jamais senti aucun de ses bébés bouger dans son ventre. Je dirai : « elle n’a pas pu sentir que vous étiez vivant ». Après avoir souhaité exprimer à sa mère très âgée, les manques ressentis dans son enfance, l’absence de parole, les dénis tenaces, les banalisations, l’absence de tendresse, il est très déçu, de nouveau comme abattu lorsque celle-ci lui oppose une fin de non-recevoir. Il m’écrit un mail entre deux séances me disant qu’il se permet de prendre contact car une colère profonde l’envahit suite aux propos banalisants de sa mère, il dit craindre de retomber dans ses « vieux mécanismes destructeurs ». La séance suivante, j’accueille sa déception, et sa colère, sa mère ne peut pas entendre la tristesse, les impacts de l’absence de parole, ni reconnaître sa part dans cette histoire, elle ne peut pas, elle ne pourra peut-être jamais. Quelques semaines plus tard, l’état de sa mère très âgée se dégrade, elle entre en EHPAD, elle ne peut plus parler, elle a perdu ses forces. Il s’interroge en séance sur son désir d’aller la voir, je soutiens ce projet discrètement, la haine et la colère n’empêchent pas d’aimer et de souhaiter être là, au chevet…c’est cela aussi le travail d’intrication pulsionnelle. Il revient de cette visite à sa vieille mère apaisé. Il dit « je me sens en paix, c’est très étonnant…je n’y comprends presque rien. Je suis allé la voir, je ne sais pas si c’est l’effet d’avoir pu lui dire tous les vides de paroles, toute la souffrance de ces dénis, mais je l’ai vue vulnérable pour la première fois de ma vie, ce n’était plus la mère dure et froide que j’ai connue. Depuis toujours lorsqu’elle s’approchait de moi, je reculais, c’était comme une répulsion, j’avais l’impression qu’elle faisait « juste le job ». »
À sa sortie de la clinique, pour maintenir une présence continue de soins rapprochés, son psychiatre et l’équipe soignante lui avaient proposé d’intégrer l’hôpital de jour, deux demi-journées par semaine. Ainsi, une thérapie multi-focale se poursuit : il voit son psychiatre régulièrement, participe à un groupe photolangage ainsi qu’à un groupe animé par une psychomotricienne intitulé Le corps en jeu, et il poursuit parallèlement des séances avec moi à mon cabinet deux fois par semaine. Ainsi, dans cette articulation entre psychiatrie et psychanalyse Samuel s’appuie sur ces différents espaces nécessaires, enchevêtrés pour poursuivre le travail de mise en sens de son histoire, de ses entraves internes et le chemin d’une possible libération d’une culpabilité à être insoutenable.
Récemment, alors même qu’un peu en dernière minute je lui annonce que je prendrai finalement deux semaines de congés à Noël et pas uniquement une semaine initialement prévue, il a un mouvement naturel de banalisation de l’absence. De mon côté, je me souviens de l’état interne qui était le sien quand il est revenu de l’été précédent. Ses congés et les miens ne concordaient pas, et l’absence de séance avait été fort longue. Il était revenu, comme aux premiers instants où je l’avais connu en clinique, découragé, enragé contre lui, dans des mouvements d’auto-reproches qui l’assaillaient de façon violente. Ainsi dans l’idée de favoriser l’expression de contenus d’affects en direction de l’analyste, je lui formule quelque chose comme « je prends de longs congés », il me répond « oui mais enfin vous y avez droit, vous avez aussi besoin de repos », je choisis alors de dire « sur un plan oui, sur un autre vous pouvez aussi en éprouver de la colère, du désarroi ou un sentiment d’abandon ». Plusieurs niveaux existent, il y a le manifeste exprimé par le patient, et le latent dont la remontée est favorisée par l’analyste quand le patient réprime l’écoute de ses mouvements émotionnels. Je lui dis alors que je me souviens de son état de découragement aigu et de ses auto-reproches violents à son retour de la longue interruption du premier été sans séance. Je lui formule qu’il avait alors retourné toute la colère contre lui, il était « incapable » de profiter des vacances au contact de ses enfants et de son épouse, « incapable » de demander de l’aide en me recontactant pour anticiper la reprise des séances par téléphone au moins. Il était ainsi retourné dans l’état d’incapacité à imaginer pouvoir trouver secours dans le recours à l’objet, à l’autre en somme : « moi tout seul », la toute-puissance est un recours commode face à la douleur de l’absence de l’objet.
