L’histoire de la Société Psychanalytique de Paris est intimement liée au développement du mouvement psychanalytique en France. On peut schématiquement distinguer une évolution en quatre étapes :
1/ Avant 1926 : Constitution d’un premier cercle d’analystes « didacticiens »
2/ 1926 -1953 : Création de la SPP ; envol de l’après guerre ; relations au « socius »
3/ 1953 -1968 : Conflits, scissions et développements théorico-cliniques
4/ Depuis 1968 : Lente résolution des conflits sur la formation, créativité théorique, simplification de l’organisation
Bibliographie
5/ 1975-1984 : rappel historique de la vie institutionnelle (J.Schaeffer)
1/ Avant 1926 : Constitution du premier cercle d’analystes didacticiens
La psychanalyse n’a pas connu en France de pionniers héroïques comparables à Abraham, Ferenczi ou Jones et son introduction y fut relativement tardive. Freud a même pu parler d’une « réticence » particulière à son égard liée à l’hostilité du milieu médical français. En effet, ce sont d’abord des écrivains (P. Bourget, A. Gide et R. Rolland dans un premier temps, puis A. Breton et le mouvement surréaliste dans un second temps) qui accueillent en France la psychanalyse et participent à sa diffusion.
Si quelques médecins ont montré de l’intérêt pour les thèses freudiennes avant la Première Guerre Mondiale (Morichau-Bauchant, Régis et Hesnard) la méthode psychanalytique fut en fait importée en France par des étrangers : une Polonaise, un Allemand, des Suisses, formés à Vienne et à Berlin.
C’est de l’année 1921 qu’il est possible de dater les débuts d’une pratique de la méthode psychanalytique en France : Eugénie Sokolnicka, élève de Freud et de Ferenczi, est introduite à l’Hôpital Sainte-Anne, dans le service d’un éminent psychiatre d’enfants, le Professeur G. Heuyer. Puis elle entreprend en 1923 les premières analyses « didactiques » de ceux qui allaient figurer parmi les fondateurs de la Société Psychanalytique de Paris (R. Laforgue, E. Pichon et R. Allendy).
En 1925, R. Loewenstein, analysé par H. Sachs et formé par l’Institut de Berlin, s’installe à Paris. Il prend en analyse A. Borel, H. Codet et G. Parcheminey. La même année, Marie Bonaparte, Princesse de Grèce, commence son analyse avec Freud, auquel l’avait recommandée R. Laforgue. De tous les psychanalystes français de la première génération, elle fut la seule à faire une démarche personnelle auprès de Freud, dont elle devait par la suite devenir très proche.
2/ 1926 – 1953 : Etablissement de la SPP, envol de l’après guerre, relations au « socius »
Ce premier cercle se développe et prend de l’importance tout au long des années 20 : C. Odier (analysé par F. Alexander et formé à Berlin) et R. de Saussure (analysé par Freud, puis par F. Alexander) viennent de Suisse et contribuent à former, dans les années 1930, la génération d’analystes qui suivit. Avec R. Laforgue et R. Loewenstein, ils conduisent dans ces années d’avant-guerre les analyses didactiques de ceux qui ont formé la seconde génération de psychanalystes français. R. Loewenstein a été notamment l’analyste de J. Lacan, D. Lagache, S. Nacht, M. Cénac, J. Leuba, P. Mâle, et R. Laforgue, celui de F. Dolto et J. Favez-Boutonnier, entre autres.
Entre 1928 et 1939 les passages à Paris de O. Rank, de H. Sachs, de R. Spitz et de H. Hartmann, ont donné l’occasion à certains de ces analystes nouvellement formés de faire de brèves tranches et d’approfondir ainsi leur formation.
Dès cette époque, les analyses pratiquées en France se font souvent à trois séances par semaine.
Une Société dotée de moyens d’action
La Société Psychanalytique de Paris (SPP) voit le jour en novembre 1926. Ses fondateurs sont M. Bonaparte, E. Sokolnicka, A. Hesnard, R. Allendy, A. Borel, R. Laforgue, R. Loewenstein, G. Parcheminey et E. Pichon. Elle a été précédée en août 1926 par la création de la « Conférence des Psychanalystes de Langue française » (à l’origine du « Congrès des Psychanalystes de Langues romanes », devenu aujourd’hui le « Congrès des Psychanalystes de Langue française »).
Une revue accompagne aussitôt cette création : le premier numéro de la Revue française de Psychanalyse paraît en juin 1927. Celle-ci devient l’« organe de la SPP, section de la Société Internationale de Psychanalyse, publiée sous le patronage du Pr. Freud ».
En janvier 1934, la générosité de la Princesse M. Bonaparte permet la création l’Institut de Psychanalyse (137 bd. Saint-Germain) dont elle devient la Directrice. Il va abriter une importante bibliothèque.
