Histoire de la psychanalyse en France
Ce texte est présenté avec l’autorisation des éditions Hachette. Toute citation devra se conformer aux lois du copyright et mentionner son origine : ©Mijolla Alain de (1982e), La psychanalyse en France (1893-1965), in : Histoire de la Psychanalyse, dir. R. Jaccard, tome II, Paris, Hachette, p. 9-105. Nouvelle édition en Livre de Poche, 1985.
Une version simplifiée a été publiée en anglais : “France (1893-1965)”, in Kutter P. (ed.), Psychoanalysis International, A Guide to Psychoanalysis throughout the World, vol. 1, Stuttgart, Frommann-Holzboog, 1992, p. 66-113.
SOMMAIRE
1. Accueil de la psychanalyse avant 1914
2. Angelo Hesnard et la guerre de 1914-1918
3. Les débuts de la psychanalyse en France
4. Marie Bonaparte et la création de la SPP
5. La seconde guerre mondiale et l’occupation
6. L’extension de la pratique psychanalytique
7. Tensions, tendances critiques
8. La question de la formation
9. La marche vers la scission
10. La psychanalyse dans la société française
11. La Société Française de Psychanalyse
12. L’Institut et le développement des activités scientifiques
13. Le destin de la SFP
14. L’éclatement de la SFP et la naissance de l’APF
15. La production intellectuelle
Bibliographie
1. Accueil de la psychanalyse avant 1914
Je me couchai sur un divan et me mis à raconter ma vie,
ce que je croyais être ma vie.
Ma vie, qu’est-ce que j’en connaissais ?
Raymond Queneau, Chêne et Chien
Nul doute que l’histoire du mouvement psychanalytique en France ne se fût écoulée beaucoup plus fluidement si le professeur Sigmund Freud n’avait pas existé ! De la psychanalyse, il était à la rigueur possible de s’accommoder, mais de lui et de ses écrits… Entendons bien : sous le mot de “psycho-analyse”, puis de “psychanalyse”, on a pu, on peut encore – on ne s’en est jamais privé -, présenter presque n’importe quoi, tandis que l’œuvre de ce diable d’homme persiste avec ses exigences et continue de bousculer les compromis conjoncturels. Malgré quatre-vingts ans de ruses nationales aux formes les plus diverses, le problème reste entier : comment s’en débarrasser ?
Qu’on n’en souffle mot durant presque un quart de siècle, qu’on la traduise au compte-gouttes et souvent fort approximativement, qu’on la prédigère aux enzymes français dans des traités philosophiques, des manuels médicaux, des cours universitaires ou entre deux spots publicitaires radiophoniques, qu’on s’en proclame le porte-parole pour mieux la lui couper, tout, ou quasiment, semble avoir été tenté et continue de l’être afin que la dangereuse “doctrine freudique” demeure la propriété secrète de quelques rares initiés polyglottes, amoureux du passé. A quoi bon lire Freud, d’ailleurs ? Avec régularité, depuis cinquante ans, l’annonce solennelle est faite que la mode en est définitivement révolue et que cette fois-ci, la guenon, la poison, la psychanalyse est morte…
“Dogmatisme teuton”, “pansexualisme”, “irrationalisme”, il y avait dès le début de quoi choquer la délicatesse des Français si cartésiens. Et que dire de la prétention de l’étranger à juger de l’usage national que l’on entendait faire de la “méthode psychanalytique” et du “freudisme”? Allait-on accepter de se mettre à la botte de Vienne ou d’un quelconque “machin” international ?
Toutes ces années d’assauts, de maquillages, de résistance bien française, est-il imaginable d’en rendre compte en si peu de place, même en arrêtant cet abord historique à distance d’une actualité trop prégnante, même en s’en tenant à une approche résolument événementielle, aux dépens des développements théoriques et cliniques que la psychanalyse a su inspirer aux Français ? Aux dépens des passions qu’elle a su éveiller chez plus d’un, des sacrifices et du travail qu’elle a coûtés, des sarcasmes qu’elle a fait subir à ceux qui l’ont aimée ?
“Au nom de Freud”, “après Freud”, “à partir de Freud”, “retour à Freud”, les slogans n’ont jamais manqué. Mais l’homme et ses livres ont résisté, contre vents et marées, tout comme sa psychanalyse qui a toujours su trouver quelque abri où préserver sa flamme. Et pourtant, dès le début… Professeur, boche, juif et libidineux, aucun repoussoir ne manquait à Sigmund Freud en ces premières années du XXè siècle où l’affaire Dreyfus, cancer traînant de 1894 à 1906, la revanche à prendre sur Sedan, les conventions libertines du vaudeville alliées aux plaisirs du Pétomane, le poids d’une orgueilleuse tradition médico-hospitalière, enfin, caparaçonnaient les beaux esprits français de certitudes aussi méprisantes que foncièrement xénophobes.
Lui-même, c’est d’un œil inquiet, curieux et plutôt critique qu’il avait lorgné Parisiens et Parisiennes durant son stage de travail à l’hôpital de la Salpêtrière, d’octobre 1885 à février 1886. Seul le Pr Jean-Martin Charcot (1825-1893) avait trouvé grâce aux yeux du jeune chercheur de trente ans, un peu gauche, au fort accent tudesque, qui rêvait de l’égaler un jour. Seul Charcot, avec ses grandes exhibitions d’hystériques et son assurance scientifique, avait su bouleverser sa vie en lui révélant “qu’il faut s’adresser à la psychologie pour l’explication de la névrose”. Cette remarque magique avait enfin permis à l’étudiant pauvre de conjoindre les tendances contradictoires à la spéculation philosophique et à l’observation expérimentale que n’avait pas encore unifiées son vif tempérament de conquistador.
En 1896, dix ans après avoir quitté Paris, dans un article écrit en français et publié dans la déjà célèbre Revue neurologique, “L’hérédité et l’étiologie des névroses”, Freud va offrir en cadeau à la France la première apparition publique d’un terme dont nul alors, pas même lui, n’imagine le destin : la “psycho-analyse, procédé explorateur de J. Breuer”. Trois autres articles de lui paraîtront en français, rapidement mentionnés dans quelques comptes rendus.
Rien de plus, ou presque, mais rien de moins. La France, en ces moments originaires, se situe sur la même ligne de départ que les nations voisines. On y parle un peu de Freud, au Congrès des Médecins aliénistes et neurologistes de Grenoble, en 1902, par exemple ; Théodore Flournoy, le psychiatre genevois renommé, rédige une note en 1903 sur L’interprétation des rêves ; on cite La Psychopathologie de la vie quotidienne ; mais il serait fallacieux de multiplier des références bibliographiques qui risqueraient de faire illusion par leur nombre. Celui-ci n’a d’égal que le peu d’audience de ces textes, leur faible répercussion et leur manque d’intérêt.
L’Hexagone classe Freud dans ses fiches bibliographiques mais ne s’enthousiasme pas. A part de rares Viennois, dès 1902, il en est de même un peu partout, jusqu’en 1907 où commencent à se présenter au Berggasse 19 : Max Eitingon, puis Karl Abraham, de Berlin, Carl Gustav Jung et Ludwig Binswanger de Zurich, Sándor Ferenczi de Budapest, Abraham A. Brill et Ernest Jones venus d’Amérique.
Alors seulement le fossé se creuse entre la France et ses voisins. Le mystère n’est pas tant que la société française dans son ensemble ait alors ignoré Freud mais qu’il n’y ait pas eu un seul individu pour se dire : ce que raconte cet homme, à Vienne, est fou mais passionnant, allons-y voir de plus près ! À l’inverse des autres pays, tout au contraire, ce sera un jour la société française, ou plutôt parisienne, entraînée par ces artistes qui, de tout temps, ont lancé en France modes éphémères et révolutions profondes, qui imposera la psychanalyse. Mais il ne s’y sera trouvé aucun véritable “pionnier”.
Et pour l’heure, c’est le silence. Les Suisses romands, mobilisés par leur bilinguisme et l’agitation qui règne à Zurich autour de Jung, effectuent les premières tentatives d’information en langue française. Alphonse Maeder, en 1907, initie les lecteurs des Archives de psychologie de la Suisse romande à l’interprétation des rêves, puis aux subtilités des actes manqués. Cela n’est pas sans conséquences. Transmise par les écrits de psychologues, la psychanalyse va essentiellement se faire connaître comme méthode complémentaire d’exploration clinique. On ne la prendra souvent en considération qu’en raison du sérieux scientifique et expérimental qui semble s’attacher à la pratique des “mots inducteurs” vantée par Jung et ses élèves : un mot est prononcé, auquel le malade doit associer les termes qui lui viennent à l’esprit, l’opérateur chronomètre et, si le temps est trop long, on diagnostique “un complexe” à interpréter et à traiter. Freud aura beau répéter que ce procédé est contraire aux “associations libres” et à la technique psychanalytique, rien n’y fait.
Aux yeux de beaucoup de Français, et pour de nombreuses années, ce qu’il y a finalement de moins mauvais dans le freudisme, c’est Jung ! Quant au reste, il leur semble qu’un psychologue autrement sérieux a déjà tout dit : le professeur Pierre Janet (1859-1947), autre élève de Charcot, titulaire d’une chaire de Psychologie au Collège de France. Une querelle de priorité l’oppose à Freud car il estime avoir, avant celui-ci, découvert l’action pathogène des souvenirs oubliés et la nécessité de les faire retrouver aux malades en les mettant en état de somnambulisme. Même si les recherches de Josef Breuer et de Freud ont été antérieures, puis parallèles aux siennes, Janet ne veut pas en démordre. Pas plus qu’il ne semble tenir compte de l’évolution des idées de Freud depuis les Etudes sur l’hystérie datées de 1895. Il ignore ou feint d’ignorer la dynamique du refoulement, la découverte du fantasme, la description des conflits psychiques, toutes notions absentes de ses propres théories, et nombre de critiques français lui emboîteront le pas. Comme ils emploieront à sa suite le terme de “subconscient” que Freud n’a jamais utilisé.
Lorsque Jung, alors tout récent adepte freudien, part pour Paris en juin 1907 et projette d’y rencontrer Janet, Freud l’avertit : “L’obstacle, chez les Français, est sans doute essentiellement de nature nationale ; l’importation vers la France a toujours comporté des difficultés. Janet est une fine intelligence, mais il est parti sans la sexualité et ne peut à présent plus avancer.” La sexualité, lors du Congrès de Psychiatrie, de Psychologie et d’Assistance aux aliénés, qui se déroule à Amsterdam en septembre, Janet en fera précisément reproche aux freudiens dans un discours dont l’ironie suffisante ne masque pas sa méconnaissance absolue des théories qu’il prétend discuter.
Pas le moindre Français au Ier Congrès international de Psychanalyse de Salzbourg, en avril 1908, ni même à celui de Nuremberg qui verra naître l’Association psychanalytique internationale (I.P.V.), en 1910. Il faut attendre le mois de décembre de cette année pour que Freud puisse enfin se réjouir : “J’ai reçu une première lettre venant de France d’un certain Dr Morichau-Beauchant, professeur de médecine à Poitiers, qui lit, travaille et est convaincu.” Un an plus tard, le 14 novembre 1911, dans La Gazette des hôpitaux civils et militaires, paraît ce que Freud, Jones, Ferenczi et Abraham saluent comme “le premier article de psychanalyse écrit en France”, intitulé : “Le “rapport affectif” dans la cure des psychonévroses”. On doit se rappeler que le mot “rapport” désigne alors traditionnellement la relation créée entre hypnotiseur et hypnotisé, ce qui explique son emploi pour traduire Übertragung, ultérieurement rendu par “transfert”. Ce parfum d’hypnose, avec ce qu’il comporte de charlatanisme et de ridicule pour des Français qui ont fait tomber Charcot de son piédestal dès 1893, imprégnera longtemps et défavorablement l’image qu’ils se font de la psychanalyse.
Deux autres articles de Morichau-Beauchant suivront, mais ce premier adepte se ralliera bientôt, avec Alphonse Maeder, au clan de Jung. Celui-ci s’éloigne de Freud vers la fin de 1913 pour s’en séparer définitivement en juillet 1914.
Le champ reste libre pour des critiques et des attaques qui se multiplient, surtout dirigées contre le “pansexualisme”, comme on va si longtemps le répéter, des théories psychanalytiques. “Sans doute, – écrit P.-L. Ladame dans L’Encéphale, une revue neurologique très prisée –, la réputation de Freud lui amène surtout des malades de ce genre. Ceux qui vont le consulter savent d’avance quelle sorte de questions le professeur va leur poser [...]. A force de déformer les observations, on en arrive à ne voir dans l’innocent bébé qu’un monstre moral, “polymorphe pervers” suivant les termes de Freud [...]. On se trompe grossièrement si l’on croit prévenir et guérir les névroses par la pratique purement animale de l’accouplement. Les fonctions sexuelles de l’Homme n’ont leur complète satisfaction que par la fondation de la famille.”
2. Angelo Hesnard et la guerre de 1914-1918
C’est à ce moment, et dans ce contexte assez net de fin de non-recevoir, qu’apparaît un personnage qui se verra considéré comme l’introducteur de la psychanalyse en France, mêlé à ses aléas pendant plus d’un demi-siècle, et se trouvera placé, malgré une forte et persistante ambivalence, au premier plan de son histoire pendant toute la période de l’entre-deux-guerres. En janvier 1912, il n’a pas encore vingt-six ans lorsqu’il écrit à Freud “au nom de la psychiatrie française” afin de lui présenter “des excuses pour le dédain dans lequel la psychanalyse a été tenue jusqu’à présent”.
Angelo, Louis, Marie Hesnard (1886-1969), assistant du professeur Emmanuel Régis à la Clinique des maladies mentales de Bordeaux, est un brillant jeune médecin de la Marine nationale. Grand, vif, expressif dans ses mimiques, c’est un homme actif qui, avec l’aide de son frère, agrégé d’allemand, et les encouragements de son maître Régis, se met à lire, traduire et commenter les rudiments de “la doctrine de Freud et de son école”. Mais s’il devient le grand spécialiste français de la psychanalyse, il ne prétend pas en être le champion lorsqu’au début de 1914 il fait paraître avec Régis le premier livre important – quatre cents pages -, enfin consacré à La Psychanalyse des névroses et des psychoses. Cet ouvrage restera pendant plus de dix ans l’unique référence de tous ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas lire Freud dans le texte original.
La préface de la première édition (car il y en aura une autre en 1922 et une troisième en 1929) est explicite : “Peut-être s’étonnera-t-on de voir cette vulgarisation d’une théorie allemande, à la fois si prônée, si contestée et, par certains côtés, si étrange, entreprise par des psychiatres français qui ne passent pas pour sacrifier outre mesure à la mode actuelle du germanisme scientifique [...]. L’impartialité indépendante vis-à-vis de l’étranger ne saurait être confondue avec la xénophobie.” Pour tout dire : “En dépit de ses exagérations, de ses outrances, de ses allures mystiques, voire de ses étrangetés, cette doctrine est loin d’être sans grandeur.”
Freud ne pardonnera jamais à Hesnard de telles réticences et qualifiera son travail d’ “exposé qui manque souvent de clarté et s’attaque principalement au symbolisme”. De fait, si les trois quarts de l’ouvrage constituent un exposé de la psychanalyse dont Ferenczi soulignera en 1915 dans l’Internationale Zeitschrift für Psycho-analyse les mérites et les malentendus, les cent dernières pages font montre d’un niveau critique affligeant. “Dogmatisme”, “pansexualisme”, “doctrine qui tient plus du roman que de la doctrine scientifique”, rien ne manque aux commentaires : “Que penser d’une méthode de traitement qui a pour but de débarrasser le malade de ses troubles neuro-psychiques, en lui démontrant qu’ils sont le résultat éloigné de méfaits sexuels plus ou moins répugnants, voire d’incestes, remontant à la première enfance et complètement ignorés de lui ?” En 1929, attribuant à Régis, mort onze ans auparavant, la plupart de ces attaques, Hesnard reconnaîtra dans la préface de la troisième édition : “Nous avons mis personnellement dix ans à comprendre la psychanalyse théorique et cinq ans à en acquérir une connaissance pratique suffisante”, sans d’ailleurs indiquer son refus persistant de se soumettre à une véritable analyse didactique.
De nos jours, nous n’avons guère de mérite à ridiculiser sa tentative, unique à l’époque, répétons-le, et pour de nombreuses années. Il est également facile d’insister sur ses “résistances”, même si elles s’avèrent indéniables et vont continuer à se manifester sous des formes diverses jusqu’à la fin de sa vie, son ralliement à Jacques Lacan allant de pair avec ses préférences pour une psychiatrie phénoménologique. En 1913, Hesnard fut toutefois le premier à oser approcher ce qui se tramait à Vienne, démarche certainement moins anodine qu’on ne l’imagine aujourd’hui.
Huit ans plus tard, dans un article sur “L’état actuel de la psychanalyse de Freud en France”, il montrera cependant ses limites et des arrière-pensées que l’on peut considérer comme parfaitement représentatives des psychiatres de son temps : “La psychanalyse a certes beaucoup de mérites [...] mais l’esprit de système et l’empreinte de la philosophie germanique y sont trop frappants : elle ne se fera jour en France qu’après s’être profondément modifiée.” Et sa conclusion est d’un grand poids pour comprendre l’avenir : “Il ne faudrait pas toutefois, par légèreté d’esprit, la mettre systématiquement à l’index. Ce serait peut-être le moyen le plus sûr de lui permettre de s’implanter chez nous, d’autant plus dangereusement qu’elle échapperait ainsi à tout contrôle vraiment scientifique [...].
C’est à ce travail de discrimination et de correction que nous nous sommes personnellement appliqué depuis dix ans.”
Il faut donc distiller Freud pour l’assimiler sans danger, empêcher de le lire, et c’est un fait que ni Hesnard ni son frère n’ont entrepris de traduire ou de faire traduire le moindre de ses ouvrages.
Il semble d’ailleurs y avoir eu régulièrement en France quelqu’un pour se prétendre le porte-parole de Freud. Plus qu’à des querelles d’éditeurs ou des problèmes de droits de traduction, voire à des divergences idéologiques entre sociétés psychanalytiques rivales, c’est à l’absence de volonté authentique des psychanalystes français que l’on doit, contrairement aux Allemands, aux Anglo-Américains ou aux Espagnols, de ne pas encore posséder en 1982 une édition critique des “Œuvres complètes” de Freud. Seule ou presque, dans les années 30, quels qu’aient été ses motivations et les reproches que l’on peut actuellement lui adresser, la princesse Marie Bonaparte s’emploiera à faire connaître aux lecteurs français des textes que chacun semble préférer goûter par professeur-exégète interposé.
Plus tard, à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, Sacha Nacht et ses collaborateurs de l’Institut de Psychanalyse de Paris répèteront cette curieuse et spécifique “résistance” française. Loin de profiter du succès et des ambitions de leur enseignement pour mener une politique vigoureuse de traduction et de diffusion des écrits de Freud encore mal connus, ils entreprendront la rédaction d’un vaste et éphémère “Traité de Psychanalyse”.
Quelques années après avoir quitté la Société psychanalytique de Paris en compagnie de Daniel Lagache – qui va s’orienter vers l’élaboration d’un “Vocabulaire” – et peu après avoir prôné un nécessaire “retour à Freud”, Jacques Lacan rééditera, sans doute malgré lui, l’habituel tour de passe-passe français. Il déploiera progressivement un code de lecture de Freud et une grille toute personnelle dont l’originalité et la complexité croissante conduiront un certain nombre de ses disciples à ne plus lire de l’ancêtre viennois que le minimum indispensable pour se repérer dans les allusions de leur nouveau maître.
À considérer cette répétition, il apparaît bien illusoire de regretter qu’il ne se soit trouvé en France, dans les années 1910, que des raisonneurs inquiets et nul homme de passion pour jeter son cartésianisme aux orties et rallier “la horde sauvage”.
D’autant que la déclaration de guerre à “la Bochie” ne va pas, on le devine, favoriser la diffusion des idées psychanalytiques.
Il faut toutefois ajouter, avant que le “germanisme” devienne une insulte pesant son poids de “morts pour la France”, que Freud n’a jamais pris les insultes nationalistes pour les plus essentielles ni les plus authentiques. Il n’ignore pas que le capitaine Dreyfus n’a été réhabilité qu’en 1906, après avoir déchiré pendant douze ans les Français en deux camps irréductiblement opposés, souvent au sein d’une même famille. En 1908, il avait écrit à Karl Abraham : « Soyez sûr que si je m’appelais Oberhuber, mes innovations auraient, malgré tout, rencontré une résistance bien moindre. »
Au début de 1914, il y revient : “Nous avons tous entendu parler de la théorie qui cherchait à expliquer la psychanalyse par les conditions particulières du milieu viennois. Théorie intéressante dont Janet n’a pas dédaigné de se servir encore en 1913, bien qu’il soit certainement fier d’être Parisien et que Paris n’ait guère le droit de se considérer comme supérieur à Vienne au point de vue de la pureté des mœurs [...]. Or, je ne suis guère un patriote de clocher, mais j’ai toujours trouvé cette théorie parfaitement absurde, au point que j’ai été plus d’une fois tenté d’admettre que ce reproche adressé au milieu viennois n’était qu’un euphémisme destiné à en dissimuler un autre qu’on n’osait pas formuler publiquement.”
Personne, à l’époque, ne souffle mot, en effet, des motivations crûment racistes qui poussent à rejeter une découverte que Jung, à l’apogée du nazisme, jugera liée à une “psychologie juive” différente de l’aryenne. Mais derrière ce mutisme ne peut manquer d’agir quelque réflexe profond du milieu médical français dont la hiérarchie hospitalo-universitaire est en général issue d’une grande bourgeoisie traditionnellement “à droite” et de tripe anti-dreyfusarde.
De toute façon le 3 août 1914, le fracas des canons et la mort qui va frapper des millions d’hommes relèguent au second plan la psychanalyse, “cette psychose nouvelle qui menace d’envahir la France après avoir contaminé l’Europe”, comme le redoutait alors Yves Delage, biologiste connu, qui ajoutait : “Le psycho-analyste est un juge d’instruction, un inquisiteur doublé d’un érotomane et c’est parce qu’il trouve dans la psycho-analyse la satisfaction de sa manie érotique qu’il aime son mal, comme le dipsomane, le cocaïnomane, le morphinomane aiment leur poison.” Disparition de la psychanalyse des revues et des réunions scientifiques françaises durant quatre ans, alors que les armées germaniques s’intéressent aux études que les analystes mobilisés consacrent aux névroses de guerre, et aux résultats thérapeutiques qu’ils obtiennent.
3. Les débuts de la psychanalyse en France
Après l’armistice de 1918, ce sont de nouveau les Suisses qui vont déclencher de Genève, comme Freud l’avait espéré en 1911, “l’assaut de la France”. Henri Flournoy, Charles Odier et Charles Baudouin sont parmi les premiers, tandis que se prépare l’événement qui, incroyablement, ne s’était pas encore produit : en décembre 1920, la Revue de Genève publie la première traduction d’un écrit de Freud. Sous le titre “Origine et développement de la psychanalyse”, un psychologue suisse, Yves Le Lay, rend enfin accessibles aux Français les cinq conférences sur la psychanalyse que Freud avait prononcées en 1909, lors de son voyage aux Etats-Unis. Devant ce “grand triomphe”, Freud exulte et espère : “Des contacts plus discrets avec Paris nous promettent de trouver bientôt quelque audience dans cette France réticente.”
Paris, toujours Paris… car seule la province a manifesté jusqu’ici quelque intérêt. Mais a-t-on jamais conquis la France sans être reconnu par Paris ?
Comme en une partie de bras-de-fer, on sent dès l’année 1921 que la méconnaissance française perd du terrain et qu’un mouvement se dessine qui va gagner la capitale au freudisme. Signe annonciateur, dans le numéro d’avril de la Nouvelle Revue française, Albert Thibaudet met en lumière l’application possible des théories analytiques aux œuvres littéraires et ironise sur la psychologie officielle française, “science qui prend à ses heures une figure curieusement nationaliste”.
En octobre 1921, André Breton se rend à Vienne pour y rencontrer le “plus grand psychologue du temps”, mais revient fort déçu de son contact avec l’ “une des agences les plus prospères du rastaquouérisme moderne”. Au lieu du Dieu espéré, il n’a trouvé qu’un “petit vieillard sans allure qui reçoit dans son pauvre cabinet de médecin de quartier. Ah, il n’aime pas beaucoup la France, restée seule indifférente à ses travaux. [...] J’essaie de le faire parler en jetant dans la conversation les noms de Charcot, Babinski, mais, soit que je fasse appel à des souvenirs trop lointains, soit qu’il se trouve avec un inconnu sur un pied de réticence, je ne tire de lui que des généralités”.
C’est le début des rapports bien ambivalents que les surréalistes vont entretenir avec un Freud qui, en juillet 1938, sourira de ce “qu’apparemment [ils l'] ont choisi comme saint patron” et reconnaîtra les tenir “pour des fous intégraux (disons à quatre-vingt-quinze pour cent, comme pour l’alcool absolu)”. Rien ne les rapproche, en effet, malgré les apparences. “Révolution” et “scandale” sont des objectifs ou des procédés à l’opposé du tempérament de chercheur scientifique que Freud tient pour son idéal. Leur engouement proclamé pour les rêves ne peut que l’irriter car, ainsi qu’il l’exprime à André Breton : “Une collection de rêves sans associations et sans connaissance du contexte dans lequel ils ont été rêvés, ne me dit rien du tout, et j’imagine difficilement que cela puisse signifier quelque chose pour qui que ce soit.” Quant à l’écriture automatique, à propos de laquelle André Breton affirmera encore en 1945 qu’elle était “une méthode de Freud et de ses disciples” pour obtenir de leurs malades “une production mentale relativement incontrôlée”, ne se voyait-elle pas en réalité héritée des anciennes pratiques des hypnotiseurs et plutôt utilisée par Pierre Janet ou les psychologues expérimentaux ?
