Origine de la méthode
C’est au premier congrès de psychosomatique de Vittel en 1960 que Julian de Ajuriaguerra fait se rencontrer le dialogue tonico-émotionnel et la psychanalyse. Il crée alors ce qu’il appelle la relaxation, bien différente des autres relaxations en ce qu’elle n’utilise ni induction, ni consigne, ni suggestion.
En 1972, Marianne Strauss et Marie-Lise Roux avec François Sacco et l’équipe de Sainte-Anne créent l’Association Pour l’Enseignement de la Psychothérapie de Relaxation (APEPR). La relaxation devient la psychothérapie de Relaxation, une psychothérapie d’inspiration psychanalytique. Dans la suite des travaux des psychanalystes autour de la psychose, des états-limites et de la psychosomatique, la psychothérapie de relaxation s’inscrit alors dans le champ des extensions de la psychanalyse défini par la Société Psychanalytique de Paris (SPP) d’où ses membres fondateurs émanent. Ils poursuivent leurs recherches sur la théorie de la pratique, et en 2008, Monique Dechaud-Ferbus avec Marie-Lise Roux et leur équipe créent l’AEPPC, Association pour l’Enseignement de la Psychothérapie Psychanalytique Corporelle, qui se caractérise comme pratique psychanalytique utilisant plus particulièrement la perception et la sensori-motricité dans la médiation corporelle, le patient étant allongé sur le divan et l’analyste situé dans le champ de son regard. Ce travail psychanalytique spécifique des organisations non-névrotiques prend en compte les défaillances des relations archaïques et s’avère être un apport pour toute organisation psychique.
Approche théorique et technique de la méthode
Largement inspirée par les travaux psychanalytiques à partir de Freud, la recherche en Psychothérapie Psychanalytique Corporelle s’appuie essentiellement sur les travaux de psychanalystes qui se préoccupent de psychosomatique, des psychoses et des états-limites. A partir de la pratique psychanalytique, nous avons rencontré des patients dont la problématique principale n’était pas centrée sur l’Œdipe. Plus qu’avec les refoulements, nous avons appris à travailler avec des répressions, des régressions, des dénis et des clivages, des déformations du moi, des défauts de son organisation qui précèdent et s’associent à l’organisation de la psyché.
La Psychothérapie Psychanalytique Corporelle (PPC) est un aménagement du dispositif psychanalytique classique qui utilise la médiation corporelle pour reprendre les insuffisances et les distorsions des relations primaires. Sa spécificité est de privilégier dans la relation transféro–contre-transférentielle, les états du corps. Cela confronte le thérapeute à la vie émotionnelle dans ce qu’elle a de plus cru, et à tout ce qui n’a pu s’élaborer psychiquement. C’est pourquoi les membres de l’AEPPC ont une formation psychanalytique et ses membres formateurs sont membres de l’Association Psychanalytique Internationale (API).
La Psychothérapie Psychanalytique Corporelle (PPC) a été conçue il y a quarante ans dans le service où travaillait le Professeur Julian de Ajuriaguerra à l’hôpital Sainte-Anne à Paris, avant qu’il ne parte à Genève où il a étendu le développement de la méthode de relaxation en Suisse et en Italie. En France, les recherches théorico-cliniques des psychanalystes de la Société Psychanalytique de Paris (SPP) ont soutenu son développement dans le cadre de l’APEPR, et ces recherches se poursuivent aujourd’hui dans le nouveau cadre de l’Association pour l’Enseignement de la Psychothérapie Psychanalytique Corporelle, l’AEPPC. Selon Julian de Ajuriaguerra, « dans les expériences primaires il n’existe aucune dichotomie entre le corps et le psychisme …Dans l’habitacle qui est son corps et qui lui est donné, l’enfant est habité. En lui ses besoins s’expriment, ses pulsions se manifestent, c’est lui qui subit les émotions …Pendant une longue phase, le corps est récepteur et réceptacle, spectateur et acteur, il est lui même et l’autre par un transitivisme qui suit les lois des mécanismes de projection et d’introjection. L’enfant vit un dialogue protopathique au cours duquel la communication affective se fait sous la forme d’un corps donnant et refusant ». C’est dire l’importance que l’Association pour l’Enseignement de la Psychothérapie Psychanalytique Corporelle, l’AEPPC, accorde au « dialogue tonico-émotionnel » dans la relation thérapeutique.
