Le psychiatre psychanalyste Maurice Corcos, qui s’est également proposé de regarder l’adolescence à partir de la littérature (L’adolescence entre les pages, 2005) et anime le séminaire Babel (« Babel, littérature et psychanalyse »), s’attache cette fois à l’œuvre de Georges Perec.
Pour l’auteur, « le processus d’incorporation s’applique d’une manière spécifique à l’écrivant Perec » qui s’exprime en veillant comme il le dit lui-même à « laisser intact en lui et intouché le lien de sa mère au petit enfant meurtri », sans que l’absence n’engendre haine ou envie. L’absence de la mère, qui fait partir l’enfant pour le protéger, puis qui meurt en déportation, laisse une absence au-delà de toute explication possible, définitivement. Maurice Corcos rapproche de cette blessure inguérissable le besoin de littéralité de Perec, son refus de la métaphore, et une certaine forme d’abolition du temps et de l’espace. Perec est ainsi un arpenteur scrupuleux de l’espace, et un horloger de l’instant. Les vagues prosodiques de l’écriture impliquent l’évocation d’une mère qui chantait merveilleusement, sa présence fantôme et l’ultime trou de silence. Telle est la thèse du livre, qui rapporte l’œuvre de Perec à l’absence de sa mère, et y voit un labyrinthe sans architecte, où l’addiction à l’écriture s’est faite sauvegarde. Une écriture mélancolique.
Dans la crypte psychique de Perec, où son analyste Pontalis voyait le couple des parents morts, Perec lui-même évoque une statue intérieure, sorte de monument commémoratif. Comment faire le deuil d’un vide ? « Je n’ai pas de souvenir d’enfance » dit W. (W. ou le souvenir d’enfance, 1975). Soutenue par une connaissance minutieuse de l’œuvre de Perec, argumentée pas à pas, l’interprétation proposée par Maurice Corcos déchiffre avec passion l’itinéraire littéraire, à la lumière de l’existence plutôt que dans sa logique interne.