En décembre 1932, Freud ne mâchera pas ses mots : “Et maintenant un aveu, que vous devez accueillir avec tolérance ! Bien que je reçoive tant de témoignages de l’intérêt que vous et vos amis portez à mes recherches, moi-même je ne suis pas en état de me rendre clair ce qu’est et ce que veut le surréalisme. Peut-être ne suis-je en rien fait pour le comprendre, moi qui suis si éloigné de l’art.”
Il n’en demeure pas moins évident qu’à partir de 1921, grâce ou par la faute de leur mouvement naissant (André Breton publiera en 1924 le Manifeste du surréalisme), le nom de Freud va se trouver de plus en plus souvent prononcé, associé ou non à leurs productions et à leurs extravagances, répété et amplifié dans les cercles intellectuels et les revues littéraires.
Mais ils ne sont pas les seuls, et le hasard va accentuer cette diffusion de la psychanalyse par les milieux extramédicaux. A l’image des éternelles invasions venues de l’Est, voici qu’arrive à Paris la première ambassadrice mandatée par Freud, Eugénie Sokolnicka (1884-1934), originaire de Pologne, analysée de Jung puis de Freud, élève de Ferenczi. Elle a de nombreuses relations parmi les littérateurs de la N.R.F., ce qui va contribuer au mouvement de curiosité qui pousse les Parisiens cultivés à se piquer de psychanalyse en l’hiver 1921-1922, premier épisode d’une suite ininterrompue de flambées d’intérêt et d’éclipses où l’on certifie sa définitive disparition. Pour l’instant, écrit Jules Romains en janvier 1922 “les “tendances refoulées” commencent à faire, dans les salons, quelque bruit. Les dames content leur dernier rêve, en caressant l’espoir qu’un interprète audacieux y va découvrir toutes sortes d’abominations.”
Le 1er février 1922, la première représentation à Paris, par la compagnie de Georges Pitoëff, d’une pièce de l’auteur à la mode H.-R. Lenormand, intitulée Le Mangeur de rêves, braque sur Freud les projecteurs de l’actualité. Le héros est un analyste qui permet à sa patiente de retrouver le souvenir d’enfance dramatique à l’origine de ses troubles mais ne peut empêcher son suicide à la suite de cette découverte. C’est un grand succès théâtral et, pour en rendre compte, les critiques vont devoir se transformer en professeurs et commentateurs de “la subtile doctrine du médecin viennois”, comme la qualifie Adolphe Brisson. Parmi les spectateurs, un certain Sacha Nacht y puise la décision de son orientation future.
Trois jours plus tard, André Gide, préméditant peut-être le portrait ambigu qu’il brossera dans Les Faux-Monnayeurs de “la doctoresse Sophroniska”, note dans son journal : “Freud, le freudisme… Depuis dix ans, quinze ans, j’en fais sans le savoir [...]. Il est grand temps de publier Corydon !”
Tout ce remue-ménage va nuire à Eugénie Sokolnicka et à la psychanalyse, car les milieux médicaux français n’apprécient guère le tapage, témoin le modèle de discrétion proposé dans Le Progrès médical : “J’estime qu’en présence d’un malade il faut faire de la psycho-analyse sans le crier sur les toits, sans le dire au patient lui-même (sic!) ; il faut penser toujours à ce procédé thérapeutique, l’employer quelques fois et n’en parler jamais.”
Durant l’hiver 1922-1923, Eugénie Sokolnicka rencontre par l’entremise de Paul Bourget le docteur Georges Heuyer, psychiatre qui assure un intérim à la tête de la Clinique des maladies mentales de l’hôpital Sainte-Anne. Il lui propose d’exercer ses talents sur les malades de son service, mais l’expérience n’aura pas de bons résultats. N’étant pas médecin, elle se trouve rapidement débordée et bientôt remerciée par le nouveau titulaire de la chaire, le Pr Henri Claude dont l’appui constant à l’action d’analystes dans son équipe s’assortit d’une condition sine qua non : “Je demande que cette pratique psychanalytique, si choquante par certains côtés, reste strictement dans le domaine médical et j’écarte résolument de ces investigations toute personne qui n’est pas imprégnée de la notion de responsabilité dont est pénétré le médecin digne de ce nom.” Ces propos datent de 1924. Ils seront bientôt entendus par Sacha Nacht, nommé en 193l par ce même Pr Claude chef de “Laboratoire de psychanalyse et de psychothérapie” à la Faculté de médecine de Paris. De même, bien des années plus tard, Maurice Bouvet ne pourra-t-il ignorer la distinction opérée en 1923 au Congrès de Besançon par son maître Laignel-Lavastine entre “les médecins consciencieux, plus ou moins disciples de Freud” et les “sectateurs non médecins du freudisme, philosophes, littérateurs, pasteurs, instituteurs, institutrices, bas-bleus, étudiants non médecins, infirmières, masseuses, vieilles filles en quête d’occupation, etc. qui ont été attirés par le freudisme pour des motifs multiples, qui peuvent en tirer des effets heureux au point de vue littéraire, philosophique ou social, mais qui parfois aussi s’en servent comme de véhicule à des idées érotiques, y cherchent un moyen facile de succès auprès des foules, ou en profitent pour faire de l’exercice illégal de la médecine, qui peut avoir les pires conséquences pour le malade et, par ricochet, pour le bon renom de la psychanalyse et de Freud lui-même”.
Ce n’est pas le numéro spécial qu’une revue belge, Le Disque vert, va consacrer en 1924 à “Freud et la psychanalyse” qui fera changer l’avis du professeur et de tous ceux qui tiennent et continuent encore de nos jours à tenir le même discours. Que de monde au sommaire ! Marcel Arland, Jacques-Emile Blanche, René Crevel, Georges Duhamel, Luc Durtain, Edmond Jaloux, Valery Larbaud, René Lalou, H.-R. Lenormand, Henri Michaux, Jean Paulhan, Jacques Rivière, Philippe Soupault, Albert Thibaudet… André Gide le parcourt ans le train qui l’emmène à Cuverville et grommelle : ” Ah ! que Freud est gênant ! et qu’il me semble qu’on fût bien arrivé sans lui à découvrir son Amérique ! Mais, que de choses absurdes chez cet imbécile de génie !”
Quant à Freud, il fait remarquer à tous en 1925, dans Ma vie et la psychanalyse, que “l’intérêt porté à la psychanalyse est parti en France des hommes de lettres. Pour comprendre ce fait il faut se rappeler que la psychanalyse, avec l’interprétation des rêves, a franchi les bornes d’une pure spécialité médicale.”
C’est que les “médecins consciencieux”, s’ils ne chôment pas non plus, font montre de sérieuses réticences. Après Hesnard, René Laforgue (1894-1962) va peu à peu s’affirmer comme le promoteur d’une psychanalyse dont le caractère “à la française” s’accentuera au fil des années, ce qui, vu ses origines, est pour le moins paradoxal.
Né dans une Alsace encore allemande, il est parfaitement bilingue, même si son accent alsacien revient encore à la mémoire de ceux qui le rencontrèrent. Il s’est battu dans les rangs germaniques durant la guerre de 1914-1918 et, après avoir partagé ses études de médecine entre Berlin, Paris et Strasbourg, a choisi de s’installer en France. Ayant découvert Freud non sans réticences, il se décide pourtant en 1923 à entreprendre une analyse didactique avec Eugénie Sokolnicka, mais sa forte personnalité ne se laisse pas mater. Il interrompra donc assez rapidement une expérience qu’il s’est pourtant empressé de faire connaître à certains collègues, tel René Allendy (1889-1942), premier en date de ce groupe des “analysés de Laforgue” qui, plus tard, jouera un si grand rôle dans l’organisation de la psychanalyse en France.
Dès sa première lettre à Freud, le 25 octobre 1923 – ils ont respectivement vingt-neuf et soixante-sept ans –, on sent ce qui les sépare : “Malheureusement, écrit-il, le Français a, devant un livre, une tout autre attitude que l’Allemand. Il exige que tout soit exposé avec brièveté et clarté [...] La difficulté se réduit à une question de forme.”
Compromis, aménagements, édulcoration, Freud va en entendre parler dans les années qui suivent. Cela l’ennuie, il a déjà connu tant de dérobades similaires. En 1925 il notera : “J’observe de loin aujourd’hui de quels symptômes réactionnels s’accompagne l’entrée de la psychanalyse dans une France qui fut longtemps réfractaire. Cela évoque la reproduction de choses déjà vécues mais il y a là cependant des traits particuliers. Des objections d’une incroyable niaiserie se font entendre.” Fait-il ici allusion au contenu de la préface que Henri Claude a rédigée pour le livre de Laforgue et Allendy, La Psychanalyse des névroses, paru en 1924 : “La psychanalyse n’est pas encore adaptée à l’exploration de la mentalité française. Certains procédés d’investigation choquent la délicatesse des sentiments intimes et certaines généralisations, d’un symbolisme outrancier, peut-être applicables chez des sujets d’autre race, ne me paraissent pas acceptables en “clinique latine”" ?
L’attitude de Freud ne variera pas, et toute la correspondance qu’il échange avec René Laforgue ne fait que broder sur le thème nettement exposé dès le 14 novembre 1923 : “On n’obtient rien de plus par des concessions à l’opinion publique ou à des préjugés régnants. Le procédé est tout à fait contraire à l’esprit de la psychanalyse dont ce n’est jamais la technique que de vouloir camoufler ou atténuer des résistances. L’expérience a aussi enseigné que les personnes qui prennent la voie des compromis, des atténuations, bref de l’opportunisme diplomatique, se voient en fin de compte écartées elles-mêmes de leur propre route et ne peuvent participer au développement ultérieur de la psychanalyse.” Il prophétise enfin : “Je souhaite que ma mise en garde ait du succès auprès de vous, mais n’en suis malheureusement pas sûr.”
Ces propos visent également un autre personnage au caractère peu malléable, Edouard Pichon (1890-1940). Esprit cultivé, adepte de Charles Maurras et sympathisant actif de l’Action française, coauteur avec son oncle Damourette d’une volumineuse Grammaire en sept volumes, il poursuit une brillante carrière hospitalière qui lui vaudra en 193l le titre et les fonctions tant enviés de médecin des Hôpitaux de Paris.
En 1923, il a entrepris avec Eugénie Sokolnicka une analyse didactique qui, fait rare à l’époque, durera trois ans. Ce n’est pas le moindre paradoxe chez ce catholique fervent et Français pointilleux, gendre de Pierre Janet de surcroît, qui s’engage dans la psychanalyse en répétant qu’il n’entend prendre chez “Monsieur Freud” que ce qui lui paraît convenir au goût national, traitant le “freudisme” avec le ton un peu hautain, précieux et caustiquement paternaliste qu’affectionnent tant les “patrons” des Hôpitaux de Paris à cette époque.
En février 1925, René Laforgue exulte : “En ce moment j’ai deux psychiatres en analyse didactique. Je crois que le groupe a fait ” de grands progrès ” dans la compréhension des problèmes analytiques. De même, les résistances du chauvinisme commencent sérieusement à céder. Le “groupe”, en effet, se structure bientôt en une société dénommée “L’Evolution psychiatrique”, et publie sous ce titre une revue dont le premier numéro paraît en avril 1925. Cette organisation est-elle aussi “antipsychanalytique” qu’on l’a depuis prétendu ? Les confidences désabusées d’un Laforgue, rejeté en 1954 par nombre d’analystes, le laissent supposer : ”A vrai dire, je tenais beaucoup à notre Evolution psychiatrique. J’avais été frappé dès le début par le fait que quelque chose semblait ne pas “coller” dans la mentalité des psychanalystes autour de Freud. Le mouvement de l’Evolution psychiatrique permettait d’échapper un peu au dogmatisme psychanalytique dont je ne comprenais pas clairement les causes.”
A ses débuts, l’Evolution psychiatrique ne comprend que des psychanalystes ou des sympathisants, mais marque ses distances avec les théories de Freud pour s’intéresser plutôt aux “faits”, pour “les soumettre à un contrôle strictement scientifique”. Quant à la revue, elle “n’a aucun point commun avec les revues étrangères de psychanalyse” et entend donc se situer hors de toute allégeance à Vienne ou à l’Association psychanalytique internationale, ce que Freud remarque très rapidement sans pouvoir le contrer. Bientôt, le groupe se séparera du mouvement psychanalytique français, après avoir progressivement puis définitivement en 1929 éliminé les non-médecins de son sein. Fermement repris en main après la guerre de 1939-1945 par Henri Ey, psychiatre dont la théorie organo-dynamique s’inspire plus de la phénoménologie que de la psychanalyse, l’Evolution psychiatrique continuera cependant durant de nombreuses années à jouer ce rôle de pépinière d’analystes qui était le sien aux origines.
4. Marie Bonaparte et la création de la SPP
Mais l’histoire bouge. En avril 1925, René Laforgue a passé une soirée avec Otto Rank chez une certaine princesse Georges de Grèce et lui a fortement conseillé de suivre une analyse chez Freud, ce qu’elle va entreprendre à l’automne. Lors du Congrès international de Psychanalyse, au mois de septembre suivant, où il établit des contacts en vue d’être élu membre de la Société psychanalytique de Vienne, il rencontre un collègue d’origine polonaise qui souhaite, après des études de médecine à Zurich, s’installer à Paris. Il se nomme Rudolf M. Loewenstein (1898-1976), parle couramment le français et a été analysé à Berlin par Hanns Sachs et non par Freud comme le propagera en France une légende qui inscrit ainsi faussement dans la plus prestigieuse filiation analytique ses futurs analysés : Lacan, Lagache, Nacht, sans parler d’Adrien Borel, d’Henry Codet, de Georges Parcheminey, de Michel Cénac, de John Leuba ou de Pierre Mâle…
Dès son arrivée à Paris – favorisée par la princesse avec qui il sera très lié -, il entreprend en effet les analyses didactiques des futurs fondateurs de la Société psychanalytique de Paris. Comme il en témoignera un jour : “Il faut se rendre compte que la tâche parmi les membres de ce petit groupe très étroit était une chose extrêmement difficile. À l’ambivalence vis-à-vis de l’analyse s’attachait la xénophobie, l’antisémitisme, ainsi que parfois un chauvinisme prononcé chez certains. Quand on s’est mis à se méfier de moi un peu moins, un ami me dit qu’on m’avait appelé, au début, « l’œil de Moscou ». “Moscou”, un peu inquiet de l’esprit frondeur des Français, se rassure toutefois en constatant les progrès de l’analyse de la princesse qui “deviendra à coup sûr une collaboratrice zélée”.
Marie Bonaparte (1882-1962) revient à Paris en mars 1926, auréolée pour toujours de se trouver la seule à jamais à avoir été analysée par Freud (Raymond de Saussure, s’il participe de près à cette époque aux travaux du groupe, demeure essentiellement genevois ; quant à Sacha Nacht, son passage en 1936 sur le divan de Freud, entre l’analyse avec Loewenstein et “une tranche” avec Heinz Hartmann, semble s’être borné à un constat d’incompatibilité d’humeur). La princesse a surtout tissé avec lui des liens d’estime, puis de chaude amitié dont les grands moments seront l’acquisition de sa correspondance avec Wilhelm Fliess et surtout l’obtention, en 1938, grâce à l’aide de l’ambassadeur américain W.C. Bullit, de son visa de sortie hors d’une Autriche envahie par les nazis.
C’est quelqu’un sur qui l’on peut compter, Freud l’a vite compris, outre le fait que son rang, ses relations et sa fortune procurent à la “Cause” une aide précieuse. Son enthousiasme pour l’analyse et son attachement à la personne de Freud changent singulièrement celui-ci des dédains et des chipotages des spécialistes du “génie latin”. Elle va se faire la propagatrice de ses écrits en en multipliant les traductions, après Blanche Reverchon-Jouve et Simon Jankélévitch surtout, qui depuis 192l a traduit pour les éditions suisses Payot quelques-uns de ses ouvrages importants.
Il y a sans doute quelque injustice à privilégier dans son œuvre personnelle ce modeste rôle de traductrice, mais le regard de l’histoire, avec le recul du temps, est parfois cruel : si l’on évoque encore ses livres sur E. Allan Poe (1933) ou ce Topsy (1936) que Freud voulut lui-même traduire en allemand, on ne se réfère plus guère à ses travaux, pourtant fournis. N’en est-il pas d’ailleurs de même pour la masse considérable de livres et d’articles publiés par les psychanalystes français entre 1925 et 1940 ? Alors que Freud élabore les contributions essentielles qui caractérisent la dernière période de sa vie, René Laforgue, Angelo Hesnard, Edouard Pichon et René Allendy, pourtant d’une productivité scripturale considérable, ne vont guère laisser de traces. Peut-être ne s’agit-il là que d’un “purgatoire” lié aux effets de mode. Peut-être aussi y a-t-il trop de moralisme et de concessions au goût de l’époque, trop d’”application” et pas assez d’inventivité dans ces concepts français que l’oubli engloutira : la scotomisation, l’oblativité, la schizonoïa, etc.
Quant à Marie Bonaparte, le fait qu’elle ne soit pas médecin et n’ait pas la possibilité de publier des “cas cliniques” l’incite à ce travail de traduction. Sa “laïcité” aura bientôt d’autres répercussions tout aussi importantes. A Vienne, elle a suivi le procès fait à Theodor Reik pour exercice illégal de la médecine et lu ce que Freud a écrit en faveur de l’analyse par les non-médecins. Elle a besoin d’une caution professionnelle pour pouvoir exercer la psychanalyse sans danger et sait que le groupe de l’Evolution psychiatrique lui restera fermé, l’exemple d’Eugénie Sokolnicka ayant clairement montré l’hostilité foncière du milieu médical français.
Comment faire pour qu’elle puisse se trouver “à égalité”, elle qui est devenue la représentante officieuse de Freud, son “héraut”, avec ses collègues médecins ? Qu’agencer, pense sans doute Freud de son côté, pour que ces psychiatres trop peu psychanalystes se trouvent solidement encadrés sur le plan doctrinal, soumis aux us et coutumes de la communauté psychanalytique internationale ?
“Le 4 novembre 1926, S.A.R. Madame la princesse Georges de Grèce, née Marie Bonaparte, Mme Eugénie Sokolnicka, le Pr Hesnard, les Dr R. Allendy, A. Borel, R. Laforgue, R. Loewenstein, G. Parcheminey et Edouard Pichon ont fondé la Société psychanalytique de Paris.” Le but en est de grouper “tous les médecins de langue française en état de pratiquer la méthode thérapeutique freudienne”, ce qu’avait amorcé la création en août 1926 de la “Conférence des Psychanalystes de Langue française”, origine des Congrès de Psychanalystes de Langues romanes puis de Langue française qui se sont annuellement succédé jusqu’à aujourd’hui.
La nouvelle société a d’autres ambitions : assurer “la psychanalyse didactique indispensable”, d’où son affiliation à la “Société internationale de Psychanalyse”, et surtout créer sa propre revue, cette Revue française de psychanalyse dont la naissance va donner lieu à des tractations fort significatives.
Va-t-on l’intituler de “psycho-analyse”, comme dans les autres revues du monde ou de “psychanalyse” ? Mireille Cifali en révèle l’enjeu : pour Vienne, “le terme psychanalyse est un indice de “jungisme”". C’est pourtant celui qui sera retenu. Peut-on inscrire en couverture “sous le patronage du Pr Freud” ? Laforgue reconnaît que le groupe s’y est opposé, sous le prétexte qu’il faudrait y adjoindre le Pr Claude, ce qui surprend Freud car, écrit-il ironiquement, “il ne peut certes pas se faire d’illusions sur sa faible participation à la psychanalyse”. Va pour la psychanalyse sans Freud, admet-il toutefois, mais à condition que l’essentiel soit sauvegardé, c’est-à-dire que l’on déclare la revue “organe d’une société” elle-même “membre ou groupe de l’Association internationale de Psychanalyse”.
En lieu et place du nom de Freud, et à sa demande formelle, l’I.P.A. vient donc tenir un rôle tutélaire dans le grouillement institutionnel français. C’est la première fois mais ce ne sera pas la dernière, remarque qui ne tend pas à légitimer le futur mais à rappeler un passé souvent oublié. Finalement, les Français opteront pour : “Revue française de psychanalyse, organe de la SPP, section de la Société Internationale de Psychanalyse (en fait cette déclaration d’allégeance ne figurera qu’à partir du deuxième numéro), publié sous le patronage du Pr Freud.” Le premier numéro paraît enfin le 25 juin 1927.
Toutes ces tensions étaient prévisibles dès la fondation de la Société : médecins-psychiatres et non-médecins, princesse bonapartiste et monarchiste maurrassien, nationalistes et émigrés, aliénistes catholiques et didacticiens juifs, professeur des Hôpitaux de Paris et Suisses romands de passage, freudiens convaincus ou amateurs plutôt portés, tel René Allendy, vers l’astrologie et l’homéopathie, quatorze membres titulaires et cinq membres adhérents se rencontrent en 1928 et vivent un peu les uns sur les autres, ambivalents par rapport à l’autorité de Vienne, sans un grand souffle créateur pour les mobiliser vraiment.
Du temps passe en querelles de vocabulaire, car une “commission linguistique” a été créée dès août 1926 afin de traduire la terminologie freudienne si déplaisante aux oreilles françaises. Pour rendre das Es, Hesnard a proposé “le soi”, Codet “le cela”, Laforgue “le ça”, Odier “le prothymos”, Pichon “l’infra-moi”. En revanche, Hesnard obtient l’unanimité avec “pulsion” au lieu d’”instinct” pour Trieb, ce qui provoquera encore en 1967 une discussion dans les colonnes du Monde entre Marthe Robert qui déplore ce choix et les auteurs du Vocabulaire de la psychanalyse qui l’approuvent.
Si René Laforgue songe à fonder un “Institut Freud”, il n’a pas assez de flamme pour mener à bien ce projet. Peut-être souffre-t-il du lien privilégié qui s’est instauré entre Freud et son analysée princière ? Est-ce pour cette raison qu’il prend quelques libertés avec la technique ? Il recommande en tout cas une “attitude humaine” et une “appréhension intuitive” qui ne sont guère appréciées à Vienne. Rigueur technique, laïcité et problèmes d’appartenance à l’I.P.A., les thèmes des conflits entre psychanalystes français se révèlent bien précoces et bien monotones puisqu’en 1929, déjà, une “minorité active” où l’on croit deviner Pichon, Codet, Borel et sans doute Hesnard – ces trois derniers, curieusement, finiront tous par démissionner un jour de la SPP –, se proclame “contre l’I.P.A. et contre l’analyse profane”, au dire de Laforgue. La princesse sera mandatée par Freud pour régler cette tentative de révolte qui vise d’ailleurs à prendre en main la direction de la Revue et survient trois mois après la décision d’engager des contacts avec les instituts de psychanalyse fonctionnant à l’étranger afin d’organiser à leur modèle un enseignement digne de ce nom. C’est d’ailleurs dans ce contexte troublé, en octobre 1929, que Sacha Nacht est élu membre titulaire de la Société.
Deux ans plus tard, en octobre 1931, lors de la VIe Conférence des Psychanalystes de Langue française, les points de vue s’affrontent. D’un côté, René Allendy suivi d’Hesnard qui proclame : “La psychanalyse, du moins en France, sera subordonnée à la clinique générale, neurologique et psychiatrique, ou ne sera pas.” De l’autre, Marie Bonaparte, accompagnée de Loewenstein et Odier, qui réplique : “La psychanalyse a deux faces : d’une part un côté clinique [...] d’autre part un côté psychologique, l’immense acquêt qu’est la psychologie de l’inconscient.” (En 1937, le succès du livre de Roland Dalbiez, La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne, accentuera cette dichotomie.)
Dans la salle, deux jeunes congressistes, Henri Ey et Jacques Lacan, assistent au duel, en compagnie de personnalités extra-médicales, comme Jean Rostand, proche de René Laforgue. Le Paris des lettres continue, il est vrai, de s’intéresser à la psychanalyse. Georges Bataille a tâté du divan d’Adrien Borel en 1926-1927, Pierre Jean Jouve publie Vagadu en 1931 (il en envoie d’ailleurs un exemplaire à Freud) et Raymond Queneau ne va pas tarder à entreprendre la cure versifiée dans Chêne et Chien. En avril 1932, Anaïs Nin note dans son légendaire Journal sa première rencontre avec René Allendy : “Il est lourd et sa barbe lui donne un air de patriarche [...] on se serait plutôt attendu à ce qu’il fasse des horoscopes, ou prépare une formule alchimique, ou lise dans une boule de cristal, car il ressemblait à un magicien plutôt qu’à un médecin.” Il l’était davantage par ses intérêts profonds, en effet, et il ne faudra que quelques mois à Anaïs Nin pour séduire et réduire à sa merci un analyste apparemment coutumier du fait, suggère-t-elle.
Que pense Freud de ces remous parisiens ? La publication de sa correspondance encore inédite avec la princesse permettra sans doute d’en juger, mais on sait qu’Edouard Pichon fut stupéfié par la proclamation de sa lettre de mars 1932 aux présidents des diverses associations psychanalytiques : “L’analyste ne devra pas vouloir être anglais, français, américain ou allemand, avant d’être adepte de l’Analyse ; il lui faudra placer les intérêts communs de celle-ci au-dessus des intérêts nationaux.”
Freud a par ailleurs d’autres soucis : la mort de Sándor Ferenczi, en mai 1933, mais la nomination surtout d’Adolf Hitler comme chancelier d’Allemagne, le 30 janvier. Ses livres sont brûlés à Berlin, “dans la meilleure des compagnies”, ironise-t-il, citant Heine, Schnitzler et Wassermann parmi les écrivains juifs voués comme lui au bûcher. En octobre, il confiera à Arnold Zweig, mettant à part sa “très chère et très intéressante princesse” : “Je n’ai pas d’amis à Paris, seulement des élèves.”
