Dire que le protocole de l’analyse : divan-fauteuil, énoncé de la règle fondamentale, a pour but “d’éviter que l’analyste et l’analysant ne deviennent l’objet d’une relation d’objet” peut paraître surprenant, mais le psychanalyste suisse Olivier Flournoy s’en explique en donnant sa conception de la fin de l’analyse. Il considère celle-ci comme optimale lorsque “la relation d’objet (les représentations de transfert) se muent en relation inter-subjective”. Recherchant les signes de cette fin, il les appelle jouissance du dit” dans la mesure “où c’est le dit commun aux deux sujets (analyste et analysant) qui devient objet des pulsions et libère de ce fait les sujets de leur assujétissement en tant qu’objets”. L’Œdipe nous contraint à rester dans le champ de “ l ’indésirable désir ” qu’est précisément le désir œdipien.
L’auteur fait une élaboration subtile de l’aphorisme de Freud “ Wo es war soll ich werden ”en dégageant du “ sollen ” l’idée du désir, cette fois-ci désirable, de devenir un “ Je ”, remplaçant l’indésirable désir. La jouissance du dit est alors la rencontre des deux Je, par la médiation de la langue. Des vignettes cliniques émaillent sa théorisation de la jouissance du dit et nous permettent de saisir concrètement cette notion.
Concernant la castration, il critique les théories de Freud et de ses successeurs, ancrées sur l’anatomie : présence ou absence de pénis. Il développe une argumentation serrée pour conclure que la castration est un pur fantasme, “une réalité virtuelle illusoire”, terme emprunté au langage d’Internet, fantasme valable pour les deux sexes, chaque sexe pouvant s’estimer châtré du sexe qu’il n’a pas. Olivier Flournoy utilise cette notion de “réalité virtuelle illusoire” pour réviser certains concepts psychanalytiques. Il compare les relations, qu’il désigne comme “inter-transférentielles”, aux relations virtuelles sur l’écran. Il les définit comme “relation de réalité virtuelle entre deux analysants vivant une relation de personnages de transfert”. Pour illustrer son propos, il se livre à une réinterprétation “post-moderne” de deux rêves tirés de “L’interprétation des rêves”, faisant preuve d’une imagination, d’un brio et d’un humour qui forcent l’admiration du lecteur.
Avec sa conception d’un indésirable désir, le désir œdipien qui doit disparaître pour donner place à un désirable désir, l’auteur propose le concept de “métapsychanalyse” qui se démarque de la métapsychologie. Il reproche à celle-ci, tout en l’acceptant, de se fonder sur le concept de pulsion, ancrée dans le corporel, et de ne pas suffisamment tenir compte d’un “psychisme psychanalytiquement pur”, “d’un psychisme équivalent à la pensée, une pensée consciente et inconsciente, remplaçant l’indésirable désir, un psychisme à la fois victime et maître de la magie des mots”. Car c’est cette magie des mots, l’action de la pensée sur la pensée, qui permet la jouissance du dit, issue de ce “transfert à deux voix” qu’est la psychanalyse.
Dans ce livre, témoignant d’une grande originalité et de pensée et d’écriture, un des aspects les plus intéressants est le rôle primordial qu’Olivier Flournoy donne à la relation transférentielle. Il insiste sur le fait que tout ce qui est dit dans l’analyse est destiné à l’analyste et doit être compris dans le transfert et il nous en donne l’illustration par des cas empruntés à Freud, en y poussant plus loin que ne l’a fait Freud, l’analyse des positions qu’il nomme inter-transférentielles.