Introduction
À première vue célébrité peut rimer avec futilité, actualité « people », évoquant un monde superficiel, artificiel et sans intérêt clinique particulier. Pourtant, pas une semaine ne se passe sans que des célébrités ne fassent la une des journaux, à l’occasion de comportements transgressifs, dangereux, de suicide ou d’accidents, d’addictions ou de décès précoce… Le clinicien s’interroge alors : comment comprendre la prédominance de la destructivité chez ces personnes adulées, riches, enviées, à qui tout semble réussir ? On a tous en mémoire la mort suspecte de Marilyn Monroe, la mort précoce d’Amy Winehouse, l’accident mortel de James Dean, les sevrages héroïques du regretté Johny Halliday ; à chacun ses idoles et sa mémoire affective…
Peut-être avez-vous entendu parler du « club des 27 », terme un peu cynique pour désigner le groupe de jeunes artistes morts brutalement à 27 ans : Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain etc…, et plus récemment Amy Winehouse. Les causes des décès sont essentiellement overdoses et accidents sous l’emprise de stupéfiants et d’alcool. C’est frappant et ça questionne… Pourquoi ? Le « club des 27 » a un aspect empirique ou anecdotique, mais figurez-vous qu’il existe une étude clinique et statistique sur la question.
En effet, une étude récente1 s’est attachée à calculer la survie des 100 artistes ayant commis les 1000 albums les plus renommés de tous les temps : d’Elvis Presley en 1956 à Eminem en 1999, et un chiffre est sorti, précis et implacable : 1,7. Les stars de la pop music meurent 1,7 fois plus tôt que la population générale ; et c’est plus précisément dans les 20 ans qui suivent le surgissement de la célébrité que cette surmortalité se vérifie ; au-delà de 25 ans de renommée, la mortalité des stars tend à rejoindre celle du commun des mortels…
Si les relations entre création artistique, folie, drogues ont fait l’objet de nombreuses publications, la célébrité et ses conséquences psychologiques et identitaires ont été peu étudiées. La célébrité est par contre depuis longtemps un objet d’étude sociologique dans les pays anglo-saxons, au sein du courant des « Cultural Study ». Il apparait que la célébrité s’inscrit dans une histoire, une trajectoire de vie. Nous allons donc essayer d’explorer les liens entre la célébrité, ses implications narcissiques et identitaires, et les conduites de destructivité et addictions.
La présente conférence est issue d’un essai écrit avec Éric Corbobesse [Muldworf L. et Corbobesse E. (2011), Succès damné. Paris, Fayard.[/ref]
1) Narcissisme et quête de célébrité
Pour certains artistes, la célébrité va leur tomber dessus, les envahir et ils la subiront comme un mal nécessaire. Ce fut le cas de Jean-Jacques Rousseau. On l’appelle « Jean-Jacques », on veut à tout prix le voir... À partir de 1760, il vit cette notoriété comme un fardeau. Il parle de la « funeste célébrité », de la « célébrité des malheurs ». Il décrit le fait qu’il y a ce personnage public « Jean-Jacques » qui s’est interposé entre lui et le peuple 2.
Pour bien d’autres, la célébrité est voulue, recherchée absolument. Cette quête de reconnaissance ne peut être comprise que si l’on se penche sur l’histoire du sujet, la construction de son identité et de son noyau central qui est le narcissisme.
Nous allons rapidement resituer ces notions.
2) Narcissisme, image de soi et identité
Le narcissisme est en quelque sorte la fondation du psychisme. Il est ce socle premier, permettant à l’enfant de se vivre comme unifié, évoluant dans une continuité, et sur lequel se bâtiront relations et expériences futures. Il est la base de notre sentiment d’identité. Dans son usage psychologique courant, le narcissisme va désigner l’estime de soi, l’image suffisamment bonne que l’on a de nous-même, qui détermine la capacité à prendre soin de sa personne et la capacité à résister à l’adversité, aux échecs et aux frustrations.
On sait depuis Freud et Winnicott que le narcissisme est avant tout issu de l’amour des parents, et singulièrement du visage et du regard de la mère. Le visage et le regard de la mère sont pour le petit enfant comme un miroir disait D.W. Winnicott. En d’autres termes l’enfant se sent exister parce que sa mère le voit, l’admire, le lui dit et le lui montre. C’est dans ces jeux de regards, puis de langage que se constitue progressivement le sentiment d’être.
Les repères parentaux positifs sont intériorisés, et deviennent des objets internes, stables et bienveillants, au plus profond de soi. Ces objets internes positifs, soutiendront le sujet, par la suite, quand il sera confronté aux échecs, au malheur, à la solitude. Ces blessures narcissiques seront surmontées grâce aux bons objets internes intériorisés, convoqués dans ces circonstances et qui aident à maintenir une confiance suffisante en sa propre valeur. C’est le « bon narcissisme » ou le « narcissisme constructif », une sorte d’assurance tranquille, acquise grâce au sentiment d’amour inconditionnel donné par ses parents, sans que l’enfant n’ait à prouver quoique ce soit.
Quant à l’identité, c’est un terme qui vient de la psychologie sociale, d’utilisation récente en psychanalyse et qui comporte trois dimensions : physique, psychique et groupale. L’identité, nous le verrons, va être mise à l’épreuve, attaquée par la célébrité.
L’identité est d’abord physique, par la présence du corps sexué, son capital génétique, sa beauté ou pas ; ce corps est à s’approprier, à habiter, par ses expériences personnelles et ses relations aux autres. La célébrité peut aboutir à se sentir déposséder de son corps, qui va être exploité, marchandisé et exhibé.