Ceux-ci continuent de s’agiter autour de la création tant attendue d’un Institut de Psychanalyse qui voit le jour le 10 janvier 1934, “grâce à la magnificence de Son Altesse Royale la Princesse Marie de Grèce, née Marie Bonaparte”, pour reprendre les termes du discours d’Edouard Pichon. Saluée comme “animatrice et mécène”, elle se voit nommée directrice de cet Institut dont les locaux situés 137, boulevard Saint-Germain comportent bibliothèque et salle de réunions pour offrir aux étudiants des cours dont la répartition a été soigneusement dosée entre les divers membres de la Société. Deux ans plus tard, en avril 1936, une Policlinique fonctionnant “sous les auspices de l’Institut” sera fondée par John Leuba et Michel Cénac.
Signe qui deviendra significatif des tensions, il n’y a pas d’élection de membres titulaires dans la Société entre 1932 et 1935. Candidat au titre de membre adhérent, Jacques Lacan a été élu en octobre 1934 mais devra attendre décembre 1938 pour être titularisé, coiffé entre-temps par la promotion éclair de Daniel Lagache, adhérent en 1936, titulaire en juillet 1937.
Et pourtant, Jacques-Marie Emile Lacan (1901-1981) impose rapidement sa personnalité peu conformiste qui intrigue, séduit et inquiète ses collègues d’alors. Issu d’une famille bourgeoise catholique (il a un frère et une sœur dans les ordres), il a fait ses humanités au collège religieux Stanislas. Son goût pour la littérature et pour l’art infléchit bientôt ses études de médecine vers la psychiatrie. Nommé interne des Asiles en 1927, il va s’attacher à l’enseignement de Gaëtan Gatian de Clérambault, l’original psychiatre amateur d’étoffes dont les présentations de malades attirent tant de monde sous les voûtes crasseuses de l’infirmerie du Dépôt. Chef de clinique en 1932, il consacre cette année-là sa thèse de doctorat à “La psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité”, montrant ainsi son intérêt pour la psychose, son attention pour le langage des malades mentaux et sa curiosité pour les affaires criminelles qui secouent l’actualité : le cas “Aimée” de sa thèse, les sœurs Papin, etc. Déroutant, charmeur, provocant, il compte de nombreux amis dans le mouvement surréaliste et écrit quelques articles dans la revue Le Minotaure. Moins “médecin” que Sacha Nacht, absolument pas “universitaire” comme Daniel Lagache, il paraît surtout se ranger parmi ces marginaux de l’époque que sont “les aliénistes”, même s’il ne poursuit pas la carrière que peut lui valoir ce titre de “médecin des Asiles” qu’il obtient en 1934, un an après Nacht et un an avant Lagache. Comme ses deux collègues, il s’est intéressé très tôt aux théories freudiennes et a entrepris une analyse didactique avec Rudolf Loewenstein. Mais, plus qu’eux, il est inventif et n’entend pas se laisser enfermer dans les querelles françaises sur les “deux psychanalyses”. Bientôt, assistant avec Raymond Queneau, Raymond Aron et bien d’autres au séminaire qu’Alexandre Kojève consacre, à l’Ecole pratique des Hautes Etudes, à l’”Introduction à la lecture de Hegel”, il se différenciera nettement des analystes, ses contemporains, en affichant ses goûts pour la spéculation philosophique.
En mai 1936, au lendemain de la victoire du Front populaire, c’est moins les cérémonies qui ont lieu à la Sorbonne en l’honneur des quatre-vingts ans de Freud qui le sollicitent que le proche XIVe Congrès international de Psychanalyse qui doit se dérouler en août à Marienbad. Il y présente en effet une conférence sur “Le stade du miroir” dont les thèses originales, développées en 1949 dans “Le stade du miroir comme formateur de la fonction du ” je “”, démontrent l’audace du jeune membre adhérent de la SPP face aux anciens de la communauté internationale. Pour la première fois un psychanalyste français renonce à paraphraser Freud et s’attache à innover, non plus dans le domaine de la seule clinique ou de l’explication du génie par la névrose, mais, à la suite des recherches d’Henri Wallon, au niveau de la théorie des stades du développement psychique, et cela du vivant d’un Freud dont nous ignorons encore s’il l’apprit et ce qu’il put en penser. Sa participation en 1938 à l’Encyclopédie française, dirigée par Henri Wallon, sous la forme d’un long article consacré à “La famille”, lui vaudra en janvier 1939 une admonestation ironico-indulgente de son maître et ami Edouard Pichon. C’est également un signe public de reconnaissance dont on cite souvent les premières phrases : “Voilà M. Jacques-Marie Lacan élu membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris ; certes, il devient ainsi quelque chose ; mais, heureusement pour lui, il n’avait pas attendu nos suffrages pour être quelqu’un.” Evidemment, l’opiniâtre maurrassien, alors à quelques mois de sa mort à l’âge de cinquante ans, déplore le style de l’écrit car “lire M. Lacan, pour un Français, c’est comme on dit familièrement, du sport !>> Le “petit vernis germanique dont il s’enduit à plaisir”, les bizarreries du vocabulaire, le recours au mot impropre, autant de motifs de reproches, bien tempérés par une complicité amusée. “La pensée de M. Lacan marche dans une colonne de nuées sombres, mais gravides, dont par déchirement naît et jaillit çà et là une étincelle de lumière.”
Edouard Pichon a de la tendresse pour ce jeune et brillant collègue, si proche de lui par ses origines, son insolence, sa culture et sa préciosité. Jacques Lacan ne s’y trompera pas et, seize ans plus tard, à Rome, rendra hommage “au regretté Edouard Pichon, qui, tant dans les indications qu’il donna de la venue au jour de notre discipline que pour celles qui le guidèrent dans les ténèbres des personnes, montra une divination que nous ne pouvons rapporter qu’à son exercice de la sémantique”.
De fait, pour qui lit son article entre les lignes, nul doute qu’entre Lacan, Lagache, Marie Bonaparte et Nacht, sans parler de Freud, Pichon ait fait très tôt son choix de cœur et d’esprit, tout comme il s’est senti vivement intéressé par la jeune analyste Françoise Marette (future Dolto) qu’il fait travailler dans son service et qui ne l’oubliera pas, elle non plus.
5. La seconde guerre mondiale et l’occupation
Les sombres années se préparent. En Autriche, le 11 mars 1938, c’est l’Anschluss. Bientôt, les nazis envahissent la Berggasse, Anna Freud est retenue par la Gestapo. Il faut émigrer, ce à quoi Freud, accompagné de sa femme et sa fille, se décide enfin, grâce à l’entremise de la princesse. Son passage à Paris, le 5 juin 1938, lui vaut un afflux de photographes. Il les fuit pour se reposer quelques heures, sans contacts directs avec la Société psychanalytique “en raison des fatigues du voyage”, dans la villa que Marie Bonaparte possède à Saint-Cloud. Il s’embarque le soir même pour l’Angleterre.
Dès mars 1938, la SPP a protesté contre “les persécutions dont est victime le Pr Freud” qu’elle a nommé, ainsi que sa fille Anna et Ernest Jones, “membre d’honneur” le 16 mai. A partir de juin, elle intensifie l’accueil des émigrants venus à la suite de René Spitz ou Heinz Hartmann, projetant même avec Paul Schiff de créer pour eux une catégorie spéciale de “membres associés étrangers” qui leur assurerait une caution professionnelle que le protectionnisme médical français ne leur offre pas.
Le 1er août, le XVe Congrès international de Psychanalyse se tient à Paris, marqué par des dissensions vives entre Européens et Américains à propos de la pratique des non-médecins. “Par chance, écrira avec ingénuité Ernest Jones, tout le problème fut relégué au deuxième plan par la guerre imminente et, depuis, les relations entre les deux continents ont été des meilleures…” Les liens se resserrent d’ailleurs entre la SPP et la Société britannique, et les membres des deux groupes se retrouvent en avril 1939 chez la princesse. Mais un autre type d’alliance va balayer tous les projets.
Au mois d’août 1939, l’accord germano-soviétique est signé. Le 1er septembre, Hitler envahit la Pologne, le 2, c’est en France la mobilisation générale et le 3, à 17 heures, la déclaration de guerre à l’Allemagne. “Ce sera la dernière guerre” proclament les bulletins radiophoniques. “Ma dernière guerre”, ironise à Londres Freud, qui meurt le 23 septembre. Dans ses colonnes, Le Figaro commente la nouvelle : “Nous ne savons ce que l’avenir réserve au pansexualisme de Freud. Il fut l’objet, en France comme dans le monde entier, d’un engouement qui n’a pas laissé un brillant souvenir. Le refoulement, les complexes, le jeu analytique des rêves, ont mené souvent à une littérature et à des pratiques avilissantes. Si le freudisme a guéri des névroses, il apparaît aussi à beaucoup de psychiatres qu’il en a créé et qu’il a fait des victimes.”
Pour une fois, la réalité historique va sembler confirmer les habituelles prophéties des Cassandre : la psychanalyse, “science juive”, doit disparaître pendant les mille ans que durera le nouvel ordre aryen…
En France, la drôle de guerre déferle. On a fermé en mai 1940 le local de l’Institut de Psychanalyse, après avoir mis à l’abri livres et documents. Le 13 juin, veille de l’entrée des Allemands dans Paris, Sophie Morgenstern, une des premières analystes d’enfants, se suicide. Partout les psychanalystes ont été mobilisés, “médecin de bataillon dans un obscur “Régiment de Travailleurs”, comme la plupart des médecins naturalisés”, se souvient Rudolf Loewenstein. Après l’armistice, il va se réfugier dans le Midi et donner quelques cours à Marseille. En 1942, il émigrera en Amérique pour y rejoindre René Spitz et Raymond de Saussure. Nacht est à Saint-Tropez, la princesse également, qui va s’embarquer pour la Grèce rejoindre son fils. René Allendy, réfugié à Montpellier, meurt le 12 juillet 1942 après une agonie dont témoigne son Journal d’un médecin malade.
Paul Schiff parviendra non sans peine à rejoindre les gaullistes pour s’engager dans les Forces françaises libres où il combattra jusqu’à l’écrasement des troupes hitlériennes. Quant à Daniel Lagache, replié à Clermont-Ferrand avec l’université de Strasbourg lors de la débâcle, il y organise une consultation médico-psychologique d’enfants et d’adolescents inadaptés. Il diffuse ainsi dans les milieux médicaux plutôt hostiles sa conception d’une “psychologie clinique”, déjà aux origines de la première “licence libre” de psychologie qu’il avait créée à Strasbourg et qui servira de modèle en 1947 à la licence nationale. Son isolement prolongé en province, du fait de la guerre et de ses suites, puisqu’il reviendra en poste à Strasbourg après la Libération, ne sera sans doute pas sans conséquences sur sa situation marginale et ses futures options au sein de la Société psychanalytique de Paris.
A Paris, c’est l’Occupation. Georges Parcheminey (1888-1953) est chargé par le Pr Laignel-Lavastine de réorganiser le département psychanalytique de l’hôpital Sainte-Anne. “Dans sa première leçon sur la psychanalyse à Sainte-Anne, en présence de plusieurs officiers allemands, il a parlé de son maître, Freud, raconte Rudolf Loewenstein. Il paraît que les officiers allemands ne revinrent plus.” John Leuba y maintient également des consultations, ainsi que Philippe Marette, le frère de Françoise Dolto. Bientôt, c’est le Pr Jean Delay qui assure l’intérim de la chaire et maintient l’équipe des analystes “malgré la désapprobation allemande”. L’imprégnation psychanalytique se fait ainsi à bas bruit et conduit des jeunes internes à entreprendre discrètement leur analyse didactique.
Tranchant sur le silence de rigueur, Romain Rolland publie en 1942, chez Albin Michel, Le Voyage intérieur et dans un hommage à Freud inclut cette remarque : “La psychanalyse s’est vite révélée, à partir de Freud lui-même et de l’évolution constante de sa doctrine personnelle, bien plus un mouvement culturel qu’une discipline au but déterminé et close.”
Jean-Paul Sartre au contraire se montre beaucoup plus réservé dans L’Etre et le néant, paru en 1943, à l’égard d’un Freud qui, s’il le crédite d’intuitions de génie, lui paraît fort critiquable d’un point de vue philosophique. Il entame ainsi sa récusation de l’inconscient freudien, antinomique de la conception husserlienne de la conscience qu’il défend, comme des notions de “liberté”, de “choix” et d’engagement qui caractérisent son approche de l’homme. Il inaugure en fait, dès cette époque, les rapports ambivalents qu’il entretiendra durant toute sa vie avec la psychanalyse et les psychanalystes.
Pour qui feuillette les Annales médico-psychologiques de 194l à 1944 – car L’Evolution psychiatrique a cessé de paraître, comme la Revue française de psychanalyse –, le mot “psychanalyse” n’apparaît qu’une seule et unique fois dans le titre d’un article courageusement intitulé par Michel Cénac : “Psychiatrie et psychanalyse. L’apport de la psychanalyse à la psychiatrie”. Par contre, ce texte ne figure dans l’index des matières que sous le seul mot “psychiatrie”… Car, on ne sait pas très bien comment on le sait, mais, la psychanalyse, c’est interdit.
Il est à ce propos important de noter que durant toutes ces années où la collaboration va fleurir, il ne se trouvera personne en France pour former quelque “Société” de récupération comme cet “Institut allemand de Recherche psychologique et de psychothérapie”, fondé à Berlin dans les années 30 par le Pr Goering, parent du Reich-marschall, et complaisamment patronné par Carl Gustav Jung. Seul le rôle de René Laforgue reste difficile à apprécier et si, de nos jours, les critiques à son égard semblent moins virulentes ses tendances pro-allemandes continuent à lui être reprochées. Ses amis assurent que sa maison dans le Midi fut un refuge pour de nombreux résistants, qu’il faisait parvenir des vivres à des amis juifs cachés dans Paris. Ses adversaires l’accusent, entre autres compromissions, d’avoir participé à l’un de ces “voyages pour intellectuels français en Allemagne” qu’organisait le sculpteur préféré de Hitler, Arno Breker, fin 1941. Il est encore bien ardu de se faire une opinion précise sur ces années terribles où ce qui demeurait du petit monde analytique n’échappa pas au mélange de secrets honteux, de mesquineries envieuses et de vengeances passionnelles qui caractérisait alors la France. On peut toutefois remarquer que le nom de Laforgue n’apparaît plus que très rarement après 1945 dans les comptes rendus de la SPP, même s’il figure encore sur les listes jusqu’à sa démission en octobre 1953, après la scission, où il rejoindra les rangs de la Société française de Psychanalyse. Il publie et intervient ailleurs, avant et après son séjour au Maroc, dans le groupe Psyché puis à la SFP et dans des Congrès, ceci jusqu’à sa mort en 1962, mais dans l’immédiat après-guerre les analystes de la Société psychanalytique de Paris, malgré la présence parmi eux de nombre de ses analysés, l’ont manifestement mis à l’écart.
Il faut aussi tenir compte de sa personnalité, avec les amours et les haines qu’elle a pu susciter, comme les jalousies éveillées par les rapports étroits qu’il entretenait avec ses analysés. Un certain nombre de ceux-ci ne formaient-ils pas le “club des piqués”, comme ils se dénommaient joyeusement, rassemblés, avant et après la guerre, dans.sa propriété pour y poursuivre durant les vacances, entre deux repas ou bains dans la piscine, leurs séances d’analyse ? Les célébrités ne manquèrent pas de 1926 à 1962, de Jean Dalsace, Jean Rostand, l’éditeur Denoël, Maryse Choisy à Alain Cuny ou Ménie Grégoire, parmi bien d’autres. Se succédèrent également sur le divan de Laforgue les éléments d’une filiation psychanalytique dont les prises de position intellectuelles, morales, religieuses et institutionnelles à venir ne peuvent être dissociées du personnage princeps de leur formation didactique. Leur nom réapparaîtra sans cesse dans les années qui suivent et leur union “fraternelle” sera déterminante : André Berge, Françoise Dolto, Juliette Favez-Boutonier, Georges Mauco et Blanche Reverchon-Jouve.
Si Laforgue demeure dans sa propriété provinciale durant l’Occupation, ses analysés vivent à Paris et, malgré le couvre-feu, se rencontrent et organisent des discussions psychanalytiques auxquelles participent amicalement Marc Schlumberger (1900-1977), esprit non conformiste, fin et plein d’humour, fils du cofondateur de la NRF et John Leuba (1884-1952), originaire de Suisse, géologue avant de faire ses études de médecine, qui sera le premier président de la SPP au sortir de la guerre.
Dans les Annales médico-psychologiques, on voit apparaître les noms de Maurice Bouvet, élève de Laignel-Lavastine, qui va bientôt entreprendre une analyse avec Georges Parcheminey; de René Diatkine, étudiant à la faculté de Marseille avant de revenir à Paris dans le service Heuyer et de commencer son analyse avec Jacques Lacan; de Georges Favez, analysé de Hartmann puis, brièvement plus tard, de Nacht; de Pierre Marty, futur analysé de Marc Schlumberger, qui cosigne en 1943 une étude sur la “Résurgence des instincts alimentaires à la faveur de la disette chez les psychopathes”…
6. L’extension de la pratique psychanalytique
En 1945, c’est l’euphorie de la victoire et les rencontres analytiques vont enfin se multiplier au grand jour.
Au mois de mars, la revue Cahiers d’art demande à Jacques Lacan, qui aurait, ainsi que Odette Codet, selon John Leuba, “maintenu sa pratique privée” durant l’occupation, un article pour son numéro de reprise “1940-1944″. Il rédige alors un des textes annonciateurs de l’évolution de sa pensée : “Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée. Un nouveau sophisme.” En septembre, il passe plusieurs semaines en Angleterre et revient ébloui par les techniques de groupe que Bion et Rickman ont élaborées pour la formation et l’encadrement psychologiques des militaires britanniques. Leur travail, écrit-il dans une belle conférence intitulée “La psychiatrie anglaise et la guerre”, lui a permis d’éprouver “l’impression de miracle des premières démarches freudiennes : trouver dans l’impasse même d’une situation la force vive de l’intervention”. Il est permis de penser que, jusqu’aux confins de sa mort, Jacques Lacan restera fidèle à ce principe. On peut également déceler dans son intérêt pour ces recherches psychotechniques sur le maniement des groupes l’origine de certains de ses comportements et de ses interventions dans les sociétés ou écoles psychanalytiques qu’il aura par la suite à fréquenter, fonder et si souvent affronter.
À Paris, les analyses didactiques s’entreprennent ou perdent leur caractère clandestin. Six, réparties entre Parcheminey et Leuba, dont “deux proches de leur fin”. Sacha Nacht range l’uniforme sous lequel il a rejoint la Résistance et se met à l’ouvrage, inaugurant, pour répondre à une demande aussi abondante que peu fortunée, une modification technique hardie : la réduction du temps des séances d’une heure à quarante-cinq minutes, et de leur fréquence par semaine de cinq à quatre. Serge Lebovici et S.A. Shentoub sont parmi les premiers analysés d’une série qui, avec Maurice Benassy et Henri Sauguet, va bientôt constituer le noyau du futur Institut de Psychanalyse.
Dès 1945, la disparition du local du boulevard Saint- Germain et l’absence d’un Institut sont déplorées par les analystes français. Il n’y a pas d’endroit où se réunir, même si Gaston Bachelard, dont La Psychanalyse du feu parue en 1938 avait montré l’appréhension originale, plutôt jungienne d’ailleurs, du fait psychanalytique, leur donne l’hospitalité pour trois années dans l’Institut pour l’Histoire des sciences et des techniques, annexe de la Sorbonne. Ils devront encore errer pour tenir leurs rencontres de l’appartement de John Leuba aux salles de l’Ordre des Médecins ou de l’hôpital Henri-Rousselle, de plus en plus persuadés de l’importance et de l’urgence de la création d’un nouvel Institut.
D’autant qu’un monde nouveau s’ouvre où la psychanalyse paraît devoir occuper une place de choix. Les armées alliées, tout au moins à l’Ouest, ont fait un très large usage des notions analytiques et les soldats rapatriés vont contribuer à leur diffusion. En France, de jeunes psychiatres s’y sont intéressés, tels Lucien Bonnafé et François Tosquelles qui, à l’hôpital de Saint-Alban puis aux Journées psychiatriques nationales de mars 1945, tentent de faire éclater la lourde structure asilaire et la passivité thérapeutique qui y règne. On va créer des services ouverts, la notion de “psychothérapie” prend de plus en plus d’importance. La psychanalyse, en raison de sa proscription raciste durant l’occupation, a un parfum de victoire.
Des convoitises s’éveillent et il est pour le moins curieux, voire, pour tout psychanalyste, significatif de quelque processus de rejet, qu’aucun des travaux consacrés jusqu’ici à l’historique de la psychanalyse en France n’ait mentionné l’existence et le rôle d’un groupe fondé au lendemain de la Libération, avant même que renaisse de ses cendres la Société psychanalytique de Paris. Sa création, grâce aux fonds de René Laforgue et de Bernard Steele, et sa composition témoignent pourtant d’un profond clivage dont les traces seront perceptibles lors des deux futures scissions de 1953 et de 1963.
Il s’agit du Centre d’étude des Sciences de l’homme dont la revue Psyché va paraître mensuellement à partir du mois de novembre 1946. A sa tête, Maryse Choisy (1903-1979), personnage peu banal dont le rôle fut à l’époque plus important qu’on ne le croit aujourd’hui. Dès le premier éditorial de sa revue, elle précise son programme : à la recherche du “supplément d’âme” réclamé par Bergson, la psychanalyse s’avère adéquate car “elle s’avance vers sa phase constructive. D’après les travaux de Jung et de Baudouin en Suisse, de Laforgue en France et les recherches des écoles anglaises et américaines, elle permet des débouchés intéressants dans la pédagogie, dans la sociologie, dans l’orientation professionnelle. Elle fait entrevoir, en quelque sorte, un sentier insoupçonné vers un bonheur collectif vainement mendié par les moralistes.”
Au comité d’honneur de ce vaste programme : le prince Louis de Broglie, de l’Académie française, Angelo Hesnard, Charles Baudouin, Gustave Cohen, professeur à la Sorbonne, Pierre Janet, René Laforgue, Charles Odier, le père Teilhard de Chardin, etc. S’y adjoindront bientôt Daniel Lagache et Jean Delay. Quant aux autres auteurs qui écrivent régulièrement dans la revue, certains de leurs noms sont familiers ou vont le devenir : André Berge, l’abbé Paul Jury, Octave Mannoni, ethnologue, le père Louis Beirnaert. Ils participent activement aux réunions du Centre et à ces Semaines de Royaumont au cours desquelles d’aussi graves problèmes que le “Destin de l’homme collectif”, en octobre 1947 par exemple, se voient abordés.
Ce même mois, l’éditorial de Psyché indique que « partout les sages s’inquiètent d’un remède à la paranoïa collective ». Il est nécessaire de « se tourner vers l’âme-groupe [...]. Nous croyons à la vertu du petit nombre et que le monde sera sauvé par quelques-uns. » Leurs préoccupations morales, religieuses, voire mystiques, sont largement discutées et la participation de nombreux prêtres appartenant aux divers ordres, jésuites, dominicains, etc., préfigure cette audience que la psychanalyse acquerra peu à peu dans les milieux catholiques. Ceux-ci, d’ailleurs, resteront généralement fidèles après la scission de 1953 au groupe des analysés de Laforgue et, à la SFP, se retrouveront plutôt parmi les élèves de Jacques Lacan.
C’est en fait à l’ensemble du public intellectuel bourgeois français que s’adresse cette revue inspirée par l’exemple de l’Imago freudienne, disparue avant la guerre. Qui, actuellement, oserait présenter chaque mois, outre les textes signés par les psychanalystes déjà cités, des études d’acupuncture, de graphologie, des travaux d’adlériens et de jungiens, publier des écrits de Colette Audry ou d’Alain Cuny, les comptes rendus du Congrès spiritualiste mondial, l’analyse de la Revue des études carmélitaines, entretenir des rubriques régulières sur la littérature, le cinéma, les expositions, le théâtre, faire découvrir au Français, pêle-mêle, Schönberg, Chostakovitch et Luis Buñuel, sans oublier les derniers livres de psychanalyse ni les acquisitions récentes de la “psychologie mystique” ou de la caractérologie ?…
On trouve dans cet ahurissant brassage, dont il reste curieusement peu de traces aujourd’hui, l’exemple d’une dualité permanente dans la diffusion de la psychanalyse en France. D’un côté, des sociétés fermées, filtrant soigneusement leurs membres, et souvent dressées les unes contre les autres. De l’autre, de vastes mouvements qui tentent de rassembler les tendances opposées, s’ouvrent au public et ne négligent ni l’appui des médias ni l’engouement de l’intelligentsia.
Que les premières aient parfois à se méfier des secondes, cela peut se concevoir si l’on se reporte à ce Congrès de Psychopédagogie, organisé en octobre 1948 par Psyché, au cours duquel un participant anglais va proposer la création d’une vaste association regroupant freudiens, adlériens, jungiens, disciples de Robert Desoille, le promoteur du “rêve éveillé”, d’Otto Rank, de Karen Horney, etc. Il s’agit d’instituer une formation de psychiatres et de psychologues professionnels en trois degrés dont le supérieur serait de l’ordre d’un doctorat universitaire. Georges Mauco, le directeur non-médecin du Centre psychopédagogique Claude Bernard (où consulte Françoise Dolto et dont Juliette Boutonier a été la première “directrice médicale” en 1946, avant de laisser ce poste à André Berge, pour succéder à Daniel Lagache à la faculté de Strasbourg en 1947) est présent à ce congrès, auréolé de son prestige d’avoir fait partie du cabinet du général de Gaulle jusqu’à sa démission en 1946, apôtre – et il le demeurera durant de nombreuses années – d’un statut officiel pour les psychanalystes, futur créateur d’un syndicat des analystes non-médecins.
