Il n'est sans doute pas nécessaire de présenter ici le co-auteur du "Laplanche et Pontalis", le directeur de la traduction des Œuvres Complètes de S. Freud, l'artisan de la présence de la théorie psychanalytique à l'Université…
Disons qu'il apparaît comme un analyste qui a pris la métapsychologie freudienne à bras le corps avec l'ambition de poursuivre son édification, sans exclure la possibilité de rompre avec des pans entiers de l'édifice, prenant le parti d'une critique radicale des textes freudiens : il ne les considère pas comme "sacrés", mais comme des instruments devant servir à la connaissance de l'inconscient, le cœur de la découverte freudienne.
Ce dernier livre – « Sexual » désignant tout ce qui relève de la théorie de la sexualité élargie, au premier plan de laquelle il situe la sexualité infantile "perverse polymorphe" – est composé d'une succession d'articles, organisés en ordre chronologique, ce qui permet de comprendre de plus en plus clairement les thématiques et les thèses centrales de Jean Laplanche. Pour s'en faire une idée générale, je citerai d'abord un passage d'une conférence faite à la Bibliothèque Nationale de France sur le thème de "Freud et la Philosophie" en 2006 : « … Je plaide un Freud contre un autre : le Freud de l'expérience et de l'exigence de l'altérité contre celui /…/ qui se résumerait dans une formule du genre /…/ "rien d'étranger n'est entré en toi, c'est seulement une partie de toi que tu ne veux pas voir" ».
Le "Freud de Jean Laplanche" donc, celui du "Primat de l'Autre", met le sujet d'abord dans la "Situation Anthropologique Fondamentale", c'est-à-dire dans la dissymétrie radicale et nécessaire à la conservation de sa vie d'enfant, d'infans : il est inévitablement aux prises avec l'adulte et donc soumis à la « séduction généralisée ». Cette situation consiste en une infinité de modalités de communication infra-verbales, et l'immerge dans d'incessantes difficultés voire impossibilités de traduire les messages énigmatiques que lui adressent ceux qui prennent soin de lui, chargés qu'ils sont par leur propre inconscient : par le refoulement plus ou moins efficace de leur propre sexualité infantile perverse, polymorphe… C'est dans cette situation que les fantasmes commencent leur constitution chez le sujet, et que se développe son propre inconscient, à son tour, sexuel infantile, pervers polymorphe…, pulsions à la recherche de tension et non de l’apaisement instinctuel. L'inconscient d'un sujet suivant Jean Laplanche ne viendrait donc non pas de pulsions héréditaires – ce qu'il nomme le "fourvoiement biologisant" de S. Freud – mais de nécessités psychiques répondant aux énigmes imposées par autrui.
A partir de l'idée phare de la "Situation Anthropologique Fondamentale" l'auteur nous entraîne vers bien d'autres innovations théoriques, comme en témoignent les deux articles situés au centre de ce volume. A partir des travaux de Ch. Dejours, il formule l'hypothèse d'une troisième topique, permettant de comprendre l'ensemble du spectre psychopathologique depuis le "normal névrosé" jusqu'au "border line psychotique pervers" et de dessiner un schéma d'appareil psychique comprenant deux compartiments inconscients (inconscient “refoulé” et inconscient "enclavé") séparés par une ligne de clivage dont l'étanchéité est variable. Cette troisième topique le conduit à déplacer le "noyau oedipien" hors de l'inconscient ou de l'appareil psychique proprement dit, vers la culture: Il considère l'Œdipe comme une construction mytho-symbolique qui vient aider le dispositif psychique de liaisons, symbolisations, traductions, nécessaire au devenir humain.
Le chapitre consacré au « genre » lié au « sexué » et au « sexual » utilise les travaux déjà anciens de Stoller, qu’il critique d’ailleurs de fond en comble, mais aussi ceux de la philosophe Judith Butler ainsi que les études menées par des « observateurs » de bébés pour mettre en cause le primat du « sexué » et donner toute sa place au « genre » social, assigné, voire prescrit par les quelques autres qui entourent le bébé…
Ces textes où des options tranchées sont mises en évidence, travaillées, enrichies et adoptées les unes avec ou contre les autres, où des positions polémiques ne sont pas évitées, où des apports d'autres disciplines sont intégrées me paraissent d'une très grande valeur pédagogique et extrêmement stimulantes pour la pensée. Pour finir je livrerai une question que cette lecture a soulevée chez moi : Quelles conséquences cet ensemble métapsychologique amène-t-il dans la "conduite de la cure" ? Question d'autant plus vive (énigme d'autant plus acérée) si on songe à ce que Jean Laplanche nomme tour à tour "ritournelle" ou "bouillie": la relation transféro-contre-transférentielle…
À lire absolument !