L’histoire de la formation psychanalytique en France peut difficilement être dissociée de l’histoire de notre pays comme de l’histoire des institutions psychanalytiques françaises avec ses personnalités et ses vicissitudes.
La formation fut un enjeu majeur dans les scissions successives (1953, 1964, 1969, 2005) au sein des Sociétés de psychanalyse.
Cette brève présentation ne saurait en rendre compte pleinement mais elle visera à mettre en lumière les aspects majeurs de la formation en France.
La psychanalyse, de l’aveu même de Freud, eut un certain mal à s’implanter et à se voir reconnue en France. Elle attira tout d’abord l’intérêt des intellectuels et des artistes alors qu’elle était vue avec une certaine méfiance par le milieu médical.
Aux commencements
Eugénie Sokolnicka, d’origine polonaise, proche de Jung, analysée par Freud puis par Ferenczi, vint s’installer en France en 1921 et fut la première à pratiquer la psychanalyse. Elle analysa René Laforgue, Edouard Pichon et Sophie Morgenstern.
En 1925, Rudolph Loewenstein, médecin, originaire d’Europe centrale, analysé par Hans Sachs et formé à l’Institut de Berlin s’installe à Paris. Il sera l’analyste de plusieurs des fondateurs de la Société Psychanalytique de Paris (Adrien Borel, Georges Parcheminey) et de nombreux futurs psychanalystes célèbres parmi lesquels, Henri Codet, Daniel Lagache, Jacques Lacan, Sacha Nacht, Pierre Mâle.
C’est par l’entremise de René Laforgue, correspondant de Freud, que la Princesse Marie Bonaparte deviendra l’analysante, puis l’amie et confidente de Freud entre 1925 et sa mort en 1939. Elle jouera un rôle central dans le développement de la psychanalyse en France.
La Société Psychanalytique de Paris, société constituante de l’API, est fondée le 4 novembre 1926. Ce sera la seule société de psychanalyse en France jusqu’en 1953.
Citons une partie de cet acte fondateur : « Cette Société a pour but de grouper tous les médecins de langue française en état de pratiquer la méthode thérapeutique freudienne et de donner aux médecins désireux de devenir psychanalystes l’occasion de subir la psychanalyse didactique indispensable pour l’exercice de la méthode » (p.359, de Mijolla, 2010).
En ces premiers temps, notons que la pratique est réservée aux médecins (alors même que deux fondatrices Marie Bonaparte et Eugénie Sokolnicka ne sont pas médecins) et que la formation apparaît se résumer à une psychanalyse didactique.
Si, en février 1929 le président de la SPP, René Laforgue dans une allocution peut dire « orientons-nous résolument vers l’organisation d’un institut où nous puissions faire des cours, traiter des malades… », ce n’est qu’en janvier 1934 que naît le premier Institut de la SPP où des cours débutent dans des locaux loués par Marie Bonaparte, Boulevard St Germain à Paris. Les élèves payent des droits sauf s’ils sont inscrits en faculté. Il existe des cours ouverts à un public varié tandis que certains sont « fermés », réservés aux seuls futurs analystes.
Lors des réunions de la Société, il est convenu de désigner un Comité de formation qui examinera les candidatures et adressera les candidats pour une analyse didactique.
En juillet 1934, les statuts sont revus et sous l’impulsion de Marie Bonaparte, Directrice de l’Institut de psychanalyse de Paris, est créée une Commission d’Enseignement ainsi qu’un règlement de l’enseignement, inspiré du modèle de l’Institut de Berlin.
En avril 1936, est créée une « Polyclinique psychanalytique » sous la responsabilité de John Leuba et Maurice Cénac qui recevra quelques patients. Les comptes-rendus de cette époque permettent de savoir qu’il y a des analyses didactiques à 4 (quatre) ou 5 (cinq) séances par semaine, des cures contrôlées, déjà des groupes de supervision (ce qui deviendra une spécificité de la SPP) et un enseignement sous forme de cours et de conférences.