L’identité est aussi psychique, car le sentiment d’identité comprend une notion d’unité personnelle (je suis un être unique) et de continuité temporelle ; c’est dans cette dimension psychique de l’identité que s’inscrit l’image de soi, le narcissisme, fruit de son histoire affective personnelle et de ses identifications. L’artiste est souvent amené à s’identifier à son art ou sa création et son narcissisme va être soumis à des épreuves constantes.
Enfin, l’identité a une dimension groupale : l’axe vertical de la filiation et le nom que l’on porte, et plus largement, l’axe horizontal des liens d’affiliation et des sentiments d’appartenance, qu’ils soient culturels, religieux ou professionnels. Que deviennent les liens d’affiliation quand on est aimé par des millions de fans, plus ou moins anonymes ?
L’identité est une addition plus ou moins harmonieuse de tout cela, et le psychisme produit un travail de liaison pour maintenir une continuité de l’identité.
Or l’identité de la star, de la personne célèbre, va inévitablement subir des déformations. Mais comment était son narcissisme avant d’être célèbre, comment comprendre ce besoin vital de reconnaissance ? ces questions nous ont amenés à nous intéresser aux biographies d’un certain nombre de Stars.
3) Enfances de stars
Patrick Dewaere disait : « moi, on m’a trouvé dans une poubelle… », résumant ainsi sa biographie ! Si chacun a son parcours vers la célébrité, on est frappé par la répétition de certains événements de vie qui jalonnent la biographie des stars. Les carences parentales, des deuils précoces, et des traumatismes affectifs y sont surreprésentés. Or, on sait que les situations de traumatismes, de deuils, d’abandons survenus trop tôt, vont laisser des failles, des fragilités narcissiques durables : peur de ne pas être aimé, ou d’être abandonné. Ces failles narcissiques constitueront des sources d’angoisse mais aussi des sources de création.
Si on décompose un peu ces éléments traumatiques on trouve :
Deuils précoces et abandons
On peut citer rapidement et en vrac, le cas de Steve McQueen, dont le père pilote d’avion, a disparu à sa naissance, que sa mère abandonna et qui fut élevé par un oncle. Quand il a 12 ans, sa mère veut le reprendre et commence alors pour lui, une période de fugues, d’errance, de prédélinquance et qui se termine par son engagement dans la marine. Il commente sobrement tout cela en disant : « ma vie a été bousillée dès le début ». Sobrement, pas toujours car du côté des addictions, Steve McQueen sera « addict » en même temps au sport, à l’alcool, à la marijuana, dont l’excès de consommation lui donnera des poussées de paranoïa…
Exemplaire aussi est l’enfance de Marilyn Monroe (née Norman Jean), marquée par une succession de traumatismes affectifs. Les 50 biographies qui lui sont consacrées décrivent les dépressions, les errances et les ivresses de sa mère Gladys. La petite Norma sera placée tantôt chez des amis, de la famille, puis à l’orphelinat. Elle a 8 ans lors de l’internement final de sa mère et elle n’est alors qu’une fillette maigrichonne, bègue, plongée dans l’hébétude. Et personne n’y fait attention. C’est sans doute pour cela qu’à l’adolescence, elle s’acharne à devenir modèle pour les photographes, devenant ce que la profession appelle une « Mmmmm Girl », celle que tout le monde regarde et qui fait envie… On connait la suite, sa grande vulnérabilité, son besoin éperdu d’amour, sa dépendance à l’alcool, et son mal de vivre ; on y reviendra.
Citons encore Madonna, qui perd sa mère à l’âge de 5 ans, victime d’un cancer du sein et dont elle fera un sujet récurrent dans ses chansons.
John Lennon, élevé par son oncle et sa tante, éloigné de son père, perd sa mère à l’âge de 18 ans. Celle de Paul McCartney est morte quand il a 14 ans. C’est peut-être quelque chose qui les a reliés et permis cette union créatrice exceptionnelle entre eux ?
Du coté des abandons, on peut citer le père de Romy Schneider qui part avec une partenaire quand la fillette a 4 ans ou le père Sofia Loren qui part à sa naissance. Même chose pour le chanteur Eminem et aussi pour notre Johnny Hallyday national, qui parlera souvent de l’absence et du manque de son père…
Un deuil précoce représente un traumatisme psychique qui non seulement prive d’un apport affectif majeur, et d’un modèle essentiel d’identification ; mais ce trauma peut aussi s’accompagner d’un sentiment de culpabilité dit culpabilité du « survivant » : « pourquoi moi suis-je en vie ? ». Le manque d’un père, celui qui accompagne le sujet dans sa découverte du monde extérieur, celui qui donne son nom et inscrit le sujet dans la succession des générations, ce manque-là peut se faire sentir tout le long d’une vie. C’est ce que racontait Johnny Hallyday, 60 ans plus tard, à l’occasion d’une hospitalisation et d’un état confusionnel : « Le médecin m’a raconté que j’avais appelé mon père toute la nuit. Papa, vient me chercher, Papa…, c’est étonnant. Il m’a laissé tomber quand j’avais 6 mois. Pourquoi dans mon délire ai-je appelé mon père ? Peut-être parce que j’ai pensé à la personne qui m’a le plus manqué. »
On pourrait multiplier les exemples.
Secrets de famille
Les biographies de stars sont truffées de secrets autour de la filiation et cela pose des questions psychopathologiques passionnantes sur l’articulation secret et création.
Nathalie Wood ne sait pas qui est son véritable père et Gary Grant ne sait pas qui est sa véritable mère. L’acteur Patrick Dewaere nous en fournit aussi un exemple émouvant. Il découvre fortuitement, à l’âge de 16 ans, en surprenant une conversation, que l’homme dont il porte le nom n’est pas son vrai père. Pour cet adolescent, les repères et les certitudes s’effondrent, et son identité vacille. Chez ce comédien qui jouera des « paumés » plus vrais que nature, son art s’est toujours doublé d’une quête d’identité. Ses proches le décrivent s’inspectant devant la glace, se demandant à qui il ressemble et s’il va perdre ses cheveux… Toxicomane à l’héroïne, Il se suicidera à l’âge 35 ans.
