« Psychoanalysis in the treatment of autism: why is France a cultural outlier? » de Dorothy Bishop et Joel Swanson publié en ligne par Cambridge University Press: 17 December 2020
Version française :
La parution dans votre revue en décembre 2020 de l’article de Dorothy Bishop et Joël Swanson appelle plusieurs critiques. La première est de tirer argument dans une revue scientifique d’un pamphlet antipsychanalytique – le film Le Mur de Sophie Robert (1) – obtenu de manière déloyale – comme l’indiquait un jugement en première instance (2), infirmé en appel au titre de la liberté d’expression et que l’autorisation signée incluait le montage de l’interview (3), pour déconsidérer la psychanalyse et, plus grave, vouloir en censurer l’enseignement en psychologie.
La question de la meilleure façon d’aider les enfants et les personnes autistes mérite un débat d’un autre niveau. Une remarque préalable sur cette « particularité culturelle française » s’appuyant sur les travaux lacaniens, alors qu’un courant important de la psychanalyse de l’enfant en France – dont Didier Houzel cité dans l’article – s’appuie sur les travaux de psychanalystes anglais, Frances Tustin et Donald Meltzer, qui à la suite de WR Bion ont réfuté – n’en déplaise à K.Popper – le présupposé de M.Klein que l’enfant dispose dès la naissance d’un moi et d’une représentation de l’objet, et de capacités de projections et d’identifications. J’ai souligné (Ribas, 2004) (4) que les travaux psychanalytiques qui considèrent que la séparation psychique entre le dedans et le dehors ne s’est pas construite dans l’autisme rejoignent précisément les travaux dans le champ de la cognition de Simon Baron-Cohen et Uta Frith (5) sur l’absence de « theory of mind ».
Les différents courants psychanalytiques français ont pour la plupart abandonné les naïvetés de l’après-guerre sur la responsabilité de l’environnement dans la survenue des maladies mentales. Les témoignages d’anciens autistes nous ont montré que les symptômes ont un sens – ce qui était souvent dénié – mais pas le sens d’une défense psychosexuelle. Alors que c’était contesté, Jean-Marie Vidal, anthropologue et lui aussi chercheur au CNRS, avait montré expérimentalement qu’une défense était bien à l’œuvre dans l’autisme contre l’irruption d’un tiers dans une relation à deux. Il souligne aujourd’hui (2020) (6) l´importance de cette reconnaissance du tiers dans l’accès à la symbolisation qui conditionne l’entrée dans le langage. Enjeu essentiel dans l’autisme.
Le défi d’une évaluation scientifique des résultats des psychothérapies a été relevé, par exemple par J-Michel Thurin et coll. (2014) (7) Par ailleurs l’évaluation des traitements analytiques pour être pertinente doit se faire dans la temporalité longue de la construction psychique. Ils sont bien sûr toujours associés à une prise en charge pluridisciplinaire.
Signalons un détournement polémique de la position rigoureuse de la Haute Autorité de Santé française : ne pouvant disposer à l’époque d’éléments objectifs pour évaluer les psychothérapies, elle ne pouvait en recommander l’utilisation. Ceci ne veut pas dire que des preuves montraient qu’elles étaient à déconseiller.
Par ailleurs une séquelle étrange du conflit entre Bettelheim et Éric Schopler – l’inventeur de la méthode TEACCH – semble lier hypothèse étiologique et traitement. Comme si seule une origine relationnelle pouvait bénéficier d’une psychothérapie ! Et en quoi une origine organique ne relèverait-elle que du comportementalisme ? L’ABA que les auteurs soutiennent sans réserve a pourtant du mal à tenir ses promesses. Si l’on en croit l’étude Tricare (8) réalisée pour le congrès américain en 2019 sur 16111 patients, l’ABA aurait été inefficace dans 76% des cas.
Ceux qui vivent avec des autistes connaissent leurs crises de terreur et les témoignages d’anciens autistes nous ont appris leurs souffrances du fait des difficultés à intégrer les implicites sociaux. Quel que soit l’origine de leurs autismes n’auraient-ils pas le droit d’être aidés ?
Dr Denys Ribas, psychiatre, pédopsychiatre et ancien président de la Société psychanalytique de Paris.
denysribas@free.fr
Bibliographie
- Robert S. Le Mur, ou la psychanalyse à l’épreuve de l’ Robert S. Le Mur, ou la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme. Océan Invisible Productions, 2011, (https://www.dailymotion.com/video/x16d4fv).
- Judgment n° 11/09079 the January 26, 2012 of the Tribunal de Grande Instance de Lille.https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjj4c7arezvAhUOqxoKHVbyBQEQFjACegQIBBAD&url=http%3A%2F%2Fwww.lacanquotidien.fr%2Fblog%2Fwp-content%2Fuploads%2F2012%2F03%2FDOSSIER-DE-PRESSE.-Jugement-condamnant-Sophie-Robert-auteur-du-film-Le-Mur-26jan2012.pdf&usg=AOvVaw3afXCYDUUZKcW5E7wX7bk7
- Judgment of the Court of Appeal of Douai the January 16, 2014, n°12/00826.https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwjj4c7arezvAhUOqxoKHVbyBQEQqa4BMAF6BAgGEA0&url=http%3A%2F%2Fblogs.lexpress.fr%2Fthe-autist%2Ffiles%2F2014%2F01%2FDECISION-LE-MUR.pdf&usg=AOvVaw02P2aQUxjs9aRvTbbFT2-k
- Ribas D. (2004), Autism, Debates and Testimonies, trad. by S. Leighton, Free Association Books, London, 2006.