En 1937 est créée la catégorie des « membres adhérents » qui s’ajoute aux catégories « membres titulaires » et « élèves ».
Après la seconde Guerre Mondiale
La deuxième guerre mondiale suspendra les activités de la SPP entre 1939 et 1945. Certains analystes poursuivront pendant cette période leur activité sous l’occupation allemande, d’autres entreront dans la clandestinité et dans la lutte contre l’occupant (Sacha Nacht, Paul Schiff mais aussi de tous jeunes futurs membres tels Serge Lebovici et René Diatkine). Sophie Morgenstern s’est suicidée lors de l’entrée des allemands dans Paris en 1940. Marie Bonaparte est partie en Crête puis en Afrique du Sud tandis que Rudolph Loewenstein, si amoureux de la France, a choisi d’immigrer aux Etats-Unis en 1942 avec sa famille.
Les membres de la Société se retrouvent en 1945-46 et la réorganisation de la SPP demandera du temps. L’après-guerre est une période qui voit s’accroître considérablement l’audience de la psychanalyse et le nombre de demandes de formation.
Ce boom démographique n’est pas sans lien avec la réduction à 45mn (quarante-cinq minutes) du temps des séances opérée par Sacha Nacht et l’apparition de cures à 3 (trois) séances par semaine, considérée comme une exception tolérée. Ce contexte impose la rédaction d’un « Règlement et doctrine de la Commission d’Enseignement déléguée par la SPP » devant définir une politique de formation en 1949, dont l’essentiel de la rédaction incombe à Lacan.
Ce texte dit que seule la SPP est habilitée en France à former des psychanalystes et définit les conditions de cette formation : analyse didactique pendant au moins 2 (deux) ans à raison de 4 (quatre) à 5 (cinq) séances voire 3 (trois) séances par semaine, cures « sous contrôle », enseignement théorique. Ce règlement est suivi d’une refonte des statuts inspirée par Sacha Nacht.
De 1950 à 1953 s’opère une clarification progressive des conditions d’admission et des contrôles. Sous l’impulsion de S. Nacht est créé et élu en 1952 un « Comité de Direction de l’Institut ». L’Institut est défini comme « organisme auquel la SPP délègue la charge d’organiser l’enseignement théorique et pratique de la psychanalyse ». S. Nacht, qui avait écarté les propositions de Daniel Lagache pour des locaux, loue pour l’Institut le local de la rue Saint Jacques à Paris qui restera le siège de la SPP jusqu’en 2016.
Des conflits à propos des statuts de l’association « Institut de Psychanalyse », association liée à la SPP, vont apparaître en 1952-1953 opposant Lacan et Nacht. Une révision de ces statuts en grande partie due à Marie Bonaparte permettra leur vote en 1953 avec l’élection de Sacha Nacht comme « Directeur de l’Institut, chargé de l’enseignement, de la recherche » et comportant un centre de traitement.
C’est à cette période qu’un conflit éclate entre la Commission d’enseignement et Jacques Lacan alors Président de la SPP, concernant sa pratique de l’analyse didactique avec des séances courtes (5 à 15 mn). Lors de la séance de la SPP du 16 juin 1953, une motion est votée contre Lacan qui démissionne. Mais lors de la même séance, Daniel Lagache, avec Juliette Favez-Boutonnier et Françoise Dolto démissionnent de la SPP, annonçant la création de la Société Française de Psychanalyse.
Lacan les suivra ainsi qu’un certain nombre d’analystes en formation. Le cas Lacan, pour problématique qu’il soit, n’était peut-être pas au centre de cette première scission. Sacha Nacht, soutenu en cela par Marie Bonaparte voulait créer un « Institut privé », indépendant des Universités alors que Daniel Lagache, universitaire, en passe d’obtenir une chaire de psychopathologie à la clinique des maladies mentales, envisageait un enseignement sur ce modèle et des ponts avec l’Université en médecine et philosophie, tandis qu’il mettait en avant « l’autoritarisme » de Sacha Nacht, le manque de liberté et de démocratie, revendication soutenue par un certain nombre de candidats qui se sentaient infantilisés.
