Qu’en est-il de la séduction pour les sujets contemporains qui, cherchant l’immédiateté, ne supportent pas d’attendre ou d’être frustrés ? Séduit-on encore dans un monde où les rapports entre hommes et femmes sont fondamentalement modifiés ? Où la distinction entre féminin et masculin est bousculée ? N’y a-t-il plus ni la place ni le temps pour la séduction ? Est-ce que la sexualité remplace la séduction ? Voilà quelques unes des multiples questions que pose Gisèle Harrus-Revidi, universitaire et psychanalyste membre de la SPP, dans cet ouvrage dense et brillant qui aborde la question dans ses nombreuses dimensions. Par définition, le séducteur est une « personne à multiples facettes, au style changeant, puisqu’il n’est que le produit des multiples demandes à son égard ». De même, le style de l’auteur se caractérise également par sa diversité, variant entre une approche théorique rigoureuse où l’on sent la méthode universitaire de l’auteur et des histoires beaucoup plus frivoles, parfois drôles, quelque fois tragiques, toujours très agréables à lire.
Le passage par Freud s’impose évidemment, puisque le fameux abandon de la théorie de la séduction constitue l’acte inaugural de la psychanalyse. Mais loin d’être réglé par ce pas initial, le thème de la séduction a continué de traverser et d’alimenter la réflexion et les débats psychanalytiques, en particulier avec Ferenczi et Laplanche. Sans compter qu’il faut aussi évaluer la part de la séduction dans la situation analytique elle-même. Séduction nécessaire, mais qui donne lieu néanmoins à des dérives, que l’auteur décrit et dénonce.
L’auteur analyse quelques grands mythes qui nous racontent comment se déploient les destinées et les leurres de l’entreprise séductrice et témoignent de la variété infinie et toujours surprenante des stratégies du séducteur. Dans les Les mille et une nuits, Le Journal du séducteur de Kierkegaard, le Don Juan de Molière et le Don Giovanni de Mozart, stratégies, mensonges et flatteries se conjuguent afin de capter l’autre dans le désir narcissique de celui qui séduit. Au fil des pages apparaissent une foule de personnages, issus des mythes, de la littérature ou de la clinique. Mais, parmi eux, il y en a un qui traverse tout l’ouvrage en filigrane : le mal-aimé. En effet, l’une des idées-force de l’auteur est que, derrière le séducteur, se cache un enfant en manque d’amour. Trahi, humilié, privé de l’amour parental, ayant quelque fois subi des séductions de la part des adultes, il serait en quête perpétuelle et inassouvissable d’un retour narcissique.
Mais c’est avec les auteurs modernes, Houellebecq et Catherine Millet, que Gisèle Harrus-Revidi aborde le vif de son sujet, à savoir ce que devient la séduction de nos jours. Elle fait de ces deux œuvres une analyse très pertinente – peut-être un peu trop critique – dévoilant toutes les caractéristiques de la séduction contemporaine. La séduction n’est plus ce qu’elle était, voilà la conclusion qu’elle en tire, en évoquant la mort de la séduction.
« Le passage du désir à la consommation immédiate est mortel à la séduction, les caractéristiques psychiques de ces deux étant radicalement différentes ». Néanmoins, en conclusion, Gisèle Harrus-Revidi termine sur une note beaucoup plus nuancée, quelque peu en contradiction avec les arguments du livre, en écrivant que la séduction « fait partie du patrimoine sexuel, affectif, poétique et lyrique de l’humanité ». Dans le contexte contemporain la séduction prend de nouveaux habits. Et le séducteur, en habile stratège, revêt d’autres masques.