En neuf chapitres denses, Dominique Cupa, membre de la Société Psychanalytique de Paris, professeur de psychopathologie à l’université Paris X articule allègrement clinique et métapsychologie pour nous conduire dans les tours et détours d’une pensée clinique de la cruauté et de la tendresse. L’auteur vient de recevoir le prix Maurice Bouvet pour son article « Greffes et chimères » et pour son texte « Mourir », repris dans le chapitre 9 de Tendresse et cruauté.
Tendresse et cruauté, ces deux formes opposées de pulsions d’autoconservation, préambivalentes, concourent à la préservation de la vie somatique et psychique. Dominique Cupa prête son attention et sa pensée à ces patients « violents avec les autres et avec eux-mêmes, patients difficiles qui nous conduisent par moments aux limites de la compréhension, du supportable et qui pourtant nous touchent tellement ». Cette revalorisation de l’autoconservation est l’un des apports spécifiques de ce livre, que soutient la grande expérience de Dominique Cupa auprès des patients somatiques et notamment son expérience des greffes d’organe.
La métapsychologie de la cruauté se déploie à partir de la « pulsion de cruauté » de l’enfant, mais aussi de la cruauté maternelle dont l’une des figures est celle du surmoi cruel. Chaque moment de l’étude prend appui sur une relecture féconde des textes freudiens fondateurs (et ici de Winnicott). Il s’agit de penser la destructivité originaire. La métapsychologie de la tendresse, fondée sur la reconsidération du « courant tendre » dans la pensée freudienne, permet de discerner les composantes de la pulsion de tendresse. La tendresse et le sexuel émergent et s’agencent dans la vie psychique. Le courant tendre, revisité, débouche sur la prise en compte du « transplant étranger » de la sexualité adulte et d’une conception contre transférentielle de l’analyste comme « mère tendre ». Et la source de la pulsion de tendresse amène à rendre compte des conceptions psychanalytiques de la peau. L’objet de tendresse permet d’articuler le moi-peau à la notion (reprise aussi de Green) d’une structure encadrante, et d’y resituer l’interdit du toucher.
otons combien les développements cliniques de l’auteur, appuyés sur de nombreux exemples, choisissent d’être loin du spectaculaire des faits-divers ou des grands déploiements cruels, qui ne sont cependant pas ignorés, pour rester au plus près de relations transférentielles investies et attentives, montrant comment prcisément la rencontre de la cruauté suppose chez l’analyste une grande capacité de retenue et de réserve attentive et tendre.
Car dans cette clinique de la cruauté ou du manque de tendresse, « les histoires de vie qui tissent ce texte ont pour particularité essentielle d’être des luttes pour la vie ». De ce point de vue aussi, le traitement conjoint des deux mouvements pulsionnels opposés, montre l’identité de leur lieu d’ancrage psychique et en quelque sorte l’option pulsionnelle opposée qui les caractérise ; cette élaboration de deux destins pulsionnels, qui manifeste l’identité de chacun d’eux par leur opposition même, en même temps que leur intrication nécessaire et possible dans la constitution de l’ambivalence, s’avère une intuition très féconde.