Jack Nicholson apprendra lui, à 37 ans, que ses parents sont en fait ses grands-parents et que Jane, qui passait pour être sa sœur, était en fait sa mère. Il déclarera avec humour, « je fais partie des bâtards et je crois bien que du sang royal coule dans mes veines ! ». Ce raccourci exprime son sentiment de dévalorisation qu’il déguise en mégalomanie, par le jeu et l’imaginaire. Ses extravagances, son comportement de séducteur effréné et ses excès d’alcool et de drogues sont bien connues. Nous y reviendrons.
Concernant les liens entre secrets de famille et création, c’est un sujet vaste qui mérite à lui seul un séminaire ; juste quelques mots… Des écrivains connus sont le fruit de secrets autour de leur naissance : Maupassant, Hergé, Aragon, dans des styles littéraires bien différents. Sur ce sujet on peut lire les textes de Serge Tisseron, entre autres. Pour Freud, le secret va produire une stimulation de la curiosité intellectuelle. Serge Tisseron, lui, évoque un travail du secret, qui induit un clivage psychique autour de l’interdit à savoir et à penser, clivage qui se transmet sur un mode transgénérationnel, avec un paradoxe psychique entre interdit de savoir et interdit d’oublier.
Quête identitaire et de reconnaissance
Brando, James Dean, Jack Nicholson, se tourneront vers le théâtre pour exprimer et combattre leur mal-être. C’est la voie artistique qui leur permet dans un premier temps une certaine sublimation de leurs angoisses existentielles, c’est-à-dire une transformation de cette angoisse en quelque chose de positif. Mais dans un premier temps seulement, car la célébrité va s’accompagner d’un certain nombre d’effets secondaires qui va les tirer vers le bas.
Pour d’autres, les mots revanche et reconnaissance collent bien à leur histoire. Revanche sur la vie, l’abandon, la pauvreté. La quête de célébrité accompagne alors le désir de reconnaissance sociale et de richesse. C’est ce qu’exhibent les rappeurs dans les clips : des kilos d’or, des grosses voitures et des filles à leurs pieds… images toute puissance et de consommation à outrance. Tout cela exprime le désir de s’élever au-dessus de la masse des « loosers » anonymes.
C’est cette double impression de « non-vie », de no-life et de no futur que veulent fuir les milliers de candidats de la téléréalité. La plupart d’entre eux viennent de milieu peu favorisé, et ont des difficultés d’insertion sociale. Ils veulent tenter leur chance à tout prix et sont en guerre contre l’anonymat. Le désir de célébrité est chez eux à l’état pur avec les dégâts à distance que l’on a pu observer chez la jeune Loana.
Le psychanalyste américain Heinz Kohut décrit très bien le devenir du sujet luttant contre une faille narcissique, c’est-à-dire contre un sentiment permanent d’impuissance ; celui-ci est dénié par le développement d’un « soi grandiose ». Il s’agit d’une personnalité narcissique avec un besoin extrême d’être admiré et de dominer. La relation ne va pas de soi vers l’objet, mais de soi vers soi.
Dans une sorte de processus imaginaire d’auto-engendrement, l’anonyme devenu célèbre va enfanter d’un double qu’il va chérir. La célébrité en devenir, sera donc pour elle-même, sa première groupie.
4) Célébrité et perte des limites du Moi
Dès le début de la notoriété, les limites vont commencer à s’effacer. La montée vers la célébrité n’est pas lente et progressive, mais se fait par brusques coups d’accélérateur. Cette poussée est décrite à l’aide de métaphores : tourbillon, décollage, montée en flèche…qui évoque la perte de contrôle des événements et l’effacement des limites.
Le passage à la célébrité va produire une brusque accélération existentielle et un changement complet de repères
Omnipotence, grosse tête et caprices
La célébrité a gommé les conflits et plus personne n’ose dire non à la star. Les limites tombent une à une : attendre, faire la queue, se voir refuser quelque chose parce que c’est complet, ou qu’il n’y en a plus ou que c’est trop cher… tout ça n’existe plus ! Les refus deviennent une agression face au sentiment d’omnipotence. C’est le syndrome de la grosse tête qui est fait de mégalomanie et d’arrogance. La star croit s’élever, en fait elle régresse à l’état de nourrisson capricieux qui veut tout et tout de suite. La sexualité devient elle aussi sans limites : Woody Allen le dit très bien avec son humour absurde : « la célébrité m’a apporté un gros avantage, les femmes qui me disent non sont plus belles et plus nombreuses qu’autrefois... ».
Gene Simmons, le bassiste du groupe Kiss, se vante du nombre de femmes qu’il a conquis pendant les tournées du groupe. Il en annonce 5000, et c’est loin du score que s’attribue Warren Beatty avec 10 000 conquêtes ! Julio Iglésias parle de son addiction au sexe, « je ne pouvais pas monter sur scène si je ne faisais pas l’amour avant ; et je voulais terminer le concert rapidement car je savais qu’une femme nue m’attendait dans ma loge… ». Marlon Brando évoque « les années de la grande baise, je couchais avec toutes sortes de femmes, j’avais perdu la notion du temps et dépensais mon argent sans compter ».
L’argent afflue et devient rapidement incomptable et la toute-puissance devient aussi financière. Toutes ces outrances sont visibles : villas dans des endroits paradisiaques, voitures de grand luxe, yachts, jets privés, bijoux et vêtements inabordables… Inutile de tout payer, on vous invite, on vous prête, on vous donne… (le groupe Led Zeppelin ira jusqu’à se payer un Boeing 727 pour ses tournées).