Ainsi que nous l’avons dit, la psychothérapie psychanalytique corporelle, la PPC, qui s’inscrit dans le champ des extensions de la pratique psychanalytique, propose un aménagement de la cure psychanalytique dite classique par l’introduction de la médiation “perceptivo-corporelle” entre le patient et le thérapeute ; celle-ci tient compte des défaillances psychiques du patient qui se manifestent par une insuffisance de la fonction médiatrice du langage verbal. Le travail de l’analyste s’oriente non seulement sur les rêves, les fantasmes et les associations du patient (qui sont souvent absents ou réduits dans les structures concernées), mais surtout sur les états du corps. Le corps du sujet prend alors son statut intermédiaire d’être à la fois objet de l’objet – c’est à dire de l’analyste – et objet du sujet. En ce sens il acquiert une fonction transitionnelle.
Les états du corps et leur expression verbalisée sont choisis préalablement par l’analyste comme matériaux de son travail thérapeutique. Le corps du sujet devient son corps propre à travers la conjugaison du regard de l’analyste et du sujet sur les manifestations sensori-motrices de ce dernier. Par conséquent, ce travail psychanalytique donne une grande importance à l’auto-observation et à l’expression verbale du vécu corporel dans une relation dite « de non dialogue » (F. Pasche). Dans cette relation de non-dialogue, rien n’est ajouté au matériel apporté par le patient. L’analyste s’appuie sur l’expression verbale du vécu corporel du patient pour renforcer son pare-excitations. Le pare-excitations désigne un ensemble de mécanismes psychiques qui opposent un rempart aux puissantes excitations venues du monde extérieur ainsi qu’aux excitations internes, pulsionnelles, qui assaillent le sujet.
Le travail au cours du processus de la cure se déroule donc selon un trajet qui va du quantitatif au qualitatif, il évolue vers une métaphorisation progressive. La traduction des états du corps liée aux interventions de l’analyste dans la relation transféro-contre-transférentielle trouve à se figurer et, grâce à la mise en mots, se dirigent vers la représentation.
Ce processus nécessite de l’analyste un travail sur son contre-transfert corporel qui est le signe de la relation.
Le dispositif proposé dans lequel le patient est allongé sous le regard de l’analyste et peut le voir sans difficulté, assure la dissymétrie fondamentale pour l’installation du transfert qui est, ainsi que le dit Freud, le levier de la cure. Mais ce faisant, il reconstitue les caractéristiques essentielles de l’environnement primaire dans lequel le patient s’est développé. La reconstitution des caractéristiques de ce milieu primordial a pour fonction de proposer un contenant et un soutien pour faciliter le renforcement des défenses du moi et l’approfondissement de l’insight. Le divan métaphorise le giron maternel et les genoux paternels (F. Pasche), et son utilisation vectorise la bisexualité psychique constitutionnelle selon Freud.
Ainsi, la Psychothérapie Psychanalytique Corporelle, PPC, sollicite à la fois le transfert maternel et paternel dans la recherche d’un transfert de base pour la dynamique du processus. On comprend alors que la Psychothérapie Psychanalytique Corporelle, PPC, est particulièrement indiquée pour les patients psychotiques non-dissociés, pour les psychoses froides et ceux qui souffrent de pathologies du narcissisme comme les états limites qui ont tendance aux actings concernant leur corps (tentatives de suicide, auto-mutilation, prises de toxiques, divers recours à la violence, etc.). Elle constitue aussi une réponse thérapeutique efficace aux névroses de comportement, aux névroses actuelles, aux affections psychosomatiques et aux problématiques de deuil. Toutefois plus que la symptomatologie, c’est la référence au fonctionnement somato-psychique du patient et à ses failles qui oriente le praticien vers l’indication d’une psychothérapie psychanalytique corporelle, PPC.
En effet, chez ces sujets, les bases primaires de l’intégration sensori-motrice sont infiltrées de dysfonctionnements relationnels précoces qui empêchent les processus de symbolisation.
Le divan, un opérateur, mais un autre divan
Alors que dans la cure psychanalytique habituelle le divan est dans le dispositif une position de repos qui permet au patient comme dans le rêve de quitter la perception pour une introspection de son fonctionnement, dans la psychanalyse corporelle (PPC), le patient utilise le divan pour se ressentir dans la relation à l’analyste qu’il a dans le champ de son regard. La mandorle ainsi créée permet au patient de faire l’expérience des limites par la résistance du divan d’une part et la résistance de l’objet d’autre part, dont le regard et le corps en personne posent une autre limite.
