Voici encore un ouvrage qu’il serait vraiment dommage de ne pas lire !
François Gantheret, dans un style très personnel, nous entraîne sur la route du Tholonet, près d’Aix en Provence, à la recherche d’une femme qu’il a aimée et perdue… On parcourt ce chemin avec lui, comme dans un rêve, dans un flou agréable ou dans un jeu de miroir où l’on ne sait jamais si l’on perçoit le personnage ou son reflet… C’est alors que petit à petit on découvre, sortant de la brume, la sainte Victoire qui se confond avec « la femme aimée » et Cézanne, le mal aimé.
Ensuite, par touches « impressionnistes », l’auteur chemine sur une route parallèle avec Cézanne. A plusieurs reprises, il nous montre les points qui les rassemblent, ce qu’il envie en lui : » La certitude du chemin qu’il faut suivre…. » « Ecrire comme il peignait… »
Au cours de ce voyage, nous découvrons cet homme solitaire, acariâtre parfois, bougon. Il nous le présente avec ses amis, Zola, l’ami d’enfance, avec lequel il finira par se fâcher, le Docteur Gachet, le père Tanguy qui prête des couleurs, Pissarro, Monet, Gasquet, le sculpteur, Renoir et d’autres. Sa famille est là aussi, Hortense, son épouse, le petit Paul, son fils, Louis Auguste son père qui regrette que son fils ne fasse du droit plutôt que de la peinture, sa mère, Anne, timide, fragile, effacée devant le père, mais qui affirmera très tôt le talent de son fils, que Paul chérira toute sa vie… Il nous montre surtout le caractère de cet homme, artiste de génie, qui n’a pas été compris par son époque, celui qui bat avec Manet les records de refus aux grandes expositions de l’époque et, qui n’a pas conscience de ce qu’il nous apporte. En filigrane, il y a une tragédie humaine qui se joue et pour laquelle, avec un grand talent, François Gantheret nous emmène, comme dans un roman d’investigation, ou dans le parcours clinique d’une cure, au-delà du visible : La violence de Zola à l’égard de son ami de toujours, qu’il exprimera dans » L’Œuvre », véritable » mise à mort de l’ami » au profit de » l’élévation de sa propre statue ». Ce livre provoquera l’envoi, par Cézanne, après sa lecture, d’une lettre de rupture à son « ami ». Violence que l’auteur va ressentir à son tour contre Zola et qu’il finira par reconnaître comme étant dirigée contre lui-même.
Alors que Cézanne ne signait pas ses toiles, Gantheret signe là un très beau livre de Psychanalyste et de Connaisseur. Les passages où il s’exprime sur l’Art s’entrecroisent avec les points de vue du Peintre. La peinture viendrait du dedans pour Cézanne, sans presque d’intervention consciente, comme certaines interprétations du psychanalyste jaillissent spontanément alors que se sont accumulés des ressentis et des pensées plus ou moins conscientes.
Cézanne crée le monde en le peignant, Il change nos yeux sur la nature… Il exprime les sensations nous dit Gantheret qui se reproche trop d’emphase, de lyrisme…, alors qu’il nous fait rêver et nous entraîne dans le tourbillon de son enthousiasme, pour ce peintre qu’il admire, au-delà des mots.