Cette toute-puissance s’accompagne d’une surestimation extrême de soi avec un recul croissant du principe de réalité. Le monde de la névrose s’est effacé, celui de l’interdit, des limites, de la frustration et de la Loi. Ce monde-là est remplacé par un fonctionnement purement narcissique, omnipotent ou tout devient possible, proche du fonctionnement en processus primaire, comme dans les rêves.
Les caprices s’inscrivent dans ce fonctionnement : Madonna exige dans les suites qu’elle loue l’installation d’une salle de sport et un siège neuf dans les toilettes, qui doit être scellé sous l’inspection de son équipe. Citons encore Mariah Carey qui parait souffrir d’une addiction à sa propre image et demande à réserver non pas une suite mais un étage entier dans les palaces ou elle va, et exige que tous les écrans géants de télévision ne diffusent en boucle que ses clips, et les magazines où apparaissent d’autres stars qu’elle, sont bannis ! À propos d’hôtels, les groupes Led Zeppelin et les Who avaient l’habitude de détruire systématiquement leurs chambres, dans un contexte de prise d’alcool et de drogues, nous allons y venir au sujet des addictions.
Mais si tous les souhaits, tous les fantasmes peuvent se réaliser, que devient le désir ? Convoquons une star française de la psychanalyse, Jacques Lacan. Pour lui, le désir est indissociablement lié au manque et à l’objet perdu, au paradis perdu de l’unité primaire avec la mère. Pour Lacan, le manque est au cœur de l’être, qu’il nomme le « manque à être ». Ce qui pourrait le combler est interdit ou inaccessible et cet interdit préserve le désir et la quête de complétude.
Quand tous les désirs sont comblés, advient le vide : c’est la perte du désir, car il n’y a plus rien à désirer, attendre ou à espérer. Olivenstein parlait d’un « manque du manque ». On assiste à une surenchère dans la recherche du plaisir et de l’excitation et à la prise de tous les risques pour accéder à toutes les ivresses.
Dépossession de soi et désubjectivation
Le cinéma et la musique font partie de l’industrie du divertissement, dont les enjeux commerciaux sont immenses. La star court le risque d’être réduite à l’état de produit à la valeur variable et volatile : « Bankable » un jour, « has been » le lendemain. De plus, les stars sont des pièges à désir, par leur charisme et leur beauté. Les plus « glamour » vendront leur image pour des produits de luxe, parfums ou bijoux, les autres, en fonction de leur notoriété, vanteront les mérites de boissons gazeuses, d’assurances ou de denrées alimentaires. Leur identité commence à leur échapper, et ce n’est qu’un début.
L’intimité et la pudeur sont des barrières qui délimitent notre identité et elles vont être attaquées en premier. Si on fait un petit détour anthropologique, durant son évolution, l’être humain, en passant du déplacement à 4 pattes à la position debout, a été amené à cacher ses parties intimes (appelées anciennement parties honteuses), et ses fonctions excrémentielles. Leur dévoilement inattendu, produit un affect violent de honte, face au regard des autres, qui est alors effractant et insoutenable. L’intimité est partie constituante de notre identité, grâce à la construction et à la protection d’un espace privé non-partageable avec les autres. La pudeur chez l’enfant fait partie du processus de la constitution du moi, puis des codes sociaux et du lien social.
La pudeur est la première barrière identitaire qui va être effractée.
Les émissions de téléréalité reposent sur une exploitation mercantile de l’intimité. Dans la première d’entre elles, Loft Story, un groupe de jeunes est filmé 24 heures sur 24 à l’aide de caméras installées partout, jusque dans les salles de bain et les toilettes. Ces jeunes en quête de notoriété et de reconnaissance, sont en fait instrumentalisés et subissent une situation de désubjectivation. Nous en avons observé les tristes dégâts réalisés sur la jeune Loana, devenue célèbre après de scènes sexuelles au cours de l’émission « Loft Story », qui a sombré depuis dans la dépression, les addictions diverses et les tentatives de suicide, et dont la détresse alimente maintenant les pages des magazines.
Le rapport au corps et à la nudité est au cœur de l’intime. La nudité du corps féminin est objet de fascination et de désir, et les actrices en parlent très différemment les unes des autres. Il y a des nudités puissantes et triomphantes, comme celle de Brigitte Bardot dans « Le mépris » et dans « Et Dieu créa la femme » ou celle d’Emmanuelle Béart qui parle de l’énergie volcanique dégagée par son corps nu. Mais il y a aussi des nudités destructrices, comme celle de Maria Schneider, jeune actrice de 20 ans au moment du tournage du « Dernier tango à Paris ». Elle sortira humiliée et traumatisée de la scène désormais célèbre d’une sodomie facilitée par une motte de beurre… Même s’il s’agit d’une scène mimée, en partie improvisée avec Marlon Brando, Maria Schneider n’avait ni la maturité ni la solidité pour se préserver et définir ses propres limites. Elle se retrouve donc « grillée » pour le cinéma, s’exile aux États-Unis et tombe dans une profonde dépression, accompagnée de plusieurs overdoses et tentatives de suicide.
Cela pose le problème de ce que les actrices sont prêtes à donner de leur intimité et à sacrifier de leur pudeur à un metteur en scène. Il y a aussi ce que le cinéaste a envie de leur prendre, de se saisir en les poussant à bout, en repoussant leurs limites.
C’est encore plus effractant pour l’identité, quand il s’agit de photos intimes volées et de sex-tapes, ces scènes de sexe, diffusées à l’insu de la personne.