Évolution historique de la formation à la SPP.
Sacha Nacht restera à la tête de l’Institut pendant près de 10 ans, de 1952 à 1962. Au fil des années, le fonctionnement et le programme de l’Institut se verront améliorés et en même temps assouplis. Un candidat effectue des visites de présélection avec des membres de la Commission d’enseignement qui lui accordent ou non le droit d’entreprendre une analyse didactique avec un didacticien avant le début des études proprement dites.
La formation comprend deux contrôles de cure psychanalytique faits par deux membres titulaires et un enseignement. Au terme de la formation appréciée par la Commission d’enseignement sur avis des contrôleurs et des directeurs de séminaires, le candidat présente un mémoire clinique qui, s’il est accepté, est transmis à la SPP en vue de l’élection comme membre adhérent.
Au début l’analyste didacticien du candidat intervient dans le cursus et l’enseignement est envisagé par des cycles obligatoires de 3 (trois) années de formation dans les domaines clinique, théorique, technique et des écrits de Freud avec des enseignements optionnels.
Ces derniers sont enrichis au fil du temps par la psychanalyse de l’enfant, la psychothérapie individuelle, de groupe, le psychodrame, la psychosomatique, la psychothérapie des psychoses.
A partir de 1958, l’analyste du candidat n’intervient plus dans le cursus pour préserver sa nécessaire neutralité et à partir de 1961, les candidats peuvent choisir de façon moins rigide leurs séminaires de formation. Le « Règlement de l’analyse didactique et des études à l’Institut de psychanalyse » de 1962 (de Mijolla, 2012, p.425-426) précise ces acquis et dit qu’un candidat en analyse didactique peut demander l’accès aux contrôles après « 12 (douze) mois de travail effectif [d’analyse] au moins, à raison de 3 (trois) séances hebdomadaires au minimum et de ¾ d’heure chacune » (p.426).
Sacha Nacht va créer en 1958 un « Séminaire de perfectionnement » destiné aux candidats et membres des régions et de l’étranger qui deviendra en 1999 « Séminaire de formation continue », puis de 2002 à 2013 « Séminaire de formation permanente » avant de disparaître.
A la fin des années cinquante, des conférences ouvertes au public s’organisent. Des discussions contemporaines remettent en question la différence entre psychanalyse thérapeutique et psychanalyse didactique mais aussi soulèvent la question des titulaires non-médecins et de leur éventuelle pratique de la didactique dans le contexte déjà ancien des procès contre certains analystes pour exercice illégal de la médecine.
En 1963, la Commission d’enseignement sera formée par l’ensemble des membres titulaires et non seulement par une partie d’entre eux. En 1967 les visites de préselection obligatoires seront supprimées et est créée la catégorie des « membres affiliés ».
Outre des motifs politiques au moment de la création de la FEP (Fédération Européenne de Psychanalyse), cette nouvelle catégorie reflète les difficultés rencontrées à la fin du cursus par nombre de candidats qui attendent avant d’écrire leur mémoire d’adhérent alors même que leur formation est achevée. C’est aussi un symptôme de la coexistence de deux associations interdépendantes et parfois en conflit : l’Institut et la SPP.
De nombreuses discussions et rapports destinés à élaborer une réforme du cursus vont conduire à mettre en valeur les visites d’admission aux contrôles de candidats déjà en analyse alors même que disparait le clivage entre analyse thérapeutique et analyse didactique, affirmant de plus en plus la séparation entre la démarche d’analyse, subjective et privée et l’entrée dans un cursus de formation analytique avec ses inévitables implications institutionnelles.
Dans un rapport d’une Commission « Cursus et hiérarchie », Jean-Luc Donnet écrit, en 1968, « la transmission d’une vérité subversive rencontre l’exigence d’une structure garante de l’ordre » (C. Girard, 1989). Les notions de transmission, de règlement du cursus, et d’analyse supervisée, relaient les notions de formation, de règlement de l’analyse didactique et de contrôle dans le règlement du cursus de 1969.
