Clivage et refoulement dans la situation analytique et non pas clivage ou refoulement. Pourquoi à propos de la cure, associer et ne pas opposer les deux mécanismes ? Comment « le processus de défense du moi », sollicité par l’expérience du transfert les utilise-t-il ? Exclusivement, alternativement, simultanément ?
Il est classique de considérer un peu rapidement, clivage et refoulement comme des stratégies de défense du moi différentes voire opposées. Le refoulement du côté de la névrose et le clivage comme lié à la problématique du déni, déni de la castration dans les perversions, ou d’une part plus ou moins grande de la réalité dans les états limites et les états psychotiques. Cette opposition est même utilisée comme un repérage diagnostique pratique, en référence à une nosographie psychanalytique plus ou moins explicite.
Mais, chez Freud, le clivage est loin d’être un phénomène univoque et son rapport au refoulement n’est pas posé sur le mode de l’alternative. D’ailleurs, à propos de l’article princeps de 1938, « Le clivage du moi dans le processus de défense » le premier titre qui vient sous sa plume est « Le clivage du moi comme processus de défense ». Remplacer le « comme » par « dans » traduit un changement de perspective : de défense spécifique, le clivage devient un mécanisme qui s’inscrit conjointement au refoulement dans le processus de défense du moi.
Ce changement de 1938 pose donc la question de pouvoir situer le clivage dans le système des défenses du moi et de l’envisager comme participant d’un processus global.
En 1927, l’article sur le fétichisme apporte la preuve théorico-clinique de la coexistence possible du déni de la castration et de sa reconnaissance simultanée. Mais Freud est alors obligé de renverser sa théorie du refoulement : c’est le refoulement de l’affect qui permet de soutenir la reconnaissance simultanée de la castration. Refoulement et déni peuvent alors s’articuler et Freud retrouve son hypothèse de 1924 celle de la possibilité pour le moi de « faire amende de son unité » ce qui expliquerait « les extravagances et les folies des hommes ». Le clivage peut alors devenir un concept métapsychologique et les travaux terminaux de 1938 , « Le clivage du moi… » déjà cité et « L’abrégé de psychanalyse » résument les questions qu’il pose. Est-il un mécanisme de défense, qui dans des circonstances traumatiques singulières pallie les défaillances du refoulement tout en ouvrant sur un déni de réalité ? Ou est-il un entre deux, un facteur de régulation qui, dans des contextes de perte et de séparation, permet d’éviter l’alternative refoulement/déni et réduit leurs excès respectifs ? Enfin ces deux possibilités renvoient-elles à des formes différentes de clivage ?
Ces questions se recoupent si l’on envisage le rapport du clivage et du refoulement. À quelles conditions en effet ce rapport est-il maintenu ou rompu ? Et en cas de rupture peut-il à nouveau devenir fonctionnel ?
Au cours de ces journées de rencontres, nous souhaitons donc remettre sur le métier la problématique freudienne du rapport clivage/refoulement. Questionnement nécessaire, car la reconnaissance et la non-reconnaissance simultanées d’éléments du ça et de la réalité ouvrent le champ de l’illusion et de la transitionnalité. En d’autres termes nous nous demanderons à quelles conditions le clivage peut être une rupture ou un passage ?
Nous travaillerons successivement deux situations cliniques : un travail analytique en face à face et une psychanalyse divan/fauteuil.
BIBLIOGRAPHIE FREUDIENNE
Freud S. (1985c [1887-1904]) Lettres à Wilhelm Fliess : 1887-1904, trad. fr. F. Kahn, F. Robert, Paris, PUF, 2006.
Freud S. (1894 a), Les psychonévroses de défense : essai d’une théorie psychologique de l’hystérie acquise de nombreuses phobies et obsessions et de certaines psychoses hallucinatoires, Névrose, psychose et perversion, trad. fr. J. Laplanche, Paris, PUF, 1973 ; OCF.P, III, 1989 ; GW, I.
Freud S. (1908 c), Les théories sexuelles infantiles, La vie sexuelle, trad. fr. J.-B. Pontalis, Paris, PUF, 1969 ; OCF.P, VIII, 2007 ; GW, VII.
Freud S. (1909 d), Remarques sur un cas de névrose obsessionnelle (l’Homme aux rats), Cinq psychanalyses, trad. fr. M. Bonaparte, R. M. Loewenstein, Paris, PUF, 1966 ; OCF.P, IX, 1998 ; GW, VII.
Freud S. (1914 d), Sur l’histoire du mouvement psychanalytique, trad. fr. C. Heim, Paris, Gallimard, 1991 ; OCF.P, XII, 2005 ; GW, X.
Freud S. (1915 d), Le refoulement, Métapsychologie, trad. fr. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Paris, Gallimard, 1968 ; OCF.P, XIII, 1988 ; GW, X.
Freud S. (1917 e [1915]), Deuil et mélancolie, Métapsychologie, trad. fr. J. Laplanche, J.-B. Pontalis, J.-P Briand, J.-P. Grossein, M. Tort, Paris, Gallimard, 1968 ; OCF.P, XIII, 1988 ; GW, X.
Freud S. (1921 c), Psychologie collective et analyse du Moi, Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1972 ; OCF.P, XVI, 1991 ; GW, XIII.
Freud S. (1923 b), Le Moi et le Ça, Essai de psychanalyse, trad. fr. J. Laplanche, Paris, Payot, 1981 ; OCF.P, XVI, 1991 ; GW, XIII.
Freud S.(1924), Névrose et psychose, Paris Puf, 1973
Freud S. (1924 e), La perte de la réalité dans la névrose et la psychose, Névrose, psychose et perversion, trad. fr. D. Guérineau, Paris, PUF, 1973 ; OCF.P, XVII, 1992 ; GW, XIII.
Freud S. (1925 h), La négation, Résultats, idées, problèmes, II, Paris, PUF, 1985 ; OCF.P, XVII, 1992 ; GW, XIII.
Freud S. (1927 e), Le fétichisme, La vie sexuelle, trad. fr. D. Berger, Paris, PUF, 1969 ; OCF.P, XVIII, 1994 ; GW, XIV.
Freud S. (1933a [1932]) 31e leçon : la décomposition de la personnalité psychique, Nouvelles conférences d'introduction à la psychanalyse, trad. fr. M. R. Zeitlin, Paris, Gallimard, 1984 ; OCF, XIX, 1995 ; GW, XV.
Freud S. (1940 a [1938]), Abrégé de psychanalyse, trad. A. Bermann, revue par J. Laplanche, Paris, PUF, 1985 , OCF., XX, 2010 ; GW, XV.
Freud S. (1940 e [1938]), Le clivage du Moi dans le processus de défense, Résultats, Idées, Problèmes, II, Paris, PUF, 1985, OCF., XX, 2010 , GW, XVII.
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE
BAYLE, Gérard, Clivages, Coll. Le fil rouge, Presses Universitaires de France, Paris, 2012
CHABERT Catherine et KAHN Laurence, Il y a clivage et clivage, Le Carnet Psy, Ed. Cazaubon, n° 190, 2015/5 pp. 20-30
ROUSSILLON, René. Agonie, clivage et symbolisation, Coll. Le fait psychanalytique, Presses Universitaires de France, 1999
Les clivages in Revue Française de Psychanalyse, vol. 60, n° 5, spécial congrès, Paris, Presses Universitaires de France, 1996