Ce projet, même s’il n’a pas de suite effective, n’en inquiète pas moins les psychanalystes freudiens. Par ailleurs, le groupe Psyché, en plus de toutes ses relations, cherche à innover, témoin ce premier Dictionnaire de psychanalyse et de psychotechnique qui va paraître en feuilleton dès 1949. Ancêtre des actuels “Vocabulaires”, il compte parmi ses rédacteurs l’habituelle équipe des analysés de Laforgue, aidés d’Octave Mannoni, de spécialistes de la “terminologie adlérienne et jungienne” et de Simon Jankélévitch pour les traductions allemandes.
Très rapidement, pourtant, le groupe Psyché va s’éteindre dans les années 50 : l’extension de ses intérêts et de ses ambitions se fait aux dépens de la rigueur. De plus, la Société psychanalytique de Paris est progressivement réorganisée et offre de nouveau aux analystes les pages de sa revue. Bientôt la scission de 1953, regroupant autour de Daniel Lagache et de Jacques Lacan un certain nombre des collaborateurs de Psyché, précipitera la fin de ce moment méconnu de l’histoire de la psychanalyse en France, dont le rôle n’a pu être ici qu’esquissé. Le voile de l’oubli recouvrira ce rêve œcuménique, comme s’il était devenu honteux d’y avoir un temps cru ou participé.
7. Tensions, tendances critiques
Dès 1946, on l’a vu, les réunions de la Société psychanalytique de Paris ont retrouvé leur rythme mensuel, sous la présidence de John Leuba. Le 25 juillet 1946, on renoue avec la tradition des Congrès de Psychanalystes de Langue française, à Montreux. Deux mois plus tard, Henri Ey, qui va prendre la direction d’une Evolution psychiatrique reconstituée après la Libération, permet, au cours de ses Journées de Bonneval, l’audition d’un rapport de Julien Rouart sur l’origine psychique des maladies mentales et d’une conférence de Jacques Lacan intitulée “Propos sur la causalité psychique”.
Lors de la première réunion officiellement enregistrée de la SPP, en novembre 1946, comme un symbole de continuité avec l’avant-guerre, Angelo Hesnard fait un exposé. Cinq nouveaux membres titulaires seront bientôt élus : André Berge, Juliette Favez-Boutonier, Serge Lebovici et deux collègues belges, Fernand Lechat et Maurice Dugautiez, se joignant aux treize rescapés des années 30. Vingt membres adhérents complètent la liste avec, parmi les récents promus, Maurice Benassy, Maurice Bouvet, René Held et S. A. Shentoub. En juillet 1947, un nouvel éditeur, les Presses Universitaires de France, accepte de faire reparaître la Revue française de psychanalyse dont le premier numéro sera publié en 1948.
Tout semble pouvoir recommencer, y compris les querelles, mais rien ne sera plus comme avant. D’autant que dans le monde la guerre froide succède aux embrassades de la victoire. Le Parti communiste français entreprend en 1947 de lutter contre le nouvel ennemi de l’Union soviétique, l’impérialisme américain. A la suite du rapport de Jdanov au Komintern, La Nouvelle Critique, dirigée par Jean Kanapa, suivie par L’Humanité et Les Lettres françaises, va désigner la psychanalyse, assimilée au dollar ou au Coca-Cola, comme agent corrupteur destiné à anesthésier la lutte des classes. De mars 1948 à mai 1949, c’est le blocus de Berlin par l’Union soviétique. Le 4 avril 1949, la signature à Washington du traité de naissance de l’O.T.A.N.
Il faut n’avoir pas connu l’atmosphère de la guerre, de l’Occupation, de la Libération et de l’après-guerre pour ne pas comprendre le débat de conscience qui se déroule alors pour ceux des nouveaux venus de la SPP qui ont fait une partie de leurs humanités dans les maquis et continuent de militer au P.C.F. Tandis que les réunions scientifiques reprennent leur rythme de croisière, que l’on élit membres titulaires Pierre Mâle et Maurice Bouvet, en 1948, des pressions se font sentir, l’appareil du Parti exige.
En juin 1949, La Nouvelle Critique publie un article fracassant où l’on sent bien qu’il s’agit de “mouiller” sérieusement ses signataires – opération réussie puisqu’on continue à le brandir pour leur en faire reproche, oubliant l’époque de sa parution, leur âge (aux alentours de la trentaine), leurs années de compagnonnage et de lutte dans la clandestinité contre l’occupant.
On y retrouve évidemment les vieux arguments que Georges Politzer avait employés avant la guerre, lorsque à son enthousiasme pour la psychanalyse avait succédé une critique acerbe. Dès 1929, son éphémère Revue de psychologie concrète avait publié quelques échos de sa polémique avec Angelo Hesnard, mais sa condamnation de la psychanalyse d’un point de vue marxiste avait été beaucoup plus catégorique ensuite.
“Idéologie réactionnaire” dit le titre en 1949… Née à Vienne, liée aux besoins de la famille paternaliste bourgeoise, traitant une minorité de malades sélectionnés par l’argent, basée sur l’irrationalisme et l’individualisme, la psychanalyse pervertit les jeunes psychiatres sous-payés. Pis, elle les entraîne dans le “mythe d’un inconscient en soi”, le “chosisme des instincts”, un “Œdipe qui n’est ni universel ni constant”, une “pseudo-transcendance des complexes”. Il est clair que “cet individualisme revient à la négation de toute possibilité de transformation de l’ordre social”.
Les psychiatres des Asiles qui signent ce manifeste prêchent pour leur paroisse en réclamant crédits et pouvoirs accrus. Quant aux autres signataires, Jean Kestemberg, analysé de Lacan, sa femme Evelyne, analysée de Marc Schlumberger, Serge Lebovici et S. A. Shentoub, ils ne tarderont pas à désavouer ce texte en quittant le Parti où ils militaient depuis l’occupation.
En 1950, La Pensée catholique, démontrant ainsi que les manœuvres séductrices de Psyché n’ont pas encore totalement abouti, remarquera : “Il est triste de constater que certaines réactions, à tout prendre judicieuses, contre le freudisme, sont le fait de psychiatres marxistes dont la compétence est réelle.”
L’anathème lancé contre la psychanalyse se trouvera toutefois oublié quelque vingt ans plus tard par un parti communiste qui tentera l’approche de cette idéologie bourgeoise jadis tant vilipendée, par le biais des théories lacaniennes relues par Louis Althusser. Quant aux milieux religieux, ils ne tarderont pas à envahir divans et séminaires psychanalytiques ouverts, après une période d’incubation en petits groupes discrets. Enterrés, mais prompts à reparaître, dépoussiérés et remis au style du jour, les arguments critiques utilisés en 1914, 1926, 1938, 1940, 1949… refleuriront dans certains mouvements gauchistes de l’après-mai 1968, pour dénoncer à nouveau le “pouvoir” des psychanalystes, leur pensée réactionnaire, le décidément inassimilable “complexe d’Œdipe”, et bientôt, au nom d’un certain “féminisme”, la misogynie de ce puritain-juif-petit-bourgeois-viennois de Freud…
L’article de La Nouvelle Critique a fait référence à Jacques Lacan. C’est un signe des temps et la reconnaissance de ce style lacanien qui va progressivement prendre la première place dans le discours analytique français, et cela pendant au moins trente-cinq ans. Comme avant la guerre, sa personnalité séduit et agace. Mais avec le poids de l’ancienneté et de la maturité : il approche les cinquante ans, suivi de peu par Nacht et Lagache. La guerre a bouleversé les règles du jeu institutionnel et c’est à la génération de ces trois hommes de saisir la direction du mouvement psychanalytique en France avant que de jeunes loups formés au combat ne viennent s’en emparer.
Si Lacan a pris de la distance par rapport aux Asiles et s’est tourné vers le clan des philosophes, Sacha Nacht (1901-1977) reste résolument fidèle à cette vocation de médecin qu’il avait proclamée dès sa prime enfance. Ses manières sont rudes, son autoritarisme évident, on l’a surnommé “le satrape”, et c’est avec force, détermination et brutalité parfois qu’il prendra la tête des affaires de la Société, puis de cet Institut qu’il créera, et cela pendant treize ans. Il est peu aimé, sinon peut-être de Jacques Lacan, son très proche ami, mais admiré, craint et respecté pour son bon sens. Il inspire confiance et, même s’il lui arrive de le traiter de “gangster” à cause de ses manières dictatoriales, la princesse finira par le préférer au fuyant et peu crédible Lacan, l’homme qui promet tout pour se sortir des situations difficiles, mais n’honore pas ses engagements.
À Lacan le royaume des mots, de la parole. A Nacht celui de la “présence”, cette qualité qu’il requiert des psychanalystes encore plus qu’une “bonté” dont l’existence peut faire sourire ceux qui n’ont connu de lui que l’écorce rugueuse. Nacht est plus compliqué et incertain que ses manières ne le laissent supposer. Protégé par ses ukases et ses phrases à l’emporte-pièce, il abrite derrière des allures cassantes et pour certains terrorisantes une malice et une sensibilité à laquelle il ne donnera un cours presque mystique qu’à la fin de sa vie.
Sa rupture avec Lacan ne sera pas chose facile, mais une fois jugée nécessaire il la mènera rondement, quitte à y frôler un jour la mort dans un accident. Pour le moment ils sont encore amis très proches, tous deux rapporteurs au XIe Congrès des Psychanalystes de Langue française qui a lieu en 1948 à Bruxelles (car la plupart des analystes belges entretiennent des contacts très étroits avec la SPP), sur le thème, ô combien annonciateur, de “L’agressivité en psychanalyse”. Daniel Lagache (1903-1972), lui, se sent plutôt en marge de ce couple et souffre d’un isolement que la guerre a accentué. N’aimant ni l’un ni l’autre et peu apprécié d’eux, il va chercher appui auprès du groupe des analysés de Laforgue qui se trouvent sans doute un peu désemparés du fait de l’éclipse dont souffre leur analyste. Une carrière commune l’unit d’ailleurs à Juliette Favez-Boutonier qui lui a succédé à la chaire de psychologie de Strasbourg et qui prendra sa suite à la Sorbonne lorsqu’il se verra attribuer en 1954 la chaire de psychopathologie. Il se présente extérieurement comme un universitaire au caractère exigeant, assez rigoureux, sinon rigoriste, soucieux de garder ses distances au moyen d’une ironie un peu froide qui coupe court aux débordements affectifs. Il se sait un maître et se voit reconnu comme tel, le sérieux et le poids de ses travaux lui assurant une audience bien différente de celle que valent à Lacan la vivacité de son intelligence et ses toujours surprenantes créations théoriques. Lagache étudie à fond ses thèmes, la jalousie, le transfert, la psychocriminogenèse, dans un style ordonné qui cite ses références. Il se montre bien différent de Nacht qui affecte de négliger le “trop théorique” et s’efforce de parler avec simplicité d’une clinique quotidienne où chaque analyste et chaque analysé pourront se retrouver. Là où Nacht met de l’évidence, Lagache précise la recherche. Là où Nacht s’efforce de “guérir”, Lacan de “créer”, Lagache s’applique à comprendre et à expliquer. Les trois directions entre lesquelles s’écartèle la psychanalyse depuis les tout premiers temps de sa pénétration en France trouvent leur représentant en chacun de ces hommes : la médicale, si chère au cœur des fondateurs de la Société psychanalytique de Paris dans les années 30, en Nacht qui favorise la carrière des candidats médecins, encourage les recherches de psychosomatique et préconise un enseignement codifié et hiérarchisé que doivent compléter des stages hospitaliers obligatoires. La composante psychologique, jadis illustrée par les Suisses romands, verra en Lagache un des artisans du prestigieux développement des “sciences humaines” dans le milieu intellectuel, et le promoteur opiniâtre d’une qualification psychanalytique obtenue au terme d’un cursus d’allure plutôt universitaire. Quant à Lacan, c’est au courant philosophique et littéraire qu’il vient s’adjoindre, après les surréalistes et la NRF, accompagné de Merleau-Ponty et de Jean Hyppolite, armé de l’enseignement de Kojève et de Ferdinand de Saussure. Grâce à ses prodigieuses capacités d’assimilation et à son talent de manieur d’idées et de foules, il va parvenir dans les années 60-70, et ceci au nom de Freud, à mettre en vedette dans la vie culturelle française sa propre vision de la psychanalyse, phénomène unique dans son histoire mondiale.
Ces trois tendances possèdent chacune leur dynamique créatrice mais font également courir à l’analyse de grands risques d’enfermement et de dégradation si elles ne s’interpénètrent pas. Là où d’autres pays ont tenté une synthèse ou quelque solution fédérative, les Français choisiront l’écartèlement, aidés en cela par les personnalités divergentes des trois analysés de Loewenstein dont les ans ne feront que durcir les oppositions. Les ans et le succès, car chacun d’entre eux gardera vis-à-vis des autres tendances une position plus ambiguë que ne le laissera croire son masque. Celui-ci ne se figera que peu à peu, sous la pression de l’ambition personnelle et du manichéisme d’auditoires ivres de transfert.
8. La question de la formation
À l’intérêt des années 30 pour “la psychanalyse” ou “la méthode freudienne” se substitue progressivement l’avidité pour “la didactique”, cette “psychanalyse pure” comme en viendra même à la désigner Lacan en 1964. Le 17 février 1948, la SPP, dont Nacht va devenir président à partir de janvier 1949, crée une Commission de l’enseignement et fait bientôt paraître dans la Revue un texte détaillé concernant ses “Règlement et doctrine”. Rédigé dans un style lacanien bien reconnaissable, il représente une synthèse des conceptions des didacticiens de l’époque en ce qui concerne la formation des futurs analystes. Ces derniers se voient “remis entièrement à la tutelle de leur psychanalyste”, jusqu’à ce que celui-ci les autorise à suivre des séminaires et à entreprendre des cures contrôlées. En fin de cursus, dit le texte, il “aura même à répondre des qualifications personnelles du candidat, libéré qu’il sera d’une réserve qui dans le cas régulier vise à ne pas obérer les prémisses de l’analyse”.
Absence de tares physiques et mentales trop évidentes, nécessité d’ “être maître du système particulier de la langue dans laquelle s’engagera pour lui ce qui mérite d’être appelé le dialogue psychanalytique, si loin qu’il se mène à une voix” (ici encore, on reconnaît Lacan), mieux apprécié s’il dispose d’une solide pratique hospitalière (ici, apparaît Nacht), le candidat doit prendre l’engagement de ne pas exercer la psychanalyse avant “l’aveu de son psychanalyste”. Le rédacteur indique aussi que “l’usage universel fait poser en principe que les fins de la psychanalyse didactique exigent un rythme de quatre à cinq séances par semaine, trois représentant un minimum, et une durée totale d’au moins deux ans”.
Il ne faudra pas deux ans à Lacan pour qu’on l’accuse de ne pas respecter l’accord qu’il avait semblé donner à ce “principe” en le liant à “l’usage universel”.
En 1950, Nacht et son bureau sont reconduits et la création d’un Institut occupe les esprits. Un appel de fonds a d’ailleurs été lancé pour compléter le million et demi recueilli auprès des anciens collègues émigrés en Amérique. Chaque membre titulaire de la Société devra verser 100 000 francs (pour donner une idée, la cotisation annuelle est alors de 3 000 francs) et il faut ici signaler qu’aucun des scissionnaires ne demandera le remboursement de cette contribution initiale après sa démission de la SPP en 1953.
Les premiers affrontements pour la conduite de l’Institut se devinent aux fins de non-recevoir qui sont opposés, par exemple en novembre 1950, aux propositions de Lagache qui a cru trouver un local adéquat. En revanche, on le voit entrer en janvier 1951 dans le nouveau bureau de la Société, même s’il s’indigne un peu en privé de ce troisième mandat de président sollicité par Nacht, sous prétexte de tractations secrètes avec l’Ordre des Médecins et les professeurs de Faculté de Médecine. Tout cela sent pour lui un peu trop la médicalisation de la psychanalyse…
C’est au cours de l’année 195l que, pour la première fois de façon officielle, la Commission de l’enseignement exige de Jacques Lacan la promesse solennelle de régulariser au plus tard en mai la conduite de ses analyses didactiques. Lacan en donne immédiatement l’assurance, mais cette promesse ne sera pas tenue sous un prétexte qu’il n’invoquera qu’en juin 1953 : quelque temps après ces exigences de la Commission, Nacht lui a proposé d’exposer ses théories “sur la technique psychanalytique” au cours d’une réunion de titulaires en décembre 1951. Il a dès lors, assurera-t-il, estimé qu’une telle demande le relevait tacitement de ses engagements antérieurs…
Il y a dans tous ses comportements un mystère que des données historiques complémentaires permettront peut-être un jour d’éclaircir. Lacan promet, promet encore et ne tient jamais. Acculé, il s’engage à tout mais sans y donner suite, invoquant après coup n’importe quel prétexte. Est-ce lié à ses humeurs changeantes ? A une sorte d’indécision qui le pousserait à reculer toujours l’échéance de ses choix ? Dix ans plus tard, lorsque les mêmes dérobades se reproduiront, on pourra supposer qu’il cherche à gagner du temps parce qu’il sait acquérir semaine après semaine l’audience et la célébrité qui lui permettront de faire cavalier seul, mais en 195l ? “On ne pouvait pas lui faire confiance” sera le leitmotiv de la plupart de ceux qui, l’ayant soutenu un moment, en viendront à le quitter.
La bataille n’est pas de pure forme : le rapport de la SPP à l’I.P.A. pour l’année 1951-1952 fait état de soixante-dix étudiants en formation, soit cent analyses en contrôle, tandis que trois séminaires hebdomadaires assurent l’enseignement : celui de Nacht sur la technique, de Lacan sur les textes freudiens, de Lebovici sur l’analyse d’enfants.
Nacht obtient en janvier 1952 son quatrième mandat présidentiel pour une année qui va se révéler décisive. Le procès intenté pour exercice illégal de la médecine à une analyste non-médecin, Mme Clark-Williams, même s’il aboutit à un acquittement, a mis en évidence la responsabilité collective des membres d’une société de psychanalyse et la nécessité de critères rigoureux pour leur cooptation. Sur le plan international également, il est temps que la formation des étudiants français retrouve l’organisation dont elle avait pu jouir jusqu’en 1940.
Le 17 juin 1952, Nacht force l’allure et lance la première offensive d’une bataille qui va durer très exactement un an. Il propose aux membres titulaires, qui seuls ont droit à la parole et au vote pour tout ce qui concerne la gestion de la Société, d’élire pour cinq ans un Comité directeur de l’Institut, et pose sa candidature au poste de directeur, avec Maurice Benassy et Serge Lebovici comme secrétaires scientifiques. Leur élection est obtenue à main levée. Il désigne alors Henri Sauguet comme secrétaire administratif ; c’est un autre de ses analysés, qui n’est pas encore membre adhérent de la Société mais, tout dévoué à la création de l’Institut, se montre un remarquable organisateur.
Une fois remis de leur surprise, certains, dont Lagache, vont protester : la durée du mandat est excessive, Nacht est à la fois directeur de l’Institut et président de la Société, seuls ses analysés ont été proposés pour les postes clefs, l’élection “à main levée” est contestable, etc. Rien n’y fait car les vacances arrivent, au cours desquelles s’aménage le local miraculeusement trouvé par Nacht au 187 de la rue Saint-Jacques. Au cours desquelles également Sacha Nacht célèbre son deuxième mariage chez le peintre André Masson, beau-frère de Jacques Lacan. Ce dernier lui sert de témoin, tandis que sa future femme, Sylvia Bataille, est celui d’Edmée Nacht. Qui peut alors imaginer la rupture définitive qui va bientôt séparer deux couples si amicalement liés ?
En novembre 1952, les statuts de l’Institut de Psychanalyse rédigés par Nacht sont distribués, ainsi que le programme prévu pour l’enseignement, afin d’être discutés et votés. La psychanalyse s’y trouve placée sous le signe de la “neurobiologie” et considérée comme une “branche de l’activité scientifique [...] utile et nécessaire en psychopathologie, puis en médecine, comme en témoigne tout le mouvement de la médecine psychosomatique”. La princesse y reconnaît les vieilles attaques menées contre les non-médecins et se range alors parmi ceux qui combattent ces propositions, d’autant que les pouvoirs que se sont attribués le directeur et son équipe lui semblent excessifs. Elle se trouve ainsi, paradoxalement si l’on se souvient des discussions du passé, dans le même clan qu’Angelo Hesnard qui, de Toulon, encourage Lacan à s’y opposer.
Le programme propose trois cycles annuels successifs de “théorie générale de la psychanalyse”, de “clinique psychanalytique” et de “technique”, cours et séminaires étant, sauf pour le cycle terminal que Nacht s’est pratiquement réservé, répartis entre les divers titulaires. Des stages cliniques dans les hôpitaux, en psychiatrie et en pédiatrie, sont prévus en complément du cursus. On remarque un séminaire de “Vocabulaire et bibliographie en psychanalyse” attribué à Lagache, prémisse de ce Vocabulaire de la psychanalyse que Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis mèneront à terme en 1967. Quant à Jacques Lacan, réduit à la portion congrue d’un séminaire hebdomadaire de textes pour les élèves de première année et de quelques cours sur les mécanismes du moi, les perversions sexuelles, les névroses de caractère et la paranoïa, il se voit annoncé pour une “conférence extraordinaire” sur le thème “Psychanalyse et folklore” ce qui, vu les circonstances, ne manque pas de piment.
C’est alors que le clan qui s’intitule “des libéraux”, composé de Lagache et des analysés de Laforgue auxquels s’adjoignent encore Marie Bonaparte et Maurice Bouvet, tente de freiner la “résistible ascension” d’un Nacht résolu à presser le mouvement. Le 2 décembre 1952, le vote du 17 juin à main levée est contesté pour vice de forme par Lagache, ce qui entraîne la démission de Nacht et de son Comité directeur. Ils sont toutefois immédiatement réélus, mais “à titre provisoire”. De toute façon, Nacht demeure président de la Société.
L’assemblée générale des titulaires du 16 décembre va précipiter les événements. Nacht tente d’obtenir une date limite assez rapprochée pour que ses statuts soient votés, car il lui paraît nécessaire d’en avoir fini avec ces discussions avant l’élection, prévue en janvier, du nouveau bureau de la Société. Selon la tradition, c’est le vice-président, Jacques Lacan, qui doit être élu.
Nacht est soutenu par le groupe de ses fidèles, Benassy, Diatkine, Lebovici, Mâle, Pasche et Schlumberger mais, devant l’hostilité des autres, il propose que seuls les articles importants et litigieux soient rapidement soumis au vote. Refus du groupe Berge, Françoise Dolto, Juliette Favez-Boutonier, Lagache et Blanche Reverchon-Jouve, majoritaire grâce à l’appui de la princesse, de Bouvet, Cénac et Odette Codet.
9. La marche vers la scission
Face à cette opposition, Nacht et son comité démissionnent à nouveau. Lacan se présente alors comme directeur provisoire. Elu au deuxième tour par 9 voix contre 8 et 1 bulletin blanc, il ne conserve de l’ancien comité qu’Henri Sauguet au poste de secrétaire administratif. Devant les chiffres de ce résultat, comparés à ceux d’un certain nombre d’autres, on chuchote que les bulletins “blancs” ou “abstention” sont souvent le fait de Maurice Bouvet, tenu de rester plutôt neutre, car Daniel Lagache effectue chez lui, précisément en cette époque troublée, une tranche d’analyse.
Les discussions vont désormais se poursuivre en coulisses autour de statuts qu’on doit se décider à voter, car l’ouverture de l’Institut a été annoncée pour le mois de mars. Jacques Lacan présente alors son propre projet. Substituant à l’exergue “neurobiologique” de Nacht, comme le suggère la princesse d’ailleurs, la description par Freud d’un Institut idéal plus culturel que médical, il souligne les deux dangers à éviter dans une telle entreprise : “politique personnelle de la direction et formalisation des études”. En ce sens, ses amendements tendent à un assouplissement des procédures et à un partage des pouvoirs.
Marie Bonaparte a, elle aussi, élaboré des amendements qui, citation de Freud comprise, s’opposent un peu aux statuts de Nacht mais, si elle n’aime guère celui-ci, elle déteste encore plus Lacan et lâchera ses amis du groupe Lagache lorsqu’ils décideront de le porter à la présidence.
De son côté, la Commission de l’enseignement revient à la charge, le 10 janvier 1953, et fixe à nouveau le rythme et la durée des séances de didactique : quatre ou cinq par semaine, de quarante-cinq minutes au moins, durant deux ans au minimum… Chacun sait que Lacan, malgré ses promesses et ses affirmations, continue sa pratique de temps variable, car ses adversaires ont fait leurs comptes : il lui faudrait des journées de plus de vingt-quatre heures pour venir à bout de ses activités et des analyses qu’on lui connaît s’il respectait le consensus. N’a-t-il pas à lui seul le tiers des didactiques en train dans la Société ?
De tractations en tractations, on tente de rogner les pouvoirs de Nacht qui à son tour transige : le Comité directeur ne sera élu que pour trois ans, la Commission de l’enseignement ne sera pas présidée automatiquement par le directeur, avec voix prépondérante, mais élira son président (qui, dit la négociation, sera… Nacht, au moins pour la première fois). En revanche, les secrétaires scientifiques de l’Institut en deviendront membres, ce qui assure au Comité directeur la haute main sur cet organe essentiel de la formation qui discute et décide de tous les problèmes posés par le cursus des candidats : acceptation ou refus de didactique, de contrôles, label permettant d’exercer la psychanalyse, d’accéder à la Société, etc. On conçoit l’acharnement du clan de Nacht à s’y ménager une majorité qui peut seule permettre, dans le climat d’opposition qui règne, un fonctionnement sans cela voué à la paralysie. On comprend également que les autres courants d’opinion qui se voient ainsi exclus crient à “la dictature” et ne se satisfassent pas du pouvoir administratif qui leur est accordé en assemblée générale. Chacun sait en outre qu’il y a là un sérieux goulet d’étranglement pour les analysés de Lacan.
Le 20 janvier 1953, comme prévu, les statuts de l’Institut sont votés, avec un certain nombre d’amendements de Marie Bonaparte nommée présidente d’honneur, ce qui l’associe aux travaux du Comité directeur. Celui-ci est élu définitivement ce même jour, avec Nacht à sa tête.