Les complexités et difficultés en rapport avec l’existence de deux associations Institut et SPP vont donner lieu à de multiples projets de réforme entre 1975 et le début des années 80 aboutissant finalement à une « Réforme des statuts » et une fusion de l’Institut et de la SPP en 1986, l’Institut devenant un organe de la SPP, unique association.
La question qui va apparaître sera celle des cures conduites par des membres non titulaires auprès d’analysants qui désirent en cours d’analyse ou en fin d’analyse devenir psychanalystes. Jusqu’à présent, grâce à la didactique, seuls les didacticiens recevaient les candidats.
La suppression de la didactique ouvre la voie à des candidats venus de tous les divans de la SPP. Après un temps d’exceptions plus ou moins élargies, sera votée dans les années 90 l’acceptation de candidats ayant entrepris une analyse avec un membre de la SPP quelle que soit sa catégorie ou par un « full member » de l’API.
La création d’un second institut à Lyon en 1995 rendue possible de par le nombre de titulaires lyonnais s’est accompagnée dans la suite de la création d’un « Conseil Exécutif de la Commission d’Enseignement », instance au sein de la SPP unifiant les deux instituts et organisant les activités de la Commission d’Enseignement.
Le modèle de formation dans les Instituts de psychanalyse de la SPP (Institut de Paris et Institut de Lyon) sera caractérisé par la séparation nette entre l’analyse personnelle et la formation (modèle Français). Le candidat pour se présenter à la formation doit avoir déjà accompli au moins 3 (trois) ans d’analyse personnelle avec un membre de l’API. Il est reçu par 3 (trois) commissaires, membres formateurs qui font un rapport et la commission de cursus statue sur son acceptation, son ajournement ou son refus.
S’il est accepté, il devra être auditeur libre dans un groupe de supervision collective pendant une période de 3 (trois) mois avant d’entreprendre ses supervisions, l’une individuelle, l’autre collective avec 2 (deux) analystes formateurs de la SPP. Ces supervisions sont de durée variable, et durent au moins 2 (deux) ans chacune. Parallèlement, il peut choisir les séminaires du programme de l’Institut ainsi que participer aux séminaires des membres de la société.
Le cursus de formation est d’une durée de 5 (cinq) à 10 (dix) ans, réglé par la maturation du candidat et son évolution personnelle comme par le choix de la concomitance ou de la succession de ses supervisions. Le candidat demande la clôture de son cursus au terme de ses supervisions.
C’est la « Commission de cursus » avec les instances du « Conseil exécutif » et de la direction de l’Institut concerné qui prononce la clôture du cursus.
Une fois le cursus clos, l’ancien analyste en formation peut demander son admission dans la SPP. Une réforme de 2005 des statuts de la SPP a changé les catégories, réduites à 2 (deux) : les anciens affiliés devenant adhérents et les anciens adhérents titulaires, les anciens titulaires ne conservant comme prérogative qu’une fonction de formation d’une durée de 7 (sept) ans renouvelable.
Scissions
Mais, revenons à la scission de 1953 qui a conduit à la création de la Société Française de Psychanalyse, dont l’existence sera éphémère, de 1953 à 1965. Cette Société, créée par des membres démissionnaires de la SPP qui ont donc perdu le statut de membres de l’API, ne peut être reconnue comme société composante de l’API. Très vite, les membres de la SFP demandent à réintégrer l’API, ce qui leur sera d’abord refusé. Alors que la SFP se réfère au même modèle que la SPP à l’époque (visites de présélection, analyse didactique avec un didacticien, admission à l’enseignement et aux contrôles ; etc.), la situation apparaît trop disparate aux instances de l’API qui jugent au Congrès international de Copenhague en 1959 de « l’insuffisance de la formation et des capacités d’enseignement du groupe » (de Mijolla, 2012).
