Ce livre nous montre un pédo-psychiatre psychanalyste au travail, avec son équipe. Reprenant des articles publiés au Centre Alfred Binet, il témoigne de vingt ans d’une pratique et d’une réflexion qui prête à la fois attention à l’enfant comme sujet et à ses parents, à l’institution, au groupe, au temps et à l’espace.
La première partie est centrée sur la consultation : la rencontre de l’enfant et de sa famille avec le psychanalyste et l’équipe. Un chapitre analyse avec précision les enjeux de la consultation, et les questions qu’elle fait surgir dans l’esprit du praticien, dont la construction est à la fois génétique et structurale. Le travail avec les parents est particulièrement réfléchi, notamment à la lumière de cas cliniques évocateurs. Une place importante est faite aux différentes fonctions que peut remplir le « personnage-tiers » (E. Kestemberg) qu’est souvent le consultant.
Consacrée aux traitements, la deuxième partie s’ouvre par « l’histoire houleuse » d’une thérapie d’adolescente et se poursuit par l’examen des situations où se met en place une psychothérapie brève dont la durée est définie par avance (pour diverses raisons, dont l’impossibilité de faire autrement). La question du transfert est honorée par l’étude du transfert à l’adolescence – dans les trois moments du chaos pubertaire, de la position narcissique centrale et de la redécouverte de l’objet – et par celle du contre-transfert dans le psychodrame individuel. Une « note sur l’interprétation mutative », attentive au sens des termes, met en valeur et commente l’article de Strachey sur « La nature de l’action thérapeutique de la psychanalyse ».
Une troisième partie consacrée aux « Problématiques » s’attache à des questions centrales de l’adolescence : l’entrée dans l’adolescence et son fonctionnement mental, où il faut souligner l’importance du masochisme ; les transformations des processus identificatoires ; la question de la disparition du complexe d’Œdipe permet à Michel Vincent de dégager sa conception énergétique et symbolisante de la nécessité de l’adolescence : « La déception par les parents contribue au repli narcissique. Le retournement contre soi et le retournement en son contraire viennent compléter les effets de l’inhibition quant au but qui dégage de l’amour la tendresse et les liens sociaux. Dans ce repli, le fonctionnement mental va trouver les matériaux et l’énergie pour développer une vie imaginaire dont les objets psychiques supportent la resexualisation. L’espace de la symbolisation qui ne peut supporter que de petites quantités d’énergie trouve alors son épanouissement La troisième et dernière étape de l’adolescence, au-delà de l’ambivalence, conduit vers de nouveaux objets dans le monde extérieur ». Quelle plus belle illustration que son commentaire du Don Giovanni de Mozart, « un adolescent du XVIII° siècle » !
La fréquentation de psychanalystes de tradition anglaise permet à Michel Vincent de montrer tout l’intérêt du concept d’énaction, illustré par plusieurs évocations cliniques qui aident à montrer l’importance d’une pensée psychanalytique de l’acte – agir pour penser – qui ne le réduise pas à l’acting (lequel a son sens dans le transfert). L’article le plus récent (2004) élabore des « propositions pour le temps en psychanalyse », en liaison avec la réflexion de François Duparc (Le temps en psychanalyse, rapport au 57° congrès de psychanalyse de langue française, 1997) : origine et développement, figures du temps, régression, après-coup et transfert, temps éclaté (A. Green) sont synthétiquement repris et accompagnent une étude clinique qui montre à l’œuvre le temps du cadre et l’imprévisible du temps de la cure.
C’est l’inscription d’une pratique dans les cadres conceptuels qui permettent de la penser et de la réguler ainsi que l’inscription des conceptions théoriques dans les gestes les plus quotidiens et les séances ou entretiens habituels d’une pratique qui font la force de ce livre. En cohérence avec le concept d’énaction qu’il met en valeur, Michel Vincent nous propose une conception claire et articulée des processus psychiques à l’adolescence au service d’une pratique clinique capable de penser ce qu’elle fait.