On a suggéré que l’octroi d’un titre honorifique avait été déterminant dans le changement de camp de la princesse qui, suivie de ses proches, va désormais prendre ses distances avec le groupe Lagache. En fait, tout se joue pour elle, au cours de cette même soirée, avec la candidature de Lacan à la présidence de la Société. Elle n’en veut pas, et cela prime le reste. Elle a décidé de soutenir Michel Cénac qui s’est porté candidat contre lui. Au premier tour, il obtient 10 voix contre 8 à Lacan et 1 bulletin blanc. Au deuxième tour, ils se trouvent en ballottage, 9 contre 9. Il faut voter à nouveau et l’absence de Nacht (car seuls les présents votent), due à un grave accident de cheval dans les jours précédents, va décider en faveur de Lacan auquel il se serait opposé. Le troisième tour donne en effet à Lacan les 10 voix nécessaires pour être élu, avec Lagache comme vice-président, Pierre Mâle comme assesseur, Pierre Marty comme secrétaire et Maurice Bouvet comme trésorier.
Victoire à la Pyrrhus, qui accélère le processus de scission. Dès le 3 février, lors de la réunion du conseil d’administration de l’Institut, la technique de Lacan est à nouveau mise en accusation, à l’occasion de la présentation de certains de ses candidats devant la Commission de l’enseignement. Lacan justifie “les libertés” qu’il a prises par le fait que “la réduction de la durée des séances, ainsi que leur rythme moins fréquent, a un effet de frustration et de rupture dont l’action est considérée par lui comme bénéfique”. Nacht, de retour, Marie Bonaparte, Mâle et Parcheminey protestent tandis que Lagache plaide seul en sa faveur. A la fin de la séance, Nacht fait accepter à l’unanimité – donc, une fois de plus par Lacan – le maintien des normes fixées antérieurement.
Le durcissement des positions concernant l’analyse didactique se répercute sur les “étudiants” auxquels le nouvel Institut doit ouvrir ses portes. Il faut les sélectionner, les répartir dans les trois cycles d’enseignement prévus, car certains sont “en formation” depuis plusieurs années. Ce peut être également l’occasion de se débarrasser de quelques indésirables…
On leur fait parvenir des règlements scolaires, on les soumet à des exigences tatillonnes en vue de leur inscription. Médecins-psychiatres, psychologues, analysés parfois de longue date, ils n’ont d’ “étudiants” que la dénomination, et ressentent comme une infantilisation intolérable les procédures qui leur sont imposées. Sans parler des frais d’inscription qui paraissent excessifs à beaucoup : 15 000 francs par cycle, auxquels il faut adjoindre de 500 à 1 000 francs par séance de séminaire et 1 500 francs par séance hebdomadaire de contrôle collectif.
Un grand nombre d’entre eux sont proches de Lacan et de son enseignement. Si ses dérobades l’ont rendu de moins en moins supportable auprès des titulaires, ses prises de position publiques et privées contre l’autoritarisme de l’équipe nachtienne lui valent en revanche une nette popularité parmi les analystes en formation. Une ancienne analysée de Nacht, Jenny Roudinesco, proteste contre ses procédés dans une lettre ouverte qu’elle adresse aussi bien à Nacht qu’à Lacan, ce qui va mettre le feu aux poudres. Elle l’envoie le 15 mai 1953. Un mois plus tard, la scission sera effectuée.
Le 17 mai, une réunion des analystes en formation aboutit à “la résolution” de 51 d’entre eux (un peu plus de la moitié) de “surseoir provisoirement à tout nouvel engagement en attendant la communication des statuts et du règlement intérieur de l’Institut”. Le 19, Nacht réplique sèchement à Jenny Roudinesco, en lui faisant remarquer que : “les problèmes posés dans [sa] lettre ne relèvent ni de la Société, ni de son Président.” Lacan de son côté, bien que fort déprimé à en croire Françoise Dolto, lui répond le 24 en exprimant assez nettement, derrière allusions ironiques et sous-entendus acerbes, son opposition à Nacht, à la princesse et à l’organisation de l’Institut.
Le 31, une nouvelle assemblée des analystes en formation va fournir le prétexte à l’attaque finale portée contre Lacan qui, alerté par téléphone que les “nachtiens” le mettaient en cause, a sauté dans un taxi pour s’expliquer. Il le fait, dans la rue Saint-Jacques, à la sortie de la réunion, discutant avec ces étudiants dont beaucoup sont ses analysés, ce qui constitue une “transgression” importante à la règle de discrétion censée régner à l’époque. Le ton est violent, de tous côtés, certains en viennent presque aux mains.
La crise s’avère inévitable. Le 2 juin a lieu une séance administrative de la Société dont la tonalité passionnelle est annonciatrice de rupture. Michel Cénac reproche à Lacan sa présence au milieu des étudiants, au mépris de sa fonction de président et de didacticien, et se voit soutenu par Odette Codet qui propose le vote d’une motion de défiance. Sacha Nacht reporte alors le débat sur la pratique des séances courtes, ce qui conduit Lacan à répondre que “toutes ses analyses didactiques (sauf une) sont régularisées depuis janvier en ce qui concerne la durée des séances. En ce qui concerne le rythme, aucun engagement n’avait été pris par lui.”
Pierre Marty qui, en tant que secrétaire, inscrit sur le “cahier noir” les procès-verbaux officiels des réunions de la Société, note ce soir-là : “Lacan reconnaît qu’il a été imprudent. Il a pris des libertés plus que dangereuses.” Puis, après de nouvelles discussions : “En conclusion, le Dr Lacan fait appel à la compréhension de l’assemblée. Il a donné, dit-il, depuis cinq ans, le meilleur de lui dans l’intérêt de la psychanalyse, il a aussi donné le pire. il a agi avec une passion qui a pu, certes, être quelquefois maladroite. S’il ne se discipline pas facilement, il ne désire en fait qu’une chose, travailler avec toute son amitié pour ses collègues, il désire que l’Institut vive et désire y travailler. Il demande de voter la confiance, le malaise n’étant pas si grave. Il s’engage à faire tout ce qu’il pourra.” Faut-il rappeler que le texte de ce procès-verbal sera adopté après discussion, lors de la réunion suivante, à une unanimité comprenant Jacques Lacan lui-même ? Doit-on trouver meilleur indice de ce qu’il ne souhaite pas profondément la scission et n’y a pas, comme on le lit parfois, entraîné les autres ?
Sa suggestion d’une commission d’arbitrage est repoussée, comme se voit ajourné le vote de confiance, reporté à la séance du 16 juin par 15 voix contre 3.
Les trois opposants à cette motion, unique dans l’histoire de la SPP, sont Daniel Lagache, Françoise Dolto et Juliette Favez-Boutonier. Ils n’ont pas adopté cette position par simple sympathie pour Lacan, car, Françoise Dolto exceptée, ils ne l’apprécient guère, mais pour s’opposer à la pression de plus en plus étouffante que leur paraît exercer Nacht. Ils ne souscrivent pas au désir exprimé par Lacan que “l’Institut vive” et souhaitent de moins en moins y travailler. En fait, ils se réunissent assez souvent avec André Berge et Georges Favez, dont la candidature au titulariat aurait été écartée, pour élaborer le projet, encore très secret, d’une Société qui s’ouvrirait davantage, d’un Institut “libre”, d’un enseignement qui préférerait au modèle médical celui d’universités où il pourrait trouver une place de choix. Ils craignent également que les conflits de personnes aient atteint un degré tel qu’ils risquent de se sentir pour un long temps condamnés à jouer les utilités sous la coupe de l’équipe de Nacht. Le rêve de la création d’une autre structure se concrétise jour après jour, assurés qu’ils se croient de l’appui de bon nombre de membres influents de l’I.P.A. qui les connaissent et les apprécient depuis une vingtaine d’années.
On ne sait trop s’ils ont spontanément mis Lacan au courant du complot ou si celui-ci, alerté au tout dernier moment, leur a quelque peu forcé la main pour y participer lorsqu’il a senti la situation désespérée, car un mystère règne encore sur ce qui, le 16 juin 1953, va éclater comme un coup de théâtre.
Le 6 juin, Pasche, Benassy, Lebovici, Diatkine et Cénac réclament le retrait du mandat présidentiel de Lacan, mais leur motion apparaît juridiquement irrecevable.
Au contraire, à la séance du 16, celle de Mme Codet doit être mise aux votes. Elle y dénonce le désaccord profond de l’assemblée avec son président et prie le vice-président d’assurer ses fonctions jusqu’à de prochaines élections du bureau. Tous les titulaires sont présents, sauf Laforgue et Hesnard.
Après un certain temps de discussions où, entre autres, Lagache en vient à se plaindre de Benassy, le procès-verbal de Marty énumère, comme un reportage, les moments décisifs de la rupture : “Lacan dit qu’il s’est présenté à la Présidence en janvier pour s’exposer au jugement de la Société, tant en ce qui concerne la valeur de son enseignement que pour ses opinions sur les statuts de l’Institut de Psychanalyse.
“Il ne conteste pas la légitimité d’un vote de confiance, mais souligne que ce qui lui a été reproché concerne davantage l’Institut que son activité de Président de la Société. Il pense qu’une phase de l’évolution de la Société se termine aujourd’hui et souligne qu’il n’y a pas d’obstacle statutaire à ce que le vote de confiance proposé par Mme Codet soit fait à mains levées, et demande qu’il soit ainsi procédé.
“Mme Bonaparte s’y oppose.
“Lagache déclare que la proposition d’un seul membre suffit à rendre obligatoire le vote à bulletin secret.
“Vote. – Le secrétaire indique par trois fois que le bulletin ” oui ” signifie l’approbation du texte proposé par Mme Codet.
Votants Oui Non Blanc Abstention
18 12 5 1 1 (Lacan)
“Lacan déclare qu’il donne sa démission de Président et se démet de sa fonction pour l’Institut – il quitte le bureau.
“Lagache est invité à prendre place à la présidence.
“Lagache, à la présidence, lit le troisième point de l’ordre du jour et la contestation juridique soulevée par le Bureau. Il déclare rentrer de plein (sic) pied dans l’illégalité. Cénac, dit-il, a employé le mot de malaise, il s’agit d’un malaise chronique dans une phase suraiguë qui entraîne la décision notifiée par un texte ainsi conçu :
“” Les Soussignés, Membres de la Société française de Psychanalyse, Groupe d’Etudes et de Recherches Freudiennes, donnent leur démission de la Société Psychanalytique de Paris.
” Paris, le 16 Juin 1953 “
signé : J. Favez-Boutonier
F. Dolto
D. Lagache. ”
“Lagache invite Mme Favez à distribuer à l’Assemblée une note ronéotée de trois pages écrite par cette dernière – (Pièce aux archives).
“Lagache invite Mâle (Membre assesseur) à prendre la présidence de l’Assemblée avant de quitter cette place, puis la salle, suivi de Mmes Favez, Dolto, et Reverchon-Jouve (cette dernière ayant signé entre-temps le texte de démission).
“Lacan, debout dans la salle, déclare à ce moment donner sa démission de la Société Psychanalytique de Paris.
“Mâle vient alors à la Présidence. Saisi par le caractère dramatique de cette séance, il propose de nommer le Doyen d’âge Parcheminey à la Présidence, en raison de l’autorité que lui confère son ancienneté.”
Georges Parcheminey – qui va mourir deux mois plus tard -, quatrième président de cette soirée mémorable, soulignera avant qu’elle ne s’achève que la démission de la Société détermine ipso facto celle de l’Institut.
Il ne songe pas à indiquer le plus important : elle entraîne également la radiation de l’I.P.A., conséquence à laquelle les scissionnaires n’ont apparemment pas paré, sans doute pour garder le secret absolu. Une telle imprudence témoigne bien du climat de passion aveugle dans lequel les derniers événements se sont déroulés ; de l’appui vital qu’ils ont également perdu en la personne de la princesse, car celle-ci, un soir de rage contre Nacht, aurait dit à Lacan avoir obtenu d’Anna Freud l’assurance d’une reconnaissance par l’I.P.A. si elle-même et ses amis faisaient scission.
Dès le 6 juillet, une lettre de Ruth Eissler, secrétaire du Comité exécutif de l’I.P.A. leur annonce leur exclusion des réunions du Congrès international de Londres où leur sort va être débattu, le 26 juillet. Malgré une tentative de Loewenstein, la Société française de Psychanalyse (SFP) n’est pas reconnue, à la demande de Hartmann, Marie Bonaparte, Nacht, Jones et surtout d’Anna Freud qui conclut que “leur statut est celui qu’ils ont créé eux-mêmes en démissionnant”.
C’est le début de dix années de démarches parfois humiliantes et de procédures tracassières qui, en fin de compte, aboutiront à une nouvelle scission tout aussi déchirante et passionnelle que la première.
10. La psychanalyse dans la société française
Hasard ironique de l’histoire, le 5 janvier 1953 avait eu lieu la première d’En attendant Godot, la pièce de Samuel Beckett…
Durant ce mois de juin houleux, le pape Pie XII, prononçant un discours devant les participants du Ve Congrès international de Psychothérapie et de Psychologie clinique, fait un pas vers la reconnaissance par les catholiques de l’intérêt de la psychanalyse, avec toutefois de sérieuses réserves : les processus psychiques décrits sont “dans l’âme mais non l’âme”, seule l’absolution possède un pouvoir sur “la culpabilité réelle”, la règle de l’association libre ne saurait délivrer du secret de la confession, etc. La presse titre alors, selon ses opinions : “Armistice entre Freud et le Vatican” (La Dépêche de Toulouse) ou : “Le pape s’élève contre les abus de la psychanalyse” (Le Figaro). Le R.P. Beirnaert, l’un des signataires de la “résolution des 5l” et l’un des premiers à s’être intégré dans la nouvelle SFP, cherche à démontrer dans ses commentaires qu’il n’y a pas incompatibilité entre pratique religieuse et cure analytique.
L’année précédente, pourtant, le R.P. Gemelli, psychologue, membre de l’Académie pontificale, avait été fort net : “La psychanalyse est une maladie de notre temps, comme le communisme [...]. Comme moyen curatif, [elle] n’est pas seulement une école d’irresponsabilité, mais aussi un instrument par lequel l’homme est déshumanisé [...]. Pour toutes ces raisons, le catholique ne peut adhérer à la doctrine psychanalytique ; il ne peut l’accepter, il ne peut se soumettre au traitement psychanalytique ; un catholique ne doit pas confier ses propres malades au traitement des psychanalystes. La psychanalyse est un danger, parce qu’elle est le fruit du grossier matérialisme de Freud.” Un article publié en 1953 par La Pensée catholique dénoncera encore : “Une collection de complexes ignominieux excogités par les racleurs de la poubelle psychique, voilà les aimables choses dont il devient courant de parler et écrire.”
Si les catholiques sont prévenus, les communistes ne le sont pas moins, et La Nouvelle Critique, en juin 1951, est allée bien loin dans l’odieux : “Idéaliste quant à la méthode, la psychanalyse rejoint la famille des idéologies fondées sur l’irrationnel, jusques et y compris l’idéologie nazie. Hitler ne faisait pas autre chose en cultivant les mythes de la race et du sang, forme nazie de l’irrationnel des instincts.” De leur côté, les militantes ont été prévenues, par la même revue, deux mois auparavant, de ce que la psychanalyse “est d’autant plus nocive qu’elle se présente à la femme comme une libération [...] ; l’érotisme y prend figure de phénomène scientifique et les mœurs anormales et dépravées y sont décrites en toute objectivité”.
Malgré ces barrages idéologiques, la pénétration du fait psychanalytique dans la société française ne cesse de s’affirmer, parfois sous des formes fantaisistes. “La psychanalyse épaule l’astrologie”, assure le journal Elle le 4 août 1952, tandis que Marie-France vante à ses lectrices les mérites d’une crème baptisée “Complexe”…
Plus sérieuse dans sa visée vulgarisatrice, la série d’articles de Jean Eparvier dans France-Soir, à l’automne 1952, tente de présenter au grand public les notions psychanalytiques auxquelles il est fait de plus en plus référence dans la vie quotidienne, les conversations, les livres et les spectacles.
En février 1953, Libération constate à regret : “La mode, c’est un fait, est à la psychanalyse [... qui] n’a cessé de progresser de façon fulgurante. Après les esthètes, les artistes, les femmes du monde, l’engouement a gagné la bourgeoisie et il n’est pas exclu que la psychanalyse (dirigée) ne concoure quelque jour au soutien du manœuvre léger en mal d’entrecôte.” Quant au sérieux Le Monde, sans se douter de l’importance que les rubriques psychanalytiques prendront dans ses colonnes lors des décennies suivantes, il ironise le 13 mars 1953 : “On savait que la psychanalyse était la tarte à la crème de notre temps. Vous balancez sur le choix d’un métier, d’une femme ou d’une cravate : psychanalyse [...] ; vous êtes doué, enfin, de toute évidence, d’une complexion à complexe : psychanalyse, vous dis-je, psychanalyse ! C’est la nouvelle clef des songes, la magie thérapeutique.”
Ne se croirait-on pas revenu en 1923 ? Non, à parler vrai, car, derrière cette surface, des changements sont perceptibles. Le pape a été entendu par ses fidèles et, en octobre 1955, les Informations catholiques internationales peuvent reconnaître : “Il en est de la psychanalyse comme de l’existentialisme et de la langue d’Esope ![...] de même que les évolutions athées de la philosophie existentialiste ne contredisent en rien la valeur et la qualité d’un existentialisme chrétien, on peut sans doute admettre aussi que les risques graves que comporte une conception psychanalytique de l’homme n’excluent pas un usage chrétien de la psychanalyse [...]. Tandis que l’autorité hiérarchique se montre soucieuse de mettre en garde les chrétiens contre des abus dangereux, il est clair en tout cas que cette mise en garde ne comporte aucune condamnation de principe des méthodes psychanalytiques.”
Du côté communiste, il faut attendre encore que le P.C.F. ait admis les révélations du rapport de Khrouchtchev au XXe Congrès du Parti communiste, en 1956, sur les crimes de Staline, puis que les chars russes aient, en novembre, écrasé l’insurrection de Budapest. Le virage s’effectuera à son tour, déjà amorcé dans La Raison en septembre 1957 à l’aide de distinguos presque aussi subtils que ceux des théologiens ou, jadis, d’Hesnard et Pichon. Il y est dit de faire la différence entre l’ “appareil conceptuel explicatif du freudisme”, son “extension à la sociologie, à l’histoire, à la philosophie” ou son “utilisation politique” et l’importance des faits découverts par Freud, “la gravité des problèmes posés, en particulier, par la détermination sociale du sexuel”. L’espoir est exprimé d’un “langage commun, enrichissant la clinique psychiatrique, qui ne peut valablement être que psychothérapique dans sa pratique, pour le plus grand bien de nos malades”.
11. La Société Française de Psychanalyse
“Songez à des parents qui divorcent”, avaient suggéré certains analystes à leurs patients désemparés après la scission… La déchirure est profonde, les amis d’hier ne se reverront plus. Malgré les mesures prises de part et d’autre, tel va quitter son contrôleur ou cesser de fréquenter le séminaire qui l’intéressait. Des didactiques s’interrompent.
Comme dans un divorce, on comptabilise. Non l’argent, dont il ne sera apparemment pas question, mais les analystes en formation. “Environ 25 sur 83″ restent à la SPP, écrit Lacan à Loewenstein qui, l’ayant répété devant les membres de l’I.P.A. au Congrès de Londres, se verra contredit par Nacht. En fait, il y a à peu près égalité de nombre, avec un léger avantage pour la nouvelle Société française de Psychanalyse. Sur la toute première liste que celle-ci publie, le 23 juin 1953, des noms apparaissent : Didier Anzieu, Jacques Caïn, Jean Clavreul, Wladimir Granoff, Serge Liebschutz (futur Serge Leclaire), Octave Mannoni, François Perrier, Jenny Roudinesco (future Jenny Aubry), Mustapha Safouan, et bien d’autres parmi ceux qui vont marquer la vie psychanalytique française par la suite.
Un vent de libéralisme souffle, dont témoigne le texte par lequel le Bureau provisoire annonce au public les objectifs de la Société : “Nous combattons pour la liberté de la science et pour l’humanisme. L’Humanisme est sans force s’il n’est pas militant.” Rien n’étant simple, cette conclusion s’est trouvée précédée d’une introduction que Daniel Lagache a voulue rassurante : “Par rapport à la SPP que nous venons de quitter, nous ne connaissons aucune différence de doctrine en ce qui concerne la théorie et la technique de la Psychanalyse [...]. En revanche, de profondes différences d’ordre moral nous séparent [...]. Notre but est de constituer une Société et un Institut dans un climat démocratique de liberté, de respect mutuel et d’entraide.”
En juin 1964, exactement onze ans plus tard, Jean Clavreul, soulignant que de profonds clivages étaient perceptibles dès la création de la SFP, critiquera le “vague” de ces déclarations préliminaires et l’absence qui s’y fait sentir d’une pensée organisée. Il commentera même ainsi l’annonce lénifiante de “conformité théorique et technique” : “Habileté politique sans doute et propre à ménager l’avenir. Mais c’est tout de même une bien curieuse façon pour une Société que d’annoncer sa position en disant que rien ou presque ne la distingue de la Société dont elle se sépare.” Il aura beau jeu de faire également remarquer : “Confusion dans sa formation, absence de ligne directrice, ce désordre était le même que celui qui apparaissait dans l’hétérogénéité des leaders. Car il n’y a vraiment pas grand-chose de commun entre un Lagache et un Lacan, entre une Juliette Favez et une Françoise Dolto. De même peut-on dire que les élèves se sont recrutés là au petit bonheur et la plupart du temps sans bien savoir pourquoi.”
En 1953, Jean Clavreul fait encore partie de ces élèves, et ce que chacun croit savoir, c’est qu’il a désormais la possibilité de s’inscrire aux séminaires ou aux cours de son choix, qu’aucun “cycle” ne l’astreint à un semblant de scolarité et qu’il peut adhérer à des “groupes d’études” plus ou moins spécialisés. Ceux-ci se verront représentés par un bureau qui participera même à des réunions dites “élargies” du Bureau des titulaires.
La première réunion scientifique de la SFP se déroule le 8 juillet 1953 dans le grand amphithéâtre de la Clinique des maladies mentales et de l’encéphale que le Pr Jean Delay dirige à Sainte-Anne. Ce lieu n’est pas sans importance tactique, puisqu’il place l’enseignement de la Société, et particulièrement celui de Lacan, sous la houlette de la Faculté de médecine. Dans sa lettre à Loewenstein, le 14 juillet suivant, Lacan précise : “Si l’on vous dit que pour autant nous représentons le clan des psychologues, n’en croyez rien : nous vous montrerons listes en main que nous avons parmi nos élèves plus de médecins que l’ancienne Société, et les plus qualifiés.” Pour l’heure, “devant une assistance de 63 personnes dont 45 nous ont déjà donné leur adhésion comme candidats à notre enseignement et à nos travaux”, il fait une communication sur “Le symbolique, l’imaginaire et le réel”. Notons toutefois la façon dont Lagache, présidant la séance, l’a présenté : “Nous avons demandé à notre ami Lacan de prendre la parole car chacun sait, malgré ses petits défauts, notre admiration et notre attachement pour lui…”
Daniel Lagache inaugure ses cours et ses séminaires à la Sorbonne, se rangeant sous la bannière de l’Université. Il n’apprécie guère Lacan, et personne n’ignore que ces sentiments sont réciproques, cependant ils vont faire front commun et contre mauvaise fortune bon cœur pendant les premières années d’espoir de la SFP. Avec la guerre d’usure menée par l’I.P.A. et soigneusement attisée par la SPP, le vernis de leurs relations craquera, mais on ne peut soupçonner Lagache d’avoir dans les débuts joué quelque double jeu vis-à-vis d’un Lacan qui l’accusera pourtant un jour de “forfaiture”. Ne lui attribue-t-il pas, dans ses commentaires sur la scission, le rôle de “bouc émissaire” ?
A Rome a lieu vers la fin du mois de septembre 1953 la XVIe Conférence des Psychanalystes de Langues romanes pour laquelle Jacques Lacan avait été désigné comme rapporteur l’an passé par la SPP. Celle-ci l’a remplacé : Francis Pasche, inaugurant le rôle qu’il tiendra désormais de porte-parole de l’orthodoxie freudienne, traite de “L’angoisse et la théorie freudienne des instincts” (“instinct”, comme “pulsion”, faut-il le rappeler, n’est pas un mot anodin dans les querelles théoriques) et Serge Lebovici présente avec René Diatkine une “Etude des fantasmes chez l’enfant”. Toutefois, le Pr Nicola Perrotti a maintenu l’invitation qui avait été lancée à Lacan, et l’on va ménager une journée de travail supplémentaire pour les récents inscrits de la SFP. Outre le rapport prévu, et commun aux deux sociétés rivales, d’Emilio Servadio sur le sujet, cruellement d’actualité, du “Rôle des conflits préœdipiens”, ils pourront entendre René Spitz venu d’Amérique, et surtout écouter Lacan une fois que “les autres”, Nacht en tête, auront quitté les lieux.
“Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse”, ce que l’on va surnommer « le discours de Rome » fera date en raison des circonstances historiques dans lesquelles il se trouve prononcé, certes, mais surtout de la netteté doctrinale qui s’y exprime. Rétrospectivement, il semble tenir lieu de programme ou de mot d’ordre proposé à la nouvelle Société, avec toutes les conséquences théoriques et techniques, sources de conflits, qui s’ensuivront : “Qu’elle se veuille agent de guérison, de formation ou de sondage, la psychanalyse n’a qu’un médium : la parole du patient [...]. Nous montrerons qu’il n’est pas de parole sans réponse, même si elle ne rencontre que le silence, pourvu qu’elle ait un auditeur, et que c’est là le cœur de sa fonction dans l’analyse.”
