La démarche de Jean-Claude Stoloff, dans Pourquoi l'antisémitisme ?, est celle d’un examen critique des positions de Freud à partir d’une discussion serrée de ses textes, d’où le premier sous-titre de l’ouvrage Et si Freud s'était trompé... L’auteur y reprend avec force et rigueur l’examen du lien établi par Freud entre la question paternelle et l'antisémitisme, pour mettre en évidence les sources narcissiques de l’antisémitisme et en dégager ce qu’il considère comme son noyau inconscient. L’introduction repose la question des sources et causes de l’antisémitisme, estimant que le christianisme considère le judaïsme comme une régression et fait de la religion juive un fossile. « L’antisémitisme m’apparaît, pour l’essentiel, comme la manifestation d’une haine contre un certain type de foi, représenté par ce monothéisme « pur et dur », rigoureux, que le judaïsme post-christique, pharisien et rabbinique, a maintenu contre vents et marées » (p. 13). A partir de cette thèse, l’auteur réexamine les thèses de Freud sur la religion. Le premier chapitre rappelle le contenu de ce que Freud appelle le complexe paternel – c’est-à-dire la coexistence du conflit voire de la haine envers la figure paternelle et de la recherche de son amour protecteur –, complexe qui est pour Freud au cœur du sentiment religieux. Le second aspect, celui dela recherche d’amour, permet de rendre compte aussi de la mystique que Freud a laissée de côté. Les conflits entre les monothéismes reflètent des aspects différents de la transmission des idéaux, qui joue un rôle essentiel dans le maintien du narcissisme individuel et de la cohésion du groupe.
Les réflexions sur l’idéal et l’idéalisation sont ici d’un grand intérêt, et les sources narcissiques de l’antisémitisme font l’objet du chapitre 2, qui soutient que la haine suscitée par le judaïsme est liée à sa relation particulière aux idéaux. Le troisième chapitre s’attache à développer le contenu d’un noyau inconscient de l’antisémitisme (terme introduit en 1897), car le génocide nazi ne peut se comprendre qu’en prenant en compte les siècles de haine inconsciente qui l’ont précédé. Se voulant continuatrice des textes juifs, héritière de l’ancien Israël, l’Eglise a détourné le prophétisme d’Israël et constitué en même temps une véritable machine de guerre contre le judaïsme. La culpabilité chrétienne, nourrie de haine de soi, entretiendrait ainsi l’antisémitisme inconscient, projection particulièrement repérable dans les accusations récurrentes de meurtre rituel. La reconnaissance par le judaïsme de l’ambivalence et de la haine irréfragable chez l’être humain introduit une désillusion insupportable pour qui prétend à l’accessibilité de l’amour sans faille ni ambivalence, et la coexistence avec le judaïsme dément sans cesse les prétentions à l’amour du prochain. Cette idéalisation de l’être humain, liée au phantasme de retrouver l’amour absolu, contemporain de la relation du nourrisson à ses premiers objets, jointe à la culpabilité profonde entretenue par le christianisme, est aux yeux de Jean-Claude Stoloff, une des sources inconscientes fondamentales de l’antisémitisme.