Cet ouvrage comporte une série d’entretiens de la journaliste Clémence Boulouque
(France Culture) avec Denise Epstein, la fille aînée d’Irène Némirovsky. Ceux-ci nous entraînent, avec émotion, dans le destin tragique de cette famille juive, ayant trouvé refuge dans un village de l’Yonne. Destin personnel et destinée familiale se croisent dans ce texte pudique où, malgré la retenue, pointe la violence des affects convoqués par cette situation tragique. La douceur, malgré tout, émerge dans ce cadre et vient de la présence dans leur fuite de cette nounou, substitut maternel, qui hébergea la famille dans son village.
La trahison, à peine évoquée vers la fin du livre, de ceux auxquels « Elle préfère ne pas penser, qui les ont dénoncés », laisse transparaître un sentiment profond d’amertume.
C’est la mère qui sera arrêtée en premier par la police française. Puis viendra le tour du père, arrêté par la gestapo. Au moment de suivre ceux qui l’emmèneront vers les camps d’extermination, celui-ci confiera à Denise, alors âgée de 12 ans, une valise qu’elle ouvrira bien plus tard. Celle-ci contenait des affaires personnelles de sa mère et le manuscrit de « Suite française » qu’elle fera éditer.
Ainsi, se déroule sous nos yeux la tragédie de deux sœurs que la guerre prive de leurs parents et les laisse sur les routes alors que ceux-ci sont conduits vers les camps de la mort, dont ils ne reviendront pas. La fuite éperdue de ces enfants et leur traque, cachés durant des années dans des lieux improbables, sous des noms d’emprunt pour finir dans des pensionnats, laissera des traces traumatiques évoquées discrètement par Denise Epstein. Ainsi pendant des années, elle ne pourra approcher un foulard tant le souvenir reste brûlant de celui qu’elle appliqua sur la bouche, pour assourdir le babillage ou les pleurs, de sa petite sœur de 5 ans. Celle-ci inconsciente du danger risquait de signaler leur présence alors qu’elles étaient cachées dans un sous bois ou ailleurs.
Une violence transgénérationnelle pointe dans les lignes de l’ouvrage. Une grand–mère maternelle refuse de recueillir ses petites filles après la guerre ! Une mère tellement prise par son écriture qu’elle ne peut envisager la fuite. I. Némirovsky choisit, en effet, de rester dans ce village pour écrire son « Guerre et paix au lieu de fuir avec ses enfants ». A mots couverts, on entend la rancœur de la fille qui souligne la négligence de sa mère, exposant ainsi sa famille à la barbarie nazie. Dans « Suite française », on est frappé par la cruauté de la propre mère d’I. Némirovsky à son égard, n’en retrouvons-nous pas les traces inconscientes dans ce choix catastrophique pour sa famille ?
Denise Epstein, encore « écorchée vive », semble avoir pourtant retrouvé une certaine paix auprès de ses propres enfants même si, par moments, on perçoit clairement ce mélange de violence et de tendresse en elle. Il lui aura fallu une vie entière pour panser cette blessure faite à son enfance par une mère repliée sur son art.
A la recherche de repères, les années 70 la verront s’engager politiquement.
Si l’on a aimé lire l’œuvre d’Irène Némirovsky, on sera pris par l’intérêt de ces entretiens.
On peut regretter toutefois la maladresse de certaines questions de la journaliste qui rompt l’impression de spontanéité de cette forme d’entretien.