Conan Doyle est l’exact contemporain de Freud. Leurs œuvres respectives s’originent dans la fascination de l’époque pour le paranormal et Sherlock, comme Freud, démystifie le mystérieux par un travail déductif. C’est ce parallélisme qui constitue le point de départ de Patrick Avrane qui met au jour bien d’autres correspondances suggérant un Sherlock/ Doyle en psychanalyste qui s’ignore.
Si la rencontre fortuite entre Sherlock Holmes et Watson correspond à celle entre Freud et Fliess, c’est que le même mouvement s’y présente de la nécessité pour chacun des protagonistes d’un autre comme lui –même, seul interlocuteur apte à comprendre. D’où d’ailleurs les questions de droits d’auteur sur lesquels l’amitié se fracassera.
Pour Avrane, Sherlock et Freud partagent une même praxis ; tous deux en position d’accueil de la demande adoptent une écoute flottante tandis qu’ils sont attentifs aux détails et aux achoppements du langage, tout autant qu’au langage corporel qui trahit les indices dissimulés ; tous deux reconstruisent à partir de fragments un tout du désir dont la cohérence logique, la compacité au sens mathématique, impose la vérité.
Chez les deux auteurs l’œuvre s’appuie sur une nécessité de récrire une histoire familiale complexe, qui, dans le cas de Conan Doyle, est centrée sur un père violent et alcoolique. La femme chez lui est idéalisée, lointaine ou bien discrètement méprisée. Doyle tout à la fois s’opposera au féminisme tandis qu’il défendra le droit des femmes au divorce. Il développe en marge du personnage de Sherlock (dans d’autres récits) mais aussi dans le filigrane de ses enquêtes, l’idéalisation d’un amour courtois qui met définitivement à distance une sexualité dangereuse.
Avrane souligne l’importance du manque, du trou de réalité dans le tissu des indices pour le raisonnement du détective. C’est parce que le chien n’a pas aboyé qu’une anomalie est repérable. Cette capacité du signe à devenir signifiant par le fait même de son absence suppose une prééminence accordée à la logique et au sens sur la croyance et l’affect.
Mais l’attitude de Sherlock rappelle encore Freud par sa neutralité fondamentale. Il ne prend pas partie, ne porte aucun jugement, pour mieux s’en tenir aux faits indépendamment de l’affect ; comme si tous deux voulaient se prémunir contre la séduction fut-elle du verbe, du récit. De même la transgression de l’ordre établi peut-elle se trouver justifiée au nom d’un intérêt supérieur, celui de l’exigence de vérité.
Avrane utilise ainsi l’œuvre de Conan Doyle pour réviser ses classiques freudiens.