Ce livre résulte d’un colloque de la Société psychanalytique de Paris (14-15 janvier 2006), organisé sous la direction d’André Green, et édité par Bernard Chervet. Particulièrement dynamique, la psychanalyse française subit aussi des attaques virulentes. La meilleure réponse est de faire connaître la réalité et la diversité de ses pratiques, la dimension de responsabilité et d’éthique qui les anime. L’expérience clinique en est la référence majeure et suscite l’exigence prioritaire d’une pensée clinique.
La première partie du livre est consacrée à la présentation des pratiques de la psychanalyse en France et à l’étranger (Angleterre, Etats-Unis, Argentine). Les réflexions de Jean-Luc Donnet sur la règle fondamentale et de Bernard Chervet sur l’exercice de la psychanalyse pemettent une problématisation du cadre et de la proposition analytique.
Un deuxième ensemble d’interventions vise à préciser les axes théoriques fondamentaux de la pratique des psychanalystes, qu’il s’agisse de cures psychanalytiques classiques ou de psychothérapies. Nous n’évoquerons que deux des huit contributions. René Roussillon montre la complexité du sexuel et du transfert ; il s’ensuit qu’au lieu d’interprétations isolées, c’est un processus interprétant qui est mis en jeu, détail par détail, dans une perlaboration qui se poursuit de séance en séance, et donne lieu à un fil interprétatif progressivement déployé. La notion d’altérité, si centrale dans les difficultés des patients non névrotiques, si essentielle à toute relation, mais tout particulièrement sollicitée par les processus de transfert, est explorée avec ampleur par Michel Neyraut : l’Autre absolu, l’autre selon Freud (modèle, objet, allié, adversaire, mais aussi source support d’identifications), l’autre de l’image, l’autre absent, l’autre de l’autre sexe (où s’articulent différences et bisexualité), et même l’autre de l’au-delà … Face aux contraintes de la façade à montrer, de la contenance à garder, comme aux complexités des identifications contradictoires, le carnaval est la fête maniaque de l’Autre qui resurgit avec éclat.
La dernière partie s’attache à dégager les principes des psychothérapies faites par le psychanalyste, avec deux contributions majeures sur la spécificité des pratiques psychanalytiques (B. Brusset) et sur les enjeux et limites des psychothérapies faites par le psychanalyste (R. Cahn).
Reflet de la diversité actuelle des pratiques, et de l’importance qu’y prend la réflexion sur les psychothérapies, cet ouvrage met en évidence les orientations et insistances fondamentales qui peuvent fonder et féconder ces pratiques et que l’on pourrait appeler les invariants du travail psychanalytique : l’infantile (M. Ody), le transfert, le langage (C. Delourmel), mais aussi le corps (D. Lheureux-Le-Beuf) et les temporalités (F. Duparc). On y voit combien ces repères forts, loin d’être statiques, sont l’objet d’une interrogation permanente et d’une élaboration en constant remaniement qui caractérise la pensée clinique sans cesse sollicitée par des patients dont les problématiques se sont radicalisées en même temps que les propositions analytiques se diversifiaient et s’ouvraient à de nouveaux types de traitement. Si la psychose est le négatif de la folie, comme le soutient J. Chambrier, la folie est présente dans tout transfert et la crainte de devenir fou ne manque jamais de survenir ; mais dans tout traitement, le processus dynamique doit permettre aux pulsions de vie de se manifester, en veillant « à ce que les différents régimes de fonctionnement et de pensée ne restent pas barrés par la destructivité, le travail du négatif ou les défenses de survie ». Au tournant des années 2000, les analystes ont très souvent affaire à une activité pulsionnelle mal liée, insuffisamment intriquée avec le Moi. Le Moi, souvent menacé dans sa cohérence, est aux prises avec un objet dangereux dont il dépend sans pouvoir s’en séparer ni opérer un déplacement ou une symbolisation. La prédominance de la désintrication pulsionnelle et de la destruction des liens contribue à déstabiliser des sujets débordés dans leurs capacités de contenance et d’interprétation, dont la vie psychique est souvent marquée par la confusion entre dedans et dehors. Si les recettes sont impossibles, des principes, formulés par André Green en conclusion du colloque, peuvent guider le travail du psychanalyste : reconnaître le caractère difficilement supportable du cadre et prendre acte de la grande sensibilité de nombre de patients aux traumas ravivés par la situation analytique ; prévoir les intolérances aux séparations d’avec l’analyste ; reconnaître le refus de la passivité et en même temps l’abandon paradoxal de toute réactivité devant les situations traumatiques (effondrements) ; ne pas sous-estimer la méfiance fondamentale envers l’objet et se méfier de l’attraction masochiste ; être attentif à l’oscillation entre les deux pôles de l’excès ou de l’absence de l’amour de transfert, en prenant du recul par rapport aux provocations susceptibles de générer un contre-transfert négatif comme aux pressions pour le recours à des solutions immédiates de soulagement (médicaments). Pour rendre tout cela possible, il faut être capable de régresser soi-même pour pouvoir penser l’archaïque de certains conflits.
Collaborateurs : Christine Anzieu-Premmereur, Jean-Louis Baldacci, Gérard Bayle, César Botella, Bernard Brusset, Raymond Cahn, Josiane Chambrier-Slama, Bernard Chervet, Christian Delourmel, Jean-Luc Donnet, François Duparc, André Green, Rosine Jozef Perelberg, Diane L’Heureux-Le-Beuf, Michel Neyraut, Michel Ody, René Roussillon, Fernando Urribari, Daniel Widlöcher.