Néologisme créé en 1972 par Nemiah et Sifnéos :
-a : privatif
-lexis : action de parler
-thymos : l’âme et le cœur en tant que siège de l’intelligence prise dans le sens d’émotion
Ce concept d’alexithymie désigne l’absence de mots pour les émotions.
Il s’accompagne d’une limitation de la vie imaginaire, d’une pensée à contenu pragmatique, d’un recours à l’action pour éviter les conflits ou exprimer les émotions. On le rencontre essentiellement chez les sujets présentant une affection psychosomatique et c’est à partir de l’observation de ces sujets qu’il a été créé.
Proche de la « pensée opératoire » de Marty et de M’Uzan, Sifnéos distingue l’alexithymie primaire, peut-être d’origine neurologique, et l’alexithymie secondaire, d’origine psychogène. Cette dernière ferait suite à une expérience traumatique dévastatrice subite à l’âge préverbal qui rendrait l’enfant incapable d’exprimer ses émotions par les voies du langage.
D’autre part, Sifnéos, remarque que ce trouble se rencontre aussi chez les patients souffrant de stress post traumatique et ceux qui sont dépendants de la drogue, l’alcool, ainsi que chez les anorexiques et boulimiques.
M.Corcos et G.Pierlot notent que ce concept est actuellement appréhendé par de multiples notions : neurobiologiques, phénoménologiques, cognitives et comportementales, psychanalytiques et philosophiques. Cette dimension constitue historiquement une transcription dans une optique neuro physiologique du concept de pensée opératoire.
Actuellement la conception de la genèse de l’alexithymie repose sur les effets de la « mère morte » (A. Green) : une blessure narcissique de la mère entraine la fin de la période heureuse entre elle et le nourrisson ; à ce moment la perte d’amour équivaut à la perte de sens. Ce désinvestissement de la mère déprimée a pour conséquence la constitution d’un trou dans la relation d’objet.
L’identification positive à la mère morte se transforme en identification négative au trou laissé par le désinvestissement et non à l’objet. L’enfant ne peut se créer une « structure encadrante » pour former le fond ou s’inscriront ses représentations et le jeu de son autoérotisme. Pour pallier au manque de ces contenants l’alexithymie supplée à la « porosité » de l’hallucination négative.
D’autre part, devant une mère émotionnellement inerte, la priorité de l’enfant sera de la ranimer, faisant passer au second plan ses propres besoins que la mère aurait dû l’aider à gérer. Faute d’attention de la mère, l’enfant sera envahi de façon anarchique par ses pulsions qui lui sembleront étrangères et inquiétantes. Ses affects ne donnent pas lieu à une mise en sens et l’émotion est éjectée car trop menaçante. Il en résulte une anesthésie du corps synonyme de destructivité souvent sous forme de troubles psychosomatiques.
Du point de vue topique on décrit un moi-peau défaillant qui fonde la défaillance de la pensée affective de l’alexithymique. Sa pensée est soumise à un « présent absolu », présent sans mémoire et sans lendemain.
Le risque évolutif est celui d’un passage de l’insensibilisation à l’anesthésie affective puis au clivage du moi.
Le thérapeute doit, dans un premier temps, accueillir, contenir et ressentir la souffrance du patient ; connaitre plutôt que comprendre. L’élaboration de cette souffrance, sa restitution au patient, peuvent, dans les cas heureux, lui permettre de ré-enchanter le monde.
En particulier il est fondamental de pouvoir rencontrer le patient dans sa haine et d’y répondre par une « empathie négative », c’est-à-dire accepter sa négativité .Parfois le sujet peut alors rencontrer l’analyste et un espace transitionnel peut se créer.