Ce rapport, qui fait donc grand bruit par les aperçus qu’il ouvre et les discussions passionnées qu’il suscite, paraît en 1955 dans le premier numéro de La Psychanalyse. Cette nouvelle revue de la SFP (dont le huitième et dernier numéro accompagnera en 1964 la scission) est publiée, comme la Revue française de psychanalyse, par les P.U.F. qui éditent par ailleurs la “Bibliothèque de Psychanalyse et de Psychologie clinique” que dirige Daniel Lagache et que reprendra un jour Jean Laplanche.
Tout aussi novatrice et audacieuse apparaît l’initiative de Lacan d’ouvrir au public son Séminaire dont les séances rituelles, chaque mercredi à 12h15, vont ponctuer pendant un quart de siècle la vie psychanalytique française. Pour la première fois un tel enseignement n’est pas réservé aux seuls analystes ou futurs psychanalystes, mais s’offre à tous, même non-analysés. Pour la première fois, Lacan y convie ses propres “psychanalysants”, pour reprendre le terme qu’il lancera avec succès le 9 octobre 1967, considérant bientôt qu’ils doivent y trouver le complément naturel de leurs séances d’analyse avec lui.
Dans le cadre du service du Pr Delay, il commence donc le 18 novembre 1953 son commentaire des “Ecrits techniques de Freud” (publié, grâce à Jacques-Alain Miller, vingt-deux ans plus tard), et assure chaque vendredi la traditionnelle “présentation de malade”, héritée de son maître Clérambault, devant un public ébloui.
Daniel Lagache, nommé en 1954 à la chaire de Psychopathologie pathologique de la Sorbonne, y dispense un enseignement consacré à “L’initiation à la psychanalyse” ou à la “Théorie du transfert”, plus classique et moins spectaculaire que le lacanien. Il est suivi en cela par Georges Favez qui forme à la technique psychanalytique les candidats admis aux cures contrôlées. Des “groupes d’études” se consacrent par ailleurs à la psychanalyse d’enfants, aux psychothérapies de groupe, aux psychoses.
Outre des conférences extraordinaires prononcées par des invités de marque – Georges Bataille, Jean Hyppolite, Claude Lévi-Strauss, Maurice Merleau-Ponty ou Jean Rostand –, des communications dues aux membres de la Société sont présentées et discutées mensuellement, tout au moins avant que les querelles de personnes n’en clairsement nettement l’assistance. S’y adjoindront encore des “journées provinciales” ou d’autres rencontres qui permettront des regroupements plus vastes, tel le Colloque international organisé à l’Abbaye de Royaumont du 10 au 12 juillet 1958. On y discutera un rapport de Lagache sur “Psychanalyse et structure de la personnalité” et un autre de Lacan sur “La direction de la cure et le principe de son pouvoir”.
Une journée psychiatrique organisée par Henri Ey, qui joue le rôle d’un “monsieur bons-offices” un peu ambigu entre les deux sociétés, réunit le 21 novembre 1954, autour du thème “Les Etats dépressifs”, des rapporteurs tels que Serge Lebovici ou Jean Mallet de la SPP et Julien Rouart, encore inscrit à l’époque à la SFP. Daniel Lagache, en tant que président du groupe de l’Evolution psychiatrique, préside la matinée de travail, tandis que Pierre Mâle dirige l’après-midi de discussions. Lors de celles-ci, interviennent Pierre Marty, Marie Bonaparte, Cyrille Koupernik, Henri Ey, Daniel Lagache, Paul-Claude Racamier, René Held et Jacques Lacan. Il y a “affrontement des divers points de vue”, écrit Pierre Marty qui se borne à espérer dans un bref compte rendu qu’ “en centrant davantage la discussion autour de cas cliniques [...], peut-être [cet affrontement] deviendra-t-il l’interpénétration souhaitable”.
Il n’en sera rien dans un proche avenir car les plaies de la rupture ne sont pas cicatrisées et le succès grandissant de l’enseignement de Lacan accentue l’écart qui sépare les psychanalystes français. Entre SPP et SFP, bien entendu, mais assez rapidement entre membres de la SFP elle-même. Il y a, et il y aura de plus en plus, les “lacaniens”, reconnaissables à certaines allures ou aux tics de langage qu’ils empruntent à leur maître, et les autres, qu’ils affectent d’ignorer. Lacan donne volontiers l’exemple d’une ironie féroce en fustigeant ses adversaires, mais ses élèves, répétant ses sarcasmes, en dirigeront bientôt les traits contre ceux qui, dans leur propre Société, ne se convertissent pas au message lacanien.
Celui-ci a pour thème, à l’occasion d’une conférence prononcée à la Clinique neuro-psychiatrique de Vienne, le 7 novembre 1955, “le retour à Freud”. Le succès de cette formule mobilisatrice sera prodigieux, mais encore dépassé par cette autre phrase, puisée dans la même conférence sur “La chose freudienne”, rapportant « ce mot de Freud à Jung de la bouche de qui je le tiens, quand invités tous deux de la Clark University, ils arrivèrent en vue du port de New York et de la célèbre statue éclairant l’univers : “Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste.” » Toute une imagerie romantique et révolutionnaire de la psychanalyse en naîtra, reprise et magnifiée après l’explosion de mai 68, assurant à Lacan, qui en devient le symbole, un succès politique incontestable.
A côté des aphorismes fameux, “L’inconscient est structuré comme un langage” ou “L’inconscient est le discours de l’Autre”, il est un autre trait lacanien qui fera en France son chemin. On l’attribuera rétroactivement à Freud qui n’avait pas sur ce problème une opinion si nettement exprimée, alors que Lacan en revendique très justement la paternité le 5 février 1957, à l’occasion d’une conférence de Georges Favez, en déclarant : “L’analyse thérapeutique a toujours quelque chose d’assez limité. La guérison y a tout de même toujours un caractère de bienfait de surcroît comme je l’ai dit au scandale de certaines oreilles.”
Avec le recul du temps, d’ailleurs, de nombreux propos de Lacan apparaissent obstinément destinés aux oreilles, qu’il veut et sait à l’affût, de ses amis de jadis, images souvent évoquées d’adversaires qui lui manquent et dès lors l’exaltent. Malgré leur affectation d’ignorance réciproque, bien des correspondances secrètes relient Lacan, Lagache, Nacht et Bouvet dans le souterrain des affinités déniées et des amours déçues.
12. L’Institut et le développement des activités scientifiques
Au lendemain de la scission, il a fallu regarnir les rangs de la SPP avec l’élection de nouveaux titulaires, Béla Grunberger en novembre 1953, puis Jean Favreau, Michel Fain et René Held au début de 1954, mais surtout assurer au litigieux Institut un démarrage dont beaucoup guettent les défaillances. Sacha Nacht en est le directeur et va le demeurer durant neuf ans, ce qui assure à sa politique une stabilité souhaitable et souhaitée après tant de tempêtes. Le programme a été modifié en fonction des défections et des récentes promotions, mais les principes en sont restés inchangés : trois cycles, des options facultatives et des conférences extraordinaires. En janvier 1954, « L’Institut de Psychanalyse annonce l’ouverture d’un Centre de Diagnostic et de Traitement psychanalytique réservé aux malades peu fortunés. Les conditions de traitement sont celles des consultations des hôpitaux publics ». Dirigé par Michel Cénac et René Diatkine, ce Centre s’intégrera bientôt dans le cadre des Dispensaires de l’Office Public de l’Hygiène sociale (OPHS) de la préfecture de la Seine, ce qui permettra d’y assurer des cures psychanalytiques gratuites et, quelques années plus tard, d’y faire travailler un certain nombre d’analystes non-médecins.
Le 1er juin 1954, aboutissement public de tant d’efforts et de luttes, a lieu l’inauguration officielle de l’Institut, avec son lot de discours aussi bourrés de sous-entendus que ceux de 1934. Après Pierre Mâle, président confirmé de la Société, Sacha Nacht prend la parole. On croit entendre à nouveau Edouard Pichon dans l’hymne entonné sur la Médecine. Les enseignants, “à une exception près” et l’on imagine le soubresaut de la princesse, sont tous, garantie suprême, “des médecins psychiatres, d’anciens internes, d’anciens chefs de clinique psychiatrique”, etc. L’ombre du Pr Claude est elle-même invoquée par une citation : “Nos élèves sont désormais initiés, non pas à la pratique, mais à une connaissance exacte de la doctrine freudienne.”
M. André Portal, directeur de cabinet présente les excuses d’André Marie, ministre de l’Education nationale, “appelé auprès du Président de la République” et désireux surtout “de rester étranger aux polémiques qui peuvent diviser des savants de la psychanalyse”.
Félicitations et bonnes paroles ministérielles suivent, sertissant une déclaration qui confirme les craintes de Nacht et semble justifier sa politique de rapprochement de l’I.P.A. dans l’évitement d’un statut officiel de la psychanalyse : “Il faut rappeler que les enseignements auxquels vous attachez du prix existent déjà à l’Université, et, en particulier, à la Faculté de Médecine de Paris [...]. On y montre les possibilités multiples de la médecine psychosomatique, on y applique les différentes méthodes d’exploration clinique de l’inconscient, on y enseigne aussi d’une manière à la fois théorique et pratique, la psychanalyse freudienne et on y dirige les analyses didactiques et les analyses sous contrôle qui préparent à l’exercice de la psychanalyse.”
Chacun comprend que l’Institut n’a pour rempart, face aux institutions françaises traditionnelles, que sa reconnaissance internationale. La princesse Marie Bonaparte ne manque pas de le rappeler, glissant, comme à l’accoutumée depuis la mort de Freud, l’allusion glorieuse qui fait autorité : “Elève moi-même de Freud, auprès de qui je passai tant de mois chaque année à Vienne…” Ernest Jones, ancien Président de l’I.P.A., venu spécialement de Londres, annonce tout net : “L’Institut que nous inaugurons aujourd’hui est le seul que l’I.P.A. reconnaît en France comme apte à donner l’enseignement nécessaire à la pratique de la psychanalyse.” Echec aux positions universitaires de la SFP, sans doute, mais encore faut-il le prouver et s’imposer.
Il va donc y avoir, durant toutes ces années, concurrence entre les sociétés, l’une et l’autre cherchant à s’implanter dans les domaines où la psychanalyse peut trouver place. Dans celui de la psychiatrie, l’expérience de l’Association de Santé Mentale du XIIIe arrondissement de Paris, créée par Philippe Paumelle, Serge Lebovici et René Diatkine en 1958, avec l’appui d’Henri Duchêne au sein de la préfecture de la Seine, va imposer la formation d’équipes médico-sociales “de secteur”, fortement colorées de psychanalyse, qu’il faudra donc organiser et encadrer. Une telle extension des pouvoirs des analystes dans le domaine de la prévention et des soins fera craindre un jour l’impérialisme du “psychanalysme”, pour reprendre l’expression de Robert Castel.
En ce qui concerne la psychanalyse d’enfant, ses représentants, du côté de la SPP, sont essentiellement Serge Lebovici, qui publie avec Joyce McDougall en 1960 Un cas de psychose infantile, ou René Diatkine, bientôt suivis de Roger Misès et Michel Soulé. C’est encore Pierre Mâle, auteur en l964 de Psychothérapie des adolescents, fruit de son expérience à l’hôpital Henri-Rousselle où il travaille avec Jean Favreau, puis Ilse Barande et Pierre Bourdier. Du côté SFP, tandis que Jenny Aubry offre aux analystes les possibilités de son service de l’hôpital des Enfants-Malades, la consultation à l’hôpital Trousseau de Françoise Dolto, qui a publié en 1961 Psychanalyse et pédiatrie, est un centre vivant d’enseignement. Maud Mannoni fait paraître en 1964 L’Enfant arriéré et sa mère et Victor Smirnoff, La Psychanalyse de l’enfant en 1966.
Les théories de Melanie Klein ont été assez mal reçues en France dans les premiers temps. Progressivement, un certain nombre d’analystes s’en réclameront, mais bien peu les utiliseront de façon privilégiée dans leur pratique. Il faudra en fait attendre 1965 pour que James Gamill, analyste américain formé à Londres par Melanie Klein elle-même, puis Jean et Florence Begoin, formés à Genève, en deviennent les porte-parole au sein de la SPP. En revanche, des contacts multipliés avec la Société anglaise permettront aux conceptions de Winnicott de devenir assez rapidement populaires dans les milieux analytiques français.
Très tôt, on l’a noté, l’intérêt s’est porté sur la médecine psychosomatique, mais les Français, refusant de suivre les traces des auteurs anglo-saxons, tentent dans ce domaine un abord original. Jean-Paul Valabréga fait paraître dès 1954 Les Théories psychosomatiques et, en 1962, La Relation thérapeutique, malade et médecin. Du côté de la SPP, l’équipe formée autour de Pierre Marty par Michel Fain, Michel de M’Uzan et Christian David, après de nombreuses publications, expose ses conceptions très personnelles en 1963 dans L’investigation psychosomatique.
Aux activités de psychodrame pratiquées par Serge Lebovici, Jean et Evelyne Kestemberg, puis Jean Gillibert ou Robert Barande, répondent celles de Didier Anzieu qui, avec Angelo Bejarano, René Kaës, André Missenard et Jean-Bertrand Pontalis, étudie également Le Travail psychanalytique dans les groupes (1972). Aux recherches sur les psychoses, illustrées en 1958 au Congrès des Psychanalystes de Langues romanes de Bruxelles par “La théorie psychanalytique du délire” – rapport de Sacha Nacht et de Paul-Claude Racamier, ce dernier poursuivant sa réflexion dans ce domaine avec Le Psychanalyste sans divan, paru en 1970 –,correspond un numéro spécial de La Psychanalyse, publié la même année, avec des contributions de Lacan – qui a consacré son Séminaire de 1955-1956 aux psychoses –, Jean-Louis Lang, Serge Leclaire, Michel Schweich, Guy Rosolato et Daniel Widlöcher.
On n’en finirait pas de relever ces correspondances, d’autant plus intéressantes à considérer que chaque clan affecte d’ignorer ce que l’autre produit, inaugurant une sorte d’ostracisme dans les références bibliographiques qui ne fera que se durcir avec le temps.
Ces remarques valent aussi en ce qui concerne la psychanalyse à proprement parler et ses champions dans les deux sociétés. Il en est un à la SPP auquel, derrière ses moqueries, Lacan accorde une certaine attention : Maurice Bouvet (1911-1960). C’est “un homme honnête et généreux”, écrit-il en 1953 à Loewenstein, sous la description anonyme de “tel qui nous était à l’origine fidèle et dévoué par les affinités mêmes d’une personnalité délicate mais qui, trop fragile physiquement, a fini par s’user, ne plus rien vouloir entendre des tensions qui le détérioraient”.
En effet, Maurice Bouvet est gravement malade mais, travailleur obstiné jusqu’aux abords de sa mort à quarante-huit ans, il représente l’unique théoricien capable de faire pendant aux hypothèses mobilisatrices de Lacan. Celui-ci maintient d’ailleurs avec lui, par travaux interposés, une sorte de dialogue perceptible aux concordances de dates et de thèmes. Lors de la XVe Conférence des Psychanalystes de Langues romanes, en 1952, Bouvet avait présenté un rapport sur “Le moi dans la névrose obsessionnelle. Relations d’objet et mécanismes de défense”. A Loewenstein encore, Lacan signale, en contraste avec le “manque d’éclat de Nacht”, qu’ “un certain nombre de personnalités nouvelles porteuses d’une expérience authentique et d’un véritable pouvoir d’expression” s’étaient révélées “au dernier Congrès”, puis confie : “Cette année a été particulièrement féconde, et je crois avoir fait faire un progrès authentique à la théorie et à la technique propres à la névrose obsessionnelle.” En 1954, Bouvet fait paraître dans L’Encyclopédie médico-chirurgicale un article sur “La cure type”. L’année suivante, Lacan y publie celui sur “Les variantes de la cure”. A son tour, Bouvet réplique lors du Congrès international, en 1957, à Paris, par un travail sur “Les variations de la technique (distance et variations)”. Si le Séminaire de Lacan de 1956-1957 est consacré à “La relation d’objet”, est-ce absolument sans lien avec le chapitre intitulé “La clinique psychanalytique. La relation d’objet” que Bouvet a rédigé pour La Psychanalyse d’aujourd’hui, ce livre-programme dont les deux volumes, parus au cours de cette année 1956, contiennent des contributions doctrinales des principaux membres de l’Institut ?
Edité aux P.U.F. sous la direction de Sacha Nacht, cet ouvrage inaugure une nouvelle collection nommée “L’actualité psychanalytique. Bibliothèque de l’Institut de psychanalyse”, destinée à compenser la perte de celle que conserve Lagache. De nombreux titres y sont prévus dont bien peu verront le jour, le grandiose projet d’un Traité de psychanalyse n’allant pas plus loin que son premier tome. N’importe, les P.U.F. maintiendront leur œcuménisme en accueillant à partir de 1973 une autre collection liée à la SPP, “Le Fil rouge”, dont la “section générale” dépendra de Christian David, Michel de M’Uzan et Serge Viderman et la “section de psychanalyse et de psychiatrie de l’enfant” de Julian de Ajuriaguerra, René Diatkine et Serge Lebovici.
En 1958, Nacht crée à l’Institut, en complément des cycles de formation, un Séminaire de perfectionnement, réservé aux psychanalystes habitant la province ou l’étranger, qui continue à se tenir annuellement. C’est que de tous côtés parviennent en effet candidats à une didactique et demandes de formation auxquels l’Institut se trouve, sur le plan international, le seul habilité à répondre.
Nombreux sont les titulaires qui prennent le train ou l’avion, certains mensuellement, d’autres moins fréquemment, pour assurer des cours et des contrôles en dehors de Paris ou des frontières françaises. Dans les grandes villes de province, les étudiants des deux sociétés tentent, chacun de son côté, de s’organiser. Si l’on trouve dans les archives de la SPP la trace d’un groupe de Strasbourg, dirigé par Juliette Favez-Boutonier en 1952, avant la scission, il faut attendre 1958 pour que voie le jour le Groupe lyonnais qui, formé au départ par Maurice Benassy, parviendra avec les travaux de Jean Bergeret, de Jacqueline Cosnier, puis de Jean Guillaumin, à occuper en France une place particulièrement importante.
La traditionnelle Conférence des Psychanalystes de Langues romanes, organisée par la SPP, a d’ailleurs dès 1954 ouvert les portes de son comité directeur aux représentants des Sociétés psychanalytiques belge, italienne et suisse. En 1958, ce sera le tour de la Société canadienne, car plusieurs de ses fondateurs ont été formés à Paris, où les élèves attachés à la francophonie viennent s’installer et travailler le temps de leur analyse didactique. Bientôt vont accéder au rang de Sociétés les petits groupes qui travaillent sous la conduite des titulaires parisiens, tel le Groupe d’étude luso-hispanique, régulièrement visité à Barcelone par René Diatkine et par Pierre Luquet à Lisbonne. Des contacts réguliers sont maintenus avec la Suisse entre autres par des séminaires de psychanalyse infantile qu’animent Diatkine, grand voyageur décidément, et Lebovici, qu’on retrouve également en Grèce en 1957, à Copenhague en 1958, etc.
Cette place particulière de la SPP au sein du mouvement international se traduit en outre dans le fait unique du choix, à trois reprises, de Paris pour accueillir le Congrès international de Psychanalyse, en 1938, 1957 et 1973. De même, la présence de Français au Conseil exécutif de l’I.P.A. (ce qui n’est pas sans conséquences sur les tribulations de la SFP), organisation dans laquelle les Anglo-Américains se trouvent largement majoritaires depuis la dernière guerre, confirme leur importance : Marie Bonaparte, vice-présidente après guerre, puis honoraire à partir de 1957, Sacha Nacht, vice-président de 1957 à 1969, André Green, vice-président de 1975 à 1977, Serge Lebovici, surtout, vice-président de 1967 à 1973, puis seul Français à avoir été élu président de l’I.P.A., de 1973 à 1977. Après la reconnaissance de l’A.P.F., Daniel Widlöcher occupera au sein du Bureau le poste de secrétaire général, de 1973 à 1977.
Quant à la Fédération européenne, fondée en 1969, la France y tient la place qui lui revient, mais il ne semble pas que les analystes français aient réellement investi cette organisation dont les travaux restent sans grand retentissement. Il faut noter toutefois que sa constitution a conduit la SPP à créer d’urgence une catégorie supplémentaire de “membres affiliés” afin de gonfler l’effectif de ses inscrits. En effet, le nombre de délégués représentant les diverses sociétés doit être proportionnel à celui de leurs membres. Cette dérogation à une politique plutôt malthusienne jusque-là aura des conséquences importantes, en donnant droit de présence et de parole aux réunions, lors des contestations de mai 1968, par exemple, à un certain nombre de jeunes analystes qui eussent été, autrement, laissés à leur état d’ex-étudiants sans statut véritable. Plus encore, cette augmentation numérique contraindra la Société, restée de structure un peu artisanale en 1967, à se transformer progressivement en une institution ayant pignon sur rue, avec toute la lourdeur administrative et bureaucratique que de tels changements ne manqueront pas d’entraîner.
Dans les années 50, les activités internationales essentiellement formatrices de la SPP représentent aussi une sorte de contrepoids à la séduction que l’enseignement de Lacan, dont l’originalité s’affirme année après année, exerce sur les milieux intellectuels et les jeunes psychiatres. La vogue grandissante du structuralisme dont il se réclame – un dessin humoristique célèbre de Maurice Henry va le représenter en pagne, à côté de “sauvages” où l’on reconnaît Michel Foucault, Claude Lévi-Strauss et Roland Barthes –, et les emprunts qu’il fait à la linguistique, alors parée d’une auréole scientifique au sein des empiriques sciences humaines, assurent son succès. Mais il n’y a pas que phénomène de mode : il oblige à repenser, à “remettre en question”, comme on dira bientôt, les pseudo-certitudes dont se parait un certain discours analytique français, même s’il éclipse un peu trop rapidement l’œuvre de Bouvet (dont le souvenir est toutefois perpétué par l’attribution annuelle d’un “Prix Maurice Bouvet de psychanalyse”, créé en 1962) ou les “perspectives génétiques” dont Jean et Evelyne Kestemberg présenteront une synthèse quasiment ultime en 1965. Cette même année, Paul Ricœur, publiant son travail très discuté, De l’interprétation, essai sur Freud, est proche de ce qui, dans la psychanalyse, attire philosophes et universitaires.
En octobre 1960, Henri Ey organise sur le thème de “L’inconscient” le VIe Colloque de Bonneval et tient la gageure d’y réunir, à côté de Jean Hyppolite, Maurice Merleau-Ponty, Eugène Minkowski, Henri Lefebvre, Paul Ricœur, Alphonse de Waelhens et de quelques psychiatres, les tenants des deux sociétés. Pour la SPP, Lebovici et Diatkine sont les aînés, la génération nouvelle étant représentée par André Green et Conrad Stein. Pour la SFP, Laplanche, Leclaire et Perrier. Mais Jacques Lacan apparaît et, fort désormais de son audience, contribue par ses interventions à l’égard de ses anciens collègues à “faire de ce Symposium un cirque”, comme le remarquera amèrement Henry Ey.
On peut observer toutefois que les analystes plus jeunes n’épousent pas vraiment les querelles du passé et tissent des liens d’estime et d’amitié d’une société à l’autre.
Conrad Stein, désireux d’échapper au dilemme Nacht-Lacan, créera même en 196l un séminaire hebdomadaire qu’il ne réservera pas aux seuls élèves ou membres de l’Institut. Parmi les premiers qui vont participer à cette initiative presque révolutionnaire alors, Nicolas Abraham, Julien Bigras, Janine Chasseguet-Smirgel, Jean-Luc Donnet, Dominique Geahchan, Joyce McDougall, René Major, Michel Neyraut, Lucien Sebag, Maria Torok, etc. Bien plus, Stein fondera avec Piera Aulagnier et Jean Clavreul en 1967 une revue, L’Inconscient, ce qui leur vaudra à tous trois la réprobation de Lacan.
Quelques années plus tôt, au contraire, Lacan cherche à attirer les jeunes analystes de la SPP dont il a senti les qualités, et se réjouit de les voir assister à son Séminaire ou, comme André Green, commenter et argumenter ses théories. Sans avoir atteint la vogue qu’il attend, il étend son influence, au grand dam de certains à la SFP. Il bouscule les règles établies, invente avec des bouts de papier ou de ficelle des tours que l’on répète fébrilement dans les salles de garde, il sait à la fois mettre les rieurs de son côté et stimuler la réflexion. Mais ses pratiques didactiques expéditives multiplient à la SFP le nombre de ses élèves comme ses leçons publiques renforcent sa puissance.
Il menace de devenir un Etat dans l’Etat et seul le recours à l’I.P.A. peut éviter l’asphyxie, pensent ceux qui, fidèles à l’image idéale des débuts de la SFP, ne veulent pas davantage retomber sous la tyrannie présumée de Nacht que se soumettre au fait du prince que Lacan tend de plus en plus à instaurer dans son rapport à l’analyse.
13. Le destin de la SFP
“On ne voit pas pourquoi, au prochain Congrès de Londres, elle [la SFP] ne serait pas reconnue par l’Association Internationale de Psychanalyse”, avait assuré Daniel Lagache au lendemain de la scission, le 18 juin 1953, avec un optimisme rapidement démenti par l’annonce de son exclusion personnelle et de la non-reconnaissance de son groupe lors du Congrès de Londres le 26 juillet suivant.
Un Comité de cinq membres, parmi lesquels Phylis Greenacre, Jeanne Lampl de Groot et Donald W. Winnicott, se verra toutefois désigné par l’Exécutif central que préside alors Heinz Hartmann pour “établir les faits et présenter un rapport”. Dès la rentrée de 1953, il se met au travail. Lagache a rédigé un mémorandum en juillet tandis qu’un rapport établi par Schlumberger, Benassy et Marty donne la version SPP de la scission. Les membres de la SFP craignent le peu de pouvoir accordé au Comité au regard de l’hostilité de la princesse qui, vice-présidente et amie d’Anna Freud, siège à l’exécutif, mais ils acceptent néanmoins de se soumettre à une enquête dont Wladimir Granoff rappelle : “Dans cette série d’entretiens, il s’effectua une répartition dynamique équitable, c’est-à-dire qu’aux plus durs, si je puis dire, à Mme Lampl de Groot en particulier, émanation directe du pouvoir central, fut dévolu le soin d’interroger les têtes dures ; avant tout, les meneurs de la rébellion, au niveau qu’on disait à ce moment-là estudiantin.”
