Ces séminaires sont des joyaux de pensée clinique qui ont été donnés en Italie en juillet 1977 : quatre à la Société psychanalytique italienne, cinq organisés par le Groupe de recherche de “ Via Pollaiolo ”.. La version anglaise, jusque là inédite, a été revue par Francesca Bion pour servir de base à la version italienne. La version française prend appui et sur la version italienne et sur l’original anglais.
Dans des échanges très vivants, Bion y déploie le dernier état de sa pensée. J’en retiendrai d’abord l’exigence d’avoir le courage de penser ce que l’on ressent et pense, même si l’on est seul à le penser. L’authenticité dans la communication faite au patient est essentielle. Ainsi propose-t-il : “ Réfléchissez aux mots que vous utilisez le plus souvent en analyse, réduisez-les à un nombre toujours plus restreint et ensuite utilisez-les avec une grande parcimonie, avec une grande exactitude et dans le seul but de dire ce que vous voulez dire ”. Cela ne signifie pas qu’il faut restreindre sa pensée à du déjà connu, mais qu’il ne faut jamais affaiblir son rapport à la vérité. Ce qui soulève aussi la question de l’accueil qui sera fait, en séance et parmi les collègues, à la pensée qui ose se dire, et surtout aux pensées errantes : “ Ainsi le poète, le peintre ou le musicien latent en nous ne s’exprime pas, de crainte d’être détruit s’il s’exprimait. ” Dire ce que l’on pense avoir à dire confronte au risque que personne n’écoute, ou qu’il y ait quelqu’un, mais que celui-ci s’enfuie (ou se fâche, ce qui revient au même).
Car Bion prête une grande attention aux “ pensées sauvages ” (y compris celles de ses auditeurs qu’il invite à en formuler), et à ce qu’elles font resurgir de vivant et d’inconnu. Les patients psychotiques ou psychotiques borderline sont à ses yeux extrêmement conscients “ d’une série de choses dont la plupart d’entre nous avons appris à ne pas être conscients ” Mais il est nécessaire d’interpréter au patient sa relation à lui-même, car il craint aussi de se dévorer lui-même. La curiosité, qui provient de traces fondamentales non détruites par l’incapacité à tolérer l’ignorance, est une aventure dangereuse, notamment dans la rencontre d’un autre psychisme qui a des traits d’omnipotence et d’omniscience. C’est une aide que de ne pas savoir, par exemple pour entendre ce patient qui se comportait comme si son “ inconscient était à l’extérieur ”, alors qu’il ne comprenant pas les communications les plus évidentes de la pensée habituelle, celle de l’état de veille.
La part exclue dans toute césure (à commencer par celle de la naissance), dans tout clivage, même fonctionnel et organisateur, joue pour Bion un rôle essentiel. L’attention requise à chaque instant, la prise en compte des “ faits ” suppose une disponibilité sensorielle totale, dans laquelle il faut supporter de ne pas savoir. Tout bon objet est éphémère, car il réveille l’avidité destructrice ; transfert et contre-transfert prennent sans cesse de nouvelles formes et l’écoute doit empêcher toute calcification qui figerait la relation. Il ne faut pas confondre l’intelligence, dont nous regorgeons, et la sagesse, qui est si rarement mise en avant ; voilà pourquoi il nous faut forger les outils qui nous permettront de penser. “ Lorsque demain vous formulerez une interprétation, êtes-vous sûrs qu’elle se rapprochera de l’expression de la musique de l’humanité, ou du moins de la musique de ce fragment d’humanité qui est entré dans votre cabinet ? ”