C’est un livre d’une extrême richesse que nous propose Anne Brun, psychologue clinicienne, psychanalyste inscrite à l’Institut de la SPP, maître de conférences à l’université Lyon 2 : richesse de l’expérience clinique, des élaborations théoriques, de l’innovation de la pensée. L’auteur nous invite à parcourir un trajet qui nous fait rencontrer la psychose, renouveler la théorie de l’autisme, réfléchir aux dispositifs institutionnels, rencontrer des artistes, avancer dans les réflexions sur la symbolisation primaire. Il y a tant de choses dans ce livre qu’on peut craindre que certains lecteurs ne se laissent rebuter par la densité du sommaire … Il faut alors les encourager à entrer dans l’ouvrage et ils ne le regretteront pas ! Qu’ils soient psychanalystes, cliniciens para-médicaux, étudiants, ils y trouveront leur compte, car Anne Brun sait allier une très grande rigueur dans le maniement des concepts psychanalytiques avec les aspects les plus concrets de la clinique pratiquée dans les institutions.
C’est le constat de l’impossibilité de travailler exclusivement avec le registre verbal qui motive l’utilisation des médiations artistiques dans la thérapie des enfants, plus particulièrement psychotiques. A partir de sa triple expérience en tant que clinicienne, superviseur et universitaire, l’auteur propose une approche métapsychologique de la médiation dans la psychose infantile et l’autisme, ce qui l’amène, en se démarquant des ateliers d’art-thérapie, à élaborer une théorie des processus psychiques de la symbolisation. Les expériences sensori-affectivo-motrices, jusqu’alors impensables et irreprésentables, la réactualisation de vécus originaires catastrophiques s’élaborant dans l’ici et maintenant du cadre des médiations thérapeutiques, la peinture, le modelage, les jeux d’eau ouvrent la voie à la symbolisation primaire.
Après l’étude de l’histoire des médiations artistiques chez les différents auteurs, puis de la place de la médiation dans le fonctionnement institutionnel, Anne Brun donne une analyse extrêmement méticuleuse des liens transféro-contre-transférentiels spécifiques, qu’il convient d’aborder avec la plus grande attention avec les soignants, car ceux-ci risquent d’être découragés par l’intensité des processus de destruction qu’expriment les enfants. Abordant aussi la dimension groupale et institutionnelle du dispositif, Anne Brun montre comment chacun des enfants incarne un des aspects de la peau psychique de groupe, à partir de laquelle s’articulent enveloppe groupale et enveloppes individuelles.
Sur le plan théorique, le modèle de la symbolisation que propose Anne Brun remet en question la perspective structurale qui conçoit la psychose comme un déjà-là. Par conséquent, sur le plan clinique, elle ouvre à l’idée d’une réorganisation possible du temps de l’origine. Les médiations permettent de vivre des expériences pas encore vécues et de réactualiser des éprouvés catastrophiques qui vont pouvoir prendre figure dans le travail du medium. De nombreux exemples cliniques qui révèlent la précision théorique et la finesse clinique de l’auteur témoignent de cette évolution.
Quelques reproductions des œuvres réalisées par les enfants dans les ateliers donnent à voir magnifiquement cette suspension entre halluciné et perçu, lorsque les processus de la symbolisation primaire émergent de la sensorialité,. Ces observations sur le passage du sensoriel à la possibilité d’une figuration conduisent Anne Brun à des réflexions très intéressantes sur les processus de création chez les artistes, dans une articulation féconde entre art et clinique dont témoigne le chapitre sur Henri Michaux, artiste auquel l’auteur avait déjà consacré un ouvrage remarquable. Elle fait un parallèle entre la dissolution des visages caractéristique de la peinture de Michaux avec le moment de l’apparition de la figure humaine chez les enfants psychotiques, la feuille faisant fonction de miroir.
Ce livre extrêmement complet, qui aborde tous les aspects du sujet et en propose une étude approfondie, constitue une véritable somme, qui fera référence sur la question.