L’enjeu est essentiellement la pratique de Lacan des séances courtes et son absence de respect des normes en vigueur. Finalement, la SFP est acceptée comme groupe d’études de l’API sous la responsabilité d’un comité de surveillance de l’API en 1961 au Congrès d’Edimbourg. Daniel Lagache, Juliette Favez-Boutonnier et Serge Leclaire sont acceptés comme membres directs de l’API tandis qu’il est demandé au groupe de tenir à l’écart des fonctions de formation Lacan et Françoise Dolto.
Jacques Lacan refuse de modifier sa pratique comme de quitter ses fonctions de didacticien, il théorise sa pratique de la séance courte avec le concept de scansion (1963), interruption de la séance par l’analyste sur un signifiant de l’analysant jugé par lui essentiel, ce qui aboutit à la rupture au sein de la SFP.
En 1964, est accepté un nouveau groupe d’études de l’API qui va devenir en juillet l’Association Psychanalytique de France, sous la présidence de Daniel Lagache, reconnue société composante de l’API en 1965.
Lacan et ses disciples créent l’École freudienne de Paris, renonçant à la reconnaissance par l’API en refusant les principes de la formation. La SFP, qui ne sera jamais reconnue par l’API est dissoute en 1965. De 1964 à 1971, la formation à l’APF sera semblable à celle de la SPP à l’époque avec des projets de réforme qui n’aboutiront pas (Laplanche 1969).
Sous la présidence de Jean-Bertrand Pontalis en 1971, sera affirmée la séparation de l’analyse personnelle et de la formation théorico-pratique. L’analyse didactique est supprimée ainsi que le titre de didacticien remplacé par le titre d’analyste en exercice à l’Institut de formation. Les candidatures sont examinées par un comité de formation (9 titulaires renouvelables par tiers tous les 3 ans). Peuvent être accueillis les candidats ayant entrepris une analyse personnelle avec un analyste quel qu’il soit, membre ou non de l’APF, d’une société composante de l’API ou non. Le candidat choisit 3 (trois) membres du « Comité de formation » qui le reçoivent en entretien individuel et font un rapport devant le « Comité de formation » qui décide de l’admission ou non. Chaque candidat choisit librement les séminaires auxquels il participe et doit faire 2 (deux) supervisions individuelles l’une après l’autre. Une présentation devant 3 (trois) membres du « Comité de formation » par le supervisé puis son superviseur de la première supervision donne accès à la seconde supervision. La validation est prononcée par l’assemblée des titulaires. Le postulant peut alors présenter un mémoire devant le « Collège des titulaires » lui permettant de devenir membre sociétaire.
Il faut noter que l’APF est l’association ayant en son sein un Institut de formation depuis sa fondation, ce qui a permis d’éviter tous les conflits et problèmes rencontrés longtemps à la SPP en lien avec la coexistence de 2 (deux) associations.
Ainsi donc en 1964 la SFP se divise entre l’APF et Jacques Lacan et ses disciples. Lacan qui se dit « excommunié » va donc créer l’École freudienne de Paris
L’École freudienne de Paris
Lors de la fondation de l’école en 1964, J. Lacan affirme que « l’analyse n’est rien d’autre que la psychanalyse didactique » tout en supprimant le titre de didacticien mais pour mettre en lumière le lien dans sa pensée entre l’expérience de la cure, la théorie et l’accès à la pratique. Ses analysants suivent son séminaire et « l’analyste ne saurait s’autoriser que de lui-même ». Les supervisions ne sont pas obligatoires, laissées au libre choix de l’analyste avec le superviseur qu’il veut. En 1967, l’accent mis sur « le sujet de l’inconscient » le conduit à modifier sa formule en écrivant « l’analyste s’autorise de lui-même et de quelques autres ». C’est la mise en place de « la passe » au cours de laquelle le « passant » témoigne de son désir d’être analyste auprès de deux « passeurs », en fait non analystes. Ces derniers doivent transmettre, faire passer sur le modèle de la transmission d’un jeu de mot selon Lacan, son dire à un jury d’agrément de l’école qui décidera d’accepter ou non le « passant » au titre d’Analyste de l’Ecole (AE). Parallèlement et de façon conflictuelle délibérée l’Ecole par l’intermédiaire d’un jury d’accueil peut reconnaître tel ou tel comme Analyste Membre de l’École (AME) même s’il ne l’a pas demandé.