- Baron-Cohen, S. ; Leslie, A.M. ; Frith, U. 1985, « Does the autitic childhave a “theory of mind” ? », Cognition, 21, pp. 37-46.
- Vidal, J.-M. 2020, Une approche anthropologique. La question du tiers. Paris, PUF.
- Thurin, J. M. ; Thurin, M. ; Cohen D. et Falissard, B. 2014. « Approches psychothérapiques de l’autisme. Résultats préliminaires à partir de 50 études intensives de cas », Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, 62: 102-118.
- The Department of Defense Comprehensive Autism Care Demonstration Quarterly Report to Congress Second Quarter, Fiscal Year 2019. In Response to: Senate Report 114–255, Page 205, Accompanying S. 2943, the National Defense. Authorization Act for Fiscal Year 2017
Lien pour lire l’article de Dorothy Bishop et Joel Swanson
English Version :
The matter was that a scientific journal would present an article based on an anti-psychoanalytic pamphlet – the movie: Le Mur by Sophie Robert (1) – which was at first struck down by the courts (2) only to be published later, after an appeal, on the grounds of freedom of speech and that the signed authorization authorized the editing of the interview (3). The aim of that pamphlet was not only to denigrate psychoanalysis but, even more worrisome, it hoped to censure psychoanalysis from the psychology curriculum.
The question of the best way to help children and those suffering from autism deserves to on another ground. A preliminary remark calls out “this French cultural particularity” drawing on works by Lacanian authors, whereas there exists in France an important current of work on the psychoanalysis of children—such as that of Didier Houzel referenced in this article—who follows the works of English psychoanalysts such as Frances Tustin and Donald Meltzer, who, along with W.R. Bion, refuted—regardless of what K. Popper writes—M. Klein’s presupposition that children have an ego and a representation of the object from birth, as well as the ability to project and to identify. I have emphasized (Ribas, 2004) (4) that the psychoanalytic work which considers that the psychical separation of outside from inside which did not develop in autism, finds common ground with the cognitive studies of Simon Baron-Cohen and Uta Frith (5) when they evoke the absence of the “theory of mind.”
The different French schools of psychoanalytic thought have, for the most part, abandoned the naïve post-war notion that the environment is responsible for the onset of mental illnesses. Those who have recovered from autism have testified and shown us that their symptoms have meaning but not in the sense of a psychosexual defense, although this has often been denied. Even when he was challenged for his work, Jean-Marie Vidal, anthropologist and researcher at the CNRS, demonstrated experimentally that there was indeed a defense at work in autism against the eruption of a third party in a two-person relationship. Today, he underscores (2020) (6) the importance of recognizing the third party to achieve symbolization, a necessary condition in the emergence of language, which is so much at stake in autism.
Jean-Michel Thurin and his team (2014) (7), for example, accepted the challenge of scientifically evaluating the results of psychotherapies. It should be noted that, for these studies to be pertinent, evaluating psychoanalytic treatments must be carried out during the long time frame of psychical construction. They are, of course, always associated with pluri-disciplinary treatments.
It is important to note the controversial misunderstanding of the rigorous position of the the French high health authority (8) : when this occurred, they did not have the objective elements necessary to evaluate psychotherapies, and so they were unable to recommend them. This did not mean that there were proofs that would lead them to advise against psychotherapies.
On another note, there is a strange after effect from the conflict between Bettelheim and the inventor of the TEACCH method, Eric Schopler, which seems to link etiological hypothesis and treatment. It is as if psychotherapy would not be beneficial unless there were relational problems at the beginning. And why would organic troubles only be treated with behavioral therapy? ABA, supported by the authors without question, has not delivered on its promises. If we consider the Tricare study (9), carried out by the American Congress in 2019 on 16,111 patients, ABA was not effective in 76% of the cases.
Those who live with autistic people are familiar with their anxiety attacks, and the testimony from those having recovered from autism, taught us that they suffered from not having been able to integrate that, which is socially implicit. Whatever the origin of their autism, should they not have the right to be helped ?
Docteur Denys Ribas, psychiatrist, pedopsychiatrist, Full member trainer and former president of la Société psychanalytique de Paris.
Lire l’article original de Dorothy Bishop et Joel Swansonsur www.cambridge.org
Bibliography :
1. Ribas D. 2004, Autism, Debates and Testimonies, trad. by S. Leighton, Free Association Books, London, 2006.
2. Baron-Cohen, S. ; Leslie, A.M. ; Frith, U. 1985, « Does the autistic childhave a “theory of mind” ? », Cognition, 21, pp. 37-46.
3. Vidal, J.-M. 2020, Autismes. Une approche anthropologique. La question du tiers. Paris, PUF.
4. Thurin, J. M. ; Thurin, M. ; Cohen D. et Falissard, B. 2014. « Approches psychothérapiques de l’autisme. Résultats préliminaires à partir de 50 études intensives de cas », Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, 62: 102-118.
5. The “Haute Autorité de Santé”.
6. The Department of Defense Comprehensive Autism Care Demonstration Quarterly Report to Congress Second Quarter, Fiscal Year 2019. In Response to: Senate Report 114–255, Page 205, Accompanying S. 2943, the National Defense. Authorization Act for Fiscal Year 2017.