La psychanalyse doit aujourd'hui répondre à de nouveaux défis. Sur le plan clinique, nous sommes confrontés à de nouvelles pathologies, touchant au narcissisme et à l'identité. Sur le plan thérapeutique, une floraison de thérapies nouvelles entre en concurrence avec la psychanalyse, tandis que celle-ci est amenée à proposer d'autres formes de travail que la cure sur le divan. Sur le plan théorique, la psychanalyse a toujours suscité des polémiques ; elle est aujourd'hui particulièrement attaquée dans un contexte d'hégémonie des neurosciences, où certains prétendent résoudre par les médicaments tous les problèmes psychiques, et évincent la psychanalyse des lieux de recherche et d'enseignement universitaire – alors même que les symptômes anxieux ou dépressifs sont plus fréquents que jamais. L'auteur développe les réponses que la psychanalyse peut apporter à ces trois sortes de défis, en une réflexion informée et argumentée, dont les prises de position sont fermes et claires.
Aux défis cliniques, l'auteur répond par une étude des traumatismes, des identités et des homosexualités. A propos des traumatismes elle s'attache notamment à la notion de situation extrême, caractérise la douleur psychique, et s'intéresse d'une part à la compulsion de destin, d'autre part à l'inceste. La réflexion sur les identités évoque la souffrance identitaire, notant l'ambiguïté fondamentale entre identité et sentiment d'identité ; cette étude soutient l'approche clinique des illettrismes comme celle de la fascination sectaire – où se rencontrent les jeux de l'idéal, de la destructivité et du désir de pouvoir. La question des homosexualités, et en particulier du désir d'enfant chez les homosexuels, permet d'interroger l'éthique psychanalytique. Quelle que soit leur position comme citoyens, les psychanalystes (qui ont largement contribué à saper les préjugés homophobes) n'ont pas vocation à dire ce qui est normal ou ce qui ne l'est pas.
Pour répondre aux défis méthodologiques et épistémologiques, l'auteur discute les critiques adressées à la psychanalyse comme théorie, et surtout l'attitude défensive des psychanalystes. Le savoir sur le subjectif ne relève pas de la même objectivation que la connaissance des phénomènes matériels ; il faut tenir compte de la notion d'objet complexe, et revoir les réquisits de la recherche scientifique à la lumière de l'épistémologie contemporaine qui insiste sur l'implication de l'observateur dans l'observation. Michèle Bertrand discute alors les arguments de Popper contre la psychanalyse tout en soulignant l'intérêt de ses critiques. Elle soutient que les théories psychanalytiques sont falsifiables, comme en témoigne l'abandon par Freud de sa neurotica, et étudie les exemples proposés par Grünbaum, qu'elle discute à son tour par une critique de la causalité linéaire et une dénonciation de la confusion des niveaux. Il faut mieux établir le statut épistémique de la psychanalyse, penser la spécificité de la causalité psychique et rendre compte à la fois de la théorie et des limites de la théorie.
Quant aux défis thérapeutiques, ils sont relevés par l'approfondissement de la réflexion sur les psychothérapies psychanalytiques, et par les analyses précédées d'un traitement préliminaire en face à face, ce qu'illustre l'histoire de Monsieur C. L'ouvrage s'achève par une discussion critique sur le narratif en psychanalyse : si la pratique psychanalytique se sert du récit, qui peut être un moyen, association libre et narration ne vont pas nécessairement de pair ; l'analyse incite l'analysant à découvrir son fonctionnement psychique et les processus primaires, à travers l'usage de la parole et dans des récits qui relèvent d'abord des processus secondaires. Ce paradoxe suffit à montrer que la conception narrativiste de la psychanalyse est une dérive qui privilégie la mise en ordre sur le foisonnement, et qui se met ainsi au service des défenses. Reste qu'il arrive que le traumatisme ait d'abord besoin de pouvoir se mettre en récit, non pour boucher les trous de la mémoire, mais pour permettre la symbolisation de l'expérience. L'acte de raconter permet une symbolisation, et renverse la passivité en une activité ; mais on ne peut suivre Donald Spence dans son idée du "bon récit" qui serait thérapeutique simplement en ce qu'il serait créatif et plein de sens, répondant à une écoute active du psychanalyste qui fournirait une explication narrative transformant l'histoire du patient en un récit significatif. Ecrire un livre, ce n'est pas la même chose que faire une psychanalyse ! La psychanalyse ne vise pas à produire une construction, ni à réaliser un ensemble doté de cohérence. Ce qui importe dans la succession des récits, ce sont les changements dont ils sont l'indice et la possibilité de poursuivre indéfiniment le processus de symbolisation qu'un "bon récit" tendrait au contraire à immobiliser.