5) Confusion identitaire
Du vrai et du faux
Parlant de l’art, Diderot disait que « le rôle de l’esthétique est de dévoiler la nature, c’est-à-dire le sens même de l’existence, et de donner une certaine vérité sur l’humain ». C’est une façon de dire que le vrai, le réel, n’est accessible que grâce au détour par l’espace du jeu et de la représentation symbolique. L’art a donc cette fonction paradoxale : le faux révèle le vrai, le réel. C’est peut-être ce que Lacan voulait dire en énonçant : « le réel, c’est l’impossible »…
De même, Le jeu des comédiens, les fictions vont nous révéler des choses sur nous-mêmes. Si l’on se penche sur le jeu des comédiens, il faut souligner que Diderot, dans son célèbre ouvrage « Paradoxe sur le comédien », prônait d’être faux pour paraître vrai. « La sensibilité fait les comédiens médiocres », disait-il ! Pour lui, rien ne valait la lucidité et l’observation.
L’Actors Studio : une méthode qui rend fou ?
À l’opposé, Lee Strasberg, fondateur et directeur de cette école de théâtre, applique une méthode révolutionnaire : il ne faut plus jouer, il faut être. Le but est d’atteindre un réalisme aigu par un jeu tout intérieur. Il s’agit d’effectuer un travail sur sa mémoire émotionnelle pour retrouver en soi les sensations et émotions vécues dans le passé et les faire ressortir.
C’est là que les choses se gâtent et que l’identité se trouble.
La comédienne Jane Fonda raconte dans sa biographie qu’elle se sent dans un premier temps libéré par cette méthode : elle se sent vraiment elle-même pendant le jeu et peut exprimer des émotions taboues jusque-là. Mais elle se sent nulle et impuissante dans sa vie de couple, ou elle a la sensation de se nier, de se salir et de ne pas exister. Elle est vraie sur le plateau de tournage et fausse dans sa vie réelle. Dans cette confusion des places, elle se sent profondément déprimée, consomme des amphétamines et alterne des crises d’anorexie et de boulimie. En plein paradoxe existentiel, elle est perdue dans son couple et à l’écran, elle interprète Barbarella, femme guerrière et sex-symbol !
Le vrai et le faux se renversent et s’interpénètrent. Lee Strasberg est très fier de sa méthode et lui trouve même des vertus psychothérapiques ! « C’est un véritable viol psychique ! », Dira James Dean qui livre à nu toutes ses émotions.
Imposture et honte
Albert Camus disait : « ce n’est pas l’artiste qui devient célèbre, mais quelqu’un d’autre sous son nom, qui finira par lui échapper ». Il décrit ainsi la constitution du « double célèbre ». Ce double est en partie auto-engendré par la star mais ce double est aussi modelé par les producteurs à coup de chirurgie esthétique, biographies inventées et artifices diffusés dans les médias. Marylin Monroe n’est pas blonde mais rousse, Rita Hayworth n’est pas rousse mais brune, et puis de toutes façons Marylin ne s’appelle pas Marylin, pas plus que Rita ne s’appelle Rita… Ce fut le cas aussi de l’acteur Cary Grant, homosexuel, que l’on photographiait entouré de jolies pin-up pour confirmer son image de séducteur véhiculé dans ses films. En plein mal de vivre, Marilyn Monroe disait d’elle-même : « un jour, vous verrez, ils s’apercevront que je suis bidon ! ». Elle se sent surévaluée et pas du tout à la hauteur de son mythe. Elle ne se sent que désirée par les hommes, alors que son seul désir était d’être aimée…
Même sentiment profond d’imposture chez Marlon Brando, dont le sentiment de vulnérabilité et de ne rien valoir, contredit violemment sa puissance apparente et son mythe : « je marchais à peine que ma mère m’avait déjà abandonné pour une bouteille… », se souvient-il. Il se définissait lui-même comme bisexuel et ayant besoin de séduire et consommer alcool et femmes en permanence.
Les sentiments de honte et d’imposture sont poussés à l’extrême pour la jeune actrice Jean Seberg après la première mondiale de Jeanne d’Arc. À 20 ans, elle dîne avec le tout-Paris artistique et politique et rencontrera Kennedy, Malraux et De Gaulle. Elle se sent gauche et ridicule, laide et inculte, considérant son succès comme immérité. Par la suite, Jean Seberg deviendra dépendante à l’alcool et aux barbituriques et mettra fin à ses jours à l’âge de 40 ans.
On voit que l’écart entre le double célèbre et la personne réelle est énorme et source de conflit interne. L’imposture, c’est être pris pour ce qu’on n’est pas, pris pour un autre qui a pris votre place.
Double célèbre et identité
Comme le souligne Edgar Morin, le personnage contamine la star et la star contamine le personnage. Et il est pourtant fondamental de ne pas confondre son identité profonde avec son double devenu célèbre. Marlon Brando donne cet avertissement, « le pire qui puisse arriver à une célébrité, c’est de se mettre à croire au mythe qui s’attache à elle ». La star va se confondre avec son personnage et de perdre de vue son identité propre. Ce télescopage, cette confusion s’accompagne d’une perte de l’espace du jeu, de l’espace du faire semblant, ce qui a des conséquences plus graves. Il s’agit d’un effacement de la symbolisation, que nous allons essayer d’illustrer.
