Le dernier livre de L. De Urtubey, Si l’analyse passe à l’acte, ne peut qu’attirer curiosité et effroi tant le thème proposé dans son ouvrage, sur la transgression sexuelle de quelques analystes (majoritairement masculins) sur leurs patients (majoritairement féminines), engage la déroute de la pensée devant la levée d’un interdit fondamental : celui de l’interdit de l’inceste. La question peut soulever indignation et silence, elle peut aussi comme le propose l’auteur, témoignages cliniques à l’appui, susciter une véritable réflexion sur les passages à l’acte de l’analyste qui vont de l’heureuse réponse contre-transférentielle face au jeu transféro-contretransférentiel de la situation analytique au pire de son dévoiement. Le mérite de cet ouvrage est justement de pouvoir parler de ces dérives scandaleuses pour non seulement les condamner très fermement mais aussi pour tenter de les inscrire dans un fil de pensée là où précisément la transgression vient désavouer toute mise en sens.
Car l’ouvrage se veut bien plus qu’une seule « dénonciation » de l’abyme suscité par ces passages à l’acte sexuels. Il s’inscrit au contraire dans un plus vaste projet sur la notion de « contre-transfert » - thème cher à l’auteur - en retraçant les différentes situations analytiques où « l’agir » vient révéler côté fauteuil comme côté divan les effets de la rencontre de deux psychés au travail : du « simple » acte manqué à interpréter comme un symptôme ou comme un rêve, en passant par « l’énaction » (enactment), terme anglais traduit par A. Green pour nommer ces formes d’agirs mineurs comme révélant un mouvement préconscient / conscient à un moment donné de la séance. L’auteur décrit d’autres formes d’agirs / contre-agirs plus complexes à penser, plus ou moins favorables au processus analytique selon leur caractère répétitif, et liés, le plus souvent, à un moment critique de la situation analytique. L’ensemble de ces mouvements a néanmoins tendance à rester dans les limites du cadre, traduisant dans le meilleur des cas, côté fauteuil, les fluctuations de l’écoute et de l’attention liées parfois à la vie psychique de l’analyste. Encore que L. de Urtubey montre bien comment cette question de l’agir vient déjà s’inscrire dans les remaniements introduits par Freud, après 1920, en soulignant l’aspect démoniaque potentiellement délétère de certains actes répétitifs s’ils passent au devant de la scène, c’est-à-dire sans élaboration contre-transférentielle.
La question des passages à l’acte sexuellement transgressifs dans la cure analytique marque au contraire une totale rupture d’avec l’éthique du psychanalyste : définis, à juste titre, comme une transgression absolue de l’interdit de l’inceste, ils apparaissent malheureusement moins comme un acte isolé que comme une modalité de réponse contre transférentielle répétitive, de nature triomphante, venant briser toutes les règles instituées par le cadre. Cherchant à brosser différents profils (les analystes « perturbés » ; les analystes pervers, les analystes pervers narcissiques, les analystes masochistes, les patients choisis), Louise de Urtubey s’attache surtout à décrire la haine contre la psychanalyse que recèlent de telles situations, à partir d’une réflexion sur la problématique introduite par Freud sur « la pulsion de mort » ou « pulsion de destruction », en montrant comment ce passage à l’acte s’inscrit « dans la catégorie de réaction thérapeutique négative meurtrière du traitement ». S’interrogeant sur le caractère « réel » de tels actes, elle ré-ouvre ainsi le débat entre séduction fantasmatique et séduction réelle par un homme (père ?) pervers, à travers lequel agit dans l’ombre un fantasme de toute-puissance lié à une imago maternelle indestructible. Son ouvrage se termine sur la nécessité de pouvoir parler de ces passages à l’acte moins pour « choquer » les « jeunes analystes » que pour « réfléchir, déceler les causes et s’employer à les faire disparaître, tous objectifs qu’on ne peut en aucun cas atteindre par le silence ». Un livre courageux…