Quelques séances plus tard, il se ré-approprie cette question de la colère toute retournée contre lui. Je ne me souvenais plus vraiment lui avoir formulé une interprétation en ce sens et je trouve toujours étonnant quand un patient s’approprie une parole que nous avons nous-même oublié lui avoir formulé. Il est si difficile pour nous analystes de rendre compte de cette circulation inconsciente propre au travail analytique en séance, et pourtant c’est bien là que se logent ces possibles voies de dégagement, quand d’un côté l’analyste accepte de laisser le patient libre de piocher, quand il sera temps pour lui, dans les associations de séances, et quand le patient acceptant de se prêter à cette libre association pourra se défaire de cette maîtrise des contenus avec laquelle il est parfois initialement arrivé. Se défaire aussi de part et d’autre de savoir à qui appartient tel ou tel contenu de séance : ce tricotage ne permettant plus de savoir à qui appartient ce bout de travail. C’est cela aussi le travail d’inconscient à inconscient et le travail de co-pensée. Ainsi Samuel pourra dire qu’il n’avait jamais pu penser que les pulsions suicidaires étaient une façon de se charger entièrement lui, de retourner toute la rage contre lui et toute la violence pulsionnelle réprimée. Il dit s’être senti libéré de pouvoir identifier ces pulsions comme des colères réprimées, toutes retournées contre lui. Le sens advient, et c’est le sens qui est libérateur.
La semaine suivante, il commence la séance en exprimant sa satisfaction de pouvoir se passer de son traitement anxiolytique du matin. Il se sentait mieux, et ayant reçu l’approbation de son psychiatre, il tente l’arrêt de cette béquille chimique, sur laquelle longtemps il s’est appuyé pour faire rempart aux idées noires envahissantes. Il est content de sentir qu’il n’a éprouvé ni manque, ni mal-être suite à cet arrêt. Il dit « quand je pense que pendant dix ans on m’a dit que c’était la chimie la seule solution, parce que mon cerveau ne produisait pas les quantités suffisantes, et que ma maladie c’était comme un diabète. Maintenant je me sens accompagné pour envisager la suppression de toutes ces molécules sans que tout s’effondre autour de moi ». Samuel dit l’importance pour lui de ses RDV mensuels avec le psychiatre, qui l’a suivi durant tout le temps de son hospitalisation. C’est une relation de confiance primordiale pour lui avec les éléments transférentiels d’une bonne figure paternelle, soutenante, accompagnante, solide, figure paternelle fiable qui a gravement fait défaut dans son histoire personnelle.
Il poursuit ensuite ses associations en racontant une séance du groupe Le corps en jeu qui a eu lieu la veille à l’hôpital de jour. Dans cette séance groupale chacun devait faire circuler un ballon en mousse. Lui, ne sachant pas comment cela a pu arriver, a envoyé le ballon dans la tête d’une autre patiente du groupe. Il raconte avoir été très mal sur le moment, sidéré même « comme une perte de contrôle », dit-il. Je formule alors quelque chose comme : « vous avez eu peur de ce qui a jailli de vous ! ». Il poursuit : « oui réussir à toucher une personne sur la tête alors qu’elle est en déplacement, c’est fort quand même ; j’aurais pu viser plus bas, l’idée d’une violence qui jaillit, incontrôlable, c’est l’expression de l’agressivité que j’ai toujours réprimée. Je repense à ces scènes d’enfance avec mon fils qui s’exprimait trop ouvertement, et la rage dans laquelle ça me mettait… » Samuel raconte ensuite la rage irrépressible et coupable qu’il a ressenti récemment en voyant sa fille ouvrir avec frénésie son cadeau de Noël, elle était trop impatiente, avide, incapable d’attendre. L’enfant en lui curieux, avide, emporté par son élan pulsionnel avait jusqu’alors été interdit d’existence : pour vivre, il lui a fallu réprimer la force pulsionnelle, l’envie ici probablement. Il dira alors « on doit couper toute pulsion de vie pour être dans le cadre ». Il s’étonne d’avoir réagi si fortement par rapport à cette balle et sera surpris de la réaction de la patiente ayant reçu la balle dans le visage. En sortant du groupe, elle lui dira en riant : « les enfants aussi font ça entre eux ! ». Il me rappelle alors qu’un moment où le psychiatre lui avait proposé d’intégrer ce groupe Le Corps en Jeu, il avait trouvé bien « futile » ce genre de groupe. Aujourd’hui il dit : « maintenant je fais la différence entre futile et ludique ! »
