Ces méditations sur le mal et la douleur de Colette Chiland, membre titulaire honoraire de la Société Psychanalytique de Paris, parcourent en un vaste panorama les champs de la douleur humaine, surtout collectifs, et l’interrogation à leurs propos d’une femme qui a échappé à la déportation et ouvre son livre par le retour des survivants de la Shoah. L’auteure veut évoquer la condition humaine dans ce qu’elle a d’inexorable, compliquée du mal que l’être humain fait à l’autre être humain…
La première partie propose les quatre promenades du Bouddha en prologue aux thèmes de l’anankè de la condition humaine : vieillesse, maladie, mort : mort impensable de soi-même, amorce d’une discussion des thèses d’Ameisen sur le suicide cellulaire et de Freud sur la pulsion de mort. Puis c’est notre fragilité devant la nature qui est évoquée.
Vient ensuite le cœur du livre, la méditation sur « le mal absolu », terme préféré à l’expression kantienne de mal radical : le long défilé des morts, la sauvagerie de l’être humain, souvent, la guerre, l’esclavage, la banalité du mal dans le racisme, le système des destruction nazi contre les Juifs, mais aussi les malades mentaux et les tziganes (on notera son dialogue avec différents témoignages et une discussion des thèses d’Hannah Arendt), l’univers totalitaire soviétique, avant une sorte d’inventaire d’un siècle de génocides. La question se poursuit par un autre inventaire réflexif : qui sont les bourreaux ?, en référence à l’autobiographie de Rudolph Hoess, commandant d’Auschwitz, et à l’étude de Gitta Sereny sur Franz Paul Stangl, lors de son procès pour sa responsabilité dans le programme « d’euthanasie » à Sobibor et Treblinka. Puis c’est une lecture des entretiens menés par Jean Hatzfeld avec les tueurs du Rwanda (Une saison de machettes, Seuil, 2003)…
Comment vivre, comment survivre ? Cette troisième partie précise le propos du livre : Face à un si fragile vernis d’humanité (cf. Terestchenko, 2005), devant le fait qu’un être humain ordinaire peut en venir à la cruauté totale, pouvons-nous supporter d’appartenir à une espèce aussi destructrice, continuer à reconnaître l’autre comme être humain ? C’est une interrogation sur la pulsion de vie, qui passe par la prise en compte des voies de la dépression et du suicide, et tente dans son dernier chapitre de proposer, au-delà de la seule colère, des chemins vers la sérénité.