On peut dire que le divan a une fonction et est un opérateur de la cure. Dans la cure de PPC, le psychanalyste utilise un clivage fonctionnel (G.Bayle) de façon à tenir ensemble une écoute des états du corps dans le transfert et une écoute de ses propres états du corps. Il est donc confronté à la vie émotionnelle dans ce qu’elle a de plus primaire et à tout ce qui n’a pas pu s’élaborer psychiquement. C’est pourquoi, il est sollicité contre-transférentiellement, aux niveaux les plus inconscients et les plus corporels.
De cela, découle l’importance accordée au dispositif dans lequel le processus d’élaboration va s’inscrire, et rend impératif l’expérience personnelle de la cure de PPC, en plus d’une psychanalyse personnelle classique pour tout analyste qui souhaite pratiquer la PPC. Ce cadre vise à favoriser un étayage comprenant la fonction de pare-excitations et de contenant, pour qu’un processus d’élaboration puisse se dessiner. « Avoir un mode de pensée psychanalytique par rapport au corps », comme le soulignait J. de Ajuriaguerra. Dans ce travail psychanalytique à médiation corporelle et à partir de la métapsychologie freudienne, nous nous situons dans une autre écoute du fonctionnement psychique où le langage du corps avec ses sensations, les perceptions et la relation tonico-émotionnelle, permet de reprendre les défaillances d’origine primaire de différents dysfonctionnements.
Indications
Dans le champ d’extensions de la psychanalyse, la PPC s’adresse au patient par la médiation de son corps comme objet limite entre le « dedans » et le « dehors », comme corps psychique lié au tissu somatique. Elle permet de proposer un travail psychanalytique, grâce à l’introduction de la médiation corporelle dans la relation transfert/contre-transfert, à certains patients.
Ceux qui souffrent de pathologies dans lesquelles la confusion des espaces psychiques est souvent importantes, de confusion liée à des failles dans les relations les plus précoces et que nous nommons primaires peuvent bénéficier de ce travail. Ces failles se présentent aussi chez des enfants et des adolescents dont les troubles relèvent d’entraves à la symbolisation, comme les désordres comportementaux, une hyperactivité, une inhibition des processus de pensée, une difficulté à se concentrer et à se repérer dans l’espace et le temps, un défaut de mentalisation qui fait le lit des décompensations somatiques, des réactions dites caractérielles, etc.
Ces troubles peuvent être isolés ou combinés et on observe fréquemment leur association à des difficultés dans le registre de l’écriture. Or, de nos jours, la « mauvaise écriture » est généralement négligée par l’entourage ou bien elle donne lieu à la prescription d’une rééducation qui reste bien souvent sans effet faute de prendre en compte l’existence d’un défaut fondamental chez ces sujets. Ces enfants et adultes présentent une défaillance du processus de symbolisation primaire qui engage le corps. C’est ici que la graphothérapie comme adaptation particulière de la Psychothérapie Psychanalytique Corporelle, prend tout son intérêt.
La graphothérapie a été inaugurée dans les années 1960 par Julian de Ajuriaguerra et René Diatkine avec Marianne Strauss, elle est enseignée par Marie-Alice Du Pasquier à l’hôpital Ste-Anne à Paris, dans le service de la psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent où se poursuit son élaboration. Entrant dans le cadre plus général de la PPC, la graphothérapie donne la possibilité au moi de vivre une expérience et de se développer en direction d’une autonomisation.
Ainsi la PPC, permet, dans certains cas, d’accéder à une cure psychanalytique dite classique et, dans d’autres cas, la reprise d’un travail psychique qui avait été bloqué dans une cure psychanalytique classique. En résumé, la PPC, dite encore parfois de relaxation, est indiquée préférentiellement dans des états non-névrotiques, dans des états psychotiques non dissociés, des états limites et troubles narcissiques, voire narcissiques identitaires, des désordres du caractère et du comportement, c’est-à-dire dans des pathologies de l’excitation, mais aussi dans des affections psychosomatiques.
Mais bien sûr, elle peut profiter à quiconque souhaite engager un travail sur soi à partir du corps pour retrouver les traces mnémoniques non encore traduites qu’il est difficile de mobiliser en dehors des mouvements de régression corporo-psychique que ce dispositif permet et encadre.
C’est « un autre divan » qui offre un travail psychanalytique aux organisations psychiques qui semblaient en être exclues.