« Le travail du thérapeute vise à amener le patient d’un état où il n’était pas capable de jouer à un état où il est capable de le faire » nous transmet Winnicott (1971, p. 84). Ainsi, expérimenter par le jeu, dans et à travers un groupe à médiation, la pulsionnalité qui n’a pas pu être accompagnée, bordée, façonnée par l’environnement premier, et le pare-excitation contenu dans les gestes de tendresse du début de la vie permet de rejouer le non-advenu de l’histoire du sujet. Samuel apprend à jouer, à moduler l’expression de sa pulsionnalité, à en éprouver la force mais aussi bien sûr la possible contenance. Samuel, qui décrit avoir eu une vie toujours sous contrôle, a mis sa pulsionnalité en berne, réprimée, elle ne peut trouver de voie d’expression sans courir le risque de paraître incontrôlable, en excès, jaillissante, exposant ainsi à un risque de destruction imminent, de soi ou de l’autre. Samuel poursuit les associations de séance. « Le soir je n’arrivais pas à trouver le sommeil, les difficultés d’endormissement sont revenues, je sentais que je ne voulais pas lâcher ». Je dis : « S’endormir c’est laisser place à l’incontrôlable en soi ». Il poursuit : « Oui j’ai tout fait pour lutter contre l’incontrôlable, ça m’a tellement bousculé de perdre le contrôle dans cette séance de groupe. » Je dis : « C’est par le jeu que l’enfant apprend à contrôler, modérer, amplifier ou calmer sa force pulsionnelle…quand il y va trop fort, il se rend compte des possibles effets destructeurs, alors il apprend à tempérer sa force, à la moduler, à l’orienter différemment. »
Durant le temps de cette séance, dans ce co-travail de reconnaissance et de nomination des éprouvés et des affects, nous sommes lui et moi dans l’inconscience du sens latent de ce désordre provoqué par l’envoi d’une balle dans la tête d’une patiente pendant une séance de groupe. C’est dans l’après-coup de la séance que jaillit en moi le sens de cette incontrôlable balle dans la tête pour Samuel, correspondant dans son histoire au geste tragique d’un père, qui s’est mis, lui, une « balle » dans la tête. Mais pas pour jouer. Samuel avait 16 ans, cet âge de la vie où un homme est rempli de cette force pubertaire, puissante, avide, jaillissante. Ici coupée net.
L’incontrôlable c’est aussi l’incommensurable de cette culpabilité à être, à vivre et à grandir après cela, la haine de soi, n’ayant pas pu sauver le père, le retenir. Une histoire se raconte pour le sujet : « inapte à aimer, à recevoir, à donner, alors inapte à vivre » jusqu’à ce que l’histoire puisse se rejouer avec un ou plusieurs autres et modifier en profondeur les défenses, et le regard porté sur soi-même.
Le soin psychique c’est aussi des boucles de signification, comme des épisodes différents avec un générique identique qui revient, avec la nuance des petites différences qui témoignent du processus thérapeutique à l’œuvre. Tout récemment je note que Samuel peut avoir de l’humour vis-à-vis de lui-même, c’est tout nouveau cet « humour tendre » dont nous parle JL Donnet (2009). Il raconte en séance que les infirmières de l’Hôpital De Jour ont pris de ses nouvelles suite à une petite douleur cardiaque qu’il avait ressenti à la sortie d’un groupe. Le lendemain il reçoit leur appel et en raccrochant se surprend à penser « elles ont fait le job ! ». A la différence que cette fois-ci il ramène cette pensée qui s’est imposée à lui, avec une touche d’humour qui vient témoigner de l’écart qu’il a désormais pu construire entre cette pensée qui surgit en direct de son inconscient et la réalité de ce qui est vécu dans le lien dans l’actuel. Il se voit risquer de se laisser prendre par son propre inconscient ! Mais il en déjoue les ruses car il a désormais identifié d’où venait cette façon désincarnée, froide et technique de prendre soin d’un enfant.
