Robert Samacher, psychanalyste, membre de l’Ecole Freudienne, a travaillé comme psychologue clinicien en secteur psychiatrique et comme maître de conférences à l’Université Paris 7 Diderot. Il a écrit ce livre en vue de témoigner pour sa famille, ses enfants et tous les déportés. Son ouvrage se déroule selon trois axes : évidemment sa subjectivité, puis sa trajectoire professionnelle, enfin son parcours psychanalytique (dont son analyse personnelle et ses contrôles) et les rencontres y afférentes : Françoise Dolto, Claude Dumézil, Solange Faladé entre autres.
Robert Samacher a commencé sa carrière de psychologue en 1967, dans ce qui était encore l’ancien asile de Maison-Blanche, et y est resté jusqu’à 2002, époque où cet hôpital est devenu un hôpital psychiatrique moderne. A son arrivée il existait encore les pavillons de grabataires, d’aigus, de chroniques, etc.. Aujourd’hui le travail porte sur l’approche de la psychose et Samacher fait le constat que beaucoup de malades actuels « chroniques » sont dans la rue ou en prison. En 1968, l’idéologie véhiculée par les écrits de Basaglia en Italie était dominante, les malades étaient littéralement pris en charge par la population, c’est ainsi qu’ à Trieste la population, communiste, était idéologiquement formaté ce qui, évidemment constate l’auteur, ne correspond plus à rien de nos jours.
Tout l’ouvrage tourne autour de la violence, de la destructivité présente en l’humain que ce soit pendant la dernière guerre avec les camps ou pour certains crimes particulièrement atroces, comme celui des sœurs Papin analysé notamment par Lacan mais, malgré tout, le titre du livre, « Sur la pulsion de mort », pose question. Comment la psychanalyse se débrouille-t-elle avec la pulsion de mort ? Qu’appelle-t-on pulsion de mort ? En effet, la pulsion se caractérise par un déséquilibre structurel, mais c’est en partant d’un vide initial, du chaos, de la destruction que va pouvoir être trouvé le chemin de la construction-création. Le sous-titre « Création et destruction au cœur de l’humain » fait entendre que l’un ne va pas sans l’autre. Si l’on se place dans une perspective créationniste, c’est d’abord la destruction qui va permettre la création.
Pour parler de la destructivité de la pulsion, Samacher reprend certains éléments autobiographiques, parle de son enfance pendant la deuxième guerre mondiale. La tuché pèse ici de tout son poids accompagnée de l’automaton qui montre comment les différents parcours de vie se croisent et se recoupent car tout sujet est marqué par le signifiant.
C’est pourquoi tout dans ce livre rend compte d’un parcours de vie. Robert Samacher rappelle tout d’abord ce qu’ont pu être les effets de la guerre et de l’occupation sur un tout jeune garçon. La rencontre de la haine, de la violence, de la peur qui obligent à se cacher. La déportation du père, la famille qui est amenée à se cacher, qui doit porter l’étoile jaune et qui est en danger d’être arrêtée. Se cacher, aller d’un lieu à l’autre pour ne pas se faire prendre, cacher son origine, et surtout ne pas parler yiddish, langue de la mère pour ne pas se faire remarquer et le texte sur le yiddish mameluschen des juifs ashkenazes est là pour évoquer ce climat.
Puis est arrivée la libération et la rencontre avec le père décharné, épuisé, méconnaissable, si contraire à l’image idéalisée que la mère pouvait en donner. Revenu des camps de la mort et entouré de ses copains, ce père raconte. La destruction des corps est en permanence évoquée comme dans les chapitres « Les corps des déportés et le yiddish », « Destruction des corps, destruction de la langue », « Haine et barbarie ». Détruisant les corps, les bourreaux cherchaient aussi à détruire le corps des signifiants de la langue yiddish. Qu’en est-il des traces, des restes de ces populations juives que les nazis ont voulu éradiquer de la surface de la terre ?
Et cependant, note le psychanalyste, la destructivité est indispensable puisque sans destructivité, il ne peut pas y avoir de création. Le vide permettant la création ne peut se mettre en place que du fait de la destructivité. Lacan dit que la construction ne peut se faire que dans la rencontre avec le vide, le manque, une forme de castration. La répétition de cette destruction fait décalage, mais comme elle tourne selon le modèle du ressort, il y a avancée. Donc malgré l’association entre violence, destructivité, pulsion de mort, la création émerge, et donc la pulsion de mort est nécessaire à la vie.
Nous retrouvons constamment présente l’ association entre Shoah, l’hôpital de Maison Blanche et la mort et il nous devient évident que le parcours professionnel et théorique de Robert Samacher est influencé, pétri par ce qu’il a vécu enfant et nous nous posons la question : l’HP a-t-il été son asile personnel ? L’asile de l’enfant caché dans un monde de fous. L’ enfant caché dans un univers où les lois étaient folles et pouvaient même aller jusqu’à contaminer les relations interpersonnelles familiale puisque sa mère lui parlait en yiddish, langue de l’interdit social de l’époque.
Durant toutes ses études, Robert Samacher faisait une plaisanterie qu’il répète souvent « je suis passé de la livraison des manteaux aux malades mentaux ». Son inscription à Maison Blanche lui a permis la rencontre avec les soignants, la prise en charge, la confrontation théorique ce qui lui a fait débuter la psychothérapie institutionnelle auprès de patients psychotiques. Il avait le sentiment d’échapper à la destruction en faisant le va et vient entre l’université et l’hôpital, en théorisant à partir de sa clinique, en recevant les étudiants en stages, en les aidant à la rencontre avec la psychose.
Mais ce constat a toujours été présent en lui : la haine est première, elle est présente en chacun de nous et le problème est comment la mettre de côté pour rencontrer l’autre ? La position de l’analyste est celle-ci, dit Samacher : là où je ne suis pas, là où je ne pense pas ; en d’autres termes là où est l’analyste, il n’a pas à penser pour le patient et à sa place, en aucun cas il ne peut vouloir son bien, il ne peut que l’aider à avancer qu’avec ses propres signifiants.
Un livre courageux, une confrontation douloureuse et constructive.