Le livre est fort, le livre fait fort. Sait-on vraiment ce qu’est la schizophrénie ? pas si sûr. L’auteur étudie la question du diagnostic des schizophrénies – pour lui, il n’y en a pas qu’une – et il constate que pour l’heure, il s’agit « d’un diagnostic de « psychoses idiopathiques » : diagnostic par défaut (le « reste », au sein des psychoses), dépourvu de tout symptôme pathognomonique, dont les critères sont « polythétiques », c’est-à-dire qu’aucun d’eux ne s’avère indispensable à lui seul. En dépit de définitions des plus « sûres », la schizophrénie est une catégorie disjonctive…. » (p.150). Comment, sur de telles bases, enfermer un patient dans un diagnostic si lourd de conséquences pour lui d’autant que dans nos représentations, la schizophrénie constitue l’essence même de la folie et est dite incurable (voir « Une odeur de schizophrénie » chap. 7).
Une étude historique bien documentée de la schizophrénie d’hier à aujourd’hui retrace l’évolution de la notion de dissociation mentale (Bleuler) longtemps considérée comme critère de la schizophrénie Aujourd’hui, les critères du DSM4 font référence pour une majorité de psychiatres. A. Bottéro traite des thérapeutiques chimiques très lourdes que nécessite le traitement de cette maladie. Il le fait de façon très instructive et ne réduit pas la question au seul chimique mais l’ouvre au médico-économique. Il remet en cause non pas les neuroleptiques même s’il considère « leur utilité limitée » mais certaines pratiques psychiatriques actuelles dommageables pour les patients consistant à leur asséner des doses massives, neurotoxiques et injustifiées, même si elles rassurent les psychiatres. Il interroge leur déni quant aux effets secondaires de ces médicaments. Il démonte aussi certains essais thérapeutiques de laboratoire concernant les nouveaux neuroleptiques et s’étonne du manque de recherche concernant la phase la plus longue de la maladie, celle de la stabilisation. Et A. Bottéro déplore que la réponse moléculaire se fasse souvent aux dépens d’une prise en charge psychothérapique alors que les deux sont indispensables.
Pour l’auteur, et on ne peut qu’être d’accord avec lui malgré les critiques qu’il formule par rapport à la psychanalyse dans sa façon d’aborder la psychose, « la schizophrénie est un problème humain, qui demande à être attentif à l’autre » (p.302). Il n’en approuve pas pour autant les thérapies cognitivo-comportementales « qui peinent à montrer leur efficacité ». Ses critiques de la psychanalyse concernant son approche de la schizophrénie s’enracinent dans sa conviction que « si on peut expliquer à un patient comment il a pu devenir malade, on ne peut pas lui en expliquer le pourquoi. » Elle se base aussi sur le fait que la grande vulnérabilité neuropsychique de ces patients font qu’ils ont une forte propension dépressive « pathologie par excellence de la perte d’objet » ce qui, pour l’auteur, remet en cause le fait qu’ils n’aient pas accès à la position dépressive et qu’ils soient inaptes au transfert (ces considérations thymiques de l’auteur montreraient plutôt que le sujet atteint de schizophrénie aurait justement à faire avec la psychanalyse). La dépression dans la schizophrénie fait l’objet de deux riches chapitres. La clinique d’A. Bottéro est humaine, empathique « il ne s’agit pas de délirer avec le patient, mais de déchiffrer le sens du symptôme » et « d’admettre le caractère de vérité subjective motivée des symptômes ». Son approche, essentiellement médico-psycho-sociale du patient atteint de schizophrénie, a cela de remarquable qu’il restitue à celui-ci son humanité et contribue à le sortir de ce à quoi il est le plus souvent réduit par des soignants, un fou chronique, un schizophrène sans espoir.