Il s’agit de la réédition, augmentée et remise à jour, d’un ouvrage paru initialement en 2000 : la biographie intellectuelle de Mihaly Bergsmann - celui dont Ferenczi disait : « il continue là où je me suis arrêté », qui naît en 1896 en Hongrie dans une famille de foi et de tradition juive, et meurt en 1970, alors qu’il est, depuis un an, président de la Société Britannique de psychanalyse
Comme Ferenczi, Mihaly Balint rencontre la psychanalyse au lycée et critique la théorie freudienne de façon très ambivalente. Mais il a 21 ans en 1917 quand il rencontre Alice Kovacs qui lui fera lire Totem et Tabou et les Trois essais…: Il sera alors « conquis… de façon irrémédiable et définitive ». Alice mourra en 1939 après qu’ils auront pendant 18 ans lu, étudié, vécu et travaillé ensemble.Alice est la fille de Vilma, analysante de Ferenczi et une des premières analystes didacticienne de Budapest - dont on se souvient surtout qu’elle fit front par un article de 1935 contre la réglementation du contrôle analytique selon l’Institut de Berlin : elle y défend un modèle de formation où l’analyste débutant a pour contrôleur son propre analyste didacticien.
En 1918 a lieu le Congrès de Budapest mais l’étudiant en médecine - assez déçu d’un chemin désiré par son père, qui aura son doctorat en 1920 mais professera une passion pour la recherche qui lui fera obtenir un doctorat en chimie et biochimie - n’en a sans doute que des échos, comme de la présence de Freud à Vienne cet été-là (celui de la rédaction des Voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique) . Mais lorsque a lieu le Congrès de Berlin en 1922 où Freud présente Das Ich und das Es, le jeune homme de 26 ans est déjà en analyse didactique à la Policlinique de Berlin. Le couple Balint/Kovacs reste trois ans à Berlin, ils choisissent tous deux Hans Sachs comme contrôleur.
De retour à Budapest en 1924, M. Balint s’installe comme médecin et psychothérapeute et reprend une analyse avec Ferenczi. Il fait ses premières conférences, et se rend dans les villes de Hongrie à la demande des médecins locaux pour les initier à la théorie psychanalytique. En décembre 1931 s’ouvre, au rez-de-chaussée de la maison où il vit avec sa belle-famille élargie, la Policlinique dont Ferenczi est le premier directeur. Balint lui succèdera jusqu’à son exil en Angleterre en 1939, et entre autres il avait mis sur pied un séminaire pour médecins généralistes. Passant en revue les textes écrits dans cette période, Michelle Moreau-Ricaud montre que sont en place dès lors les concepts de renouveau, celui de défaut fondamental, et que l’idée directrice de l’œuvre, qui n’apparaîtra que dans « Les voies de la régression » en 1959, est en gestation. Elle est celle de la « conviction » en l’existence d’un état primaire préambivalent, qu’il préfère appeler – en s’en expliquant – amour primaire. Cette conviction - que la psychanalyse peut se passer du « dogme freudien du narcissisme primaire » - avait été affirmée dans un climat de franche polémique entre psychanalystes viennois et hongrois lors de la conférence à Vienne de Balint en 1935, où il critique la théorie des organisations prégénitales de Karl Abraham.
Mais le climat à Budapest devient irrespirable, un policier en civil assiste aux séminaires de la Policlinique, les Balint émigrent –c’est un déchirement - en Angleterre, malgré l’insistance de Jones pour leur conseiller l’Australie. Mais ils doivent accepter une installation à Manchester.Les difficultés deviennent « abîme » lorsque Alice meurt brutalement d’un anévrisme de l’aorte en août 39. La traversée du désert durera nous dit l’auteur, jusqu’en 1947. Il sortira de cette crise personnelle et elle lui inspirera sans doute « Le renouveau et les syndromes paranoïdes » écrit en 1952. Remarié avec Edna Oakschott – dont il a dirigé l’analyse didactique - il se plonge en 1945 dans une recherche universitaire sur les nourrissons, utilisant les méthodes de la psychologie expérimentale (Esther Bick fut une des analysantes de Balint.)