Un bon exemple nous est fourni par le regretté Patrick Dewaere. Cet acteur attachant, hypersensible, a accumulé les rôles de paumés et de désespérés, en même temps que dans sa vie amoureuse il vivait échecs et séparations. Sur le tournage d’un film, « F comme Fairbanks », il joue avec une actrice, Miou Miou, qui vient de le quitter dans la réalité. Lors d’une scène, Patrick Dewaere, totalement engagé, se tape à plusieurs reprises la tête contre une voiture : il se tape vraiment la tête, sans trucage ni protection. Sa douleur physique est vraie et sa douleur psychique aussi. Dans un autre film, « Un mauvais fils », il va encore plus loin. Non seulement il a un vrai problème de reconnaissance paternelle, mais lorsqu’il doit jouer une scène de réveil laborieux après une nuit de « défonce », Il se fait un vrai shoot juste avant la scène pour faire plus vrai, lui qui s’efforçait d’être « clean » lors des tournages. Il ne joue plus, il est cette douleur de vivre et ce paumé en pleine quête identitaire. Son personnage dit, « je suis un type sans importance, ça ne me dérange pas, j’étais déjà un bébé sans importance ». « Entre les tournages, je tourne en rond et je me demande qui je suis », ajoutait-il. Patrick Dewaere était héroïnomane et se suicidera à l’âge de 35 ans.
Dans ces situations, il n’y a plus de déplacement de la problématique, plus de sublimation (c’est-à-dire de transformation symbolique) de la douleur et de la destructivité. Elles ne sont plus jouées ou mimées ; elles sont vécues, agies, montrées et exploitées, au péril de l’équilibre psychique des comédiens.Le télescopage de la réalité et de la fiction entraine la disparition de l’espace de jeu, de l’aire transitionnelle, de cet espace qui permet de fantasmer, rêver et symboliser.
Un exemple de cet effacement de la symbolisation est la proposition de la cinéaste Catherine Breillat de filmer de vrais rapports sexuels et non pas des scènes de sexe simulées. Dans ce cas, on ne voit plus la représentation d’une chose, on voit la chose elle-même. Cette une tentative d’approcher une vérité en montrant de la réalité. Mais le réel n’est pas en lui-même porteur de sens ; la création et l’art le dévoilent par les détours de la symbolisation. C’est ce que semble dire Victor Hugo : « L’art, c’est le reflet que renvoie l’âme humaine, éblouie par la splendeur du beau… ».
La confrontation avec la crudité du réel a un impact traumatique sur le spectateur par une sidération de la pensée et la violence des sensations ; et aussi un impact traumatique sur les acteurs qui ne sont plus protégés par un personnage de fiction. Le double a pris leur place, telle l’ombre dans le conte d’Andersen, conte dans lequel l’homme devient l’ombre et l’ombre devient lui-même….
6) Addictions et pansements psychiques
On a vu finalement que la célébrité apportait de mauvaises réponses à une quête identitaire, ces mauvaises réponses venant aggraver les failles narcissiques et produire un effet de déliaison sur l’identité. C’est dans ce contexte que vient s’inscrire la surconsommation de produits toxiques, alcool et médicaments, si fréquente dans l’industrie du spectacle.
Plus la célébrité arrive tôt et plus c’est dangereux : Drew Barrymore, enfant star célèbre dès l’âge de 7 ans, découvre l’alcool à 9 ans, fume du haschich à 10 et prend de la cocaïne à 12… Elle fera plusieurs tentatives de suicide et plusieurs cures de désintoxication, les fameuses « rehabs »… C’est ce que rappelle avec lucidité Georges Clooney, devenu célèbre sur le tard, alors qu’il est déjà un homme mûr : « si j’avais percé vite, je pense que j’en serai à me shooter du crack dans les veines du cou ! ».
Besoin de dopage
Pour le psychanalyste Michel de M’Uzan, les sujets « addicts » ou dépendants sont des esclaves de la quantité. Ils luttent contre ce que le psychisme ne peut plus assimiler : le vide, le manque ou au contraire canaliser les pulsions et les excitations. L’utilisation des drogues peut se comprendre comme un moyen de dopage, étant donné l’énergie que demande le démarrage d’une carrière puis l’exigence de rendement. Quand ça marche, il faut pouvoir tenir physiquement le rythme et cela ouvre la porte aux « uppers » (stimulants) de toutes sortes : cocaïne, crack, amphétamines… Balzac buvait jusqu’à 30 tasses de café en une journée, car pour lui « chaque jour est un Austerlitz de la création ».
Les stars du rock, quant à elles, donnent tout, tous les soirs, pendant les tournées qui leur rapportent plus que la vente de disques. Tous ces artistes disent l’énorme quantité d’énergie dépensée sur scène et la « défonce » pour assurer la performance et se sentir invulnérable.
C’est ce que raconte Johnny Halliday en parlant de la place de la cocaïne dans sa vie : « la cocaïne, j’en ai pris longtemps en tombant de mon lit, le matin. Maintenant, c’est fini, j’en prends juste pour travailler, pour relancer la machine, pour tenir le coup. Faut bien vous dire que nos chansons viennent bien de quelque part, elles ne tombent pas d’un arbre de Noel ! ». Johnny est passé d’une consommation ou il cherchait des sensations à un usage de type dopage, pour pouvoir produire un effort.
Les exigences de la création
Les artistes parlent du besoin de créer comme quelque chose qui s’impose à eux, qui demande à sortir. Mais ça ne sort pas toujours facilement. Pour Otto Rank, la création artistique est avant tout « une dynamique de la nécessité ». C’est ce que confirme l’écrivain allemand Rainer Maria Rilke qui dit écrire « parce qu’il ne peut pas faire autrement ». (Dans « Lettres à un jeune poète »). Or, l’acte de création s’effectue, selon Winnicott, dans un moment de fonctionnement psychique plus informe et plus décousu, et s’accompagne d’une légère altération de l’identité. Cela implique une régression passagère, avec un relâchement du contrôle, une modification de l’état de conscience et de la vigilance, évoquant une forme de transe. C’est cette régression créatrice qui est recherchée à l’aide de l’alcool ou du LSD dans les années 70, ou avant par Henri Michaux avec la mescaline, ou encore chez Freud avec la cocaïne…
Des hauts et des bas
La vie d’une star est faite d’alternances d’accélérations et de ralentissements. On a vu que les tournées et les tournages sont des moments intenses, d’émotions partagées par toute une équipe centrée autour de la star. On raconte d’ailleurs que dans les années 40, les studios hollywoodiens distribuaient des amphétamines pour que certains acteurs supportent mieux les nombreuses heures de tournage. Comme cela les rendait insomniaques, on devait leur fournir ensuite des barbituriques pour qu’ils dorment ! Ce fut le cas de Judy Garland qui deviendra toxicomane et succombera à une surdose de barbituriques à 47 ans.
