La parution en 1970 du manuscrit de Louis Wolfson « Le schizo et les langues » (Gallimard refusant le titre original : « Point final pour une terre infernale ») fut un évènement considérable dans l’univers intellectuel de l’époque. Des philosophes (Derrida, Foucault), des écrivains (Auster, Le Clézio) des psychanalystes (Aulagnier), s’y intéressèrent.
Leurs publications furent réunies par Gallimard en 2009 dans un « Dossier Wolfson » : « L’affaire du Schizo et les Langues ». Mais de Wolfson lui-même plus personne n’entendit parler.
Ou presque. En 1984 paraissait de manière beaucoup plus discrète un deuxième livre, rapidement tombé dans l’oubli. Le manuscrit exhumé par un jeune éditeur parisien, Wolfson en écrit alors une version remaniée qui paraît aujourd’hui.
Dans le Schizo et les langues, Wolfson voulait révéler et expliciter un système langagier de son invention consistant à substituer quasi instantanément à toute parole de sa mère dite en Anglais, un mot inventé en une sorte de langue composite, phonétiquement proche, mais dont les syllabes sont empruntées à toutes sortes de langues mélangées. Le déploiement épuisant de ce sabir l’amenait néanmoins à produire une authentique œuvre littéraire, entraînant son lecteur dans ses aventures « schizophréniques » dans le Manhattan vibrionnant de l’époque. Autant témoignage clinique (qui a fait dire qu’il était à la schizophrénie ce que Schreber avait pu être à la paranoïa) que texte littéraire, le livre se rapprochait pour certains critiques des expériences littéraires surréalistes d’un Raymond Roussel.
Avec ce deuxième livre, le ton change, l’heure n’est plus au manifeste clinique mais plutôt à celui d’un travail de deuil, d’une tentative de mise en sens d’une expérience insensée, celle de la maladie cancéreuse lentement mortelle où sa mère s’abime, tandis qu’il continue à vivre à ses côtés. Obnubilé par les courses de chevaux qui lui font un écran à ses émotions désorganisantes, il parcourt comme un étrange automate la mégalopole new-yorkaise dans l’espoir d’un gain définitif.
Le livre est aussi le récit de ses errances et de ses rencontres dans un monde avec lequel le malentendu est constant. On y retrouve l’humour, souvent noir, caustique, la dérision des autres comme de lui-même dans des portraits au sclapel et sans indulgence, dont Wolfson faisait déjà preuve dans son premier texte. Mais le récit, plus littéraire, est nettement plus abordable pour le lecteur. Même si le style reste marqué du rapport schizophrénique au langage, Wolsfson semble s’être émancipé de la contrainte de sa « novlangue ».
Ses calculs de martingales, infiltrés des évènements qui l’entourent, s’organisent en un maillage d’éléments symboliques auquel il cherche à donner un semblant de cohérence par le langage, un phrasé poétique. Mais entre scènes d’hôpital et champs de courses à l’abandon, le récit en nous faisant parcourir l’espace de la ville comme un immense réseau balisé de lieux et de rencontres laisse sourdre comme malgré lui, au-delà de la froideur recherchée, quelque chose de l’émotion du deuil qui étreint l’auteur.
Comment éprouver, faire éprouver sans être emporté corps et bien par l’émotion telle semble être la quête de Wolfson dans ce texte. Mais au-delà on entend aussi une pointe farceuse et peut être un peu cruelle, le grincement de l’humour schizophrénique, par lequel l’auteur joue avec son lecteur comme le chat avec sa souris.
Après le décès de sa mère, Wolfson, déçu des courses, joue à la loterie. Il y gagne rapidement le gros lot, et c’est fortune faite qu’il émigre aux Caraïbes où bien entendu, des escrocs en feront rapidement leur affaire. Le livre en est aussi le produit, celui du jeu du destin-chat avec l’auteur, devenu lui-même souris.