Durant cette période, et avant même son retour à Londres, appartenant au Middle Group, il participe aux « Controverses », et son intervention la plus importante porte sur la formation, dont il considère qu’elle nécessite d’être repensée après la disparition du Pr. Freud comme imago paternelle - les frères se fourvoyant dans les impasses d’Oedipes mal résolus et maintenant les candidats « artificiellement en puberté ». Il sera finalement élu au Comité de formation et son influence au sein de la Société Britannique ira s’affermissant. Sa conférence de 1947 sur la formation, publiée en 48, sera un ferment pour la première scission du mouvement analytique français. M. Moreau-Ricaud en examine les conditions dans un chapitre plus particulièrement consacré à l’influence de Balint en France. On ne sait, nous dit l’auteur s’il faut attribuer le refoulement de l’œuvre en France à la réhabilitation de Ferenczi à laquelle elle s’est attachée, ou à une pratique plus soucieuse de mieux-être que de science. En tout cas elle évoque longuement comment Lacan critique d’autant plus efficacement le théoricien Balint qu’il ne cesse de rappeler la sympathie que lui inspire le clinicien.
En 1948 Balint reprend contact avec la Hongrie. Il découvre le test de Szondi et le promeut par un article dans l’International Journal. L’année 1949 marque le début de la phase de sa vie la plus connue, son « histoire moderne », dit-il. Il entre à la clinique Tavistock, y rencontre Enid Albu qui sera sa troisième femme, et les années qui suivent verront les parutions successives de « Amour primaire et technique psychanalytique », « Les voies de la régression », et « Le défaut fondamental » en 1968, puis « Trauma et relation d’objet » en 69. « La psychothérapie focale », ouvrage posthume, sera publié en 1972 mais la proposition en avait été faite, avec Ornstein, lors du Congrès International à Rome en 69.
Michelle Moreau Ricaud évalue dans un chapitre consacré à la théorie de Balint la spécificité de son apport, qu’elle situe dans le cadre de son attitude à l’égard de la régression, à laquelle il donne une dimension positive tout en la liant à la théorie de la relation d’objet. Elle traite dans un chapitre à part de l’histoire des « groupes Balint », en soulignant que « la marque laissée par Balint sur la médecine n’est pas aussi profonde qu’on aurait pu le supposer ou le souhaiter ».Elle distingue trois sources de l’institution de ces groupes de médecins : les « case-work’ , méthode importée des Etats-Unis en Angleterre dans les années 20 et introduits en France après-guerre avec le Plan Marshall, la pratique du contrôle analytique de Budapest, et les méthodes de groupe auxquelles il est initié par Bion : l’auteur parle de la méthode comme d’une chimère anglo-hongroise.
Le dernier chapitre du livre est consacré à l’actualité du mouvement Balint, plus particulièrement en France puisque c’est à Paris que voit le jour la première Société Médicale Balint née en 67 (à la fondation de laquelle participa F. Sacco, après sa thèse consacrée à cette formation). Son histoire – il n’existe pas d’archives constituées – se mêle fort à celle de la psychanalyse en France - et l’auteur a multiplié les entretiens avec les acteurs pour en reconstituer le fil (deux de ces entretiens – avec G. Raimbault et F. Sacco - sont consultables sur le site des éditions érès). Michael Balint fut notamment sollicité par Lacan comme médiateur lors de la crise de la SPP en 1953. Jean-Paul Valabrega, Émile et Ginette Raimbault, Jean-Claude Lavie, J.A. Gendrot, M. Sapir, C. Brisset et d’autres vont se former à la Tavistock au dispositif Balint pour les médecins. La société anglaise indépendante de la Tavistock naît en 70, l’italienne en 71…. En 78 a lieu le Premier Congrès International, en 98 la Fédération Internationale Balint compte une quarantaine de sociétés membres. Il semble que l’histoire du mouvement jusqu’à ce jour soit beaucoup plus marqué par la vivacité des polémiques que par le nombre de médecins formés. Michelle Moreau-Ricaud en appelle à la longue tradition française d’une SMB pour relever et instituer un seuil d’exigences qui s’est dramatiquement abaissé, la psychanalyse étant bien au cœur de la pensée de Balint.