Très récemment, un nouveau rêve arrive en début de séance, un rêve cru, violent, brutal. Dans ce rêve Samuel se voit infliger des sévices corporels d’une violence inouïe à un homme, non identifiable dans le rêve. Je ne préciserai pas le contenu précis du rêve par souci de préservation de l’intime du patient. Ce rêve le renvoie directement à des sévices subis enfant, et comme il le relève c’est la première fois que la culpabilité est renversée. Il s’agit ici de faire payer à l’autre, de punir et de venger quelqu’un qui a commis des sévices. Il dit : « C’est étonnant. Ce rêve de vengeance ne m’effraie pas et paradoxalement même provoque en moi un grand calme, une grande paix, je suis en train de purger la violence que j’ai enfoui depuis tant d’années et qui étape par étape est en train de me rendre plus serein. »
Samuel projette ainsi d’arrêter aussi les somnifères du soir, « en fait j’étais dans la crainte de ne pas dormir, mais ce sont mes rêves qui m’effrayaient », j’encourage alors la poursuite de cette voie d’élaboration en confirmant cela : « oui il y a quelques mois vous n’auriez pas pu faire face à votre propre violence en rêve ». Il dit : « oui le même rêve il y a quelques mois m’aurait perturbé juste à imaginer que j’ai pu penser ça. Ma propre violence était inacceptable ! C’est très positif je trouve, je suis content de moi ! » dit-il avec une pointe d’humour.
Si cela peut paraître dérisoire, être content de soi, pas au sens du triomphe narcissique mais au sens de l’apaisement de se sentir relié, et de sentir en soi la vie permise enfin par ce travail d’intrication des forces pulsionnelles contraires est un chemin immense, dont il faut pouvoir saluer le travail. Content de sentir les effets en lui de l’intégration de sa propre violence pulsionnelle et de pouvoir ainsi ne plus la dénier ou devoir la réprimer de façon forcenée. Winnicott écrit : « des années sont nécessaires pour que se développe chez un individu la capacité de découvrir dans son soi l’équilibre entre le bien et le mal, la haine et la destruction qui vont de pair avec l’amour, à l’intérieur de soi. » (1971, Concepts actuels du développement de l’adolescent, p.265)
À partir de ce récit clinique, quelques points saillants peuvent paraître importants à souligner dans ce travail d’articulation entre psychiatrie et psychanalyse qui ouvriront ensuite vers nos échanges :
- Tout d’abord la question de la singularité me paraît essentielle à souligner. Si j’ai choisi de centrer mon propos sur un seul récit clinique, c’est précisément parce que la prise en compte de la singularité fait la particularité de la démarche psychanalytique mais aussi d’une psychiatrie humaine. Je tiens à souligner que c’est cela qui fait la joie de ce métier chaque jour, c’est qu’il s’apparente « à un artisanat d’art » comme l’écrit Emmanuel Venet dans son Manifeste pour une psychiatrie artisanale. Un individu c’est un monde à lui tout seul, et le travail analytique ouvre à cette possibilité d’aller du « monde clos à l’univers infini » (titre du livre de Koyré). Malheureusement la psychiatrie comptable et donc avare de temps et de moyen tend aujourd’hui à enfermer les êtres singuliers dans des durées d’hospitalisation en fonction d’une pathologie identifiée qui se traiterait prétendument de la même façon pour tous.
