Contribution suite à la conférence, de Dominique Tabone-Weil
Juste quelques petits points :
– je ne suis pas d’accord pour qualifier de traumatique la situation que nous vivons. Elle est très différente pour les uns et pour les autres et je me demandais en écoutant Christine (dont l’exposé était passionnant) pourquoi beaucoup d’analystes parlent de situation traumatique pour eux-mêmes et pour les patients ou de « perte de repères ».
La première chose qui me vient à l’esprit est que le traumatique est lié à une impréparation.
Or nous étions tout à fait préparés à ce confinement. Il ne nous est pas tombé dessus du jour au lendemain. De même l’épidémie. Cette impréparation viendrait-elle d’un déni analytique de la réalité extérieure ? Une sorte de croyance à la seule réalité psychique et à la seule réalité de la séance et du processus ? A un déni de notre mortalité de notre vulnérabilité, particulièrement aujourd’hui où nous sommes entrés dans une crise environnementale grave dont cette pandémie n’est qu’une des manifestations (attendues, je le répète)? Bien sûr que nous pouvons être malades (comme l’a fait remarquer Claude Rayna, y compris si nous ne le sommes pas encore), bien sûr que nous ne sommes pas, bien qu’analystes, immortels.
Comme Josiane, j’avais anticipé le confinement. En écoutant Christine dire qu’elle n’utilise pas les sms ni les mails, qu’elle ne répond pas à ceux qu’on lui envoie et qu’elle utilise le courrier, je me suis sentie coupable par rapport à un idéal analytique ancien, puisque je les utilise avec les patients. Cependant cela m’a permis de m’organiser tranquillement avec les patients, puisque c’est le moyen que j’ai utilisé (sms) Ce que j’ai fait le week-end précédant le confinement, proposant des séances par téléphone car poursuivre les consultations (ce qui impliquait ne l’oublions pas que les patients se déplacent et prennent les transports en commun). Certains ont accepté d’emblée, d’autres ont refusé puis sont revenus vers moi la semaine suivante ou la semaine d’après.
Pour ma part, je ne mets pas le téléphone contre l’oreille. Je pose le téléphone sur l’accoudoir de mon fauteuil avec le haut-parleur. J’ai décrit tout ça à chacun de mes patients pour la première séance par téléphone. Je leur ai demandé bien sûr de trouver un endroit tranquille où ils pouvaient s’isoler et s’installer confortablement (d’après ce que je sais, les patients en analyse s’allongent, mais pas sur leur lit !). Ainsi il n’y a pas pour moi en tous les cas, ni apparemment pour eux de « trop rapproché ou de trop loin ». A suivre…
Je n’ai pas de difficultés d’écoute, et j’utilise plus souvent le « qu’est-ce qui vous vient à l’esprit ? » ou le « Oui ? » interrogatif quand les silence se prolongent. Ce silence pas en présence demande sans doute à être apprivoisé, que ce soit par le patient ou par l’analyste. C’est un point très intéressant.
À propos du paiement, de Laurence Aubry
Parmi les questions qui pourraient être abordées lors de ces réunions, je retiens celle du paiement des séances.
La question peut être mise en lien avec l’agressivité, éventuellement contre investie, ou déniée.
Dans ma pratique, se distinguent :
– Les patients qui ont abordé la question
J’ai vite pris le parti de leur demander d’abord ce qu’ils imaginaient. Certains ont proposé le virement, ce que j’ai accepté. L’avantage est que cela permet de maintenir le rythme convenu pour le paiement, mais pas la modalité : espèces, chèques. Une autre a préféré tenir registre de sa dette : elle mettra de l’argent de côté, et me règlera lorsque nous nous reverrons. Cela s’inscrit dans l’approfondissement du lien transférentiel alors que nous en étions encore à des entretiens espacés. La distance entre nous lui permet de plus en plus d’envisager des séances régulières sans se sentir menacée d’un « coup dans le dos ». Cela entre en résonance avec la vignette présentée par Kalyane Fejto.