Quand tournées et tournages s’arrêtent, se produit un vide et un ralentissement, donnant à cette existence une allure de vie bipolaire, avec son alternance de trop plein puis de vide. C’est parfaitement illustré par le film de Sofia Coppola « Somewhere », dans lequel elle montre un acteur face au vide de sa vie après un tournage, consommant drogue et alcool à Château Marmont, lieu de résidence pour stars à Los Angeles. Cet acteur mène une vie végétative et régressive et c’est l’arrivée de sa fille adolescente qui va redonner un sens à son existence.
Les hauts et les bas concernent aussi la carrière, quand la renommée s’arrête, que le téléphone ne sonne plus et que la star est devenue has been. Les fameuses traversées du désert. C’est la dégringolade narcissique avec des accès dépressifs et les recours aux drogues et à l’alcool.
Apaiser les angoisses
Après les « uppers » qui stimulent, il faut pouvoir redescendre, calmer l’excitation, lâcher prise et dormir. C’est la fonction des « downers », et en premier lieu l’alcool. L’alcool va servir d’abord à calmer le trac du tournage ou de la scène, comme pour Marilyn Monroe par exemple. Kurt Cobain devient dépendant de l’héroïne à l’âge de 19 ans, après le divorce désastreux de ses parents ; ses tourments existentiels et identitaires ont largement précédé la célébrité. Ce fut le cas aussi de Ray Charles qui rencontre l’héroïne à 16 ans, après la mort de sa mère.
Cependant le plus souvent la dépendance à l’héroïne arrive plus tard, la célébrité établie, quand il s’agit de freiner le rythme. Nombre de carrières sont ainsi rythmées par les cures : Coluche, Yves Saint Laurent, Patrick Dewaere en France. Les plongées et les renaissances alternent, les conséquences psychiques et l’épuisement physique marquent les corps et les visages. Pour certains, la même histoire revient : à la suite d’un accident, la star se voit prescrire un antidouleur opiacé dont elle ne pourra plus se passer. Ainsi pour Piaf, Sagan ou Mickael Jackson. Ces récits permettent de situer la rencontre avec le produit mais occultent la part de douleur psychique.
En effet, nous avons cherché à montrer que le Moi de la célébrité subit des transformations profondes, tant dans ses limites que dans sa perméabilité et sa capacité à assimiler les expériences. L’appareil psychique est débordé par des sollicitations trop nombreuses et trop intenses. Les opiacés et autres « downers » sont utilisés à la recherche d’un effet de « pare-excitation », pour recréer un bouclier psychique contre les intrusions et autres menaces. Charles Nicolas disait : « se droguer, c’est tenter de maitriser ce qui vient de l’extérieur ».
Mentionnons l’insomnie comme symptôme très fréquent chez les stars. L’excitation, le rythme de vie complètement déréglé, l’angoisse, la dépression, conduisent à une surenchère de psychotropes pour dormir. Marilyn Monroe, Elvis Presley, Michael Jackson se bourrent de mélanges dangereux associant morphiniques, barbituriques, benzodiazépines et antidépresseurs… Michael Jackson dormait dans son caisson stérile avec des produits d’anesthésie générale.
Notre hypothèse est que ces toxicomanies témoignent de la fragilité des assises narcissiques liées aux carences précoces vécues par ces sujets, et cette fragilité narcissique n’a fait que s’aggraver sous les traumas de la célébrité et son effet de déliaison. La drogue devient alors un appui identitaire.
Si on veut s’appuyer sur un exemple, c’est en ces termes que l’actrice Jane Fonda parle dans ses mémoires de sa dépendance aux amphétamines. Son mal-être concernait son identité sexuelle (paradoxe pour un sex-symbol) car elle aurait voulu naitre garçon pour combler les désirs de son père. Elle est la fille de l’acteur, Henry Fonda, et sa mère Frances Fonda s’est suicidée en se tranchant la gorge quand Jane avait 12 ans. Jane Fonda fut mannequin à ses débuts, détestant son corps et obsédée par la minceur. Elle a pris des cours de théâtre pour mieux se connaitre et surmonter ses complexes, comme une sorte de thérapie. Les amphétamines l’accompagneront tout au long de sa carrière, compliquée de crises d’anorexie-boulimie. Le comportement compulsif et le recours aux drogues représente là un recours externe à une souffrance identitaire interne.
7) Facteurs de protections de l’identité
Mais toutes les stars ne vont pas si mal me direz-vous ? Il y en a qui s’en sorte ; oui, sans doute, essayons de comprendre comment…
Garder le contrôle
Reprendre les rênes de sa production et de ses affaires est un facteur de protection. Jane Fonda, encore elle, a racheté son contrat auprès de son producteur et monté sa propre société de production de même que Clint Eastwood ; ils sont aussi devenus acteurs de leur propre vie. Les Beatles ont décidé d’arrêter les concerts dès 1964 alors que sur scène ils ne s’entendent plus jouer. Ils se consacrent alors à l’écriture et aux expérimentations en studio. Les Daft Punk, connus pour protéger leurs visages et leur anonymat sous des casques de robots, négocient très tôt dans leur carrière leurs contrats afin de conserver la maîtrise totale de leurs productions.