Deux ans plus tard, en avril 1936, une Policlinique fonctionnant « sous les auspices de l’Institut » est fondée par J. Leuba et M. Cénac.
À la veille du second conflit mondial, en 1939, seize ans après sa création, la SPP a doublé son effectif : elle est alors composée de vingt quatre membres. Parallèlement à l’établissement et à la diffusion des traductions des plus importants ouvrages de Freud, ces années d’apprentissage ont permis au premier noyau de psychanalystes de recenser minutieusement la terminologie psychanalytique, d’approfondir les concepts et de lancer le développement de la clinique psychanalytique ainsi que de la psychanalyse appliquée.
La parenthèse de la guerre et de l’Occupation
Lorsque le second conflit mondial éclate, l’Institut de psychanalyse est fermé, (tous les documents éparpillés). Certains psychanalystes émigrent, tels M. Bonaparte et R. Loewenstein. Les analystes suisses repartent à Genève, ou aux U.S.A. tels R. de Saussure qui, comme R. Loewenstein, s’installe à New York. Certains se lancent dans des activités de résistance, tels S. Nacht, ou militaires tels P. Schiff. J. Leuba, G. Parcheminey ou J. Lacan continuent un exercice plus ou moins clandestin de la psychanalyse.
L’essor de l’après-guerre, création de « l’Institut »
Dès 1945, à la Libération, la SPP se réorganise et le mouvement psychanalytique prend un véritable essor. La Psychanalyse apparaît alors comme la nouvelle discipline qui secoue les modes de pensée « classiques ». Les pratiques psychiatriques et psychologiques s’orientent désormais vers elle. Autour des quatre membres fondateurs, R. Laforgue, M. Bonaparte, G. Parcheminey et A. Hesnard qui ont survécu, se regroupent M. Cénac, O. Codet, F. Dolto, J. Lacan, D. Lagache, J. Leuba, B. Reverchon-Jouve et M. Schlumberger.
Par ailleurs sous l’Occupation des analyses se sont poursuivies et une nouvelle génération d’analystes est apparut : M. Benassy, A. Berge, M. Bouvet, R. Diatkine, J. Favez-Boutonnier, P. Mâle, S. Lebovici, F. Pasche, parmi d’autres.
À partir de ce moment, des candidats de plus en plus nombreux demandent à être formés, entraînant la nécessaire création d’un « Institut » de formation ainsi que l’établissement de critères et de normes concernant la formation et la transmission. Une « Doctrine de la Commission de l’Enseignement » de la SPP est publiée en 1949, rédigée en grande partie par J. Lacan. Elle réaffirme l’appartenance des psychanalystes Français à l’API.
Psychanalyse et Parti Communiste
Dès les lendemains de la Seconde Guerre mondiale certains psychanalystes s’étaient engagés comme militants au Parti Communiste. Mais à cette époque, les milieux marxistes, aussi influents dans les milieux intellectuels que purent l’être entre les deux guerres les milieux littéraires liés au surréalisme, entretiennent une relation très ambivalente (faite de fascination et de répulsion) envers la psychanalyse.
Dans le contexte de la « guerre froide » la psychanalyse y est considérée comme une idéologie réactionnaire, inspirée par les développements venus des États-Unis, et stigmatisée comme un « agent corrupteur destiné à anesthésier la lutte des classes » du fait des valeurs « paternalistes », « bourgeoises » et « individualistes » qu’elle est accusée de défendre. Ainsi une violente campagne de dénigrement est-elle orchestrée par le Parti Communiste et inaugurée par la publication d’un manifeste intitulé « Autocritique - La psychanalyse, idéologie réactionnaire » qui paraît dans Nouvelle Critique (n° 7). Il est signé par des psychiatres communistes et quelques psychanalystes membres de la SPP (J. et E. Kestemberg, S. Lebovici et S.A. Shentoub). Ceux-ci ne tarderont pas à désavouer ce texte et à quitter le Parti Communiste où ils militaient depuis l’occupation.
« L’analyse laïque » gagne un procès
Le problème concernant la pratique de l’analyse par des non-médecins est venu au devant de la scène à l’occasion du procès intenté à Madame Clark-Williams (psychanalyste américaine travaillant au Centre Claude-Bernard) pour exercice illégal de la médecine en mars 1950. Le procès s’est terminé par un acquittement, en mars 1952, qui a fait jurisprudence. Celui-ci a ouvert aux psychanalystes non médecins la possibilité d’un exercice professionnel légal.
Si à l’inauguration du nouvel Institut de Psychanalyse, en juin 1954, E. Jones le Président de la « British Society » pouvait comparer le développement de la Société de Psychanalyse de Paris à celui d’une cure : « lente, mais elle semble assurée », l’année précédente (1953) sera l’année où des conflits internes au sein de la Commission d’Enseignement deviennent si vifs qu’ils entraînent une ‘scission’ au sein même de celle-ci.