L’une des analysantes qui a proposé les virements, et les a mis en place très rapidement, a formulé de façon explicite et répétée la demande que je lui confirme avoir bien reçu ses virements chaque semaine : elle a relié cela à l’importance qu’ont pour elle les rituels qui font partie du cadre, et règlent le passage entre le dedans et le dehors de la séance (venir, monter les escaliers, se saluer, s’installer). C’est important que je parle un peu en début de séances, exprime-t-elle. « Il manque ce moment d’échange » : elle parle de l’échange d’argent, mais aussi de regards. J’ai pensé aux « jeu de mains qui vont » avec. Une autre formule de cette analysante est éloquente : « L’analyse, c’est quand même deux personnes, deux corps dans la même pièce ». Cela vaut, je trouve, les formules de Anna O. pour nommer la thérapie inventée par Freud dans les Études sur l’Hystérie. Ce qui passe par la voix ne pallie pas le manque et la frustration redoublée qui lui est imposée, comme à moi. Je pense qu’il y aurait donc aussi à réfléchir sur l’agressivité qui se trouve libérée, et alimente la destructivité, potentiellement retournée contre soi.
Une autre analysante s’arrange très bien de cette dématérialisation, tandis que les séances, depuis le confinement, laissent plus de place à l’expression de sa sexualité infantile, contre investie comme « sale » ; le fantasme de prostitution se noue avec les pulsions partielles liées au regard (exhibitionnisme, voyeurisme) : les séances sont riches, mais je me demande ce qu’il en restera lorsque nous sortirons de « l’exception », un trait auquel cette analysante s’identifie, ce que nous avons déjà travaillé.
– Les patients qui n’en parlent pas
Décontenancée, j’ai été obligée d’attendre ; ce que je ne regrette pas, même si je me sens en délicate posture avec ce problème. Cela m’a permis de me dire que, comme toujours, il s’agit de s’abstenir jusqu’à que cela apparaisse dans le matériel. Ce fut le cas pour un patient, qui s’engage avec beaucoup de résistances dans une psychothérapie : cela a pu se relier à sa culpabilité, et à son agressivité envers une figure du transfert, la sœur aînée ; il a opté pour le virement, et j’attends qu’il le mette en place…
Deux autres personnes, deux hommes, n’ont pas abordé la question ; sans que j’aie trouvé, entendu, ou saisi, pour l’instant, une façon de revenir dessus qui soit analytique.
– Une dernière situation me donne à penser que c’est un élément important
Il s’agit de ce qui s’est passé avec mon unique cas en institution, pour un analysant que j’ai en cure sur le divan au Centre Evelyne et Jean Kestemberg, ou le traitement est gratuit.
Un jour avant l’annonce du confinement, j’avais abordé en séance la possibilité que nous devions prendre une décision pour les semaines à venir. Je ne savais pas encore ce qui serait mis en place par le CEJK, mais j’avais évoqué la possibilité de la suspension des séances, ou des séances par téléphone. « Ce sera un premier pas vers l’analyse en ville », me dit alors mon patient. J’avais alors évoqué, sans en réaliser sur le moment la dimension sadique, la question du paiement.
Il lui a été finalement proposé, par la secrétaire, la poursuite de l’analyse par téléphone, « dans les mêmes conditions que celles du centre », ce qu’il a accepté, exprimant, pour la première fois avec chaleur, sa reconnaissance. Pourtant ce ne sont pas exactement les mêmes conditions : comme en CMP, c’est moi qui l’appelle, avec mon numéro caché. Etait-ce la solution la meilleure ? Est-ce la même qui a été adoptée par d’autres centres de traitement gratuit ? L’IPSO ou le Centre Favreau par exemple ?
Une autre chose m’est apparue en écrivant ces notes : les séances par téléphone entraînent à un surinvestissement des représentations de mots : elles nous mettent davantage à l’écoute des doubles sens, mais nous oblige à être encore plus sensibles aux ouvertures fantasmatiques du langage.