Formée à la SPP, Susann Heenen-Wolff est membre titulaire de la Société Belge de Psychanalyse. Professeur de psychologie clinique à l’Université Catholique de Louvain et à l’Université Libre de Bruxelles.
« Comment peut-on penser la liberté en psychanalyse ? » Cette question préliminaire de l’auteur introduit bien à mon sens son écrit. C’est en effet, le travail d’une psychanalyste « en liberté » que l’on suit à travers cet ouvrage. Il ne faut pas chercher à travers ces pages un thème conducteur en dehors de celui-ci, mais plutôt y reconnaître la libre réflexion d’une psychanalyste mettant au travail les grands concepts de la psychanalyse, qu’elle explore à partir de son vécu clinique et en s’appuyant sur un large éventail théorique.
Dans la préface de cet ouvrage René Roussillon évoque « l’honnêteté » avec laquelle l’auteur nous fait partager son questionnement sur sa pratique psychanalytique et les difficultés actuelles que le psychanalyste rencontre. En effet, Susann Wolff nous fait part, avec une grande simplicité, de ses interrogations, mais aussi, ce qui est plus rare, de l’impact du travail avec ses patients sur sa vie onirique et ses pensées diurnes, dans sa vie quotidienne. Ainsi, dans la cure de deux patientes, elle montre comment ses propres rêves « contre transférentiels » ont pu ou non l’aider à avancer dans ces cures difficiles. Elle en discute les aspects personnels, ce qui a pu interagir sur ces rêves et en quoi ces rêves ont pu ou non être réutilisés dans le travail avec les patientes.
Ce n’est pas une surprise, le travail sur le contre-transfert est pour S. Wolff un appui pour son élaboration du transfert, elle va jusqu’à évoquer la haine de l’analyste qui peut, si elle n’est pas reconnue par celui-ci, le rendre impuissant et ainsi rendre l’analyse impuissante aussi. Or, S. Wolff nous montre qu’en l’analysant dans son contre-transfert, et en en tenant compte dans son travail avec la patiente, cette « haine reconnue » a ouvert son contre-transfert. Ce travail sur elle-même dans la cure l’amène à nous faire partager avec une grande liberté ses ressentis et ses pensées à propos de nombreux exemples cliniques détaillés qui émaillent cet ouvrage. Cette liberté de ton est frappante d’emblée pour le lecteur psychanalyste qui se sent très vite en terrain familier, au cœur même de son ouvrage quotidien avec les patients.
S. Wolff s’attache à questionner en profondeur les grands thèmes de la psychanalyse, à la lumière des écrits des auteurs les plus récents, et ceci en s’appuyant sur les auteurs les plus classiques. Elle insiste sur l’aspect varié des références théoriques dû à la multiplicité des sources et des échanges inter analytiques. Elle nous montre l’analyste à l’œuvre dans son travail de « pensée clinique » (A. Green) et en recherche de nouveaux tracés pour tenter de baliser les chemins sinueux de la psyché.
Elle discute le point de vue des tenants, de certains courants contemporains, de la narrativité (Ferro, Ogden) et du hic et nunc de la séance dans son aspect intersubjectif et émotionnel, qui misent plutôt sur l’interaction, prenant, elle, la défense d’une analyse plus classique, en soulignant même les dangers pour l’analyse d’un tel changement.
Elle énonce son attachement à la notion de pulsion de mort qui lui permet, soutient-elle, d’envisager le travail avec certains états limites.
Quand elle aborde le fraternel et le déclin du paternel à son profit dans la civilisation européenne actuelle, on voit une analyste en prise avec les problèmes de la société et les débats actuels de la pratique psychanalytique à la lumière de la métapsychologie. Ces problèmes de société sont aussi abordés dans un chapitre où elle relate une expérience d’un travail de groupe analytique, où le sujet proposé était : « les relations entre juifs et non juifs dans des pays germanophones d’après-guerre » menant une critique sévère de ce qu’on nomme trop hâtivement « identité », où elle détecte en fait, une prévalence de la pulsion de mort. Ces quelques exemples suffisent à montrer la variété des sujets abordés.
L’auteur achève son ouvrage par des réflexions, qui retiennent encore l’attention, sur Freud et sa relation avec le judaïsme.