Préfacée par Antonino Ferro, cette présentation de la pensée du psychanalyste Matte Blanco, par des membres du Bi-logic London Group (dont Richard Carvalho est le président), est une introduction claire à des thèses déroutantes et complexes.
Né en 1908 à Santiago du Chili, Matte Blanco fréquente les séminaires de Mélanie Klein, puis travaille aux USA avnt de revenir au Chili comme professeur de psychiatrie. Il y fonde la Société Chilienne de Psychanalyse. Sa théorisation, qui décrit la pensée symétrique de l’inconscient, pour l’opposer à la logique asymétrique et différenciatrice de la pensée consciente, est surtout connue dans les pays anglo-saxons et en Italie.
La première partie de l’ouvrage, écrite par R. Carvalho, est consacrée aux positions théoriques de Matte Blanco qui reposent sur les principes de symétrie et de généralisation : dans le mode de pensée symétrique, celui de l’inconscient, tout se correspond (symétrie) et tout se généralise, jusqu’à se confondre. Les modes de pensée symétrique et asymétrique s’opposent mais coexistent, et la structure constitutive de l’organisation du psychisme est faite de strates bi-logiques – depuis la strate 1 où la conscience sépare les éléments les uns des autres jusqu’à la strate 5 où tout est dans tout, dans une confluence générale de tous les éléments regroupés en classes. Cette pure manifestation de l’être, sans distinction entre intérieur et extérieur est une « Basic Matrix », matrice de base de toute projection et de toute introjection – lesquelles se déploient dans les strates intermédiaires, où l’affect est d’autant plus intense que le mode symétrique prédomine. Le même phénomène est perçu par le psychisme à plusieurs niveaux simultanément, et le mode de pensée symétrique, celui de l’inconscient, se caractérise par des condensations liées au regroupement de chaque élément dans des classes ayant une même fonction : ainsi père, grand-père, enseignant, policier peuvent appartenir à la même classe, celle qui a pour « fonction propositionnelle » l’autorité paternelle et s’y confondre. Mais la décondensation nécessaire pour penser consciemment ces éléments condensés suppose une projection sur la pensée consciente qui en démultiplie les dimensions ; l’expression consciente du mode symétrique est donc toujours inadéquate, de type anaclitique.
Dans une deuxième partie, A. Ginzburg illustre systématiquement chacune de ces thèses par des vignettes cliniques schématiques, puis R. Lombardi présente le traitement d’un patient psychotique en inisistant sur la sensorialité, sur l’émergence de l’émotion, et sur la relation problématique entre le corps et la pensée. Michel-Sanchez-Cardenas montre les enjeux de la formulation bi-logique de la psychanalyse par Matte-Blanco dans les domaines des rapports entre psychanalyse et culture : la linguistique saussurienne, les anagrammes, le carré sémiotique de Greimas, la structure des mythes peuvent être lus dans une perspective bi-logique, qui éclaire aussi l’effet esthétique de l’œuvre d’art et la psychologie de l’acte créateur. L’approche bi-logique est également appliquée à la lecture freudienne de l’Homme au sable de Hoffmann.
Car pour Matte-Blanco, la mise en évidence de la pensée symétrique inconsciente et la compréhension du psychisme en termes bi-logiques devrait servir de nouveau paradigme pour la psychanalyse et se substituer ainsi à la métapsychologie freudienne. C’est là que nous ne pouvons le suivre : l’approche logique est intéressante et met en lumière des phénomènes importants, mais on ne peut réduire à la seule logique les dynamiques pulsionnelles ni suivre Matte Blanco lorsqu’il réduit mort et vie à être logiquement, d’un point de vue symétrique généralisant, la même chose ! Le dualisme pulsionnel de la deuxième topique freudienne, avec l’intrication de pulsions antagonistes ne peut être ramené à la coexistence de deux logiques, aux dépens des pulsions et de leur opposition, force constitutive d’énergie sexuelle, et de l’affect qui n’est pas simple résultante d’effets de confusion et d’illimité.
Même si des désaccords demeurent avec la pensée de Matte Blanco, on ne peut que remercier les auteurs de l’ouvrage d’en avoir décodé et présenté les présupposés et les enjeux dans un livre très pédagogique.