Le résultat de ces interrogatoires va se révéler défavorable à la SFP et, dès le mois de mai 1954, la Revue française de psychanalyse peut publier la nouvelle, répétée d’ailleurs en juin, lors de l’inauguration de l’Institut, puis en juillet : “Le Bureau de l’A.P.I. a refusé à l’unanimité cette affiliation. Seul l’enseignement de l’Institut de Psychanalyse, formé sous l’égide de la SPP, est reconnu comme valable par l’A.P.I.”
Un vote des membres de l’I.P.A. réunis en séance plénière administrative lors d’un congrès international est statutairement indispensable pour l’admission d’une nouvelle société composante. D’une ville à l’autre et de congrès en congrès, c’est donc tous les deux ans seulement, pendant douze années, que la SFP va espérer son affiliation. Le refus de la Commission de 1954 sera ainsi entériné l’année suivante, au XIXe Congrès international de Genève “du fait de l’insuffisance de la formation et des capacités d’enseignement du groupe”. Les membres de la SFP ne jugeront pas opportun de renouveler leur demande à l’occasion du XXe Congrès qui se déroule précisément à Paris, organisé par Nacht, à la fin du mois de juillet 1957, et va voir son élection à la vice-présidence de l’I.P.A. Rien d’officiel, en fait, n’apparaît avant le 11 mai 1959 où l’on apprend que “le principe d’une nouvelle demande d’affiliation a été pris à l’unanimité au cours de la réunion du Bureau élargi” de la SFP, décision suivie de la constitution d’un mémoire détaillé rédigé par Serge Leclaire, secrétaire de la Société, et adressé à l’I.P.A. le 4 juillet, au nom du président qui est alors Angelo Hesnard, par Daniel Lagache, vice-président.
“15 titulaires (dont 13 médecins), 17 associés (dont 11 médecins)… 28 élèves admis à une didactique (20 médecins-8 non-médecins)… 22 refusés (7 médecins-15 non-médecins), 15 admis aux cures contrôlées (13 médecins-2 non-médecins)”, un enseignement “dispensé pour une grande part dans le cadre de la Clinique des Maladies Mentales et de l’Encéphale”, rien n’est négligé pour rassurer les Américains, farouches partisans d’une psychanalyse exclusivement médicale, et pour se montrer au moins aussi “orthodoxe” sur ce point que la SPP. Hélas, le 28 juillet 1959, le Dr W. H. Gillespie, présidant à Copenhague la séance fatidique du congrès, ne s’estime pas convaincu. Il propose la nomination d’un nouveau Comité afin d’enquêter sur place, comme six ans auparavant, avant toute éventuelle reconnaissance.
Le 1er décembre suivant, une assemblée générale de la SFP approuve les démarches entreprises en vue de l’affiliation, malgré la perspective d’interrogatoires dont on imagine les répercussions qu’ils peuvent avoir sur les analyses en cours, malgré la nécessité d’extorquer à Lacan de nouvelles promesses pour qu’il applique enfin ces normes internationales avec lesquelles il joue, et se joue de tous, depuis huit ans. Il est vrai que cette approbation n’a pas été donnée sans de sérieuses motivations. Passé le temps euphorique de “la liberté”, la SFP a senti grandir en elle ces tensions internes et ces clivages dont Serge Leclaire, avant même Clavreul, a souligné l’origine précoce. Un Colloque international, rassemblé à Royaumont en juillet 1958, a montré le relatif exil dans lequel se trouvent parqués ses membres, même si des témoignages amicaux leur parviennent de l’étranger à titre privé. On voudrait pouvoir discuter avec d’autres collègues des théories anglo-saxonnes nouvelles qui agitent le monde psychanalytique et ne se bornent pas à cette egopsychology de Hartmann, Kris et Loewenstein qui indigne tant Lacan. De plus, tout un groupe, autour de Lagache, se considère abusivement envahi par la notoriété grandissante de Lacan. Sa doctrine tend à s’imposer dans le public comme représentative de la pensée de la Société entière. Or, il n’en est rien, on le sait. Le recrutement des élèves en subit les conséquences, beaucoup se présentant parce que l’enseignement de Lacan les attire, exclusivement. Parmi ceux qui en sont les auditeurs fidèles, certains, tel Leclaire, estiment dommage qu’il n’ait pas sa juste place à l’intérieur d’une Association internationale qu’il ferait bouger de ses positions, jugées sclérosées, et qui lui assurerait à l’échelle mondiale une tribune méritée à leurs yeux.
Sur ce point, Lacan est d’ailleurs entièrement d’accord, car on oublie souvent, tant est restée vivace la trace de ses railleries anti-américaines, qu’il s’est montré depuis le début des tractations très désireux de voir aboutir la demande d’affiliation de la SFP. Il s’est rendu à plusieurs congrès internationaux, bien présent en coulisse, multipliant les contacts personnels avec les membres influents de l’I.P.A. A Paris, c’est selon son désir que les “lacaniens” du Bureau négocient avec le Central exécutif.
Pour un moment, les partisans de l’introduction de ce “cheval de Troie” au sein de l’I.P.A. et ceux qui espèrent trouver à l’extérieur de la Société une alternative théorique et institutionnelle à l’exclusivisme lacanien, vont unir leurs efforts. Ils sont symbolisés au bureau de la SFP par ce que l’on a surnommé “la troïka”, formée de Wladimir Granoff, Serge Leclaire et François Perrier, “tentative courageuse et désespérée pour marier l’eau avec le feu, pour permettre à la SFP de vivre, alors qu’elle était atteinte dès le départ d’un mal incurable”, écrira Jean Clavreul en l964. Il n’indique toutefois pas qu’à cette “troïka” s’adjoignent parfois, pour former le “soviet”, trois délégués des étudiants, Jean Laplanche, Victor Smirnoff et Jean-Paul Valabréga, tous bien proches de Lacan.
Comprenant Paula Heimann, Ilse Helman, P. J. Van der Leeuw, le petit comité désigné à Copenhague se donne pour secrétaire le Dr Pierre Turquet. Celui-ci, que Lacan saluait à son retour d’Angleterre en 1945 comme “le psychanalyste qui est mon ami Turquet”, et qu’il désignera en 1967 comme le “nommé dindon (en anglais) dont il m’a fallu supporter en juillet 62 les propositions malpropres”, prend un premier contact avec les membres de la SFP au mois de juin 1960. Des négociations s’engagent, ce qui explique peut-être en partie les attitudes plutôt provocantes de Jacques Lacan à l’égard des titulaires de la SPP présents au Colloque de Bonneval, en octobre. Serge Lebovici, surtout, désigné comme l’ennemi le plus virulent de la SFP au sein de l’I.P.A. depuis l’effacement de la princesse.
En mai 1961, la situation paraît se détendre et quelques négociateurs aménagent dans les coulisses du XXIIe Congrès international d’Edimbourg les bases d’un accord : la SFP retire sa candidature de société constituante et accepte le rang plus modeste de “Groupe d’étude sous le parrainage de l’I.P.A., par l’entremise d’un Comité ad hoc”, formé des membres du comité précédent auxquels est adjoint Wilhelm Solms, analyste viennois, vite désigné à la SFP comme l’homme de main de Lebovici. Ce comité de parrainage devra veiller particulièrement aux problèmes de la formation et à la bonne application de “Recommandations” très précises qui sont alors acceptées par les représentants officiels de la SFP Comme les statuts exigent pour tout Groupe d’étude qu’au moins trois membres de l’I.P.A. en fassent partie, le statut de membre “at large” (directement rattaché, à titre personnel) est accordé à Daniel Lagache, Juliette Favez-Boutonier et Serge Leclaire, le 2 août 1961.
Ces Recommandations portent essentiellement sur la formation des candidats. De même qu’en 1953, la pratique de Lacan dans ses analyses didactiques ne peut être admise par les instances internationales qui rappellent : au minimum quatre séances de quarante-cinq minutes, prolongation de la cure plus d’un an après le début du premier cas de contrôle, etc. Par ailleurs, l’élaboration d’un programme d’enseignement plus strict est réclamée, comme est soulignée la nécessité d’une grande circonspection en ce qui concerne l’éventuelle formation de candidats venant de l’étranger, pour ne pas faire double emploi avec les sociétés locales.
Bref, tout ce qui peut aller à l’encontre des façons d’agir de Lacan a été mis en batterie, assorti d’un renforcement des pouvoirs de la Commission des études dont la composition bigarrée garantit la non-allégeance. Les négociateurs de la SFP ont dû accepter que Hesnard et Laforgue soient tenus à l’écart de la formation, du fait de leur pratique très personnelle. Mais, lors de l’escale sur l’aérodrome de Londres, à ce qu’ils disent, on leur apprend l’existence d’une Recommandation supplémentaire dont ils ne se doutaient pas. Elle porte le numéro 13 et stipule : “Que les docteurs Dolto et Lacan prennent progressivement leurs distances d’avec le programme de formation et qu’on ne leur adresse pas de nouveaux cas d’analyse didactique ou de contrôle.” Cette fois-ci, les choses sont claires et les noms prononcés. A chacun de se déterminer. Le 28 septembre, la présidente de la Société, Juliette Favez-Boutonier, “regrette que les Recommandations ne se bornent pas à énoncer des principes et mettent en cause directement des personnes” et conclut : “L’article 13 ne nous paraît pas acceptable.”
Tout va cependant concourir à le faire accepter. Le temps qui passe, les passions qui s’échauffent, les trahisons dont on s’accuse. La “surprise” de l’aérodrome ne peut en être vraiment une : personne n’ignore que Lacan est visé, et pas seulement par les membres du Comité exécutif de l’I.P.A. Les plus favorables, tel Serge Leclaire, souhaitent conserver son enseignement et sa liberté de parole, mais ils ne se font pas d’illusions : il va falloir le contrôler et réduire le plus possible son activité didactique. Sera-ce possible avec son accord ? Les négociations reprennent et dureront deux ans, avec promesses de Lacan, non tenues, bien sûr, puis colères, amabilités, injures, rapprochements, ruptures. Pendant ce temps, l’audience du Séminaire du mercredi s’accroît, chaque semaine gagnée fait des adeptes de plus.
Au début de 1962, les gestes symboliques, comme l’élection de Lacan à la présidence de la Société, avec Françoise Dolto, vice-présidente, flanqués de Lagache et de “la troïka”, n’empêchent pas les réalités politiques. Serge Leclaire, secrétaire général, écrit le 2l mars à Françoise Dolto : “Je me permets de vous redire en toute simplicité que nous ne souhaitons pas que vous preniez pour l’instant la charge de nouvelles didactiques.” L’application d’au moins une moitié de “l’article 13″ est en marche…
L’année 1962 n’étant celle d’aucun congrès international, rien de bien net n’émerge des tractations souterraines, sinon, en juillet, des “rumeurs insistantes” selon lesquelles le statut obtenu à Edimbourg se verrait remis en question. Pourquoi d’ailleurs ne le serait-il pas, puisque les Recommandations sont en fait pratiquement restées lettre morte ? Ces inquiétudes ne sont-elles pas également liées à l’élection, en février, de “l’ennemi mortel” Serge Lebovici, au poste de directeur de l’Institut, après la difficile éviction de Sacha Nacht, qui, au bout de neuf ans, voulait encore se maintenir à ce poste ?
Le 6 janvier 1963, le Comité Conseil de l’I.P.A. se réunit avec les membres de la SFP et sa pression doit se faire plus rude puisque le 2l janvier une motion du Bureau de la Société “affirme que ne saurait être envisagée pour quelque raison d’ordre politique que ce soit la mise en position d’exclusion de l’un des membres fondateurs de la Société”. Serge Leclaire est alors président, mais une affirmation si solennelle a des airs de dénégation. Dans dix mois, tout sera liquidé.
Le 19 mai 1963, Pierre Turquet expose oralement aux organismes directeurs de la SFP les grandes lignes du rapport que le Comité Conseil compte remettre à l’Exécutif central à l’occasion du prochain Congrès de Stockholm. François Perrier en note des extraits dont la diffusion à l’ensemble des membres de la Société, au mois de novembre suivant, provoquera remous et indignations. Pour le moment, y est-il dit, “ce qui domine aux yeux du Comité Conseil, c’est le problème Lacan. C’est un problème qui déborde même les affaires intérieures de la SFP pour retrouver la question du développement de la psychanalyse en France. Le fait que Lacan soit inacceptable pour l’I.P.A. ne semble pas avoir été bien saisi par le Bureau de la SFP. Il convient de savoir qu’il doit être exclu de toute activité concernant l’enseignement et ce, pour toujours [...]. Il est très douteux que la majorité de ses élèves soit analysée. Il joue à tort et à travers avec l’analyse du transfert. Il le manipule.” D’autres griefs suivent. On étudie Freud comme des clercs du Moyen Age, on néglige les travaux de la psychanalyse contemporaine, le transfert négatif est ignoré, le théorique prime sur le vécu, on ne parle pas du fantasme ; quant à la psychanalyse d’enfant, tout est à revoir, et cela d’ailleurs dans les deux Sociétés, etc. Conclusion : “Exclure Berge, Lacan, Dolto de la liste des didacticiens” et que Lacan “travaille en paix et à sa manière comme simple membre de la Société”. André Berge sera indigné lorsqu’il apprendra quelques mois plus tard cette demande d’exclusion qu’il attribuera, après courrier avec Turquet, à Serge Leclaire. Celui-ci aurait-il voulu offrir une victime de plus pour faire écran au sacrifice de Lacan ?
Une assemblée générale de la SFP, le 2 juillet 1963, réunit les membres et, pour la première fois, les stagiaires qui, statutairement, n’y avaient jamais participé mais dont une grande partie, pro-lacanienne, colore différemment interventions et débats. Serge Leclaire rappelle à tous l’histoire et les principes de la Société : style de relative liberté, libre choix de l’analyste, du contrôleur, des cours ou des séminaires. “Il n’y a jamais eu d’assistance obligatoire, d’examen de contrôle. Il n’y a jamais eu de pointage à l’entrée.” Encore que ces pratiques, déjà à l’époque, y aient bien perdu de leur virulence, c’est l’image de l’Institut qui est ici évoquée. Mais cette liberté comporte ses inconvénients avec “la création de cercles fermés à l’intérieur de la Société”, la fabrication d’ “élèves qui ont une formation très univoque”. “On entend certaines fois, sur le mode plaisant assurément, formuler par tel tenant d’un petit cercle que ce qui se passe dans tel autre cercle “de toute façon ça n’a aucun intérêt, voire même que ça n’est pas de l’analyse.” Quant aux séances de la Société où pourraient et devraient se réunir les tendances opposées, elles n’attirent guère les conférenciers ni les auditeurs. Bien que les négociations soient au bord de la rupture, il faut, dit Leclaire, “maintenir et soutenir la demande d’affiliation à l’A.P.I., restaurer et développer les échanges avec le Mouvement Psychanalytique”.
Une motion en ce sens, votée par 17 voix contre 4 et 1 bulletin nul (soit la moitié seulement des membres de la SFP) au terme d’une longue discussion, n’est encore qu’une de ces manœuvres temporisatrices où chacun réfugie ses incertitudes et sa mauvaise conscience. Peut-on vraiment rayer Lacan d’un trait de plume ? Pourquoi n’accepte-t-il aucune concession ? Comment le faire plier ?
Le 14 juillet, quelques-uns se décident : Piera Aulagnier (qui ne tardera pas à se désolidariser de cette action), Jean-Louis Lang, Jean Laplanche, Jean-Bertrand Lefèvre-Pontalis, Victor Smirnoff et Daniel Widlöcher. Ils publient une motion, dite “des motionnaires”, qui met en accusation la laxité de la commission des études face aux normes de formation exigées et réclame leur application pour sauvegarder l’actuel statut de Groupe d’étude accordé par l’I.P.A. Un espoir anime certains d’entre eux à cette époque, et c’est peut-être la raison de la présence temporaire de Piera Aulagnier : cette ferme prise de position ne va-t-elle pas impressionner davantage Lacan que le jeu ambigu de Leclaire ? Le décider à négocier ?
En fait leurs motivations sont complexes, à la limite du contradictoire : analysés ou élèves de Lacan, ils veulent obtenir l’affiliation de la SFP avec Lacan en son sein, tout en constatant, pour reprendre une remarque de Jean Laplanche, qu’il y a “incompatibilité entre le fonctionnement d’une Société d’analystes et le maintien tel quel de la position de Lacan dans notre groupe”. Mais Lacan se sait en position de force, menace ceux qui ourdissent son exclusion ou promet appui et prestige à qui le soutient, avec cette même alternance de charme et de violentes colères qu’on lui avait connue deux ans auparavant. De nouveau, la rumeur de sa dépression, voire de son imminent suicide, se met à circuler. On ne peut négliger le fait que nombre de ses analysés se trouvent désormais en position de “Brutus”, ce qu’on ne manque d’ailleurs pas de leur rappeler, comme s’ils pouvaient l’oublier, eux qui, lorsqu’on les interroge, revivent ces moments avec tant d’intensité, vingt ans après.
Wladimir Granoff n’est pas de ceux-là : son ancien analyste, Marc Schlumberger, grand ami autrefois de Françoise Dolto et de Juliette Favez, est cependant resté lors de la première scission au sein de la SPP qu’il a même présidée durant deux ans. Diplomate discret, s’enveloppant volontiers de secret et de sous-entendus, Granoff s’exhibe peu durant ces années et laisse le devant de la scène à ses deux partenaires de “la troïka”. Mais il ne demeure pas inactif pour autant, écrivant volontiers aux uns et aux autres ce qu’il pense de la situation. S’il se trouve marqué par l’enseignement de Lacan, il ne lui est pas transférentiellement lié, et tout le pousse à jouer la carte internationale.
Lors de la séance administrative du XXIIIe Congrès qui se tient à Stockholm en juillet 1963, Granoff se voit nommé, sur proposition du Comité Conseil, quatrième “Member at large” de l’I.P.A. Contrairement aux prévisions pessimistes de Leclaire en juillet, le Conseil exécutif décide également de maintenir le statut de “Study Group” de la SFP. Une directive (“Minute”, dans le texte original) en neuf points, très nette, conditionne toutefois cette prolongation : “Le Dr Lacan n’est plus désormais reconnu comme analyste didacticien. Cette notification devra être effective le 31 octobre 1963 au plus tard. Tous les candidats en formation avec le Dr Lacan sont priés d’informer la Commission des études s’ils désirent ou non poursuivre leur formation, étant entendu qu’il sera exigé d’eux une tranche supplémentaire d’analyse didactique avec un analyste agréé par la Commission des études. Cette notification devra être effective le 3l décembre 1963 au plus tard.”
C’est un ultimatum. Brutal, aussi peu admissible dans son exigence que les “candidats” interrompent leur analyse en cours, que les ruses et les manœuvres dilatoires de Lacan qui l’ont provoqué. Tout va désormais se dérouler très vite, et, de nouveau, tant pis pour les élèves que les uns et les autres ont entraînés dans une aventure qui n’a plus de psychanalytique que le nom.
Le dimanche 13 octobre 1963, deux réunions importantes se tiennent. L’une, à la demande des “motionnaires” (sauf Piera Aulagnier), pour faire savoir à Pierre Turquet leur existence, leur analyse de la situation et envisager avec lui les possibilités d’action. Serge Leclaire est indigné de ce que le secrétaire du Comité Conseil ait accepté une invitation privée, hors Société, mais il ne peut l’empêcher. Quant à l’autre groupement, il comprend Juliette Favez-Boutonier, Daniel Lagache, Wladimir Granoff et Georges Favez qui rédigent, afin de la présenter le lendemain à la Commission des études où elle sera votée, la motion suivante : “Le Dr J. Lacan ne figure plus sur la liste des membres titulaires habilités à l’analyse didactique et aux contrôles à dater de ce jour.” Le Rubicon est franchi…
Lors des Journées d’automne de la SFP, une semaine plus tard, l’atmosphère sera particulièrement amère et la scission présente à tous les esprits. Serge Leclaire a convoqué une assemblée générale le 10 novembre pour y présenter, pense-t-il, la démission collective d’un Bureau désormais scindé en deux. Il décide finalement de la consacrer à une ultime tentative de réflexion et de discussion, mais les jeux sont faits. Dès le lendemain, il publie la “décision” du Bureau de “faire en sorte que ne soit pas appliquée la motion de la Commission des études du 14 octobre”. Simple “décision”, ce texte est une sorte de motion de confiance et devra donc être approuvé par une nouvelle assemblée générale, processus en deux temps qui rappelle celui de la motion de Mme Codet, dix ans auparavant
Le 19 novembre 1963, l’assemblée générale désapprouve la “décision” par 27 voix contre 16 et l bulletin blanc. Ce soir-là, tous les membres ont voté. Le président, Serge Leclaire, Françoise Dolto, vice-présidente, et François Perrier, secrétaire scientifique, démissionnent immédiatement.
Le lendemain, 20 novembre, dans l’amphithéâtre du service du Pr Delay, Jacques Lacan tient son Séminaire. Il l’entame par ces mots : ”Je n’ai pas l’intention de me livrer à aucun jeu qui ressemble à un coup de théâtre. Je n’attendrai pas la fin de ce séminaire pour vous dire que celui-ci sera le dernier que je ferai [...]. Je demande qu’on garde le silence absolu pendant cette séance.” Ce séminaire, dit “Des noms-du-père” sera effectivement l’unique sur ce thème, et le dernier se déroulant à Sainte-Anne, car le Pr Delay profite de la circonstance pour ne pas lui accorder plus longtemps l’hospitalité.
“Trouver dans l’impasse même d’une situation la force vive de l’intervention…”, le vieux mot d’ordre de 1945 garde son efficacité. Deux mois après cet adieu et ce bannissement, c’est à l’Ecole Normale Supérieure que Lacan, revenu sur sa décision, reprend le 15 janvier 1964 son Séminaire sur le thème nouveau des “Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse”. Pour la première fois, il s’éloigne des structures institutionnelles au sein desquelles il avait jusqu’alors dispensé son enseignement pour entrer dans le siècle et se ranger du côté des philosophes. Son discours, s’adressant de plus en plus à des non-analystes, va privilégier une théorisation destinée aux intellectuels qui lui assureront une répercussion culturelle considérable. Quant à “la clinique”, elle y paraîtra secondaire, essentiellement représentée par les allusions qu’il multiplie aux sottises que disent les autres, d’après lui, sous cette rubrique, présente toutefois dans la salle, en la personne de ses analysants. Peu à peu, le mythe de “l’analyse avec Lacan” fera de cette épreuve initiatique la garantie et le brevet d’une qualification pratique et théorique sans égale, et, bien des années plus tard, l’influence des non-analystes s’étant révélée prépondérante, l’accent mis sur la pure théorie placera presque la cure analytique en position de formation “de surcroît”.
14. L’éclatement de la SFP et la naissance de l’APF
À la fin de l’année 1963 certains n’imaginent pas cet avenir et croient pouvoir encore sauver la moribonde SFP C’est le cas de Juliette Favez-Boutonier qui, après la démission du Bureau désavoué de Leclaire, accepte d’en reprendre la présidence, avec Berge et Lagache comme vice-présidents, Granoff comme secrétaire général, Lang comme secrétaire scientifique et Didier Anzieu comme trésorier. Elle aime cette Société dont elle a peut-être été la plus ardente fondatrice en quittant une SPP dont elle supportait mal le fonctionnement, la composition et les prises de position. Elle espère arranger les choses. Certes, Leclaire et Perrier ont annulé les réunions dont ils avaient la charge, son ancienne amie Françoise Dolto a demandé à ne plus figurer sur le programme de l’enseignement et Maud Mannoni a décommandé sa conférence du 3 décembre, mais la partie ne lui paraît pas encore perdue.
Après tout, Lacan n’est pas exclu, son Séminaire n’est pas en cause et il n’a pas démissionné. S’il pouvait, comme l’escomptait Leclaire, accepter de renoncer aux didactiques pour se consacrer au seul enseignement magistral, le temps que tout se tasse… Une ultime tentative de négociation secrète est alors confiée à Daniel Widlöcher qui affronte son ancien analyste, tout sourire au début, puis attristé : “Me faire ça au moment même où je vais rendre publique la théorie de mes attitudes techniques…”, cassant et menaçant enfin, assuré qu’il se sent d’un succès dont il perçoit la rumeur grandissante.
D’autres parlent ou écrivent à sa place. Un nouveau pion s’avance sur l’échiquier, poussé par Jean Clavreul. Il a nom Groupe d’étude de la Psychanalyse (G.E.P.) et pour but de regrouper dès le mois de décembre 1963 ceux qui sont désireux de poursuivre “un travail strictement psychanalytique”. Il faut entendre : les lacaniens.
Sa création tient lieu de déclaration de guerre au Bureau de la SFP qui réagit en dénonçant “l’embryon de Société” et “la concurrence” qui est ainsi organisée sous son sigle et en son sein. Autre riposte : le rejet, le 14 février 1964, de la candidature de Jean Clavreul au titulariat “en raison de [ses] activités au G.E.P. que le Bureau estime contraires aux statuts de la Société”. Contre-attaque, enfin : ce même mois de février, le Bureau “élargi” fait un voyage à Londres pour y discuter auprès des responsables de l’I.P.A. des conditions nouvelles qui règnent dans la Société et des moyens d’y parer.