- Autre point important : dans notre monde moderne, où nous sommes tous ou presque devenus avares de temps, et où la temporalité est si bousculée, bouleversée même, n’est-il pas nécessaire de rappeler la nécessité de ce don de temps et de présence que représente l’accueil de la souffrance d’un autre, et encore davantage lorsque le « narcissisme de vie » (Green) n’a pu être suffisamment constitué. Dans les conjonctures cliniques où le non-investissement, l’absence des objets premiers ou leur empiétement ont été au-devant de la scène infantile, faire acte de présence au sens plein du terme, ou encore « don de présence », comme l’écrit Josiane Chambrier-Slama dans son rapport pour le prochain Congrès des Psychanalystes de Langue Française est le préalable nécessaire à toute entreprise thérapeutique. Ainsi aujourd’hui le travail analytique n’est plus seulement éloge de l’absence, et du retrait comme aiment à le clamer ses détracteurs. La psychanalyse contemporaine avance, dans les pas de Freud, Winnicott, Green et leurs héritiers à montrer la part prise par l’objet dès le début de la vie, la nécessité de sa juste présence et de sa juste parole. Ainsi la désintrication pulsionnelle, c’est-à-dire cette expérience de la désunion des pulsions d’amour et de haine, prend toujours sa source dans la « défaillance de l’objet » (Green). Green (2010) écrit : « l’expérience du transfert peut parvenir à relier ce qui s’est délié sous l’influence de la pulsion de mort. Le rôle de l’analyste dans le transfert ne saurait donc être minimisé. Il dépend de son modèle originaire : l’objet. » Ainsi le thérapeute, l’analyste, le soignant se prêtent dans le transfert à cette « fonction objectalisante » permettant ainsi la remise en circulation nécessaire des enjeux de la rencontre initiale avec l’objet.
- Une autre dimension me semble importante à souligner : c’est l’importance dans ce récit clinique de l’articulation du travail corporel et du travail psychique. En effet pour Samuel, réunir corps et psyché a nécessité et nécessite encore ce double ancrage dans le réel de la thérapeutique du corporel et du psychique. Actuellement beaucoup de patients en institution, mais aussi en cabinet, ont en parallèle de leur analyse ou de leur psychothérapie un suivi en ostéopathie, kinésithérapie ou autre thérapie corporelle. Je crois qu’il faut entendre à cet endroit, non pas une résistance à la chose psychique, mais davantage la nécessité de revisiter et de réclamer la part des soins premiers, essentiellement issus du corporel, qui n’ont pu avoir lieu et ainsi façonner le corps et sa pulsionnalité en bonne articulation avec la naissance à la vie psychique. Winnicott dans La nature humaines’interroge sur les conditions les meilleures « du point de vue de l’intégration et de l’emménagement de la psyché dans le corps » (p. 199). Car en effet un des enjeux du vivre est aussi de pouvoir vivre en étant incarné, dans un corps bien articulé à la vie psychique. Je cite Winnicott : « Combien il est facile de considérer qu’il va de soi que la psyché loge dans le corps, en oubliant que cela encore est, non une donnée, mais un résultat. » (p. 160) C’est probablement pourquoi aujourd’hui un enjeu important pour nous analystes est de pouvoir être des analystes incarnés, et oser exister en face d’un patient dans une spontanéité et une authenticité d’accueil. Être là, en face, dans un corps existant, regarder, être touché, ému et pouvoir en restituer quelque chose « en miroir » (Winnicott) à celui ou celle qui réclame le secours de l’objet pour sortir des impasses du faux-self ou du clivage.
Conclusion :
Puisque j’ai déjà été fort longue, je conclus brièvement en soulignant la nécessité pour ces patients rencontrés en institution, le plus souvent gravement touchés dans leur « narcissisme de vie », (Green), de pouvoir faire l’expérience de cette plurisciplinarité féconde et structurante, ainsi que d’une continuité de présence et d’une fiabilité, qui ont bien souvent tant manquées dans les temps premiers de leur vie.
Freud (1922) dans son article Psychiatrie et Psychanalyse nous indique qu’il est important de ne pas répugner à entrer « en relations étroites » (p. 227) avec les patients, c’est ainsi en leur accordant cette « attention suffisante » que le travail psychique pourra s’initier et pourra, lorsque l’heure sera venue, accueillir la complexité de la vie psychique dans ses affects de tendresse et d’amour mais aussi de violence, de haine et de cruauté qui font partie de l’âme humaine, quoiqu’on en dise aujourd’hui. L’enjeu n’étant pas de les dénier, mais de les faire tenir ensemble, à l’intérieur de l’être, afin que la « tâche de vivre » (Zaltzman) triomphe de l’attraction humaine pour l’autodestruction et les forces de déliaison.
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[1] Trois essais sur la théorie sexuelle, Freud (p. 168)