Dédiant ce livre à Michel de M’Uzan, Andrée Bauduin reprend notamment les notions de « spectre » d’identité chez M. de M’Uzan, d’imposture chez elle – et de négociations dans un contexte de survie entre identité et authenticité. Illustrée d’exemples tirés de la vie quotidienne, de la fiction, de sa pratique analytique (par lesquels elle nous introduit dans leurs drames et paradoxes), son élaboration théorique apparaît avec d’autant plus de relief qu’elle la met en perspective dynamique avec les travaux antérieurs.
Andrée Bauduin signale la proximité et/ou les différences avec d’autres catégories psychopathologiques : le faux-self, les perversions (dont la perversion-narcissique), les psychoses. Au départ, la définition de J. B. Pontalis, brève, complète, en situe l’axe centrale : « L’imposteur, celui qui usurpe une identité, s’invente, au point d’y adhérer parfois, une histoire qui n’est pas la sienne, se fait passer pour un autre et ça marche ».
L’auteure a développé ses travaux sur l’imposture dans le droit fil de ceux sur l’aliénation – non psychotique – d’un enfant à l’un des parents, le plus souvent la mère. L’imposteur apparaît à la recherche d’un objet paradoxalement à duper et à idéaliser. La dimension anale est prévalente avec cramponnement coûte que coûte à l’omnipotence infantile et avec court-circuit des liens de filiation et d’apprentissage. Et ce sont les perversions, dit-elle, qui permettent le mieux d’en appréhender la structure, mais au-delà d’une sorte de tronc commun, il y aurait divergence et, bien entendu, pour chacun selon des trajets différents. Quelle est, se demande Andrée Bauduin, cette exigence ou cette peur qui pousse à l’imposture ?
L’auteure approfondit le thème selon deux voies :
1/ Celle de l’analyse de l’imposture et des textes de Romain Gary : en plus et au-delà de l’injonction à remplir le programme phallique de la mère (assigné à n’être qu’un faux, et parvenant à se bâtir sur ce faux, spécificité de l’imposteur) se sont imposés les thèmes de l’identité et de l’authenticité (celle-ci sacrifiée paradoxalement au sentiment d’identité). Si l’imposture officielle lui a apporté le succès, a constitué un refuge, cela n’a pas empêché pour autant le drame final, comme chez nombre d’imposteurs qui finissent par se suicider. Il convient de souligner que par son œuvre, Gary trouve ou retrouve, en même temps, une authenticité. Cette œuvre apparaît comme un appareil auxiliaire externe à l’appareil psychique pouvant compenser les malfaçons de l’organisation intérieure.
2/ Celle de la remise en question de l’identification présumée au phallus maternel, insuffisante et non spécifique, d’autant qu’elle est souvent retenue dans son aspect de complément narcissique plutôt que dans sa participation à la jouissance maternelle, lien érotique rendant impossible toute séparation. Deux cas illustrent comment un lien apparent avec un objet total s’établit en fait avec un objet partiel dont l’imposteur serait captif dans un arrêt de développement proche d’une mort psychique – confusion qui peut se rejouer dans l’analyse et entraîner l’analyste à se laisser abuser.
À travers l’examen théorique rigoureux de ses prises en charge, Andrée Bauduin bat en brèche certaines positions admises : loin d’être un signe de bisexualité, le travestissement se présente comme un faire semblant ; l’absence de féminité dans la constitution sexuelle contribuerait à rendre l’identité de ces patients chancelante. L’aliénation érotique de la fille à sa mère est aussi l’objet d’un questionnement intéressant.
Dans sa pratique analytique, A.Bauduin fait preuve d’une grande patience, de prudence dans l’interprétation, tant pèse la menace de dépression grave si l’on méconnaît la nécessité vitale de l’imposture longtemps irreprésentable. Elle veille en même temps à maintenir une discrète altérité.
Au-delà d’impasses imputables à la cécité momentanée ou persistante de l’analyste, une possible imposture de l’analyste peut avoir lieu, eût-il été formé par une société reconnue. Andrée Bauduin dénonce les méfaits d’une psychanalyse fondée sur les dérives de l’illusion d’une régression réparatrice. Nous renvoyons le lecteur au dossier qu’elle a établi avec Paul Denis : « L’analyste pervers-narcissique : Masud Khan, un exemple illustre. »
J’ai noté que ce livre stimulant au ton de ferveur rigoureuse et ouverte pour la lecture individuelle, suscite immédiatement en groupe un échange animé, certainement en raison du besoin de calmer l’inquiétude que ce sujet réveille chez chacun et de la potentialité créative de sa démarche.