Nous sommes loin des représentations de la formation au sein des Sociétés composantes de l’API, confrontés à un système où théorie et pratique tendent à se confondre, où l’analyse a perdu tout objectif autre que faire surgir le sujet de l’inconscient à partir de la non réponse du sujet supposé savoir en l’occurrence l’analyste lacanien. Comme on le sait, l’École freudienne de Paris sera dissoute pour voir se multiplier en France les groupes lacaniens divers.
Le Quatrième Groupe
C’est lors de l’introduction de la « passe » qu’un certain nombre d’analystes de l’Ecole également heurtés par la scansion comme justification d’une pratique inacceptable (Jean-Paul Valabrega, Piera Aulagnier, François Perrier) vont quitter Lacan, ne pouvant adhérer à ses théories comme à ses pratiques pour créer le Quatrième groupe en 1969. Ce groupe ne voulant ni suivre les errements lacaniens ni retourner dans le giron de l’API, se méfie de l’institution dans ce qu’elle peut produire d’aliénation psychanalytique (Valabrega 1989). Ils préfèrent parler de « processus » plutôt que de « cursus » et pensent que l’institution passe après la créativité et la liberté, se dotant d’un minimum de règlement. Toutefois l’Institution est nécessaire comme repère et comme incarnation de l’altérité pour le sujet analyste.
Chaque candidat choisit l’aménagement de son processus de formation. Il n’y a pas d’interférence entre l’analyste et la formation, il n’y a pas de visites et il n’existe qu’une seule catégorie de membres. La conception de la formation est centrée sur une triade : « transfert / contretransfert (c'est-à-dire transfert de l’analyste) / transféré (le matériau du transfert) ». La supervision est définie comme analyse quatrième (Valabrega) c'est-à-dire mettant en jeu le candidat et son patient mais aussi l’analyste du candidat, le superviseur voire l’analyste du superviseur. Elle s’accompagne d’un travail en sessions inter-analytiques qui débouche sur la session d’habilitation.
Société psychanalytique de recherche et de formation (SPRF)
En 2005, certains analystes du quatrième groupe souhaitant intégrer l’API ont créé la SPRF (Société psychanalytique de recherche et de formation) qui a été reconnue société composante au Congrès de Boston en 2015. Elle applique le modèle français de formation dans lequel il n’y a pas d’intervention de l’analyste du candidat (un analyste membre de l’API) dans le cursus. Le candidat est reçu individuellement par 2 (deux) formateurs tirés au sort qui rapportent à une commission où ils siègent avec 1 (un) membre du Comité de formation, 1 (un) formateur tiré au sort et 1 (un) observateur non formateur tiré au sort. Si le candidat est admis, il doit faire 2 (deux) supervisions individuelles d’analyses validées chacune par une commission de 2 (deux) formateurs tirés au sort et 1 (un) membre du comité de formation qui reçoivent successivement le supervisé et le superviseur. Les séminaires suivis sont laissés au libre choix du candidat. La terminaison du cursus est avalisée par le « Comité de formation » et les membres de la Société sont informés de la demande d’entrée dans la société. Le candidat doit alors présenter un bref texte théorico-clinique devant une commission de 5 (cinq) membres formateurs. Suit un vote du Collège des formateurs aux 2/3 avalisé par le Conseil d’Administration de la société.
En conclusion
La France compte donc actuellement 3 (trois) Sociétés composantes de l’API qui ont la charge de former les analystes futurs selon le modèle français, reconnu en 2009 par l’API : la SPP, société la plus ancienne, l’APF depuis 1965 et enfin la SPRF récemment reconnue.
J’ai tenté de parcourir au plus près de la chronologie l’histoire de la formation en France qui a souvent été un enjeu conflictuel majeur dans la communauté psychanalytique. Cependant, c’est bien la réflexion sur la formation qui fut avant tout et peut-être surtout un moteur essentiel dans l’évolution de la psychanalyse française.
Références
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