Voici un nouvel ouvrage de Thomas H. Ogden, aux éditions Ithaque, qui continuent de faire connaître aux lecteurs français les publications d’auteurs post-freudiens, bioniens et post-bioniens. Ce livre se compose d’un ensemble d’articles publiés dans l’lnternational Journal of Psychoanalysis, dont certains avaient déjà été publiés en français. Il y a donc inévitablement des redites, car c’est ce qui fait la différence entre un livre conçu dans son ensemble par l’auteur et une reprise d’articles et de chapitres déjà publiés. N’empêche que ce livre mérite d’être lu, tant il présente de manière remarquable l’approche très personnelle et très innovante de l’auteur. Thomas H. Ogden est médecin-psychiatre et psychanalyste à San Francisco, où il dirige le Center for the Advanced Study of the Psychoses. Très marqué par la psychanalyse relationnelle américaine et l’œuvre de W.R. Bion, dont il développe les idées en particulier dans les implications cliniques de la théorie. On peut dire que si les cas cliniques dans les écrits de Bion sont souvent très courts, denses, elliptiques et parfois énigmatiques, c’est Ogden qui propose des récits de cas cliniques extrêmement fouillés et détaillés qui illustrent la théorie bionienne. Sauf que ni l’un ni l’autre ne se reconnaîtrait dans le terme « bionien », puisque la méthode consiste à amener chaque analyste à trouver son style personnel avec sa personnalité singulière, comme Ogden le formule dans le chapitre remarquable «Eléments de style analytique : Les Séminaires Cliniques de Bion » .
Comme le titre de l’ouvrage l’indique, le psychanalyste doit réinventer la psychanalyse, et c’est avec chaque patient, à chaque séance, qu’il va la redécouvrir.
Le fil rouge de l’ouvrage est la question du rêve. Ogden part de la théorie du rêve de Bion, très différente de celle de Freud. « L’activité de rêver ainsi conçue ne consiste pas à rendre l’inconscient conscient (c’est à dire à mettre les rejetons de l’inconscient à la disposition du processus de pensée secondaire consciente), mais, au contraire, à rendre le conscient inconscient (c’est-à-dire à mettre l’expérience consciente vécue à disposition des processus de pensée plus riches impliqués dans le travail psychique inconscient). »
Il s’agit de « rêver la psychanalyse », telle est la formule qui revient tout au long des chapitres, rêver la séance, rêver le groupe, rêver l’enseignement et rêver aussi les séances de supervision, auxquelles est consacré un chapitre entier, De la supervision psychanalytique.
Au fil des chapitres, Ogden nous fait rencontrer un certain nombre d’auteurs de ce courant post-freudien, Bion principalement, mais encore Searles, Winnicott, Loewald. Il se livre alors à une analyse extrêmement complète et méticuleuse de leur pensée. On ne peut qu’être admiratif d’un tel soin à commenter ces auteurs et de dégager l’originalité et la pertinence de leurs idées. Et d’une telle modestie de la part d’Ogden, qui ne met pas en avant sa propre théorisation, mais valorise ce qu’il a recueilli de la leur. On re-découvre Searles, on découvre Loewald.
En revisitant ces auteurs, ainsi que certains textes de Freud, on peut dire qu’il nous réserve des surprises, car il extrait de ces œuvres des séquences très particulières, où l’analyste est amené à se défaire de son savoir.
Pour ce qui est de Bion, on peut dire qu’on trouve ici un compte -rendu remarquable de cette œuvre réputée difficile, en particulier dans l’article Les quatre principes du fonctionnement mental selon Bion.
Ogden accorde une importance essentielle à l’identification projective, telle que l’a conçue Bion après Mélanie Klein, et qui répond au principe suivant : « Il faut deux esprits pour penser les pensées perturbantes de l’un d’eux ». Pendant les séances, l’analyste cherchera quelle est la pensée perturbante que le patient demande à l’analyste de l’aider à penser.
Un autre principe de la théorie bionienne selon Ogden est le besoin humain de connaître la vérité, la réalité de qui on est et de ce qui se passe dans notre vie. C’est la condition pour que le patient développe ses pensées, qu’il pourra ensuite partager avec d’autres. Il s’agit de cesser de « faire des interprétations » et d’inventer d’autres « formes d’interventions psychanalytiques », sous forme de conversations, que le patient peut utiliser pour penser ses propres pensées.
Il développe aussi longuement le complexe d’Œdipe, avec un éclairage assez innovant qu’il trouve dans sa lecture de Loewald. Partant de l’idée formulée par Freud de la destruction du complexe d’Œdipe, Ogden, en suivant Loewald, pense qu’aucun contenu psychique ne peut être détruit et que les parents se laissent tuer par leurs enfants, tout comme l’analyste par son patient. Ce n’est pas une résignation passive au vieillissement et à la mort, mais au contraire un geste actif d’amour.
Ogden va plus loin encore avec Searles, dont il admire profondément la capacité à ressentir et percevoir l’expérience émotionnelle du patient et de la partager, au point d’éprouver pour lui de forts mouvements affectifs oedipiens, qu’il ne tente pas de contrôler, mais dont au contraire, il dit que « l’estime de soi du patient était grandement renforcée par le sentiment qu’il (ou elle) était capable de d’éveiller de tels sentiments chez son analyste ».
J’écris pour savoir ce que je pense, écrit Ogden, et il ajoute que Searles n’était pas en train de dire ce qu’il pensait ; il était en train de penser ce qu’il disait.
C’est dans cet état d’esprit qu’Ogden propose au lecteur, avec cet ensemble de textes, non pas d’apprendre mais de découvrir la psychanalyse, non pas en appliquant un savoir, mais en suivant chacun son propre cheminement.
Simone Korff Sausse
Ogden Thomas H, Redécouvrir la psychanalyse. Penser et rêver, apprendre et oublier, Routledge, 2009, première édition.
Ed. Ithaque, 2020 pour la traduction française.