Si Un secret est bien un roman, il est manifestement très autobiographique. Mais ce qui intéresse notre collègue Philippe Grimbert n’est pas tant de nous exposer son destin personnel où celui de sa famille, mais de nous faire saisir, et de manière poignante, la puissance et les effets des déterminismes transgénérationnels. Ecrit dans une langue sobre et magnifique, au plus près d’un affect qui se garde de tout pathos, son texte laisse le lecteur bouleversé.
P. Grimbert a choisi de nous faire vivre les effets du déni dans le lequel sont plongés ses personnages en nous racontant deux récits radicalement différents de la même histoire, et pourtant tous les deux vraisemblables, tous les deux également actifs ; un mythe, en deux versions inconciliables.
Dans cette histoire d’un secret de famille et de ses effets que traversent les remous de la grande histoire, on s’identifie aux efforts de l’enfant futur narrateur, comme aussi bien à la souffrance de ses parents, soigneusement emmitouflée dans un secret douloureusement partagé par tous les adultes de la famille. On suit jusqu’au dénouement les méandres de sa levée, suspens qui ne serait que jeu d’esprit s’il ne puisait sa force dans une nécessité de partager avec le lecteur, par le travail de mise en mots, l’élaboration par l’auteur d’une « histoire à rendre fou ».
Mais il y a une autre lecture de ce texte à travers les évocations des corps des personnages à leurs différents âges. Corps d’adolescent malingre et mal à l’aise qui va s’ouvrir sous l’effet de ces découvertes ; corps érotisés des parents, splendides gymnastes idéalisés ; corps vieillissant du père puis du fils, narrateur. Cette proximité du corps, son réel, sa fragilité aussi, P. Grimbert excelle à nous les faire toucher.