Une solution s’élabore, que Maxwell Gitelson, président de l’I.P.A., télégraphiera le 11 mai à Wladimir Granoff : l’Association internationale retire son label de Groupe d’étude à la SFP, ce qui peut se faire par simple décision du Central exécutif et ne nécessite pas une “séance plénière administrative”, et l’accorde à un nouveau “French Study Group” directement placé sous son contrôle. Daniel Lagache et Pierre Turquet auront copie de la lettre de confirmation que reçoit Granoff le lendemain. Se trouvent reconnus désormais Anzieu, Berge, Georges et Juliette Favez, Granoff, Lagache, Lang, Laurin, Mauco et Pujol. Parmi les seize membres associés reconnus, Jacques Caïn, Marianne Lagache, Jean Laplanche, Jean-Claude Lavie, Jean-Bertrand Lefèvre-Pontalis, Michel et Jacqueline Schweich, Victor Smirnoff et Daniel Widlöcher.
La nouvelle ne sera officiellement divulguée que le 9 juin à l’assemblée générale d’une SFP qui n’a plus aucune raison d’être. Lagache démissionne de ses fonctions de vice-président pour présider dorénavant le nouveau groupe, tandis que Widlöcher lance un appel à qui souhaiterait rejoindre ceux qui ont été déjà acceptés par l’I. P. A. François Perrier se révolte en constatant que “la seule preuve de liquidation de transfert se résume à la capacité d’un ex-élève de prendre une part active à la condamnation de son maître”, mettant ainsi en lumière ce qui rend cette scission plus pathétique et presque moins “politique” que la précédente : un certain nombre des membres investis du label international sont d’anciens analysés de Lacan, et c’est pour une pratique d’analyste à laquelle ils doivent en partie ce qu’ils sont qu’ils condamnent leur propre didacticien. Celui-ci aura beau jeu de leur lancer : vous estimez-vous mal analysés ?
Piera Aulagnier s’indigne de ce qu’on ait pu lui proposer de se soumettre “à l’approbation de Chicago”, et va s’empresser de participer aux groupes de travail qui s’organisent autour du G.E.P., rue d’Ulm, où Lacan fait son Séminaire, à l’hôpital Trousseau ou à Sainte- Anne. Jean Clavreul proclame : « Qu’est-ce donc qui fait notre originalité ? Il n’y a aucun doute à ce sujet, c’est que nous sommes lacaniens. N’ayons aucune fausse honte à le dire, on peut bien être lacanien, comme d’autres sont kleiniens. »
Mais, tandis que l’on discute “sociétés”, Jacques Lacan prépare le nouveau coup de théâtre qui va éclater le 2l juin 1964, jour de l’été, avec l’annonce devenue célèbre : « Je fonde – aussi seul que je l’ai toujours été dans ma relation à la cause psychanalytique – l’Ecole Française de Psychanalyse, dont j’assurerai, pour les quatre ans à venir dont rien dans le présent ne m’interdit de répondre, personnellement la direction. » Il faut se rappeler ces termes, car ils contiennent en germe l’avenir de cette fondation, bientôt rebaptisée Ecole freudienne de Paris, et cela jusqu’à sa dissolution, décidée en janvier 1980 par un Lacan “aussi seul”, malgré son appel “aux mille”, qu’il le sera toujours resté dans sa relation intime avec la psychanalyse. Qui ne comprend pas cette solitude fondamentale, et ce qu’elle recèle, risque en effet de se méprendre sur la constitution “autocratique” de l’E.F.P., sur l’entêtement de Lacan à maintenir une pratique analytique qu’il ne conseille en réalité à aucun autre que lui d’adopter, sur l’étrange mélange d’opportunisme et de rigorisme entêté dont il peut faire montre et sur les relations de cajoleries et de mépris qu’il entretient avec les vagues successives de ses élèves, n’admettant guère comme ses fidèles, au fil du temps, que Gloria, sa gouvernante, Judith, sa fille, et Jacques-Alain Miller, son gendre.
Atomisée en petits groupes dénommés “cartels”, pour faire échec à toute ambition de “chefferie”, l’organisation de l’E.F.P. prévoit trois sections. La première, dite “de psychanalyse pure, soit praxis et doctrine de la psychanalyse proprement dite, laquelle est et n’est rien d’autre – ce qui sera établi en son lieu – que la psychanalyse didactique”, témoigne d’une discrimination qui, quatre ans plus tard, poussera Piera Aulagnier. François Perrier et Jean-Paul Valabrega à quitter Lacan pour fonder le Quatrième Groupe. Deux autres sections sont décrites, celle de “psychanalyse appliquée, ce qui veut dire de thérapeutique et de clinique médicale” et celle de “recensement du champ freudien”, comprenant l’articulation de la psychanalyse “aux sciences affines” et son “éthique, qui est la praxis de sa théorie”.
Vouée à la transmission de l’interprétation que Lacan fait de Freud, l’E.F.P. va s’ouvrir aux analystes comme aux non-analystes, philosophes, écrivains, linguistes, historiens, etc., un principe original et souvent abusivement compris, en raison de son ambiguïté, y réglant au départ les problèmes d’habilitation : “Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même.” Un “Annuaire”, qui prétend ne pas répondre de la qualification analytique de ceux qui demandent à y figurer, sera régulièrement publié, gonflé au fil des années, et jusqu’aux mille de la dissolution, du nom de tous les adeptes de celui que l’on commence alors à nommer “le Freud français”.
Peu après l’annonce de cette création, en juillet 1964, on apprend celle de l’Association psychanalytique de France (A.P.F.), nouvelle dénomination adoptée par les membres du “French Study Group”. Son programme met en vedette, à l’inverse, le principe “de maintenir certaines normes dans le domaine de la formation” tout en conservant une grande souplesse dans l’enseignement dispensé par un institut de formation qui, contrairement à celui de la SPP, reste une simple dépendance de l’Association. Celle-ci, espèrent ses fondateurs, devrait être prochainement reconnue par l’I.P.A.
Ce sera, en effet, chose bientôt faite, mais il faut auparavant liquider le passé et la communauté de ce deuxième “divorce”, ce qui s’effectuera avec assez de dignité de part et d’autre, malgré les réactions violentes de certains. Le 6 octobre 1964, Wladimir Granoff et Serge Leclaire adressent chacun à la présidente Juliette Favez-Boutonier une lettre demandant la dissolution de la SFP Le 19 janvier 1965, une assemblée générale la prononce, avec partage des biens entre l’E.F.P. et l’A.P.F. Cette dernière se verra reconnue comme société composante le 28 juillet, lors du XXIVe Congrès international d’Amsterdam, et se choisira comme premier président Daniel Lagache. Trois mois plus tard, fin octobre 1965, Rudolf Loewenstein, venu des Etats-Unis pour participer au XXVIe Congrès des Psychanalystes de Langues romanes qui se déroule à Paris, y retrouvera enfin réunis, après douze ans de luttes, les membres de la SPP et ceux de l’A.F.P. en la personne de ses deux anciens analysés, Sacha Nacht et Daniel Lagache. Quant au troisième, Jacques Lacan, il est dit qu’il ne paraîtra pas à la soirée du souvenir organisée pour “Loew” en compagnie de Pierre Mâle…
15. La production intellectuelle
La publication en 1956, peu après que le mot d’ordre du “retour à Freud” a été lancé, de La Naissance de la psychanalyse – traduction française des lettres adressées par Freud à Wilhelm Fliess (récupérées, il faut le rappeler, grâce à la princesse Marie Bonaparte) – a contribué à éveiller l’intérêt des Français pour l’homme Freud, auparavant si méconnu, méprisé ou engoncé dans l’image d’Epinal du savant à lunettes et à barbe blanche. Sans doute aussi, près de vingt ans après sa mort, l’heure des bilans et de l’histoire a-t-elle sonné dans le monde, car les recherches sur la jeunesse et la vie du créateur de la psychanalyse commencent à se multiplier.
Le cinéma hollywoodien s’en mêle à son tour et, en 1958, on apprend avec un certain étonnement que Jean-Paul Sartre travaille au scénario d’un film sur Freud. Il s’est très sérieusement mis à l’ouvrage et va noircir “environ 900 pages d’indications scéniques et de dialogues entièrement rédigés, sur deux colonnes” qui, pourtant, ne plairont pas à John Huston, le réalisateur. Celui-ci fait alors réécrire ce découpage par des spécialistes américains, à la grande colère de Sartre qui retire son nom du générique. Freud, désirs inavoués (traduction bien française de Freud, The Secret passion), sortira donc sans sa caution sur les écrans en 1962, avec Montgomery Clift dans le rôle de Freud, mais Sartre se sera néanmoins, par ce biais, rapproché d’un homme et d’une œuvre qui marqueront, dans L’Idiot de la famille, son abord de Gustave Flaubert. En 1958 paraît, avec cinq ans de retard sur l’original, la traduction française du premier tome de La Vie et l’œuvre de Sigmund Freud, la biographie écrite par Ernest Jones. Les autres volumes verront le jour en 196l et 1969, attendus avec impatience par des lecteurs qui commencent à comprendre le lien privilégié qui unit Freud à sa création et l’exemple qu’un tel rapport représente pour les psychanalystes. Ils y sont par ailleurs déterminés en 1961 par cette “biographie analytique” dont Didier Anzieu a fait la part principale de son livre, L’Auto-analyse. Il y présente un Freud humain, dévoilant à travers ses rêves et sa correspondance les erreurs, les découragements et les enthousiasmes de la découverte psychanalytique.
De décembre 1962 à juillet 1963, une série d’émissions radiophoniques sont consacrées à “La révolution psychanalytique, la vie et l’œuvre de Freud”, par Marthe Robert, en qui Lacan saluera un jour “la meilleure biographe de Freud”. Elles mobilisent l’attention de nombreux auditeurs et vont contribuer à répandre l’image d’une psychanalyse “révolutionnaire”, opposée à l’ordre établi et combattue par les écoles traditionnelles. La publication de leur texte chez Payot, où Gérard Mendel a fondé en 1961 la collection “Science de l’homme”, obtient un très bon accueil.
Dans le même temps, à partir de février 1963, mais sur un ton plutôt boulevardier, on peut voir et entendre Freud, sous les traits de l’acteur autrichien Curd Jurgens, mener avec autorité le traitement d’Elizabeth von R. sur la scène du théâtre du Gymnase. Cette pièce américaine d’Henry Denker s’intitule Le Fil rouge et son succès, qui renouvelle après quarante et un ans presque jour pour jour, celui du Mangeur de rêves de H.-R. Lenormand, démontre bien ce qui, avec les années, a changé : l’analyste de 1922 était inventé et sa tentative échouait, celui de 1963 est Freud lui-même et il découvre sous les yeux du spectateur la psychanalyse.
Six ans plus tard, c’est Octave Mannoni, dont on avait remarqué un article paru en juin 1967 dans Les Temps modernes, consacré à la relation Freud-Fliess sous le titre de “L’analyse originelle”, qui va écrire pour la collection “Ecrivains de toujours”, aux éditions du Seuil, en 1969, un Freud aussi précis qu’intelligemment conçu. Bientôt, la collection “Freud et son temps”, dirigée par Jacqueline Rousseau-Dujardin chez Denoël, offrira aux lecteurs les témoignages qui leur manquaient sur Vienne et les premiers moments de la psychanalyse.
Les traductions de Freud tardent encore, si l’on excepte la réédition par le Club Français du Livre en 1963 du texte alors introuvable de La Science des rêves. Avec le renom grandissant de Freud, les éditeurs qui détiennent les droits de ses œuvres se décideront toutefois, à partir de 1966, à réimprimer des ouvrages qui étaient depuis longtemps épuisés, les Cinq Psychanalyses, par exemple. Ils y sont d’ailleurs encouragés par le succès des premiers volumes de “Correspondances” que présente la nouvelle collection “Connaissance de l’inconscient”, dirigée par Jean-Bertrand Pontalis aux éditions Gallimard. Celles-ci vont également publier la Nouvelle Revue de psychanalyse, à partir du printemps 1970, et tenter la traduction des “Œuvres psychanalytiques complètes” de Freud, en s’associant avec Payot et les Presses Universitaires de France. Hélas, de discussion en discussion, de changements d’équipes de traducteurs en atermoiements divers, faute aussi, on l’a déjà noté, d’une volonté ou d’un enthousiasme suffisants des psychanalystes français, les premiers éléments de cette édition critique tant espérée n’en finiront pas de voir le jour.
N’importe, Freud intéresse et la psychanalyse fait partie des mœurs françaises, comme Serge Moscovici le montre clairement en 196l en publiant les résultats de ses enquêtes et de ses recherches sociologiques dans sa thèse, La Psychanalyse, son image et son public, présentée par Daniel Lagache dans sa collection. A la question : “Qu’est-ce que la psychanalyse ?”, les réponses ont fusé : “Une étude scientifique de l’individu… Une thérapeutique visant à libérer les hommes de leurs complexes…”. etc. “Une médecine sans médicaments”, ont également suggéré certains, ce que ne manqueront certainement pas de remarquer Jacques Gendrot et Emile Raimbault qui, en cette même année 1961, organisent en France les premiers Groupes Balint destinés aux médecins.
Mais en réalité, c’est avec la création de l’Ecole freudienne de Paris en 1964 que l’implantation de la psychanalyse en France va entrer dans une phase très différente de toutes celles qui l’ont précédée.
Du côté des sociétés de psychanalyse, les particularités se dessinent et chacune affermit son image publique. Sérieux et conservatisme freudien à l’”Institut” (car cette désignation représente désormais, dans le public, une SPP un peu dévorée par sa filiale), libéralisme anglo-saxon et universitaire en groupe restreint à l’A.P.F., graphes, mathèmes, cohue et réputation de génie à l’E.F.P., en attendant la marginalité bien tempérée du Quatrième Groupe. Chaque postulant français peut se déterminer dans son choix en fonction de ces étiquettes trop caricaturales pour qu’on ne s’aperçoive pas rapidement de l’univers plus complexe et des personnalités plus diversifiées qu’elles recouvrent.
“Il n’est pas douteux qu’en France, c’est Lacan et les lacaniens qui sont, aux yeux des intellectuels, les psychanalystes avec qui il est intéressant de parler.” Confirmant cette constatation faite par Jean Clavreul deux ans auparavant, la parution des Ecrits de Jacques Lacan, dans la collection “Le champ freudien” dirigée par François Wahl au Seuil, à la fin de l’année 1966, va constituer un événement au retentissement aussi considérable qu’imprévisible dans son ampleur. Il s’agit d’un recueil de textes ardus dont un certain nombre sont inédits, les autres ayant été jusque-là éparpillés dans des revues parfois introuvables. Lacan n’y fait aucune concession au grand public, ni au niveau de sa pensée, ni en ce qui concerne son style, mais, dès sa publication, son livre se révèle un best-seller. Le 30 novembre, Le Nouvel Observateur fait savoir que l’éditeur réimprime “à toute allure les 900 pages des Ecrits de Lacan, qui coûtent 50 francs et dont cinq mille exemplaires se sont vendus avant même que la presse en ait rendu compte”. En juin 1967, Le Jardin des modes ira jusqu’à en faire la lecture favorite de la mondaine en vacances sur la Côte d’Azur à qui l’on présente les derniers modèles de deux-pièces…
La presse, il est vrai, amplifie l’écho des réactions de critiques allant de l’enthousiasme au rejet, tandis que le personnage de Lacan apparaît durant quelques mois à la une des journaux. Le Figaro littéraire, par exemple, titre en énormes caractères le 29 décembre : “Lacan juge Sartre” et, en plus petit : « Jacques Lacan évoque son différend idéologique avec Sartre. – Est-il indispensable, demande-t-il, de toujours se définir par rapport au sartrisme ? ». En revanche, on lui demande souvent, à lui, de se définir par rapport au structuralisme, alors en pleine vogue, questions qui nourrissent l’interview que Pierre Daix publie dans Les Lettres françaises du 1er décembre, ou le long article de Bernard Muldworf intitulé “Comment lire Freud ?”. Il faut voir dans ces deux derniers textes la marque du changement confirmé des communistes dans leurs opinions sur la psychanalyse. Un peu plus d’un an auparavant, au début de 1965, Louis Althusser a fait paraître dans La Nouvelle Critique un travail sur “Freud et Lacan” qui s’est avéré un signe de la reconnaissance des commentaires lacaniens par le penseur marxiste le plus en vue à l’époque. Le virage définitif tardera encore un peu, très évident dans L’Humanité du 24 février 1970, par exemple : “Les concepts freudiens ont été reformulés par le Dr Lacan. Avec lui, la psychanalyse semble prendre une allure décisive de science de l’inconscient.”
Cette “reformulation” est, à l’inverse, ce qui choque Jean-François Revel qui, dans L’Express du 18-25 décembre 1966, s’interroge : “Où est donc Freud ?” et conclut son article : “Il se peut que la philosophie de Lacan soit très importante. Mais il me paraît discutable qu’elle constitue un retour à Freud, ou un prolongement de Freud.”
De fait, l’inconscient est désormais réputé structuré comme un langage, le complexe d’Œdipe s’exprime en termes de phallus et de signifiant, les symptômes se démontent selon les lois de la linguistique en métaphores et métonymies, se trouvent rapportés à une parole figée qu’il s’agit de débloquer, etc.
Ces idées et ces termes nouveaux, ainsi que la vogue du calembour lacanien, vont alors envahir non seulement les médias et les salons, mais aussi les réunions universitaires, médicales, psychiatriques surtout, donnant lieu à un terrorisme langagier parfois peu supportable. Plus inquiétante aussi, la prolifération de “psychothérapeutes” ou de “psychanalystes” ne s’autorisant que d’eux-mêmes, qui multiplient divans et consultations, innovations techniques ou initiatives thérapeutiques variées et souvent imprudentes. L’analyse y retrouvera vite sa vieille réputation de pratique bien peu rigoureuse, à la limite de la dangerosité…
Voici toutefois qu’au moment d’en écrire davantage, la main hésite. Ce n’est déjà plus le temps de l’Histoire, mais celui de la mémoire individuelle, avec ses oublis inconscients, ses rancunes tenaces, ses amitiés fidèles, ses choix critiques et critiquables. Peut-on privilégier celui-ci, méconnaître celui-là, brosser une sorte de tableau d’honneur ou s’astreindre aux conventions d’un discours académique qui saurait trouver pour chacun la petite phrase nécessaire et suffisante, dans les deux sens du terme ? Citer tous les livres, tous les articles, toutes les idées – car ce serait la seule justice –, en si peu d’espace et sans leur avoir laissé le temps de la décantation ?
Sur le plan spectaculaire, il n’est pas douteux que l’E.F.P. occupe largement le premier plan de la scène lors des deux décennies qui suivent. Du point de vue d’un vivifiant remue-ménage d’idées également, mais tant de journaux, de revues, d’émissions culturelles ou de livres en ont débattu qu’il faudrait à un historien consciencieux la possibilité, après les avoir dépouillés, de se pencher avec la même méticulosité sur les travaux et les recherches des psychanalystes des autres sociétés moins tapageuses. Sait-on jamais le chemin secret des hypothèses et des concepts ?
De plus, un psychanalyste ne peut l’ignorer, aucun discours n’est univoque ou destiné à soi seul. Lacan ne s’y est pas trompé qui a longtemps appuyé son enseignement sur de nombreuses références, en creux ironique, aux “psychanalystes d’aujourd’hui”, à ceux qui tombent dans “la confusion psychologisante”, aux tenants de l’”human engineering” voire aux membres de cette “Sacrée S.A.M.C.D.A. !”, la “Société d’assistance mutuelle contre le discours analytique”…
Il a eu besoin de ces partenaires imaginaires comme, en France, tous les psychanalystes ont, plus ou moins consciemment et plus ou moins envieusement, invoqué son image pour stimuler leurs interrogations sur leur théorie et leur pratique propres. Sans doute, de part et d’autre, y a-t-on, au milieu de tout ce “génie latin”, quelque peu perdu Freud de vue et peut-être un tel éloignement doit-il se déplorer. Mais n’est-il pas trop tôt encore pour l’affirmer ? Les Français n’auraient-ils pas sécrété là quelque moyen original de faire le travail de deuil de la mort de Freud ?
Pendant un temps, les trois tendances françaises, médicale, universitaire et culturelle, qui se sont dès le début disputé l’hégémonie en psychanalyse, ont réussi à peu près à se contrebalancer, avec un léger avantage pour la médicale. Il est indéniable que depuis vingt ans les deux dernières, la culturelle surtout, l’ont emporté nettement, trop même pour qu’un rétablissement de l’équilibre, sous une forme ou sous une autre, ne soit pas désormais prévisible, sinon souhaitable. Et si l’on insiste ici sur ces forces intérieures, ce n’est pas par dédain des puissances sociales, économiques et politiques qui pèsent sur l’analyse et sur sa pratique d’un poids qui peut un jour se révéler paralysant. Cette dimension politique est d’ailleurs une des caractéristiques principales de l’histoire de la psychanalyse en France depuis cette période des années 60 où s’arrête notre parcours provisoire.
La découverte des théories de Lacan par l’Ecole Normale Supérieure, avec la création des Cahiers pour l’analyse, en 1966, les discussions passionnées provoquées par la “proposition du 9 octobre 1967″ instituant la procédure lacanienne de “la passe” pour désigner les “analystes de l’Ecole”, la vogue d’un freudo-marxisme se réclamant de Marcuse ou de Reich, suivie bientôt de l’explosion de mai 68, avec sa contestation de la hiérarchie dans les sociétés de psychanalyse, la signature par un certain nombre d’analystes d’une motion de soutien aux étudiants des barricades, la création, dès octobre qui suivit, du département de Psychanalyse de l’Université de Paris VIII à Vincennes, par Serge Leclaire et Jacques-Alain Miller, celle de l’Unité d’études et de recherches de Paris VII par Jean Laplanche, la publication de L’Univers contestationnaire par Béla Grunberger et Janine Chasseguet-Smirgel, alias André Stéphane, de La Révolte contre le père par Gérard Mendel, en 1968 également, à l’origine de ses “groupes de sociopsychanalyse”, le succès aussi vite apparu que disparu de L’Anti-Œdipe de Gilles Deleuze et Félix Guattari, la diffusion par Les Temps modernes, en 1969, du texte de “L’homme au magnétophone”, commenté par Jean-Paul Sartre, avec les protestations de Bernard Pingaud et de Jean-Bertrand Pontalis qui quittera peu après la revue sartrienne, le développement, puis le rapide déclin du mouvement dit d’antipsychiatrie, l’engouement des médias pour la psychanalyse considérée comme un spectacle, un fait divers parfois pimenté ou un livre de recettes à bien vivre et bien éduquer les enfants, la multiplication, à partir de 1970, des livres, revues et collections de type “psy”, les réunions et “Journées”, hors sociétés psychanalytiques, du groupe “Confrontation”, organisées par René Major et Dominique Geahchan à partir de 1974, l’utilisation et la condamnation conjointe de l’abominable Freud par les mouvements féministes, les prises de position “freudo-maoïstes” à la Philippe Sollers, Tel Quel et la culture psychanalytique des “nouveaux philosophes”, l’envahissement des réunions d’analystes par un discours politique tenant lieu de clinique et souvent de théorie, les parades verdiglionnesques, la dissolution, le 5 janvier 1980, de l’E.F.P. par Lacan au bord de la mort, le procès qui s’ensuivit, la naissance difficile de la Cause freudienne, puis de l’Ecole de la Cause freudienne, du C.E.R.F. concurrent, et, d’autres bords, d’un Collège de Psychanalystes, le nouveau mot d’ordre “Clinique” lancé par Jacques-Alain Miller, la menace toujours renaissante d’un statut officiel que ne parviendront peut-être plus à conjurer des instances internationales que le persiflage français a contribué à dévaloriser…
On n’en finirait pas d’énumérer les titres de chapitres que pourrait traiter un futur auteur de “La psychanalyse en France (1965-…) “, mais ce défilé de faits est aussi destiné à montrer de façon caricaturale l’incomplétude de ma propre description des soixante-dix ans qui ont précédé. Se limitant volontairement aux événements et se refusant au “digest” d’idées, de théories ou d’œuvres expédiées en quelques lignes, sans doute mon récit peut-il apparaître borné aux remous de surface, à une histoire anecdotique “contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et ne signifiant rien”… Cette référence aux luttes shakespeariennes des sociétés analytiques se montrerait toutefois un peu injuste dans sa méconnaissance d’une psychanalyse “à la française” qui a tout de même permis à tant de gens depuis près de cent ans de porter un autre regard sur eux-mêmes et les autres, sur les mœurs, la maladie mentale, les souffrances névrotiques, les misères sexuelles, l’existence d’un corps qui peut aussi se dire, d’un désir qui a droit de cité et d’une curiosité qui est source de vie.
A côté des protagonistes qui ont occupé le devant de la scène, un modeste objet du décor est en effet resté présent, en filigrane, peu nommé dans cette histoire qu’il conditionne et continuera de conditionner tant que la psychanalyse – dont on proclame aujourd’hui comme naguère qu’elle a perdu toute crédibilité (et il est amusant de constater la similitude des arguments que reprennent les détracteurs de chaque génération), tout statut “scientifique” ou toute efficience thérapeutique – continuera, par-delà le clinquant culturel, son labeur simplement quotidien. Cet objet se nomme le divan. Tout le reste est périssable, mais nécessaire pourtant à la permanente transmission du processus analytique. Séminaires, colloques, rencontres, débats radiophoniques ou télévisés, livres et articles de revues le prouvent, nombreux sont les psychanalystes passionnés par ce qu’ils font, vivent et tentent perpétuellement d’approfondir et de prolonger, à l’ombre des oriflammes d’écoles, des scandales ou du fracas des personnages “historiques”.
En 1962, la princesse Marie Bonaparte et René Laforgue sont morts. En 1969, Angelo Hesnard. En 1972, Daniel Lagache. En 1976, Rudolf Loewenstein. En 1977, Sacha Nacht. En 1981 Jacques Lacan. Macbeth ajouterait : « La vie est une ombre qui marche, un pauvre acteur qui se pavane et se trémousse durant son heure sur la scène, puis qu’on cesse d’entendre ».
Mais peut-on vraiment cesser d’entendre lorsqu’il s’agit de psychanalyse ?
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