3/ 1953-1968 : Conflits internes, scissions et développements théorico-cliniques
Divergences sur la formation, heurts entre 3 personnalités :
À partir de la reconstitution de l’Institut de Psychanalyse (ré-ouvert en mars 1953), un certain nombre de conflits, centrés sur son mode de fonctionnement et les problèmes posés par la formation, surgissent entre trois hommes de la même génération : S. Nacht à qui il est reproché de chercher à exercer un pouvoir « hégémonique », D. Lagache qui se réclame de l’Université et J. Lacan, dont la pratique (notamment en ce qui concerne les séances à « durée variable ») suscite des inquiétudes et des conflits qui se cristallisent autour de sa personne.
L’année 1953 est occupée par l’élaboration des statuts de l’Institut et par les divergences profondes qui se créent autour des projets concernant la formation. Elles aboutissent le 16 juin 1953 à une scission due à la démission d’une partie du groupe des analystes formateurs autour de D. Lagache, groupe que J. Lacan rejoint très rapidement. Ce groupe devient la « Société Française de Psychanalyse » jusqu’à la scission que cette Société connaît à son tour, en 1963, du fait de l’opposition de l’API à la personnalité de J. Lacan. Celui-ci et ses adeptes fondent alors l’« École Freudienne de Paris », tandis que les autres analystes qui désirent rester au sein de l’API, et qui ne le suivent pas, fondent l’« Association Psychanalytique de France ».
Luttes de pouvoir entre SPP et Institut
À partir de 1953-1954, l’Institut de Psychanalyse, que S. Nacht va diriger jusqu’en 1962, prend de l’ampleur : il devient un lieu d’enseignement, de formation pratique, ainsi qu’un centre de recherches. Ce qui deviendra ultérieurement le Centre de consultations et de traitements psychanalytiques Jean-Favreau (C.C.T.P.) sera créé en 1954 par l’Institut de psychanalyse à l’initiative de S. Nacht et de R. Diatkine. Il se constitue en association indépendante de la SPP, mais organiquement liée à elle. Cependant, le « pouvoir » qui était ainsi conféré aux analystes formateurs (didacticiens), regroupés dans la Commission d’Enseignement de l’Institut de Paris, fut à l’origine de nombreux conflits entre SPP et Institut au cours des trois décennies suivantes.
Développements théorico-cliniques importants
Ces conflits n’empêchent pas, et vont même favoriser, un déploiement théorique extrêmement fécond à l’origine de fructueuses avancées théorico-cliniques. La psychanalyse des adultes évolue à la suite des travaux, entre autres, de M. Bouvet sur la « relation d’objet », de B. Grunberger sur le « narcissisme » et de F. Pasche dont l’œuvre s’inscrit dans une défense orthodoxe du freudisme. Par ailleurs, la psychanalyse étend ses indications et montre sa pertinence dans des domaines nouveaux : c’est ainsi que la « psychanalyse de l’enfant et de l’adolescent », sous l’impulsion de R. Diatkine, de S. Lebovici, d’une part, et de P. Mâle, d’autre part, connaissent un considérable développement.
À la même époque, la psychosomatique ouvre des perspectives innovantes à la suite des travaux de P. Marty, qui fonde l’École Psychosomatique de Paris avec C. David, M. Fain et M. de M’Uzan.
Un champ de recherche se développe aussi autour des psychoses (P.-C. Racamier).
4/ Depuis 1968 : conflits sur la formation, créativité théorique, développements contemporains
La question de la formation des psychanalystes
Celle-ci n’a cessé d’être une source de tensions et d’oppositions au sein de la SPP Elle n’a cependant pas remis en question l’unité du groupe, qui, depuis plus d’un demi-siècle, a maintenu ouverte une réflexion théorique sur la transmission de la psychanalyse, tout en maîtrisant les différends, parfois vifs, que suscitent ce problème. Ces querelles se sont peu à peu résolues dans le sens d’une simplification et d’une « démocratisation » des étapes successives du cheminement formateur :
- Dès 1959, S. Nacht avait supprimé tout rapport de l’analyste didacticien sur l’évolution du candidat. Il s’agit de l’introduction du principe de la non intervention et de la stricte neutralité de l’analyste dans le cursus du futur analyste – suppression donc du « reporting analyst ».
- Autour de 1968, la nouvelle génération de membres s’est vivement opposée sur la question de la ‘formation des psychanalystes’ aux membres fondateurs, accentuant ainsi la tension entre la SPP et l’Institut statutairement totalement indépendants.