Tout arrêter, s’est aussi reprendre le contrôle, comme Agnetha du groupe ABBA ou plus près de nous, le chanteur Stromae qui a voulu reprendre une vie plus calme et non publique.
Protéger l’intimité
Il s’agit de s’extraire du regard des fans et des médias. En construisant des murs assez haut entre soi et l’extérieur, entre soi et les autres, la Star recrée son intimité, qui est une seconde peau : les villas et propriétés, protégées par des hauts murs ont ce rôle. Elles cachent, elles protègent mais elles peuvent tout autant isoler et enfermer.
Ce fut le cas de Graceland pour Elvis, ou de Neverland pour Mickael Jackson. On peut aussi partir loin, comme Brel ou Brando en Polynésie. Ou encore veiller à se rendre invisible des médias comme Jean-Jacques Goldman ou Eddy Mitchell. L’aristocratie à ce sujet avait un code de conduite implacable : « une princesse n’apparaît que trois fois dans les journaux : naissance, mariage et décès ».
Famille et entourage
L’actrice Claudia Cardinale raconte comment entre deux films, elle retrouvait les grandes tablées familiales, s’intéressait au devenir des autres, elle participait à la cuisine ; ces repères lui permettant de garder les pieds sur terre et de garder une bonne dose de modestie. Pour Leonardo di Caprio, la famille est un véritable rempart, sa mère s’occupe de ses œuvres philanthropiques, et son père l’aide au choix et à l’élaboration de ses projets. Ces familles fonctionnent comme un clan, une tribu qui protège la star du monde extérieur, tout en la maintenant dans la réalité.
Dans ces deux exemples, les liens de filiation et d’affiliation sont préservés et restent des garants de la continuité de l’identité.
Quête de sens
L’engagement politique ou l’engagement citoyen impliquent de dépasser les limites étroites de son égo, de s’élever au-dessus de sa condition, voire de se transcender. Jane Fonda semble trouver sa place dans l’engagement pacifiste contre la guerre du Vietnam. Marlon Brando a fait de même en œuvrant pour la protection des minorités indiennes. Enfin, on peut citer aussi le cas du chanteur Sting, ancien instit resté sportif, très investi dans la cause écologiste, ou encore Elizabeth Taylor qui a œuvré une grande partie de sa vie pour la lutte contre le virus du SIDA.
Trouver du sens à sa vie, au-delà des satisfactions narcissiques, permet ainsi dégonfler son égo et de le ramener à plus justes proportions…
Le Double célèbre
Il est salvateur pour une star de garder une claire distinction entre son « double célèbre » et son « moi profond ». C’est-à-dire ne pas se confondre avec son image, ne pas se prendre pour son mythe, pour éviter une confusion identitaire.
Bono, le chanteur de U2 s’emploie à ne pas se comporter comme une star en dehors de la scène et parvient à passer inaperçu. Lady Gaga nous donne un bon exemple de double célèbre réussi et tenu à distance : son personnage est théâtral et outrancier, tout entier fabriqué par sa propre équipe de production « Haus of Gaga ». Elle ne se confond pas avec Stefani Germanotta, de son vrai nom, italo-américaine, attachée à son héritage familial et dont on connait à peine le vrai visage sans fard.
En revanche, pas de simulation ni de théâtre chez la regrettée Amy Winehouse, son anorexie, sa dépendance et son corps décharnés, tout ça n’était pas un personnage, c’est d’elle-même et de ses combats dont il s’agissait.
Cary Grant disait avec malice, qu’il aurait tellement aimé être Cary Grant, ne se confondant pas ainsi avec son mythe ! Enfin, Paul McCartney témoigne : « Mon Dieu, est-ce que c’est vraiment moi ce type ?, est-ce qu’on habite dans le même corps ? »… « C’est assez étrange, mais je pense que tous les gens célèbres ressentent ça, ça fait partie du jeu. Vous devenez deux personnes différentes et il est important de les dissocier. J’essaie de garder séparés mon personnage public et moi. »
Les thérapies
Brando, Jane Fonda, Sting, Depardieu, entre autres ont suivi des psychanalyses. Comme on l’a vu, la célébrité et ses aléas mettent à mal l’identité. Le processus d’une cure, son rythme lent, la confrontation à soi-même et ses limites, ont un effet de re-subjectivation et de restructuration de l’identité. Une des questions que nous posent anxieusement des artistes, c’est : est-ce que la psychanalyse, en apaisant les conflits internes, ne va pas tarir la source de leur inspiration ? faut-il nécessairement souffrir pour créer ? et si on va trop bien ? L’expérience montre que la psychanalyse va plutôt contribuer à libérer la créativité et favoriser la sublimation, mais ces questions restent ouvertes….
Dans un autre champ, les cures de désintoxications ou « rehab » font partie du quotidien des stars, elles sont souvent montrées et parfois chantées. À côté du traitement de la dépendance, une approche psychanalytique devrait permettre de maintenir un écart salutaire entre soi et son double célèbre ; l’idée étant de pouvoir mettre son identité au service de son art et non pas l’art au service de sa quête identitaire, au risque de s’y perdre…
« Tous les artistes sont des menteurs épris de vérité » nous dit le dramaturge anglais Robert Bolt. Mais laissons le dernier mot à Shakespeare :
« la vie est une ombre qui marche, un pauvre acteur qui se pavane et se trémousse une heure sur scène, puis qu’on cesse d’entendre ».
Conférences de Sainte -Anne, lundi 13 Mai 2019