- Après de nombreuses discussions, la crise se résout par deux réformes :
• La « présélection » est supprimée en 1967 : le postulant n’a plus aucune demande préalable ni démarche à faire auprès de l’Institut avant de commencer son analyse. Quand il présente sa demande de formation à l’Institut, il doit être suffisamment avancé dans sa cure. Le critère essentiel de son admission consiste en son « insight » et sa capacité d’évoquer ses processus inconscients.
• La distinction entre l’analyse « didactique » et l’analyse thérapeutique est en principe supprimée en 1969. Toutefois, la contradiction entre ce principe et la réalité du maintien des analystes didacticiens va continuer à alimenter des conflits internes à la SPP pendant une trentaine d’années.
- Malgré quelques améliorations, la situation administrative reste bloquée jusqu’en 1986 date à laquelle A. Jeanneau fait adopter la réforme qui réunit la SPP et ses Instituts (Institut de Paris, puis ultérieurement, après sa fondation, l’Institut de Lyon) en une seule et même association : la SPP devient alors la seule Association responsable et inspiratrice de la transmission de la psychanalyse. Elle garantit « l’autonomie de la Commission de l’Enseignement » ; les Instituts sont statutairement définis comme organes d’enseignement et de formation de la SPP
- Le problème de l’analyse didactique ne devient cependant résolu qu’en 1994 (Commission d’Enseignement du 27 septembre 1994) : depuis lors, toute personne analysée par un membre de la SPP et de l’API, quelle que soit sa catégorie, peut se présenter à l’un des Instituts (Institut de Paris ou Institut de Lyon).
La créativité théorique
Paradoxalement et comme dans la période précédente, les querelles internes n’eurent pas d’effets négatifs sur la créativité théorique de la SPP
Au contraire, les années soixante-dix ont représenté l’« âge d’or » de la théorie psychanalytique française avec les travaux de nombreux auteurs qui – comme J. Bergeret, D. Braunschweig, J. Chasseguet-Smirgel, C. David, R. Diatkine, J.-L. Donnet, M. Fain, J. Gillibert, A. Green, B. Grunberger, J. Guillaumin, E. Kestemberg, S. Lebovici, P. Marty, M. de M’Uzan, J. McDougall, M. Neyraut, C. Parat, C. Stein, S. Viderman, entre autres –, viennent enrichir la littérature analytique, ce qui entraîne un regain d’intérêt et une modification de l’image de la psychanalyse française hors de ses frontières.
Développements contemporains
En 1997, la SPP obtient la Reconnaissance d’Utilité Publique (R.U.P. – décret du 8 août 1997), laquelle conduit à une réduction en nombre de membres élus du Conseil d’Administration, ainsi qu’à la création d’un Conseil Scientifique et Technique. La réunification de la SPP et de ses Instituts (Paris et Lyon) a permis à la SPP de multiplier ses ouvertures au public en organisant des « Colloques ouverts » - dont le premier fut tenu à l’Unesco, en 1988, sous la présidence d’André Green –, tout en cherchant aussi à assurer son développement dans les régions.
En 2006, une Réforme des Statuts réduit à deux les trois anciennes catégories de membres (Affiliés, Adhérents et Titulaires), les Affiliés devenant Adhérents et les Adhérents et Titulaires devenant Titulaires, parmi lesquels sont élus les Titulaires ayant fonction de Formateurs.
Tout en ayant la volonté de maintenir ouverte une réflexion théorique affranchie de tout dogmatisme, la SPP a dû affronter ces dernières années les problèmes que pose sa légitimité face au « socius » (création d’une Commission d’Éthique, réflexion sur la pertinence ou non d’un « statut du psychanalyste », problème posé par les remboursements des Caisses d’Assurance Maladie, la question « psychothérapie / psychanalyse », etc.).
Ainsi fait-elle preuve d’une capacité d’évolution et d’une remarquable vitalité, qui donnent à ses membres le sentiment d’appartenir à un groupe demeurant dans la filiation de Freud, ouvert aux développements possibles de sa pensée et capable d’admettre l’affrontement de points de vue divergents dans la tolérance réciproque.
Bibliographie
Barande Ilse et Robert (1975), Histoire de la psychanalyse en France, Privat.
Girard Claude (1989), Histoire de la formation dans la Société Psychanalytique de Paris, Revue Internationale d’Histoire de la Psychanalyse, 2, P.U.F., p.303-382.
Green André (1988), Vue de la Société Psychanalytique de Paris : une conception de la pratique, Revue française de Psychanalyse, 52, 3, p.569-593.
de Mijolla Alain (1982), La psychanalyse en France, Histoire de la psychanalyse T.II, Sous la Dir. de R. Jaccard, Hachette, p.9-105.
Schaeffer Jacqueline (2014), « Nouveau Rappel Historique de la Vie Institutionnelle de la SPP », voir le « Site de la SPP ».